Martin DOWLING : Traditional Music and Irish Society: Historical Perspectives
Martin DOWLING : Traditional Music and Irish Society: Historical Perspectives, Farnham : Ashgate Publishing. Popular and Folk Music Series, 2014. 368 p.
Texte intégral
1C’est dans la prolixe Popular and Folk Music Series de l’éditeur Ashgate qu’a été publié, en 2014, l’ouvrage de Martin Dowling. Avant d’entrer dans le vif du sujet, soulignons la publication chez Ashgate, également en 2014, de Music Identity in Ireland and Beyond (Mark Fitzgerald, Eds), une collection d’essais qui aborde avec une grande variété d’approches théoriques les identités musicales irlandaises, tous genres confondus, en Irlande mais aussi bien au-delà. Une lecture complémentaire à l’œuvre de Dowling présentée ici. On peut d’autant plus saluer la publication récente de ces deux études académiques sur les cultures musicales irlandaises que celles-ci ont pendant longtemps été les parents pauvres de la recherche.
2L’auteur nous rassure cependant en soulignant que la situation est rapidement en train d’évoluer. Il nous propose d’ailleurs quelques renvois vers cette littérature académique spécialisée en train d’émerger (notamment Vallely 2011 ; White & Boydell 2013).
3L’introduction, écrite dans un style très personnel, est l’occasion pour Martin Dowling de nous éclairer sur son parcours de chercheur et de musicien qui le guidera, presque par hasard, vers l’ethnomusicologie. C’est au cours de ses études d’Histoire économique qu’il se passionne pour les Irish studies. Parallèlement, c’est par la pratique du fiddle qu’il fera connaissance avec les musiques irlandaises. C’est donc autant en qualité d’interprète chevronné, possédant une connaissance pointue des répertoires dont il tire de nombreux exemples reproduits tout au long du livre, qu’en qualité d’historien académique formé à l’étude de l’histoire sociale et économique que l’auteur aborde les traditions musicales en Irlande. Ces multiples compétences lui permettent de nous présenter un panorama historique de la formation, et de la transformation de ces musiques du début du XVIIIe siècle à nos jours. Un XVIIIe siècle où les changements socio-politiques en cours entraînent autant de changements dans les pratiques musicales qui ne conservent que peu de liens avec les pratiques plus anciennes.
4Dowling se fonde à la fois sur une impressionnante somme d’analyses de documents historiques – faisant la part belle aux facteurs économiques et politiques si particuliers de cette Irlande sous domination coloniale anglaise – et sur un intense travail de terrain dans l’Irlande contemporaine, avec les interviews de plus de cent musiciens et acteurs du monde des musiques traditionnelles. Tout en nous présentant les racines (pas si) anciennes de ces dernières, il adopte une position tranchée sur la modernité de ces pratiques musicales. Une modernité qui n’est pas selon lui à l’opposé de la tradition mais bien son essence même. Dowling conclut cette introduction réflexive par un certains nombres de souhaits qui illustrent sa volonté de pacifier cette dialectique « tradition/modernité » et de réconcilier son approche académique éclairée par sa pratique active de musicien dans une tradition bien vivante.
5Le corps du livre se divise ensuite en cinq chapitres qui retracent les évolutions successives de ces pratiques et répertoires irlandais.
6Les deux premiers chapitres – « The eighteenth-Century Inheritance » et « Foundation of a Modern Tradition » – explorent la question de l’ancienneté de la tradition tout en rappelant les caractéristiques sociales de ces origines musicales. Dowling nous montre ainsi comment les harpistes et les musiques à danser prenaient place dans des contextes et avec des statuts sociaux différents, dans une Irlande tiraillée entre de nombreux développements politiques et économiques alors loin d’être linéaires. L’auteur nous expose également de façon novatrice l’influence de la musique baroque européenne venue du continent qui aura eu des effets importants et durables sur toutes les musiques de l’île. Il ne manque pas, là encore, d’inclure bon nombre d’exemples musicaux retranscrits et commentés qui offrent une mine précieuse d’informations et de références. Il nous entraîne ensuite dans la modernisation de la société européenne, et irlandaise, au début du XIXe siècle : révolution industrielle, exode rural, déclin du patronage, développement des pubs, arrivée massive des accordéons et déclin des Irish pipes. Dowling nous explique comment les pratiques et les répertoires ont accompagnés ces transformations radicales et comment ces nouveaux contextes ont largement contribué à forger ce qui est aujourd’hui considéré comme « la musique traditionnelle irlandaise ». Ce deuxième chapitre permet aussi de mesurer l’impacte majeur et durable de la Grande Famine (1845-52), ainsi que de l’exode massif qui suivra, sur toutes les formes de musiques en Irlande et sur leurs contextes de production. Arrivées à la fin du XIXe siècle, les traditions musicales et dansées irlandaises sont alors bien plus vivantes au-delà des frontières de l’île. La préservation et l’innovation de ces musiques se faisaient alors plus à New York, à Londres ou à Chicago.
