Un récent colloque sur le Congrès du Caire de 1932
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1Du 25 au 28 mai 1989, a eu lieu au Caire le colloque « Documents du Premier congrès sur la musique arabe du Caire 1932 ». Patronné par le Ministère égyptien de la Culture, il fait partie du programme scientifique du CEDEJ (Centre d’études et de documentation économique, juridique et sociale), très actif dans le domaine de la recherche sur l’Égypte et le Proche-Orient. En fait, le CEDEJ organise annuellement plusieurs rencontres et colloques sur des sujets très divers, et un colloque sur la musique était souhaité depuis un certain temps. L’organisation du colloque et sa responsabilité scientifique ont été confiées à Schéhérazade Hassan.
2C’est au Caire, en 1932, à la demande des autorités égyptiennes de l’époque, que le premier congrès de ce genre a eu lieu. Jamais auparavant dans l’histoire de la musique, un nombre si impressionnant de spécialistes venus d’Europe n’avaient rencontré des musicologues et musiciens non européens pour discuter avec eux des problèmes d’une musique non occidentale. Le souvenir et l’écho de ce congrès ont pris une tournure quasi légendaire dans les esprits, sans que, pour autant, la véritable portée de cette rencontre ait été suffisamment démontrée.
- 1 Voir dans ce numéro le compte-rendu sur les disques d’archives musicales arabes du Congrès du Cair (...)
3Le congrès de musique arabe de 1932 nous a laissé une quantité considérable de documents. D’une part il y a les documents sonores (166 disques 78 tours) qui regroupent le répertoire des pays arabes représentés au Caire1. En plus de l’Égypte, apparaissant d’ailleurs par plusieurs genres, il y eut l’Irak, la Syrie, la Turquie, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Le fait que ces disques constituent la seule collection élaborée à partir d’un choix conscient et en vue de les utiliser comme matériel d’étude leur confère une valeur inestimable. D’autre part, il y a aussi des documents écrits issus du congrès. Il s’agit d’un volumineux livre de 711 pages assorties de 77 planches de photos, publié en deux versions, arabe et française, qui regroupe le minutage officiel ainsi que de nombreuses communications et les rapports des commissions attachées à l’étude par thème de la musique arabe. Une version abrégée en arabe a été également publiée au Caire.
4Ces documents ont pris pour beaucoup une valeur abstraite, voire absolue malgré une certaine polémique sur l’inexactitude ou l’insuffisance des informations qu’ils contiennent. Le chercheur contemporain ne peut s’empêcher de se sentir frustré par la documentation ; il aurait voulu avoir plus de données, de renseignements de base, plus d’informations sur le contexte et sur la représentativité des musiques enregistrées. Une documentation nouvelle, critique, analytique ou contextuelle était attendue. Le but du colloque de 1989, donc, n’était autre que de pouvoir restituer le matériel dans son ensemble. Et cette évaluation synthétique nous a portés, inévitablement, sur les orientations de la musique arabe au cours de son évolution depuis plus d’un demi-siècle.
5Ce colloque avait également pour objectif de sensibiliser les autorités égyptiennes concernées et d’attirer leur attention sur des documents du Congrès restés inédits, tels que les différents rapports et communications, non inclus dans le recueil, et de leur demander de les rendre accessibles aux chercheurs ainsi que de faire connaître l’ensemble des documents au public mélomane.
6Les préparatifs du colloque de 1989 ont permis la rencontre de trois participants au Congrès de 1932. Leurs témoignages furent inestimables pour la clarification des points restés obscurs dans l’articulation de certains thèmes. La dernière rencontre avec le chanteur irakien Mohamed al-Gubantchi en janvier 1989, peu avant sa mort survenue début avril de la même année, a permis de compléter la documentation concernant la participation irakienne au Congrès. Ensuite, on découvrit que M. Ragheb Miftah, qui fut en 1932 secrétaire du Comité d’enregistrement des disques, travaillait encore à l’Institut copte du Caire. M. Miftah nous a permis d’élucider certains mystères entourant l’enregistrement des disques sur lesquels le texte du recueil reste souvent ambigu. Ragheb Miftah était l’invité d’honneur du colloque, mais son âge avancé fut un véritable obstacle pour son déplacement. Finalement, le colloque vit la participation du joueur de qanūn Mustafa Kamil qui, en 1932, faisait partie de l’ensemble de l’Institut de musique orientale où eut lieu le Congrès.
7Le programme du colloque et le choix des participants ont été conçus, d’une part pour couvrir les pays arabes représentés en 1932 et d’autre part, pour que soient traités les sujets et les problèmes que pose le recueil.
