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Sibylle EMERIT, Hélène GUICHARD, Violaine JEAMMET, Sylvain PERROT, Ariane THOMAS, Christophe VENDRIES, Alexandre VINCENT, Nele ZIEGLER, dir. : Musiques ! Échos de l’Antiquité

Lens : Musée du Louvre-Lens, Gand : Snoeck Publishers, 2017
Séverine Gabry-Thienpont
p. 315-319
Référence(s) :

Sibylle EMERIT, Hélène GUICHARD, Violaine JEAMMET, Sylvain PERROT, Ariane THOMAS, Christophe VENDRIES, Alexandre VINCENT, Nele ZIEGLER, dir. : Musiques ! Échos de l’Antiquité, Lens : Musée du Louvre-Lens, Gand : Snoeck Publishers, 2017. 400 p.

Texte intégral

1Rares sont les ouvrages traitant des musiques de l’Antiquité. Pourtant, les discours auréolant ces musiques ont alimenté nombre de créations, musicales, visuelles et textuelles, depuis le XIXe siècle. Dès cette période, une construction des savoirs autour des musiques de l’Antiquité prend forme. Les résultats de cette construction interfèrent bien souvent avec la compréhension de certaines musiques et remodèlent leur histoire. Et c’est ainsi que les chants coptes deviennent les héritiers des hymnes pharaoniques, pour ne citer que cette préconception largement répandue. Il était donc nécessaire que des chercheurs spécialistes des périodes antiques s’attaquent à une démarche comparative et interdisciplinaire pour traiter des musiques de l’Antiquité, en prenant en compte toute la palette des sources disponibles sur le sujet, et en présentent les résultats à un large public. C’est désormais chose faite avec l’exposition « Musiques ! Echos de l’Antiquité » (Louvre-Lens, septembre 2017-janvier 2018) et son catalogue qui, bien plus qu’un simple inventaire des objets présentés, donne au lecteur la possibilité d’acquérir un savoir réflexif autour de ce vaste sujet en mobilisant les outils tant de l’archéologie musicale que de l’histoire du sensible et de l’ethnomusicologie. Il réunit les contributions de quarante-deux auteurs, sous la direction des huit commissaires de l’exposition.

2A la fois beau livre et livre d’érudition, l’ouvrage s’articule en deux grandes parties. La première est consacrée à des essais, à travers six chapitres ; la seconde au catalogue des objets présentés dans une perspective thématique. Chaque essai de la première partie est ponctué de « focus », qui nous permettent d’éprouver notre compréhension des analyses historiques à la lecture d’études de cas particuliers.

3Comme dans le fil d’Ariane de cette exposition, l’ouvrage interroge d’abord au sein d’un premier chapitre – « Les pionniers de l’archéologie musicale » – notre rapport aux musiques de l’Antiquité. Les trois premiers essais reviennent donc sur l’histoire de la découverte de ces musiques et de leur compréhension avec l’émergence d’une discipline au XIXe siècle : l’archéologie musicale. Dans ce chapitre, un focus original est consacré au péplum Quo vadis (1951). Il montre comment le compositeur Miklós Rózsa a choisi pour composer la bande originale de combiner « partitions grecques » et répliques d’instruments antiques, dans le but de donner une « caution historique » (p. 29) à sa musique.

4Le deuxième chapitre, « Savoirs et traditions musicales de l’Orient ancien », réunit un essai et deux focus : l’un porte sur la théorie musicale mésopotamienne et la notation, avec une explicitation des indications d’accordage sur les tablettes cunéiformes ; l’autre sur les chants et instruments du culte à travers la théorie d’un transfert cultuel à l’origine de changements musicaux. L’essai revient sur un mythe sumérien du IIIe millénaire racontant la création du musicien, puis fait le point sur l’état des connaissances actuelles autour des musiques et de leurs usages en Mésopotamie. Il évoque également les spécificités de genre liées à tel ou tel instrument, ce que l’on sait aujourd’hui concernant l’apprentissage de la musique, les rapports particuliers et étroits – liés au mythe sumérien évoqué – du roi avec ses musiciens, et les pouvoirs sensoriels attribués à certains chants. Avec une présentation de la terminologie en usage, qui distinguait le musicien du roi du musicien du culte, l’auteur termine son essai en résumant les progrès récents de la recherche sur la musique mésopotamienne, rendue possible par une prise en compte accrue des textes.

