PLISSON Michel, 2006, « Enrique Cámara de Landa : Etnomusicología », Cahiers d’ethnomusicologie 19 : 256-258.
Enrique CAMARA DE LANDA : Etnomusicologia
Enrique CAMARA DE LANDA : Etnomusicologia, Reggio Calabria : Citta del Sole edizioni, 2014. 460 p. + CD-ROM.
Texte intégral
1On aurait pu penser qu’avec le livre Etnomusicología, publié en Espagne en 2003, nous avions désormais un manuel complet d’introduction à l’ethnomusicologie touchant les aspects majeurs de la discipline (histoire, méthodes, terrains, champs d’investigations, problématiques, analyses, méthodes). Parue en 2014, cette nouvelle édition italienne, augmentée et enrichie de chapitres inédits offre pourtant de substantielles améliorations et de précieux compléments.
2Etnomusicologia – titre italien de l’ouvrage – n’est pas qu’une traduction de la version espagnole. Il s’agit plutôt d’un livre nouveau, plus « léger » (avec ses 460 pages, format 21 × 15 cm) et maniable que l’original, qui comportait 600 pages. Il est en outre accompagné d’un CD-ROM doté d’informations multimédias interactives, qui se rapportent à la seconde partie de l’ouvrage.
3Formellement, cette édition est semblable à la première : deux grandes parties, organisées chronologiquement et par thèmes, découpées en chapitres assez courts, des paragraphes numérotés, chacun traitant d’un problème spécifique ou d’un auteur particulier. Sa structure est « encyclopédique », et ses items traités de façon à en faciliter la lecture, ce que l’on avait déjà apprécié dans l’édition espagnole et qui permet, d’un seul coup d’œil, de s’orienter aisément dans l’univers ethnomusicologique.
4Si le livre reprend bien, dans ses grands axes, une partie de sa version espagnole, l’édition italienne présente néanmoins de véritables nouveautés, à savoir, une réactualisation des contenus (jusqu’en 2014), une large place consacrée à l’ethnomusicologie italienne et à son histoire, passée et actuelle, ainsi qu’un certain nombre de références à l’ethnomusicologie française, absentes dans l’ancienne édition. Le résultat de ce défi est tout à fait remarquable et significatif en quantité : 999 pages au total, dont 539 sur CD-ROM, et 15 chapitres dans l’ouvrage. Ce qui permet, comme l’explique l’auteur, d’éviter de manipuler « un trop grand nombre de pages ».
5Les 18 chapitres, dont 15 sur support papier, reprennent la configuration de l’édition espagnole, axée sur l’histoire de la discipline, son origine, ses figures majeures (Bartók, Schaeffner, Merriam, pour ne citer que ceux-ci), ainsi que ses thématiques fondamentales (musique et rituel, musique et genre, patrimoine, etc.), mais aussi ses enjeux. Accompagnée d’un index onomastique, cette version comporte une bibliographie généreusement enrichie. Au lieu de la dizaine de pages que comportait la « bibliografia fundamental » (la biographie fondamentale) de la précédente édition, nous avons cette fois accès à une bibliographie de 62 pages.
6La nouveauté majeure de l’ouvrage, est sans doute le CD-ROM. Il permet d’accéder, de façon simple et directe, aux derniers chapitres et aux nouveautés. Ici trois chapitres – du 16 au 18 – sont consacrés, respectivement, à l’ethnomusicologie italienne, une contribution de Grazia Tuzi (ch. XVI), aux rapports entre ethnomusicologie et musicologie (ch. XVII) et à la Popular music (ch. XVIII). Les deux derniers chapitres faisaient également partie de l’ancienne édition espagnole et le dernier a bénéficié de la collaboration de Miguel Díaz-Emparanza.
7Le CD-ROM permet par ailleurs d’accéder à la seconde partie de l’ouvrage (ch. XIX), qui concerne les méthodes de recherche et d’analyse musicale ethnomusicologiques, mais aussi le travail de terrain, les enregistrements, les transcriptions musicales, de Bartók à nos jours (Arom, Nattiez, Lortat-Jacob, Kubik). Bon nombre de ces informations constituent une reprise des données de l’édition espagnole, auxquelles s’ajoutent de nouvelles parties et annexes.
8Ces annexes, véritable point fort de l’ouvrage, sont consacrées à la bibliographie de l’ethnomusicologie espagnole (I, 28 p.), avec la contribution de Matías N. Isolabella, ainsi qu’à la discographie (II) et à la filmographie (III) italiennes, réalisées par Paolo Vinati. La bibliographie sur la Popular music (IV), avec la collaboration de Iván Iglesias, est classée par ordre chronologique de publication (27 pages). Enfin l’index des exemples sonores, auxquels on accède directement par le biais de liens hypertextuels, dans chaque chapitre, est consacré à l’analyse musicale.
9Comme l’évoque l’auteur, la filmographie n’a pas la prétention d’être exhaustive, en raison des difficultés-mêmes de repérage, liées à ce domaine de recherche. Elle ne propose donc que 5 pages, mais a néanmoins le mérite de présenter une sélection non négligeable de films et de documentaires ethnomusicologiques, essentiellement des recherches effectuées en Italie. Classés par ordre alphabétique des noms de réalisateurs et par année de production, les films couvrent la période allant de 1953 à 2014.
