Marie-Line DAHOMAY : Chaben, Gaston Germain-Calixte : On chantè-véyé. Essai
Marie-Line DAHOMAY : Chaben, Gaston Germain-Calixte : On chantè-véyé. Essai. Baie-Mahault : Éditions Nèg Mawon, 2017. 303 p., illustrations.
Texte intégral
1La Guadeloupe est un archipel qui regorge de pratiques musicales. Qu’il s’agisse du gwoka, inscrit depuis peu sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (2014), ou des chants de veillées dont il est question ici, les chercheurs s’intéressent de plus en plus à ces musiques traditionnelles. Alors que les premiers écrits sur les pratiques musicales guadeloupéennes étaient des documents plutôt descriptifs, basés sur des récits et des expériences personnelles, les ouvrages plus récents adoptent une démarche scientifique. C’est dans cette lignée que s’inscrit celui de Marie-Line Dahomay, une version retravaillée d’un mémoire rédigé en 2003 dans le cadre de son Diplôme Universitaire (D.U.) « Ethno rythmes musiques et danses du monde » à l’université Sophia Antipolis de Nice en France.
2Dans son ouvrage sur Gaston Germain-Calixte, dit Chaben, le premier chanteur de veillée guadeloupéen ayant enregistré des disques dans les années 1960, Marie-Line Dahomay « veut participer à la sauvegarde de la véyé à travers l’histoire de son personnage principal, Chaben » (p. 22). Le projet de Dahomay est ambitieux et projette deux ouvrages à venir qui s’intéresseront d’abord à l’analyse musicale et littéraire de l’œuvre de Chaben, puis au travail de transmission effectué par la population de Port-Louis pour faire vivre l’œuvre du chanteur. Ce premier des trois ouvrages se divise en deux grandes parties. La première, composée de trois chapitres, retrace avec détail le parcours de vie du natif de Port-Louis au Nord-Grande-Terre en le situant dans le contexte historique de l’époque. La seconde, intitulée « Réflexions », s’intéresse aux deux pratiques musicales préconisées par le musicien : le chant des veillées mortuaires ou la véyé, et le gwoka.
3Au XIXe siècle, Port-Louis occupe un rôle important dans l’industrialisation, la production et la commercialisation de la canne, du sucre et du rhum. Avec la famille Souques, l’usine Beauport devient d’ailleurs l’une des centrales les plus importantes de l’archipel. Parallèlement, « le Port-Louis natal de Chaben est aussi réputé pour une longue tradition de pêche, par sa proximité avec la mer » (p. 33). Tel est le milieu dans lequel naît Chaben, le 30 janvier 1922, et que Dahomay décrit en détail. L’homme vit une enfance difficile dans son quartier de Rambouillet, ancienne zone commerciale. Décès de ses parents et d’une sœur, renvoi du cours élémentaire et départ de sa sœur aînée marquent les premières années de sa vie et laissent le garçon seul à se débrouiller avec le soutien des habitants de son quartier. Cette solidarité humaine qui l’entoure, ainsi que le chant, qui joue déjà un rôle privilégié dans sa jeune vie, occuperont une place importante dans son existence. Durant la Seconde Guerre, il travaillera comme marin, charbonnier dans un camp militaire, puis pêcheur pour assurer sa survie passant parfois des moments difficiles, voire des temps de déprime. En 1952, il devient matelot pour la marine marchande, mais gagne mieux sa vie par la pratique de la petite pêche côtière.
4Les années 1960 à 1980 lui sont plus favorables. Alors qu’un climat de mécontentement règne en Guadeloupe et que ses connaissances s’engagent dans des mouvements politiques revendiquant l’indépendance, Chaben fréquente ces milieux pour chanter. L’homme n’étant aucunement militant ou politicien, ses textes seront plutôt grivois et ses chansons refléteront la société guadeloupéenne. « Sa créativité se nourrit donc d’événements d’actualité et de problématiques locales, voire nationales » (p. 67) et , qui donnent, par la même occasion, un aperçu historique de la Guadeloupe de l’époque. C’est en 1964 qu’il enregistrera ses premiers disques de chanté-véyé, qui seront également les premiers de la Guadeloupe dans ce genre et feront connaître Chaben dans tout l’archipel. Vers la fin des années 1970, déçu par le milieu du spectacle qui s’est approprié ses compositions à son insu, Chaben se fait moins présent en public. Une grande veillée sera organisée en son honneur à son décès, le 2 mars 1987.
5Alors que le premier chapitre s’est attardé sur la vie de l’homme, le deuxième décrit sa personnalité. À travers la généalogie de Chaben, Dahomay examine la théorie selon laquelle l’homme aurait des origines italiennes. L’exercice ne convainc pas et met en doute cette théorie. Il est ensuite question de son surnom le plus connu, Chaben, et des autres qui lui auraient été attribués : « le petit-blanc », « mulâtre », même « vieux nègre », menant ainsi à une courte réflexion sur les préjugés raciaux. L’auteur révèle d’autres traits de caractère dominants de Chaben : sa simplicité autant dans sa façon d’être que dans l’allure de sa case, sa générosité dans sa façon de diffuser sa voix, ses peurs, voire ses phobies maladives, sa vision singulière et simple de la vie, son grand amour des femmes, sa foi en Dieu.