5Le troisième chapitre, « La musique pharaonique, un patrimoine plurimillénaire », se compose d’un essai et de deux focus. L’essai porte spécifiquement sur l’hétérogénéité des sources musicales égyptiennes, entre la richesse des images (représentations pariétales et autres supports) et la variété des vestiges archéologiques d’instruments de musique. Les travaux réalisés au XXe siècle sont mentionnés, avec des explications très utiles quant à la manière dont les théories et les interprétations doivent être repensées à l’aune des évolutions méthodologiques. A l’inverse de son pendant mésopotamien, aucune source égyptienne ne mentionne l’origine divine de la naissance de la musique, et à ce titre, l’auteur souligne que le terme grec musikè « ne semble pas avoir d’équivalent dans la pensée des anciens Egyptiens » (p. 54) : l’esthétisation des bruits, des sons et des musiques, renverrait donc en Egypte à une autre perception de l’objet sonore qu’en Mésopotamie ou en Grèce. C’est toute l’importance des sons pour entrer en relation avec les dieux et expliquer la création du monde qui est développée dans cet essai : l’auteur montre l’impact de ces croyances sur les productions musicales cultuelles, notamment dans le domaine funéraire. Les découvertes faites entre 2002 et 2005 de harpes dans un état de conservation exceptionnel rouvrent d’autres portes interprétatives concernant tant la facture instrumentale que la teneur symbolique des dépôts votifs au sein des tombes. Enfin, le poids de la royauté dans l’organisation des cultes révèle que, si la musique est indispensable aux rites, les musiciens sont de simples exécutants au service du pouvoir. Les deux focus suivant cet essai insistent principalement sur la déesse égyptienne Hathor, souvent décrite comme déesse de la musique, mais dont l’identité divine repose sur une plus large palette de fonctions, ainsi que sur un instrument particulier, le sistre, à la fois objet sonore et effigie divine.

6Dans le quatrième chapitre, « Les révolutions musicales des cités grecques », ce sont une fois de plus les liens étroits entre musique et divinités qui sont abordés, au prisme de leurs disparités régionales et des mythes qui racontent la création des instruments de musique. L’auteur énumère ensuite les différentes musiques en usage et leur rôle dans les étapes de la vie. On apprend que des compétitions musicales étaient organisées, basées notamment sur l’improvisation des citoyens-interprètes, menant à un savoir-faire parfois professionnalisant. Enfin, le lecteur comprend que la théorie musicale des Grecs est avant tout le fruit de spéculations philosophiques. Des réflexions d’ordre éthique définissent ainsi les normes esthétiques, avec une mise à contribution singulière des mathématiques pour expliquer les rapports entre la musique et les lois régissant l’univers. Les deux focus qui suivent cet essai concernent l’un le système de notation musicale, avec une transcription musicale à l’appui, l’autre une tombe de musicienne découverte à Athènes.

7Le cinquième chapitre, « La musique romaine : à l’ombre de la Grèce ? », nous transporte à Rome en problématisant d’emblée la question cruciale de la nature des rapports entre les musiques romaine et grecque. Une historiographie fort utile nous invite ainsi à considérer les influences effectives de la culture grecque, à travers par exemple les nombreux hellénismes figurant dans le jargon musical. Les auteurs prennent toutefois rapidement le contre-pied de cette comparaison en déclinant dans un style alerte les multiples richesses de la « civilisation musicale » (p. 86) romaine et en entérinant l’impact des préconceptions héritées du XIXe siècle. Les contextes de démonstrations musicales sont présentées : manifestations politiques, concours, jeux théâtraux. Un passage développe le caractère ambigu et pluriel du statut du musicien, soit professionnel talentueux et renommé, soit prostitué, mais surtout dans bien des cas, esclave ou affranchi. Un autre revient sur l’idéal de la jeune fille musicienne, dépeint dans la littérature et l’iconographie. Cet essai se termine par une synthèse sur la diversité des musiques romaines, tant au niveau des praticiens que des contextes d’exécution et de la variété des influences. Le premier focus qui suit aborde le cas de Pompéi et l’apport indéniable tant des représentations pariétales (scènes de musique, graffitis, inscriptions murales) que des nombreux vestiges d’instruments de musique exhumés sur le site. Le deuxième met l’accent sur l’aspect sonore des sacrifices publics romains et sur la manière dont le visuel offert par les reliefs permet d’interpréter ce qui est de l’ordre de la musique, du bruit ou du silence.

8Ces cinq chapitres, portant tous – à l’exception du premier – sur une aire géographique et culturelle précise, nous mènent au sixième et dernier chapitre « Du Tigre au Tibre : voyages et échanges », pour appréhender la délicate et passionnante question des circulations et des échanges. D’un point de vue épistémologique, cette approche inscrit définitivement cet ouvrage dans une histoire globale, qui dépasse le strict cadre de l’Antiquité. L’exemple privilégié de la première partie de ce chapitre, consacré à « La question controversée de la diffusion des instruments de musique », est la harpe, dont l’histoire est encore aujourd’hui fort méconnue : nul doute que ces paragraphes proposent une matière passionnante pour les recherches en cours portant sur cet instrument à l’époque contemporaine. Les auteurs mentionnent les différentes sources mobilisées pour étudier les circulations de la harpe, en insistant sur la difficulté d’identifier les transferts culturels à l’œuvre. « Le cas de Chypre en Méditerranée orientale » occupe une deuxième partie de chapitre. Il permet de revenir brièvement sur le cas de la harpe, mais offre surtout l’étude d’un cas précis, celui d’une petite île à la confluence de civilisations puissantes. Une troisième partie nous emmène à « Alexandrie, carrefour culturel et phare de l’hellénisme », là aussi cas d’étude privilégié, car ville connue pour son cosmopolitisme culturel et intellectuel. C’est là que fut conçu l’orgue, création que l’auteur mentionne dans cette partie, et développe davantage dans la suivante : « Aux origines de l’orgue : la mécanique des savants alexandrins ».

