- 1 Paroisse de l’ancien diocèse de Meaux, Silly-en-Multien devint sous la Révolution la commune de Sil (...)
- 2 Le cumul des fonctions de maître d’école et de chantre d’église par le clerc de paroisse était très (...)
- 3 Sauf indication contraire, les données biographiques relatives à Pierre-Louis-Nicolas Delahaye sont (...)
- 4 Sur le statut de Delahaye au regard des autres membres de la communauté paroissiale de Silly-en-Mul (...)
1À la lisière de la forêt d’Ermenonville à mi-chemin entre Paris et Soissons, un peu moins de six cents âmes formant paroisse : Silly-en-Multien sous le règne de Louis XVI1. C’est dans ce village, en 1771, que Pierre-Louis Nicolas Delahaye (1745-1805) concourut pour obtenir la place de clerc de paroisse qui, comme souvent dans les diocèses environnant la capitale2, joignait aux fonctions de principal chantre à l’église celles de maître d’école3. Une fois installé à Silly-en-Multien, Delahaye intégra pleinement sa paroisse d’adoption à la faveur de sa grande stabilité. Figure importante à plusieurs titres pour la communauté villageoise4, il devint sous la Révolution propriétaire d’une maison et de biens fonciers tout en continuant d’exercer jusqu’en 1803, avant de mourir paisiblement sur place deux ans plus tard.
- 5 Le « journal » de Delahaye a fait l’objet de deux éditions partielles (Dupille 1906 et Bernet 2000) (...)
- 6 Sur l’évolution de l’écriture de Delahaye, cf. Bernet 2000 : 22-23.
2A bien des égards, Delahaye se fond dans la masse des maîtres d’école de la fin de l’Ancien Régime dont il partage plusieurs traits communs (Bardon 2003) comme la polyvalence des tâches professionnelles ou l’appartenance à une lignée de maîtres d’école (son père fut régent d’école à Droizelles), que sa propre fille pérennisa en devenant institutrice en l’an III. Néanmoins, ce profil somme toute ordinaire est contrebalancé par l’application singulière de Delahaye à tenir un registre dans lequel, de 1771 à 1803, il releva pour son propre compte les baptêmes, mariages et décès de la paroisse (à la plupart desquels il assistait en sa qualité de clerc), et consigna parallèlement à ces listes une multitude de faits rapportés ou advenus sous ses yeux. Pour ce versant du document5, son écriture paraît obéir à deux logiques. D’une part, des détails furent relevés probablement en raison de leur utilité pour le maître d’école qui avait à se rappeler les rétributions qu’il recevait ou les engagements qu’il prenait. De l’autre, Delahaye se comporta en mémorialiste de son village et de sa propre existence avec un soin « littéraire » tel qu’il produisit deux états de ce journal dont une version au propre. Par ailleurs, et bien qu’aucun lectorat ne fût visé a priori par sa démarche, Delahaye émailla son journal de réflexions sur les heurs et malheurs dont il fut le contemporain, ce qui en accentue la tonalité plaisante ou dramatique par moment6.
- 7 Malgré cette coupure entre enseignement scolaire paroissial et enseignement de la musique, Delahaye (...)
3C’est de ce recueil étonnamment contrasté qu’émane l’écho des voix des écoliers de Silly, ces enfants que Delahaye instruisait à l’école, encadrait à l’église, initiait au plain-chant – c’est-à-dire le chant qui caractérisait les manifestations du culte catholique et qui était perçu à la fois comme chant d’église et chant de l’Eglise – et dont il scrutait la progressive intégration à la vie des adultes du village. Les observations du maître permettent en effet de cerner des enfants-musiciens d’un genre particulier puisque rien, ou si peu, ne les rattachait à la musique « artistique » dont les fondements esthétiques et philosophiques furent intensément discutés au fil du XVIIIe siècle (Didier 1985)7. Pour autant, le chant des écoliers de Silly ne se déployait pas dans l’espace social de la paroisse sans fonction ni signification, ce que cet article cherchera à montrer en tentant une micro-histoire vocale du groupe formé par le maître et ses élèves. A la manière de précédentes enquêtes historiques ayant réussi à redonner toute leur logique et leur profondeur au vécu des modestes ou, pour le moins, des silencieux de l’histoire (Revel 1996), il s’agira d’envisager comment l’instruction prodiguée par Delahaye convertit le chant de ses écoliers en un déterminant sonore de l’évolution de la communauté paroissiale de Silly à l’approche de la Révolution.