6Le troisième chapitre de cette première partie nous fait découvrir Chaben, le musicien. Adolescent, Chaben s’initie au monde de la musique avec son oncle, chanteur de sérénades. Le répertoire du jeune homme se constitue alors majoritairement de chansons françaises. Doué et avide d’apprendre, il s’initie au répertoire des chants marins de son quartier et, « avant la vingtaine, devient déjà un chanteur-animateur de fêtes familiales » (p. 132). Son initiation à la musique de tambour se fait à un très jeune âge, lors des fêtes patronales et nationales, mais ce sont les veillées mortuaires qui occuperont une place privilégiée dans la vie de Chaben. Elles s’avèrent un espace de rencontres et de divertissement. Interpelé par le chant, il prendra des cours particuliers pour développer une technique vocale et une méthode d’improvisation qui lui seront propres. Il interprétera son répertoire dans toutes les occasions, ne se limitant pas aux veillées mortuaires. Interprète, mais également compositeur, Chaben ne manque pas de créativité pour s’inspirer du présent. De 1965 à 1969, il fera ses débuts sur scène avec le Cercle Culturel Ansois dont l’objectif est de « promouvoir le folklore guadeloupéen » (p. 142). Viendront ensuite ses premiers enregistrements, en concert, avec Marcel Mavounzy d’abord et Raymond Celini ensuite. Chaben se produira sur plusieurs scènes de la Guadeloupe avant de se retirer à la fin des années 1970. « Chaben laisse un patrimoine chanté riche et immense [dans lequel il lègue] à la fois un style musical original, un art poétique du parler et de la narration créole, doublés d’un profond enseignement de vie » (p. 158).
7La seconde partie de l’ouvrage propose une réflexion sur les deux principales pratiques musicales qu’a exercées Chaben : les chants de veillées mortuaires et le gwoka. Au sujet de la veillée mortuaire, Dahomay veut enrichir la documentation déjà importante sur le sujet en abordant « l’approche mystique des rites et des comportements tout en tentant de faire l’état des lieux de la véyé aujourd’hui » (p. 170). Il y a très longtemps, la veillée mortuaire se tenait au domicile familial où toute la communauté était invitée. Les prières avaient lieu à l’intérieur de la maison et, à l’extérieur, avait lieu une série de jeux traditionnels. La veillée représentait un moment de solidarité où, bien souvent, se reconstituait la famille. Dahomay décrit les symboles qui, selon elle, donnent à cet évènement un caractère mystique. La signification de ces symboles, perdue ou restée secrète chez les Guadeloupéens, c’est dans d’autres traditions que Dahomay en a puisé la signification. Elle affirme ainsi que la veillée mortuaire serait une étape de transition de l’ombre à la lumière où les bougies, les miroirs, l’alcool et l’eau tiendraient tous des rôles importants. Elle décrit ensuite le chanté-véyé et son accompagnement rythmique vocal, le boulagèl. « Véritables duels, ces chants s’insèrent dans une dynamique de joute musicale où les chanteurs se succèdent, défiant l’autre par la provocation verbale et la monstration de prouesses vocales et d’improvisations » (p. 186). Bien que le chanté-véyé s’apparente au gwoka, les différences sont évidentes. Suit une description détaillée du boulagèl, où Dahomay s’attarde tant à la production du son qu’à la façon de frapper les mains et à la posture des chanteurs, tous essentiels à la prestation. Elle conclut cette section en décrivant la veillée telle qu’elle a lieu aujourd’hui, espérant que cette tradition guadeloupéenne continuera de se perpétuer.
8La seconde partie de la réflexion porte sur le gwoka. Cette pratique musicale n’ayant pas toujours été connue sous ce nom, Dahomay en énumère les diverses appellations selon les époques et les régions de la Guadeloupe, l’objectif étant de saisir comment elles se sont fondues en un seul terme : gwoka. À partir de documents d’archives, de témoignages et de divers ouvrages, elle tente de retracer l’origine des termes gwoka, ka et gwotanbou/tamboula afin de les situer dans l’histoire de la musique gwoka. L’auteur termine par un album photographique de moments importants de la vie de Chaben et sur une bibliographie étoffée.
9Le livre que propose Marie-Line Dahomay ouvre selon nous un nouveau chapitre des écrits sur la musique guadeloupéenne. Il s’agit d’une étude sérieuse, fort bien documentée et habilement écrite. Dahomay nous permet non seulement de connaître un des piliers des chanté-véyé guadeloupéens, mais elle fait revivre la Guadeloupe de Chaben afin de saisir l’essentiel du personnage. La biographie du chanteur étant si bien ficelée, il aurait été intéressant d’établir des liens plus évidents entre la raison d’être de la seconde partie qui, bien qu’adroitement menée et relatant de façon très efficace les veillées mortuaires guadeloupéennes, manque de liens directs avec Chaben. Ce premier ouvrage de trois projetés s’avère très prometteur dans le corpus des écrits sur les musiques guadeloupéennes.
Pour citer cet article
Référence papier
Marie-Hélène Pichette, « Marie-Line DAHOMAY : Chaben, Gaston Germain-Calixte : On chantè-véyé. Essai », Cahiers d’ethnomusicologie, 31 | 2018, 324-327.
Référence électronique
Marie-Hélène Pichette, « Marie-Line DAHOMAY : Chaben, Gaston Germain-Calixte : On chantè-véyé. Essai », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3216
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