9A la suite de ces six chapitres, nous trouvons le descriptif des œuvres, objets, et textes, exposés, suivant l’organisation telle qu’elle a été conçue au Louvre-Lens, avec un petit chapeau introductif pour chaque partie, puis chaque sous-partie. Les notices tendent à illustrer les essais qui précèdent. On commence donc par « Les sonorités antiques : un monde à jamais disparu ? », choix délibéré des commissaires désireux de confronter en début d’exposition le spectateur aux clichés répandus, puis de lui montrer l’émergence de l’archéologie musicale. « L’oreille des dieux », deuxième partie, rappelle le pont présenté dans plusieurs essais entre la musique et le divin. Il s’agit d’illustrer les différents domaines de performance musicale. Une troisième partie est consacrée aux « Sons du pouvoir » : elle montre comment le son « participe à la mise en scène de l’autorité » (p. 205), tant dans les cortèges militaires que dans les concours, la formation du citoyen et les démonstrations publiques. Joli chiasme de la précédente, la quatrième partie s’intitule « Le pouvoir des sons ». Elle dévoile de quelle manière la musique affecte les sens et comment les représentations antiques illustrent ses effets. On aborde ensuite dans un cinquième temps « Les métiers de la musique ». Cette partie nous invite à considérer les différences entre musiciens, leur statut (amateurs ou professionnels), parfois à la lumière de certaines spécificités de genre. Enfin, la sixième et dernière partie, « Des instruments qui voyagent », propose de se plonger dans la question des circulations, déjà amorcée dans l’essai du sixième chapitre.

10Les trente dernières pages, considérées comme des annexes, réunissent une synthèse fourmillante de détails portant sur l’apport des nouvelles technologies à la connaissance des sonorités du passé. Elles permettent la lecture de travaux menés dans le cadre du programme de recherche « Paysages sonores et espaces urbains de la Méditerranée ancienne », commun à l’Institut français d’archéologie musicale (IFAO), à l’Ecole française de Rome (EFR) et à l’Ecole française d’Athènes (EFA). Ces travaux permettent d’appréhender les objets sonores des mondes égyptien, grec et romain à travers les techniques de numérisation, de modélisation et les analyses archéométriques dont certains artefacts font actuellement l’objet. Ils permettent aussi d’envisager de manière sérieuse les méthodes de reconstruction d’instruments, dans toute leur complexité. Au-delà des fantasmes qu’ont longtemps suscités les instruments de musique antiques – on pense à cette réplique d’une soi-disant trompette de l’Antiquité par Adolphe Sax, utilisée dans l’opéra Aïda de Verdi, à partir d’un artefact conservé au Louvre qui n’était en fait qu’un support d’autel (p. 122) –, reproduire des instruments à partir d’objets le plus souvent incomplets permet de fournir, dans le meilleur des cas, des indications sonores, voire modales, mais surtout, des informations d’ordre organologique et artisanal.

11Les travaux mentionnés dans ces riches annexes contribuent de manière fondamentale à l’histoire des techniques et permettent de se dégager des préconceptions orientalistes qui galvaudent encore aujourd’hui notre connaissance des musiques de l’Antiquité.

12Synthèse clairvoyante et dense de l’état des connaissances autour des musiques de l’Antiquité, cet ouvrage montre de manière formidable tant en images qu’en sons ce que le lecteur peut espérer savoir sur les musiques de la période antique, en rassemblant les données de manière très accessible. A ce titre, il a reçu en 2018 le Prix des muses de Radio France.

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Pour citer cet article

Référence papier

Séverine Gabry-Thienpont, « Sibylle EMERIT, Hélène GUICHARD, Violaine JEAMMET, Sylvain PERROT, Ariane THOMAS, Christophe VENDRIES, Alexandre VINCENT, Nele ZIEGLER, dir. : Musiques ! Échos de l’Antiquité »Cahiers d’ethnomusicologie, 31 | 2018, 315-319.

Référence électronique

Séverine Gabry-Thienpont, « Sibylle EMERIT, Hélène GUICHARD, Violaine JEAMMET, Sylvain PERROT, Ariane THOMAS, Christophe VENDRIES, Alexandre VINCENT, Nele ZIEGLER, dir. : Musiques ! Échos de l’Antiquité »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3168

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