- 8 Le contrat de fondation préalable à l’installation de deux religieuses à Silly est conservé dans Ar (...)
- 9 Des pensionnaires filles en provenance du village voisin d’Ognes lui sont même adressées à partir d (...)
- 10 Le marguillier était un laïc choisi pour veiller aux affaires temporelles d’une paroisse pendant un (...)
4A côté de ses tâches au service du curé et de la paroisse (chant des messes et offices, entretien de l’église voire… du jardin presbytéral [Quellier 2003]), le rôle éducatif de Delahaye consistait à tenir l’école paroissiale fréquentée surtout par les garçons du village, pendant que la plupart des filles scolarisées étaient prises en charge par deux religieuses, des « sœurs de Charité » avec lesquelles le maître entretenait des rapports instables8. Outre cette première ligne de partage entre élèves respectifs du maître et des religieuses, les enfants relevant de la paroisse de Silly se répartissaient en plusieurs catégories implicites. Au plan économique, Delahaye régentait des enfants dont les parents payaient un écolage tandis que d’autres issus de familles pauvres étaient scolarisés grâce à une rétribution assurée par la paroisse. Une autre catégorie, réduite à quelques unités, était constituée par des enfants pris en pension par Delahaye, maître dont la réputation était assez établie pour que lui soient confiés des élèves venant de Champeaux ou de Crécy (Bernet 2000 : 58 et 173)9. Enfin, quelques garçons de Silly faisaient l’objet d’un arrangement entre Delahaye et leurs familles en vue de leçons particulières complétant l’enseignement reçu à l’école. Dans cette optique, le maréchal-ferrant et marguillier10 de la paroisse de Silly en 1784, Étienne Cholet, retira son fils d’un maître de pension à Dammartin afin que Delahaye lui inculquât les rudiments de l’arpentage (Beret 2000 : 118). En ajoutant à ces indices la présence continue de Delahaye à Silly durant plusieurs décennies (sans omettre sa belle signature ouvragée dans le registre paroissial), il apparaît que ce maître devait développer des capacités suffisantes pour s’être attiré une réelle estime au sein du village comme à ses alentours.
5Dans ses notes, Delahaye ne dit quasiment rien de ses activités à l’école même. Ainsi que l’a avancé un commentateur de son journal (Caspard 2001), leur potentiel problématique était trop faible pour que le maître les décrive ou les transforme en objet de réflexion. Seuls d’infimes aspects matériels comme l’achat de plumes et d’encre pour l’écriture ou la confection de rangements pour les livres des enfants (Bernet 2000 : 94, 114, 148, 180 et 237) laissent deviner le régent d’école à l’œuvre. Afin d’esquisser les obligations scolaires de Delahaye, il est donc nécessaire de se tourner vers des sources périphériques comme les contrats d’engagement de maître d’école de la paroisse proche de Versigny. Dans ce village nettement moins peuplé que Silly, la convention passée en 1728 avec un nouveau régent d’école énumère ses nombreux devoirs à l’église comme auprès du curé, et poursuit en détaillant le contenu de sa charge scolaire :
- 11 Contrat d’engagement du 26 mai 1728 (paroisse de Versigny) ; Arch. dép. Oise, 2Gp 594/1. Aucun cont (...)
