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Livres

Michèle CASTELLENGO : Ecoute musicale et acoustique

Paris : Eyrolles, 2015
Susanne Fürniss
p. 223-226
Référence(s) :

Michèle CASTELLENGO : Ecoute musicale et acoustique, Paris : Eyrolles, 2015, 541 p., photos, schémas, bibliographie, 1 DVD-Rom.

Texte intégral

1Nous sommes des générations d’ethnomusicologues à avoir appris l’acoustique musicale à travers Musique et acoustique d’Emile Leipp (1971) ; mais le véritable enseignement est passé par les nombreuses discussions avec Michèle Castellengo, qui fut pendant des décennies directrice du Laboratoire d’Acoustique Musicale de l’Université Paris 6 (UPMC). Nous sommes nombreux à avoir sollicité son conseil, organisé des rencontres scientifiques ou mis en place des projets avec elle. Plusieurs d’entre nous ont eu l’honneur de la compter parmi les membres de leur jury de thèse, d’autres ont eu la chance de suivre ses enseignements au CNSM de Paris ou ailleurs. Grâce à son enthousiasme passionné et sa curiosité scientifique qui embrasse la grande variété des musiques existant dans le monde, le dialogue entre acoustique et ethnomusicologie a fécondé mutuellement nos disciplines. Musicienne d’abord, physicienne ensuite, M. Castellengo aborde l’acoustique du point de vue de la pratique musicale, convaincue que les sons – bien qu’étant des objets immatériels – sont indissociables d’une esthétique et d’une signification culturelle spécifiques.

2C’est dire que les grandes qualités scientifiques et pédagogiques de l’auteure sont le meilleur gage de la qualité de l’ouvrage présenté ici. Après une cinquantaine d’années de recherche, Michèle Castellengo a enfin décidé de délaisser la transmission orale pour formaliser son érudition dans un ouvrage de synthèse qui met en œuvre son approche si particulière consistant à aborder l’acoustique à partir de l’écoute. L’ouvrage est construit autour de 420 sons que l’on trouve dans le DVD-Rom annexé, grâce aux liens hypertextes à l’endroit même où le lecteur en a besoin. Michèle en tant que personne y est également présente : on reconnaît sa voix dans de nombreux exemples sonores.

3Le livre est structuré en neuf chapitres qui présentent les notions élémentaires de l’acoustique et de la représentation du son, le système auditif et la perception, les principales qualités sonores (intensité, hauteur et timbre), pour aborder enfin les systèmes d’intervalles et les spécificités de la voix humaine.

4Le premier chapitre, « Des vibrations aux sons de la musique », est une introduction à l’aspect mécanique de l’acoustique. On y apprend tout ce qu’il faut savoir sur les sons impulsionnels ou entretenus (p. ex. la différence entre corde frappée et corde frottée), les différents modes vibratoires et la série des harmoniques. Un chapitre très utile définit le vocabulaire et fait le lien entre les acceptions parfois divergentes d’une discipline à l’autre. La fin de cette section met à l’honneur les musiques traditionnelles à travers leurs multiples utilisations de la série des harmoniques : chant diphonique, guimbarde, arc musical, d’une part, cor des Alpes et flûte roumaine tilinca, de l’autre, ou encore monocorde vietnamien.

5Le chapitre 2, « La représentation des sons », explique en détail les manières de visualiser le son, ainsi que leurs avantages et inconvénients en fonction de l’usage que l’on souhaite en faire. L’auteure introduit de manière approfondie les paramètres du signal sonore : fréquence fondamentale, aspects temporels, amplitude et spectre. Ici, un gong birman se mêle aux instruments à vent de l’orchestre occidental, à l’orgue et au steel-drum. Le chapitre se termine sur de nombreux exemples d’analyses illustrant la différence entre parole et chant ou entre l’image sonore d’un orchestre et celle des sons de la nature nocturne en Vendée. À l’issue de ce chapitre, on aura appris correctement à lire un sonagramme, visualisation « particulièrement pertinente perceptivement ».

6Un détour est ensuite fait par « Le système auditif humain » pour évaluer les sons que nous percevons par notre nature biologique, avant même de leur attribuer un sens. Ce chapitre aborde notamment les notions de sensation d’intensité et de hauteur des sons, indispensables pour comprendre les phénomènes de perception des systèmes d’intervalles traités plus loin.

7Le chapitre le plus stimulant est certainement le quatrième, « Une approche de la perception sonore : formes et catégorisation ». Michèle Castellengo y aborde l’écoute, c’est-à-dire comment nous attribuons du sens à ce que nous entendons. En passant par la phénoménologie, l’auteure pose la distinction fondamentale entre identification et qualification des sons ; elle rappelle l’importance du vécu et de la mémoire dans la reconnaissance des formes pour finalement proposer une « typologie acoustique des formes sonores » (p. 157). Elle propose une hiérarchisation entre formes du premier niveau qui renvoient à la source sonore (p. ex. la voix humaine) et celles du second niveau qui visent les modes d’utilisation ou les transformations que l’on y aurait apportées (p. ex. le chuchotement, le parlé…). Dans le domaine musical, il s’agit ici de reconnaissance des instruments, de formes polyphoniques, mais aussi d’interprétation d’illusions sonores. C’est tout naturellement que ce chapitre se termine sur la question de la catégorisation perceptive et les différences de la posture d’écoute en fonction de la perspective dans laquelle un auditeur écoute une musique.

