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KROKA LA NUI. Chansons traditionnelles en Savoie. Le répertoire d’Esserts-Blay (Basse-Tarentaise)

Livre (84 p., ill. n.b. & coul.) et CD. Enregistrements et textes : Guillaume Veillet et Alain Basso. Annecy : Terres d’Empreintes, collection Patrimoine 02, 2014
Françoise Etay
p. 296-298
Référence(s) :

KROKA LA NUI. Chansons traditionnelles en Savoie. Le répertoire d’Esserts-Blay (Basse-Tarentaise). Livre (84 p., ill. n.b. & coul.) et CD. Enregistrements et textes : Guillaume Veillet et Alain Basso. Annecy : Terres d’Empreintes, collection Patrimoine 02, 2014.

Texte intégral

1C’est un bien bel objet que Guillaume Veillet et Terres d’Empreintes nous offrent à nouveau ici, deux ans après la parution de Bella Louison qui concernait la Haute-Savoie. Le livre est d’un petit format très agréable à manier, richement illustré, et le dessin original de la couverture, à la fois amusant et chaleureux, figurant trois des principaux chanteurs du recueil, en pleine action, est signé Robert Crumb. Contrairement à Bella Louison, Kroka la nui ne présente pas un panorama de chansons recueillies dans tout le département, mais seulement une partie du répertoire de familles ancrées depuis plusieurs générations dans une commune, Esserts-Blay, en Basse-Tarentaise, à proximité d’Albertville, en Savoie.

2On est surpris d’emblée par le très grand nombre de chansons traditionnelles qui ont été conservées là. Le CD joint au livre en rassemble une trentaine et on apprend, en fin de volume, que plus d’une soixantaine d’autres pièces ont été enregistrées, de 2004 à 2014. Cette étonnante pérennité est principalement due à un rapport à l’écrit ancien et à l’usage habituel, de la fin du XIXe siècle à nos jours, de cahiers ou carnets manuscrits sur lesquels figurent, en nombre important, des chansons antérieures aux romances ou succès de cabarets parisiens. Ces dernières ont ailleurs alimenté, en grande majorité, les recueils notés, souvent à l’armée, par des chanteurs n’y portant que rarement le répertoire familial ou local, qui, lui, restait de transmission uniquement orale.

3Mais Guillaume Veillet n’aurait pas pu réaliser cette ample moisson sonore s’il n’avait été précédé par un autre passionné, Paul Varcin, né en 1921, malheureusement disparu quelques mois avant la publication de Kroka la nui, suivant de peu son grand ami, « Philo » Avrillier.

4Paul Varcin, instituteur à la retraite, avait passé une dizaine d’années à collecter, dans sa mémoire, dans celles de sa famille, de ses « copains » et dans les cahiers conservés, plus de 120 chansons qu’il édita à compte d’auteur, en 2001, dans un joli livre intitulé Un chansonnier savoyard. Il avait ajouté des partitions aux textes réunis. On retrouve, à la lecture des présentations ou commentaires qui accompagnent les pièces choisies, l’impression qui frappe avec Kroka la nui : la chanson est une matière totalement investie d’affectivité. Reprendre le répertoire de la mère, de la tante, des amis, c’est aussi une façon de concrétiser son affection, l’idéal étant de chanter de façon collective, à l’unisson ou l’octave, en « cobla ». Et « quand la cobla donne à fond, ça crève le plafond » (p. 162) ! Derrière les chansons, il y a des hommes, des vies, qui peuvent être dignes comme celle du grand-père Germain Avrillier, libre-penseur entonnant « Le baptême du Bourguignon » ou infiniment tristes et misérables, telle celle du pauvre valet Gène, à qui sa maîtresse lançait « Trou du cul, pourquoi te plains-tu ? ».