« sera tenu d’enseigner et instruire les enfants de laditte paroisse, leur montrer a lire, ecrire, l’arithmetique, le plein chan[t], les elever dans la pieté, et la devotion dans l’ecole et dans l’eglise, fera deux fois la semaine le catechisme, sur la fin de son ecole, pendant une petite heure, et trois fois la semaine fera chanter les plus avancez pendant une demie heure apres le salut dans l’eglise, afin que les livres de chan[t] ne sortent jamais de leglise, les autres jours il apprendra a ses ecoliers dans son ecole les principes du plein chan[t]. Il prendra quatre sols par mois des enfants qui n’ap[p]rendront qu’a lire, et six sols de ceux qui apprendront a ecrire, chanter et l’arithmetique, et ne pour[r]a s’absenter de son ecole sans une permission expresse du curé11. »
6Lire, écrire, chanter, compter : ainsi sont résumées en fin de clause les capacités que les garçons pouvaient acquérir – selon les possibilités financières de leurs familles – avec un maître comme Delahaye, capacités qui sont d’ailleurs stipulées dans la transaction qu’il passa avec le marguillier de Silly en 1787 (Bernet 2000 : 152). Ce dernier, Jean-François Hervaux, souhaitait que son fils qui fréquentait déjà l’école fût instruit « d’un manière particulière ». Le maître s’engagea alors « [à] enseigner et [à] apprendre à lire à Jean François Hervaux, fils dudit Sr Hervaux, ainsi qu’à écrire, l’arithmétique et le plain chant, pendant 5 années entières », autrement dit jusqu’au moment approximatif de sa première communion, terme de sa scolarité.
7Le « plain chant » auquel Delahaye préparait ses écoliers obéissait à une vocation étroite mais essentielle à l’existence d’une communauté paroissiale (Bisaro 2017a) : il devait permettre de prendre sa part dès l’enfance à l’accomplissement du service divin, et de se préparer au comportement idoine du fidèle adulte à l’église qui, en France, correspondait à un éthos plutôt « participatif » (Bisaro 2010). Pour ce faire, les enfants apprenaient à oraliser des textes latins usuels (prières familières comme le Pater noster, psaumes des vêpres du dimanche…) à partir de livres d’église comme le bréviaire, ou de supports adaptés tels que des alphabets (Chartier 2007). Simultanément, leur découverte de la psalmodie et du plain-chant s’opérait par immersion durant les messes et offices, mais aussi par le truchement d’exercices de chant rappelant les routines du b.a.-ba en vigueur pour la lecture (Bisaro 2015b). L’ampleur du répertoire liturgique auquel les écoliers se confrontaient était compensée par sa grande homogénéité stylistique : la construction formulaire de la psalmodie, les progressions mélodiques limitées du plain-chant et l’allure solennelle généralement préconisée pour le chant d’église (Bisaro 2017b) étaient accessibles à des enfants, et ce malgré l’endurance nécessaire pour l’exécution de pièces parfois longues.
- 12 En 1786, « C’est Félix Vincent qui a récité la rénovation des promesses de baptême dans un livre. I (...)
- 13 Les incipits indiqués par Delahaye pour ces circonstances (O Sapientia, O Clavis David, O Oriens) n (...)
8Si, dans son journal, Delahaye n’aborda presque pas son enseignement, il s’appesantit au contraire sur plusieurs événements récurrents entourant l’activité scolaire et faisant appel au chant des enfants. Certains de ces événements concernaient, directement ou non, une large frange des écoliers : la pastorale de la nuit de Noël avec enfants costumés chantant des cantiques (Bernet 2000 : 93 et 102) ; la première communion, chaque année après Pâques (cérémonie au cours de laquelle les enfants chantent vraisemblablement le Te Deum12) ; la fête de la Saint-Nicolas pour les écoliers le 6 décembre (pour laquelle les enfants de chœur « ont chanté la messe seuls » en 1782, c’est-à-dire sans l’aide des chantres adultes de la paroisse), et celle de la Sainte-Catherine pour les écolières le 25 novembre dont l’organisation reposait sur les religieuses. Les autres mentions renvoyant à des prestations chantées d’écoliers sont de portée individuelle. Delahaye note l’acceptation de certains garçons comme enfants de chœur et, plus tard, comme chantres, ce qui impliquait leur coopération au chant des offices et de la messe. Enfin, ces enfants accédant au chœur de l’église pouvaient jouir du privilège de chanter une des antiennes O de l’Avent (c’est-à-dire les antiennes de Magnificat pour les vêpres des sept derniers jours de ce temps liturgique ; cf. fig. 1)13.
Fig. 1. Antienne O Oriens (Office de l’église noté… [Paris, 1760], partie I, p. 218 – avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque municipale de Lyon).
- 14 L’évaluation du niveau social des enfants nommés par Delahaye dans son journal nécessiterait des in (...)
- 15 Il est possible que cet usage n’ait pas perduré au-delà de 1783, Delahaye notant l’année suivante q (...)