10Quant à la discographie, contribution de Paolo Vinati, c’est une véritable mine d’or. Elle résulte d’une sélection de documents audio (LP, cassettes audio, chants et sons de la tradition musicale italienne) provenant uniquement de recherches ethnomusicologiques italiennes, accompagnés d’une brochure. Abondamment documentée (22 pages), elle comporte deux rubriques, « antologie » et « regioni », classées par ordre alphabétique. Cela permet de retrouver aisément un thème, une tradition musicale ou une aire géographique donnée, et de saisir rapidement, à travers une vision détaillée et syncrétique, les publications les plus significatives effectuées au sein d’une même région.
11L’attention particulière portée à ce domaine de la production audio se justifie, comme l’écrit Vinati, par son poids et son intérêt historiques dans le domaine de l’ethnomusicologie italienne, et du fait qu’elle a caractérisé la recherche italienne, en particulier à partir des années 1970.
12Le chapitre XVI, consacré à « l’ethnomusicologie italienne », est également d’un grand intérêt. Ici, Grazia Tuzi relève le défi de résumer plus d’une soixantaine d’années d’histoire de la discipline. Elle en propose une lecture chronologique, à travers les domaines qui ont le plus caractérisé les études dans la péninsule, à partir des années 1948-1950. Notons qu’il s’agit d’une période-clé, significative pour les débuts de l’ethnomusicologie italienne, dont la naissance coïncide avec celle du Centro Nazionale Studi di Musica Popolare (CNSMP) de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia di Roma. C’est, en effet, à partir de la constitution de ces archives de l’Accademia et de l’adoption des techniques d’enregistrement sur le terrain que la question d’une « ethnomusicologie d’urgence » commence à se poser en Italie, en même temps que l’émergence de la sauvegarde d’un patrimoine oral, dont on craignait alors la disparition.
13Si l’ethnomusicologie italienne fait son apparition tardivement au sein de l’univers ethnomusicologique européen et international, ce retard est « rapidement rattrapé », à travers l’immense travail de recherche réalisé par des figures de l’ethnomusicologie italienne comme Diego Carpitella et Roberto Leydi, en raison des thématiques et des méthodologies de recherche efficaces qu’ils mirent en œuvre.
14De même, on ne peut pas ne pas mentionner quelques couples « phares » de la discipline, tels que celui formé dans les années 1950, par Ernesto De Martino et Carpitella, dont la collaboration débute en 1952 autour d’une recherche interdisciplinaire sur les classes « subalterne », sur la « cultura popolare » et sur la « questione meridionale », poursuivie plus tard sur le « tarantismo » dans les Pouilles (1959-60). Il y a aussi la collaboration entre Alan Lomax et Carpitella, qui élargissent leurs recherches dans les régions du nord de l’Italie, recherche qui produira quelque 3000 documents, consacrés à la première moitié du XXe siècle.
15S’y ajoute le concept d’« interdisciplinarité » de De Martino, fondé sur l’idée d’un projet commun entre différents spécialistes partageant des compétences en ethnomusicologie. Ce projet inclut aussi une forme d’engagement politique et social, sous l’influence indirecte de la pensée gramscienne.
16Toutes ces recherches ont, sans doute, ouvert la voie à de nombreux autres travaux ultérieurs en Italie et à l’émergence d’une nouvelle méthodologie spécifiquement italienne. Avec les recherches plus récentes (rapport tradition orale/écrite, classification et analyse des procédés polyphoniques des musiques traditionnelles, ethnomusicologie visuelle, musiques liturgiques et paraliturgiques de tradition orale, etc.), elles ont contribué à enrichir en même temps le panorama ethnomusicologique international.
17Si, à travers Etnomusicología, l’entreprise d’élargissement à l’ethnomusicologie italienne est à saluer, on pourrait peut-être regretter l’absence d’un lexique technique ethnomusicologique qui permettrait une consultation efficace et immédiate des termes rencontrés. Ce souhait n’entache en rien le colossal travail fourni, dont on ne peut que louer le grand intérêt pour l’ethnomusicologie, non seulement italienne, mais aussi internationale.
18En effet, l’édition espagnole avait déjà été considérée comme « fondamentale », en dépit de l’insuffisance de la bibliographie et des annexes (Plisson 2006). L’édition italienne vient combler cette lacune. Nous constatons effectivement que, non seulement, Enrique Cámara a tenu sa promesse d’enrichir sa bibliographie, mais qu’il est parvenu à produire un manuel complet, fondamental, pratique, analytique et synthétique à la fois, qui allie ethnomusicologies espagnole et italienne, mais aussi française et internationale, en un mot, à produire un manuel européen, qui pourrait être un livre de chevet pour tout ethnomusicologue.
Pour citer cet article
Référence papier
Giovanna Iacovazzi, « Enrique CAMARA DE LANDA : Etnomusicologia », Cahiers d’ethnomusicologie, 31 | 2018, 310-313.
Référence électronique
Giovanna Iacovazzi, « Enrique CAMARA DE LANDA : Etnomusicologia », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3146
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