5Étroitement imbriquées avec l’affectif et, parfois, des valeurs morales ou idéologiques, les options esthétiques sont, elles aussi, très présentes. Les versions des chansonniers des chantiers de jeunesse pétainistes (Paul Varcin et Philo Avrillier avaient, eux, rejoint la Résistance) sont à plusieurs reprises dénigrées et traitées de « prostituées », alors qu’il n’y a pas de rejet d’autres recueils, tels Mille chants, ou Lo cançonier dau Calen, par exemple. Paul Varcin est, en effet, très sensible à la qualité des textes, à leur poésie et au message qu’ils véhiculent. Il l’est aussi à leurs mélodies et à la façon dont elles sont chantées. Ses notations musicales sont à cet égard trop sommaires, en particulier sur le plan rythmique, et il en avait sans doute conscience. Dès 2004, il avait dit à Guillaume Veillet, qui prenait contact avec lui au téléphone, qu’il aurait souhaité que les chansons soient enregistrées.

6Et le CD de Kroka la nui, faisant en quelque sorte suite à cette requête, est, en effet, un document remarquable. Si les grandes coblas de 30 ou 40 chanteurs que Paul Varcin aurait aimé reconstituer ont maintenant disparu du paysage sonore, on découvre ici un style de chant très particulier. L’énoncé est le plus souvent relativement lent et ne s’appuie pas sur des pulsations régulières. C’est le texte qui porte la diction. Et pourtant, lorsqu’ils sont plusieurs, les chanteurs peuvent être totalement synchrones, respirant et pratiquant de courtes césures exactement ensemble, comme dans le « Château d’amour » de la plage 2. Pour qui connaît d’autres versions des « Scieurs de long », célébrissimes dans tout le Massif Central, la variante savoyarde (plage 28), est, à cet égard, très troublante : les trois temps de la bourrée ou de la valse ont disparu au profit d’une interprétation qui les rappelle un peu, tout en s’en éloignant considérablement. Et pourtant, là aussi, la fusion du groupe est totale. Mais la plus belle découverte du CD est sans doute celle des enregistrements de Philo Avrillier, totalement habité par des chansons qu’il porte haut, avec une force qui rappelle celle du Morvandiau Francis Michot, né, lui, en 1903. Elles sont magnifiées par un vibrato à la fois naturel et travaillé, et un système ornemental illustrant ce que Paul Varcin, dans son livre, appelle « roulades ».

7Les choses ne sont cependant pas figées et la passion pour le chant est loin d’être éteinte. Gérard Varcin, jeune frère de Paul (il est né en 1940), s’accompagne de la mandoline, et chante, d’une voix solide et avec un certain swing « Dz’ai pré mon dzego » (plage 7) tandis que son petit-fils Aurélien, dix ans, interprète avec un lyrisme émouvant « Que faites-vous bergère ? » (plage 15). Pourtant, avec lui, la transmission orale des mélodies a manifestement fait place à une relecture du texte et de la partition laissés par le grand-oncle Paul.

8S’il fallait exprimer un léger regret, en guise de conclusion, ce serait celui de l’emploi de cette « graphie de Conflans », semi-phonétique, qui transforme le « Croqua la nui ! » (Croque la noix !) de Paul Varcin en ce « Kroka la nui » rappelant curieusement les textes de créoles engagés dans un combat politique résolu, tels (l’excellent) Danyèl Waro (Daniel Hoareau) à La Réunion. Mais c’était le choix de Gérard Garcin et on comprend que Guillaume Veillet, totalement impliqué dans cette petite communauté, n’ait pas songé un instant à y déroger.

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Pour citer cet article

Référence papier

Françoise Etay, « KROKA LA NUI. Chansons traditionnelles en Savoie. Le répertoire d’Esserts-Blay (Basse-Tarentaise) »Cahiers d’ethnomusicologie, 28 | 2015, 296-298.

Référence électronique

Françoise Etay, « KROKA LA NUI. Chansons traditionnelles en Savoie. Le répertoire d’Esserts-Blay (Basse-Tarentaise) »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 28 | 2015, mis en ligne le 20 septembre 2016, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/2556

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Auteur

Françoise Etay

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CC-BY-SA-4.0

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