9Les cérémonies ou fêtes ayant eu lieu sous l’égide de Delahaye entraînaient la constitution de groupes différenciés. Hors du chœur de l’église réservé aux garçons, une mixité tempérée était de mise pour ces diverses situations : en signe d’apaisement de la rivalité latente entre école de la paroisse et école des sœurs, garçons et filles se retrouvaient pour la Saint-Nicolas et la Sainte-Catherine même s’ils restaient séparés lors du repas et des jeux (Bernet 2000 : 136-137). En revanche, les catégories d’âge mobilisées changeaient selon les occasions14. Les premières communions rassemblaient exclusivement des jeunes au sortir de l’enfance, prêts à entrer dans un précoce âge adulte tandis que l’adolescence était un concept plus qu’une réalité sociale (Delumeau 1987). Inversement, pastorales de Noël et fêtes d’écoliers réunissaient un large éventail d’âges. Pour les premières – toujours vivaces au Siècle des Lumières (Dompnier 2005) en dépit de l’aperçu sarcastique qu’en donna Louis-Sébastien Mercier (Mercier 1783) –, les enfants le plus récemment confiés à Delahaye se chargeaient de l’offrande de l’agneau alors que ceux en passe de le quitter à l’âge de la première communion jouaient les rôles des bergers et chantaient des strophes de cantiques (Bernet 2000 : 93)15. Selon les listes des participants dressées par le maître, la Saint-Nicolas était pareillement fédératrice. En 1785, les enfants convives du repas festif donné ce jour-là avaient de 6 à 16 ans, soit la totalité du spectre d’âge approximatif des écoliers de Silly-en-Multien (Bernet 2000 : 136).
- 16 Sans définition officielle bien établie, la sanior pars (« la part la plus saine ») d’une paroisse (...)
10A défaut de recéler tous les détails de l’action de Pierre-Louis-Nicolas Delahaye en tant que régent de l’école paroissiale, son journal incite au moins à en constater l’effet différenciant sur la population enfantine (garçons/filles, déshérités/enfants payant l’écolage/pensionnaires, en début/en fin de scolarité) mais aussi le caractère unificateur lors des événements scandant annuellement l’existence des enfants. Enfin, Delahaye contribuait par son enseignement à l’installation de ses écoliers dans le paysage sonore de la paroisse, ce qui ne pouvait que satisfaire les garants de la discipline religieuse au plan local – le curé et le vicaire – comme les laïcs responsables du bon fonctionnement de la communauté – le marguillier conseillé par la sanior pars des pères de famille16. Reste à savoir ce que ce chant était susceptible de représenter pour les enfants eux-mêmes et pour leurs proches.
11En l’absence de témoignages directs, la question ne peut être traitée qu’en se livrant à une étude des situations récurrentes dans le journal de Delahaye, et en tentant de suivre « à la trace » les écoliers qu’il nomme le plus assidûment. Ce faisant, une hypothèse sera ici explorée en guise de fil rouge : celle du découpage et de l’orientation du temps vécu par les enfants de Silly par le biais du chant et, plus généralement, des rituels scolaires. Pour se rendre compte de ce processus, il convient d’abord de rappeler la grande souplesse des modalités de scolarisation sous l’Ancien Régime (Grosperrin 1984). Non seulement l’accès à l’instruction scolaire dépendait en partie des capacités financières d’une famille mais, qui plus est, le déroulement d’une scolarité était soumis à la saisonnalité des travaux agricoles, au zèle fluctuant du maître d’école ou à d’autres aléas. De plus, les écoles paroissiales n’adoptaient que rarement la stricte planification des Frères des écoles chrétiennes inspirée par les préceptes de leur fondateur, Jean-Baptiste de La Salle (La Salle 1720). Celui-ci avait théorisé dès les origines de sa congrégation enseignante l’instauration de niveaux à franchir pour la lecture, l’enchaînement raisonné des matières de l’instruction et la structuration de l’école en classes (petite, moyenne, grande). Au contraire, l’effectif global dans les écoles paroissiales était indifférencié, sans divisions internes par niveau, même si des nuances lexicales attestent la reconnaissance diffuse des débutants par rapport aux « plus avancez » des enfants (tels qu’ils sont qualifiés dans le contrat commenté ci-dessus). En ajoutant à ce tableau l’absence de programme fixant un ensemble clos de connaissances ou d’examen validant l’acquisition de ces connaissances, on peut conjecturer qu’il n’était pas évident pour un enfant d’appréhender sa position au fil d’un hypothétique cursus scolaire.