8Ces quatre premiers chapitres constituent les bases pour la compréhension de la suite, qui en approfondit les différents aspects et traite les paramètres du son en détail. La question de savoir comment se faire entendre au sein d’autres sources sonores – dans l’orchestre, en plein air ou dans le métro – est traitée dans le chapitre dédié à l’intensité et au contraste des formes. Le chapitre relatif à la hauteur des sons isolés nous éclaire sur l’interdépendance entre fréquence fondamentale et composition spectrale dans la perception des hauteurs. Les musiques jouant sur les harmoniques sont traitées en détail avec d’autres exemples abondamment commentés. On trouve aussi la problématique de la perception des hauteurs des xylophones, qui a fait couler beaucoup d’encre en ethnomusicologie. En introduisant « La question du timbre » avec le shakuhachi, le pakhavaj et la musique électro-acoustique, le chapitre suivant traite des questions des timbres instrumentaux, essentiellement occidentaux.

9Puis on arrive aux systèmes musicaux à travers l’enchaînement de hauteurs isolées. Le chapitre « Systèmes d’intervalles et accordage » mobilise l’ensemble des notions développées précédemment. Ne citons que la perception catégorielle et la tolérance perceptive en fonction des catégories en vigueur dans la culture dont est issue une musique donnée ou le problème de l’accordage des instruments à sons instables. Dans ce chapitre, on parle théorie musicale et particulièrement intervalles et théories de leur formation. L’auteure présente les différences entre conception théorique et réalisation, ainsi que les multiples débats sur tel ou tel tempérament. Elle passe ainsi en revue des siècles de théorie occidentale et l’émergence de l’outillage conceptuel par rapport auquel tout ethnomusicologue doit se situer encore aujourd’hui. C’est des intervalles qu’elle part et non pas des degrés de l’échelle. Son approche de musicienne apparaît là de façon lumineuse : la réflexion ne naît pas d’une théorie, mais de la pratique qui met en relation des sons de hauteurs différentes. En toute conséquence, les rapports arithmétiques entre deux sons lui paraissent plus pertinents pour exprimer des grandeurs d’intervalles que le système de cents fondé sur une division arbitraire de l’octave en 1200 cents. Les nombreux exemples sonores sont un guide remarquable pour se représenter, par l’écoute, les incidences des débats théoriques. Ce chapitre nous donne beaucoup à réfléchir sur les automatismes à l’œuvre dans notre discipline. Il invite à changer de perspective et à concevoir la théorie musicale plutôt du point de vue du musicien, tout en restant dans un ancrage scientifique rigoureux.

10Le dernier chapitre, « Voix et perception », synthétise les nombreuses contributions de Michèle Castellengo dans ce domaine, notamment la caractérisation des mécanismes vibratoires laryngés. Les matériaux ethnomusicologiques sont à nouveau en première ligne, allant du chant diphonique mongol à la quintina sarde, en passant par le pasi but but bunun de Taïwan.

11Inutile d’ajouter que l’ouvrage contient une bibliographie très conséquente et un glossaire particulièrement précieux, accessible au commun des mortels. À ceux qui se poseraient encore la question de savoir en quoi cet ouvrage pourrait être utile à un ethnomusicologue, je dirais que, curieusement, le détour par l’objectivation de la science acoustique est dans bien des cas un garde-fou contre un ethnocentrisme rôdant en musicologie et qu’il fournit de nombreux outils analytiques à l’ethnomusicologie. À l’inverse, il prévient aussi de certaines explications quelque peu mystifiantes de phénomènes musicaux inhabituels en fournissant de solides connaissances du fonctionnement du monde sonore. Au fond, Michèle Castellengo nous rappelle un fondement de l’approche ethnologique : rien ne va de soi.

12Ce qui est particulièrement remarquable et qui rend jouissive la lecture de cet ouvrage somme toute assez ardu, c’est le soin apporté à la langue, l’extrême précision de l’expression qui mène à un style limpide où chaque mot est à sa place. C’est le signe de l’artiste dont le résultat émerveille le lecteur sans que celui-ci sache combien d’années de travail et d’efforts se cachent derrière la légèreté de la performance. À propos de légèreté : l’ouvrage a un défaut majeur : il pèse un âne mort…

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Bibliographie

LEIPP Emile, 1971, Musique et acoustique. Paris : Masson.

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Pour citer cet article

Référence papier

Susanne Fürniss, « Michèle CASTELLENGO : Ecoute musicale et acoustique »Cahiers d’ethnomusicologie, 29 | 2016, 223-226.

Référence électronique

Susanne Fürniss, « Michèle CASTELLENGO : Ecoute musicale et acoustique »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 29 | 2016, mis en ligne le 20 mai 2017, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/2604

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Auteur

Susanne Fürniss

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

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