7Le troisième chapitre, intitulé « Music in the Revival : The Feis Ceoil, The Gaelic League, and the pipers », aborde ensuite le renouveau culturel et la montée du nationalisme des années 1880 à la guerre d’indépendance irlandaise (1919-21). L’auteur épluche, là encore, une impressionnante quantité de documents d’époque pour illustrer les différents discours sur la tradition musicale de ce tournant de siècle. Il les replace dans le paysage global de l’époque et soutient l’hypothèse que ce processus de construction de l’identité nationale et ses discours conservateurs auront mis un sérieux frein au développement et à la modernisation des traditions musicales. Des organisations culturelles telles que la Gaelic League imposent alors leur vision de la musique et de la danse à conserver ou à promouvoir. Des standards, souvent variables, qui s’établissent notamment par le biais des concours régionaux et nationaux comme les Feis Ceoil. Il souligne enfin la crainte, exprimée par ces institutions, que la musique traditionnelle irlandaise puisse ne pas être immuable. Ces préoccupations infuseront largement les discours des acteurs en charge de la transmission et de la promotion de ces traditions musicales à l’orée du XXe siècle et influeront sur leurs formes.
8« James Joyce and Traditional Song », le quatrième chapitre, fait appel à l’œuvre littéraire et la pratique musicale de James Joyce, écrivain mais également interprète émérite de chansons irlandaises, pour nous présenter la place occupée par la chanson avant et pendant le revival littéraire irlandais de la première moitié du XXe siècle.
9Revenant à un ton plus personnel, le cinquième et dernier chapitre « Traditional Music and the Peace Process in Northern Ireland » rend compte du travail de terrain effectué par l’auteur en 2004-2005 auprès de musiciens et d’acteurs de la scène musicale en Irlande, et particulièrement en Irlande du Nord. Il y effectue également une sorte d’autobiographie, exposant son parcours personnel depuis son Chicago natal jusqu’aux sources familiales dans le Comté de Sligo en passant par Belfast dès les années 1980. Cela lui permet de brosser un portrait vivant et détaillé de la situation actuelle des répertoires et pratiques musicales depuis la fin du XXe siècle et début du XXIe, en particulier dans le difficile « processus de paix » toujours en cours en Irlande du Nord.
10Puisant dans une somme de documentation et de réflexions impressionnante, alliant une connaissance intime du terrain et un sérieux travail d’analyse, Martin Dowling a recours à toutes ses compétences d’historien, d’économiste, de politologue, d’ethnomusicologue autant que de musicien pour nous livrer un panorama magistral du développement des musiques traditionnelles en Irlande. Il démontre par là l’importance d’une ethnomusicologie historique qui contribue à déconstruire les discours et les idéologies liées aux pratiques musicales évoluant dans un environnement socio-économique et culturel complexe. Une telle ethnomusicologie est à même de comprendre les relations non linéaires avec le passé, considéré comme une (re)construction permanente du présent. L’auteur démontre enfin qu’une pratique musicale contribue à enrichir de façon significative une réflexion académique de haut niveau.
Pour citer cet article
Référence papier
Patrik Vincent Dasen, « Martin DOWLING : Traditional Music and Irish Society: Historical Perspectives », Cahiers d’ethnomusicologie, 28 | 2015, 280-282.
Référence électronique
Patrik Vincent Dasen, « Martin DOWLING : Traditional Music and Irish Society: Historical Perspectives », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 28 | 2015, mis en ligne le 20 septembre 2016, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/2547
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