- 17 La Saint-Nicolas était marquée par un autre don symbolique : entouré par plusieurs de ses grands éc (...)
12A l’opposé de cette indécision, les rôles assumés par les écoliers de Delahaye lors des rituels scolaires ou religieux obéissaient à des successions ordonnées, à l’instar de celles suggérées par les notes de Delahaye pour les éditions consécutives de la Saint-Nicolas. Sa première description de cette fête des écoliers (1782) distingue deux groupes de protagonistes : cinq garçons entre 12 et 14 ans chantent la messe « seuls » (dont deux étaient enfants de chœur depuis 1780) ; quatre autres nettement plus jeunes (4 à 11 ans) sont en charge d’un gâteau dont la présentation précédait son partage par les enfants lors du repas à suivre (fig. 2)17. Chaque année, ce gâteau était « rendu » par un écolier, porté sur une « civière » par deux enfants en aube encadrés par deux autres portant un cierge ; à l’issue de la journée, les écoliers présentaient une part de ce gâteau – le « chanteau » – à la famille de l’enfant appelé à le « rendre » l’année suivante.
Fig. 2. Enfants participant à la cérémonie du « gâteau » lors de la Saint-Nicolas [entre crochets, leur date de naissance].
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offrande du gâteau
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porteur 1
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porteur 2
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devant les porteurs
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derrière les porteurs
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chanteau
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1782
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?
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Serain, Victor [1771]
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Vincent, Jean Baptiste Nicolas [1772]
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Hervaux, Jean François [1778]
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Vincent, Pierre Antoine [/]
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Hervaux, Jean François [1778]
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1783
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Hervaux, Jean François [1778]
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Vincent, François Félix [1771]
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Vérin, Jean Toussaint [/]
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Hervaux, Jean François [1778]
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Vigneron, Jean Pierre Maurice [1777]
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Vigneron, Jean Pierre Maurice [1777]
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1784
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Vigneron, Jean Pierre Maurice [1777]
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Vigneron, Jean Pierre Maurice [1777]
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Hervaux
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Carriat, Louis Léonor [1781]
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Vigneron, Jean Charles [1780]
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Carriat, Louis Léonor [1781]
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1785
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Carriat, Louis Léonor [1781]
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Cholet, Antoine [1775]
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Mercier, Jean Pierre [1774]
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Carriat, Louis Léonor [1781]
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Deboves, Louis Laurent [1778]
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Deboves, Louis Laurent [1778]
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1786
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Deboves, Louis Laurent [1778]
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Cholet, Antoine [1775]
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Mercier, Jean Pierre [1774]
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Deboves, Louis Laurent [1778]
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Beuve, Félix [1779]
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Beuve, Félix [1779]
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1787
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Beuve, Félix [1779]
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Hervaux
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Vigneron
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Beuve, Félix [1779]
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Vincent, Pierre Antoine [1778]
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Vincent, Pierre Antoine [1778]
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1788
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Vincent, Pierre Antoine [1778]
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Carriat
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Denisot, Charles Félix [1780]
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[ ? Vincent, Pierre Antoine]
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Vincent, Pierre Laurent
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Denisot, Charles Félix [1780]
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1789
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Denisot, Charles Félix [1780]
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Denisot, Charles Félix [1780]
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Carriat
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Vincent, Pierre Eloi [1782]
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Charpentier, René [1784]
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Charpentier, René [1784]
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1790
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Charpentier, René [1784]
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?
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?
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Vigneron, Jean Charles [1780]
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1791
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Vigneron, Jean Charles [1780]
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Vincent, Nicolas Etienne Marc Vincent [1786]
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- 18 A la rétribution des parents pouvait s’ajouter celle de grands-parents, accordée directement au maî (...)
