1Dans le catalogue Ocora consacré à la musique japonaise, ce CD est la première parution dédiée à la musique du royaume du Ryûkyû, aujourd’hui Okinawa, dont la musique est encore très peu connue hors du Japon. Parmi les rares écrits consacrés à la musique d’Okinawa et des archipels environnants de l’ancien royaume des Ryûkyû, outre on peut signaler une récente parution de Matt Gillan (2012), ainsi que divers articles.
2Bien qu’il présente un historique du royaume Ryûkyû, le livret aurait mérité d’être un peu plus étoffé. Ces îles ont été envahies par le clan Satsuma de l’île japonaise de Kyûshu en 1609. Grâce à un commerce lucratif avec la Chine, le royaume a pu maintenir une certaine autonomie. La cour royale a été destituée en 1879 lorsque le Japon a entièrement occupé ces îles. Bien que cette culture ait eu subi des influences autant de la Chine que de la Corée et du Japon, sa musique, ses coutumes et sa religion en sont demeurée distinctes (Gillan, 2012 : 11-12). Cependant, depuis les années 1990, nous assistons à un mouvement de revitalisation musicale auprès des jeunes.
3Le livret poursuit en présentant la musique d’Okinawa et la musique de cour, citant quelques grands musiciens de son histoire. Les trois musiciens qu’on peut entendre sur ce CD sont également présentés, ainsi que les 17 chants enregistrés. Le principal chanteur est Choichi Terukina (1932-), gardien d’un bien culturel immatériel important, devenu Trésor national vivant en 2000, puis Trésor culturel d’Okinawa en 2009. Shinjin Kise (1943-) est devenu Trésor culturel national en 2005 et Trésor culturel d’Okinawa également en 2009. Le troisième musicien, plus jeune, est Masaya Yamauchi (1973-). Ces trois artistes chantent en s’accompagnant au sanshin, un luth à trois cordes d’origine chinoise. Dix des chants sont en duo, les sept autres en solo.
4Pour ce qui a trait à la musique, celle-ci laisse transparaître des influences chinoises, coréennes et japonaises, ainsi que, dans une moindre mesure, malaises et indonésiennes. aboutissant au développement de modes et de lignes mélodiques qui lui sont uniques. Ces modes n’ont pas de notes de passage ni de notes secondaires intercalées entre les tons, comme c’est le cas dans les modes japonais.
5Bien que nous puissions entendre quelques chants populaires, l’ensemble du répertoire enregistré n’était intrerprété qu’à la cour du château de Shuri, situé aujourd’hui dans la ville de Naha, alors que les chants populaires étaient chantés partout sur l’ensemble des îles du royaume. Malgré cette distinction, ces deux types de chant se sont largement influencés. Ces chants courtois exigent du chanteur d’utiliser un registre aigu, ainsi que des ornementations vocales micro-tonales et des glissandi ascendants et descendants. Ces chants à la métrique binaire sont dans l’ensemble lents. Leur structure poétique est habituellement fondée sur des quatrains de trois octosyllabes et un hexasyllabe, ou encore une alternance d’hepta- et de pentasyllabes, une influence de la poésie japonaise.
6Le luth sanshin, d’origine chinoise, serait venu avec des immigrants chinois au milieu du xiVe siècle, n’atteignant le Japon qu’au xVIe siècle pour devenir le shamisen. Similairement au sanxian chinois, sa caisse de résonance est recouverte d’une peau de python. Cependant, sa caisse de résonance est plus grande et son manche plus court. Il est accordé selon les besoins de chaque chant.
7Le livret se termine par une description sommaire des 17 chants, incluant les textes des poèmes dans la langue d’Okinawa (en caractère romain) et leur traduction. On y trouve aussi un exemple de notation, calquée sur une notation chinoise et introduite au XVIIe siècle.
8J’ai eu la chance d’entendre des chants durant des festivités lors de visites à Okinawa. On constate d’entrée de jeu la lenteur des chants. Le sanshin est hétérophonique, à savoir que ce luth joue une ligne mélodique accompagnatrice distincte de celle du chant, sans qu’elle soit harmonique. Elle est généralement soutenue et régulière, sans grande variété. Les duos figurant sur le CD sont chantés à l’unisson. La plupart des pièces, au tempo modéré, débutent par une courte introduction instrumentale.
9Ce qui m’a frappé la première fois que j’ai entendu cette musique, lors d’un voyage à Okinawa en 1986, est que, malgré l’influence du Japon, de la Chine et de la Corée, Okinawa demeure une petite enclave insulaire qui démontre une grande originalité culturelle !