13Réservé aux garçons, ce rituel concernait essentiellement des enfants de familles établies : avoir un fils honoré du droit de « rendre » le gâteau impliquait en effet d’échanger une somme d’argent contre le chanteau au moment où il était confié l’année précédente (Bernet 2000 : 124)18. En faisant abstraction des stratégies familiales et pour se limiter à ce qui était immédiatement perceptible par les enfants, deux logiques se dégagent de la rétrospective des Saint-Nicolas à Silly. Tout d’abord, les « promotions » d’écoliers se succédaient parallèlement à l’écoulement des années : officier lors de la cérémonie du gâteau constituait un jalon situé en début ou milieu de scolarisation. De l’autre, chaque écolier y participait selon un cycle de deux années au moins, inauguré par une place dans le cortège (le plus souvent comme « suiveur ») avant de « rendre » le gâteau l’année d’après et d’occuper une autre place (« devancier » ou « porteur »). Ainsi, pour une frange au moins des garçons de la paroisse, la Saint-Nicolas instaurait une dynamique de progression depuis le collectif des plus jeunes jusqu’aux places d’honneur individualisées autour du gâteau, et depuis l’âge de s’occuper du gâteau jusqu’à celui donnant accès au lutrin pour y chanter la messe en ce jour particulier.
14En complément de l’échelle de temps assez brève de ce cycle, les parcours d’écoliers définis par les « rôles » cérémoniels ou chantants qui leur étaient dévolus et par les phases de leur scolarité pouvaient se déployer plus longuement, de l’enfance à l’âge adulte (fig. 3).
Fig. 3. Trajectoires individuelles d’écoliers de Silly.
Pierre Charles Martin [1773]
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enfant de chœur [1783]
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première communion [1787]
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Pierre Félix Vincent [1768]
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enfant de chœur [1780]
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pastorale [1781]
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lutrin pour la Saint-Nicolas, pastorale [1782]
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première communion [1783]
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Barthélémy Cholet [1769]
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pastorale [1781]
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lutrin pour la Saint-Nicolas, pastorale [1782]
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première communion [1783]
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apprentissage de l’arpentage [1784]
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chantre [1789]
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abandon du chœur [1791]
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hors du village : maître d’école à Yvillers [1786]
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Pierre Claude Nicolas Lequeux [1767]
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pastorale [1781]
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instruction comme clerc paroissial [1783]
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chantre [1784]
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hors du village : candidat comme clerc paroissial à Sennevières [1785] ; clerc paroissial à Yvillers [1786] ; clerc paroissial à Ocquerre puis à Ver [1789]
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Louis Léonor Carriat [1781]
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chant d’une antienne O [1784]
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rend le gâteau de Saint-Nicolas [1785]
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sert la messe du curé [1786]
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enfant de chœur [1787]
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confirmation [1788]
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hors du village : en pension à Argenteuil [1791]
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Jean François Hervaux [1778]
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rend le gâteau de Saint-Nicolas [1782]
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porte le gâteau de Saint-Nicolas [1783]
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chant d’une antienne O [1785]
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convention entre son père et Delahaye [1787]
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15Trois types au moins de parcours sont précisément documentés par le journal de Delahaye. Un premier menait certains écoliers de l’accession à une place d’enfant de chœur jusqu’à la première communion, après quoi le maître d’école ne les évoque plus dans son journal sous l’angle de leurs prestations vocales. Même si un tel enchaînement peut paraître banal, il s’agissait déjà d’une reconnaissance particulière pour les bénéficiaires puisque le service divin d’une paroisse ne requérait pas un nombre important d’enfants dans le chœur. Ce privilège pouvait en outre être conforté par d’autres sollicitations, ainsi qu’il advint pour Pierre Félix Vincent : enfant de chœur à 12 ans et communiant à 15 ans, il chanta lors des pastorales de Noël en 1781 et 1782 et rejoignit les chantres-écoliers lors de la Saint-Nicolas de cette dernière année.
16D’autres écoliers tiraient parti de l’attention de Delahaye au-delà de la première communion. Le maître avait à former de futurs chantres adultes pour la paroisse, ce à quoi Delahaye ajoutait un penchant pour la transmission de son métier. Le cas de Barthélémy Cholet est révélateur à cet égard. Celui-ci appartenait à la même génération que Pierre Félix Vincent dont il partagea les premiers passages au lutrin de l’église de Silly. Probablement en raison de capacités scolaires prometteuses, son père Étienne Cholet – alors marguillier de la paroisse de Silly – l’envoya chez un maître de pension du gros bourg voisin de Dammartin-en-Goële avec pour projet de le faire étudier en vue de la prêtrise. A l’issue d’un trimestre infructueux, le garçon est remis à Delahaye – qui, normalement, n’avait plus à l’accueillir à l’école car le garçon avait déjà fait sa première communion –, avec pour mission de lui apprendre l’arpentage. L’initiation à ce savoir-faire habituellement détenu par les maîtres d’école indique que Barthélémy Cholet fut astreint à un apprentissage plus général des fonctions de clerc paroissial. Ce prolongement de son instruction lui permit ensuite d’être choisi comme clerc par la paroisse d’Yvillers alors qu’il n’avait « pas encore 17 ans » (Bernet 2000 : 139), ce que Delahaye ne manque pas de relever. Rentré quelques jours plus tard seulement dans son village d’origine, Barthélémy Cholet y retrouva sa place au chœur, fut reçu chantre en titre à 20 ans – le marqueur de cette promotion étant le port de la chape – avant d’abandonner la charge en 1791. Son itinéraire fut lié à un autre élève de Delahaye, Pierre Claude Nicolas Lequeux, qui suivit de manière plus rectiligne les pas de son maître d’école. Appartenant lui aussi au groupe des enfants chantant lors de la pastorale de 1781, il fut pris en main à l’âge de 16 ans par Delahaye, qui lui apprit les fonctions liturgiques de clerc paroissial. Prenant la chape de chantre un an plus tard, il était prêt pour aller quérir une place de clerc paroissial, ce qu’il fit avec succès en commençant à Sennevières (avec l’appui de Delahaye qui avait débuté dans cette paroisse) pour continuer ultérieurement dans deux villages plus peuplés et, partant, plus rémunérateurs. Pour Cholet et Lequeux, le virage fut donc pris après la première communion au moyen d’une instruction spécifique les ayant préparés au minimum à obtenir une place de chantre au village, sinon à embrasser une carrière de maître d’école se déroulant hors de leur communauté d’origine.
17Un dernier cas est illustré par des enfants ayant profité d’une progression précoce et rapide, éventuelle conséquence d’une forte volonté familiale. Louis Léonor Carriat fut l’un d’eux : avant d’avoir atteint son quatrième anniversaire, il chante l’antienne O Oriens en 1784, cette probation vocale de son « entrée en enfance » étant, comme de coutume, suivie par un repas festif auquel le maître d’école était invité (Bernet 2000 : 126). Louis Léonor gagne ensuite ses galons lors d’une Saint-Nicolas, commence à servir la « messe du curé » (il s’agit sans doute de la messe basse quotidienne du prêtre) et finit par devenir enfant de chœur à 6 ans. Or, ce fils d’un prospère fermier de la paroisse avait un concurrent en la personne de Jean François Hervaux dont le père, meunier, laboureur et marguillier de la paroisse, était également une figure éminente de Silly. Né trois ans avant Louis Léonor Carriat, Jean François Hervaux le précéda logiquement dans l’offrande du gâteau de la Saint-Nicolas (1782). Le déphasage entre eux deux s’opéra en 1784 lorsque Louis Léonor chanta une antienne O, prenant ainsi de l’avance sur Jean François. L’équilibre fut rétabli en décembre 1785 quand ce dernier fut honoré à son tour de ce chant. Las… le fils Carriat reprit l’avantage en portant l’habit d’enfant de chœur à Pâques 1787, ce qui déclencha la colère de la famille Hervaux. Le lendemain de cet événement, la mère de Jean François manifesta son ressentiment en refusant de servir du lait à la propre fille de Delahaye au prétexte « [qu’]on ne regarde pas [son fils] ». Le maître d’école se justifia alors dans son journal :
- 19 Bernet, op. cit., p. 152.
« Le Sr Hervaux [père] aurait voulu que son fils fut enfant de chœur mais je n’ai pas pu l’y mettre parce que [Charles Félix ?] Denisot et Barthélémi Cholet n’ont point quitté comme je le pensais. J’avais cependant prévenu Mde Dubois [mère de Jean François Hervaux] le vendredi saint que c’était mon intention de le mettre au premier moment qu’il en manquerait mais qu’étant trop grand pour servir la messe, je l’instruirai pour le mettre au dessus de [Louis Léonor] Carriat tout de suite19. »
- 20 Cf. supra. Quelques mois plus tard en 1788, Hervaux père imposa de nouvelles conditions pour les pa (...)
18En quelques mots, le maître d’école dévoile l’intrication des enjeux entourant la distribution des places d’enfant de chœur. Avant tout, Delahaye s’avère être l’opérateur principal du choix des enfants de chœur, et ce choix apparaît aux yeux des familles comme une garantie de considération accordée à leurs fils. Dans un deuxième temps, son analyse met en évidence le critère de l’adéquation entre âge et fonction : commencer à servir la messe – sans chanter – n’était plus envisageable pour un garçon de 9 ans (Jean François Hervaux étant né en 1778). Toutefois, chanter la messe sans y avoir été vraiment exercé n’était pas non plus concevable. Delahaye devait donc « instruire » en chant de façon plus poussée le rejeton des Hervaux afin qu’il surpassât le fils Carriat et, de la sorte, qu’il assouvît les ambitions de ses parents dont il était l’aîné mâle. Accroissant sa pression sur Delahaye (Bernet 2000 : 152-153), Hervaux père usa de sa qualité de marguillier pour lui imposer d’effectuer des travaux à l’église, ce dont Delahaye se dégagea en acceptant de signer une convention assurant au fils Hervaux une formation particulière incluant notamment une part de plain-chant20. Ou comment, pour la famille Hervaux, restaurer l’ordre des choses.
- 21 Cette carence institutionnelle n’empêcha pas le développement à la fin de l’Ancien Régime d’un inte (...)
19L’enfance sous l’Ancien Régime a fait couler des flots d’encre historienne depuis les thèses de Philippe Ariès sur l’apparition tardive de la famille nucléaire et l’autonomisation progressive de l’enfance au regard de l’âge adulte, jusqu’à leur discussion critique (Gros 2010). Sans exagérer l’importance en la matière des écrits de Pierre-Louis-Nicolas Delahaye, son journal ajoute une pierre au débat en faisant ressortir deux phénomènes complémentaires relatifs au façonnement et à la régulation par une communauté villageoise de sa propre jeunesse. D’une part, l’existence d’un écolier n’était pas réduite à une phase d’attente entre les deux rites d’admission et de passage que représentaient le baptême et la première communion. Pour les enfants les moins impliqués dans les rituels scolaires et religieux (les garçons issus de familles modestes ou pauvres, les filles), le spectacle des « autres » en train de processionner lors d’une fête scolaire ou de chanter en tenue de chœur préfigurait les catégories internes de la société adulte qui les attendait. De leur côté, les enfants préparés à ces rituels faisaient l’expérience de ponctuelles mises sous tension dans un contexte où nulle institution extérieure au village n’intervenait dans la définition ou dans le déroulement d’un cursus scolaire21. Alors qu’aucun changement de classe ni aucune récompense ne pouvait susciter envie, ambition voire jalousie, c’est la mémorisation d’une antienne à chanter ou le fait de revêtir pour la première fois tel habit de cérémonie qui tenait lieu d’objectif à atteindre. De surcroît, cette perspective de réussite autour de l’école bien que tributaire de son maître pouvait conduire jusqu’à l’âge adulte ceux qui persévéraient dans le service au lutrin et l’apprentissage du métier de régent.
20D’autre part, les cérémonies et actions chantées préparaient les enfants à affronter les arcanes des préséances et des gestes symboliques qui, malgré l’affaiblissement de l’étiquette curiale (Hours 2002), imprégnaient encore la société de la fin de l’Ancien Régime, notamment pour les actes de la vie religieuse (Cabantous 2013). Jouer un rôle autour du gâteau de la Saint-Nicolas – dont le partage ressemble de manière frappante à celui du pain bénit des adultes (Wanegfellen 2000) –, être désigné pour entrer au chœur, accéder au droit de chanter une des grandes antiennes de l’Avent ou à celui, plus tardif, de porter une chape : autant de possibles aspirations pour des enfants ou de jeunes adultes qui, à leur niveau, prenaient la mesure de la signification sociale de leurs actes.