8L’intérêt du colloque pour l’Égypte, le CEDEJ et la commnauté scientifique, ainsi que l’historique du Congrès de 1932 et ses problématiques ont été exposés lors de la première séance dans les trois communications du Ministère de la Culture, de M. Jean-Claude Vatin, directeur du CEDEJ, et de Schéhérazade Hassan. Leur succédèrent, dans cette première séance, des exposés sur l’éducation musicale en Égypte par Martha Roy, de l’Université Helwan du Caire et sur l’innovation et les changements en tant que thèmes essentiels du Congrès de 1932 par Salwa al-Shawwan de l’Université de Lisbonne, qui évoqua les positions des musiciens, des musicologues et des personnes investies alors de pouvoirs de décision en Égypte.
9La deuxième séance, présidée par Issâm al-Mellah de l’Université de Munich, a été consacrée aux documents de l’Afrique du Nord. Une évaluation critique des documents tunisiens, sonores et écrits, a été élaborée par Mahmoud Guettat (Tunisie). Par une approche analytique et comparative, Nadia Mecheri Saada (Algérie) a présenté les documents algériens à partir de leur rythme, tandis que l’exposé du professeur Jürgen Eisner de l’Université Humbolt à Berlin (non présent personnellement) traita de la musique algérienne par le biais du rapport entre la documentation sonore et la pratique locale actuelle. Nadia Bouzar Kasbaji (Algérie) s’est intéressée plutôt au contexte musico-culturel de l’Algérie dans les années trente. L’absence de la contribution prévue sur le Maroc sera comblée dans la publication des actes du colloque.
10La troisième séance, présidée par Salwa al-Shawwan, était réservée aux travaux des musicologues et chercheurs égyptiens reflétant leurs soucis et leurs priorités dans ce domaine. Les quatre thèmes annoncés sont : l’harmonisation des modes arabes depuis 1932 par Awatef Abdul Karim de l’Université de Helwan au Caire ; les instruments à cordes et les instruments à clavier dans le Congrès par Linda Fathallah de l’Académie des Beaux-Arts ; le rôle de Mahmoud el-Hefni dans les travaux du Congrès de 1932 par Suleiman Jamil de l’Institut des traditions populaires ; enfin, les interprêtes des enregistrements égyptiens du premier Congrès par Mahmoud Kamil. Seuls les deux premiers papiers furent présentés. Cette séance fut une véritable confrontation d’idées entre les musiciens égyptiens de l’intérieur et les autres chercheurs arabes invités au colloque.
11La quatrième séance, présidée par le professeur Artur Simon du Musée d’ethnographie de Berlin, portait essentiellement sur les documents du Proche-Orient. Ali Jihad Racy de l’Université de Los Angeles a présenté les musicologues européens de l’école comparative et la musique arabe au Congrès du Caire. Schéhérazade Hassan (Irak) s’est efforcée de présenter une contextualisation du choix de la musique irakienne au Caire. Jean-François Belleface s’est posé des questions sur la quasi-absence de la Syrie dans les documentations du Congrès, malgré la présence d’une délégation syrienne.
12Martha Roy, présidente de la cinquième séance, a lu le papier que devait présenter Ragheb Miftah sur les enregistrements de musique copte ; le professeur Artur Simon a fait une présentation systématique des documents populaires égyptiens ainsi que de ceux des rites de possession zār. La communication de Issam al-Mellah trace les problématiques du rythme arabe et démontre la distance entre la transcription de formules rythmiques et leur réalisation.
13Ali Jihad Racy a présidé la dernière séance du colloque, à laquelle étaient invités les plus éminents musiciens égyptiens contemporains en vue d’exprimer leur point de vue sur l’interprétation des œuvres de 1932. Cette confrontation pratique fut d’une très grande utilité pour tous.
14Deux soirées de musique furent organisées ; l’une était consacrée à la projection de deux films ethnographiques : Les instruments musicaux populaires réalisé par Mona Gamal al-Dīn et l’autre Ashwak al-ahālī, un très beau film sur les divers types de danses en Égypte présenté par Magda Saleh, à partir desquelles elle a fait une remarquable étude anthropologique.
15La seconde fut un concert de musique populaire organisé pour l’occasion par le Ministère de la culture dans les magnifiques locaux de Qasr al-Ghoury où le colloque eut lieu. Les différents instruments de musique populaire étaient joués par des interprètes provenant de différentes régions du pays. La deuxième partie fut consacrée aux récitants de contes épiques arabes venant également de diverses régions.
16Les travaux de ce colloque seront publiés par le CEDEJ en français. Leur version arabe est également envisagée. Aux actes du colloque seront ajoutés deux articles, l’un sur les travaux de la commission des manuscrits du Congrès par le professeur Neubauer, l’autre sur les documents marocains par Marc Loopuyt. Le volume sera dédié à la mémoire de notre collègue Lois Ibsen al-Faruqi, musicologue ayant longuement contribué à la recherche dans ces régions et qui fut sauvagement assassinée en mai 1986.
17L’usage veut qu’après chaque colloque, on formule des conclusions et on présente une liste de demandes adressées aux autorités compétentes. Les participants égyptiens ont demandé que les documents de 1932, édités et inédits, soient mis à la disposition des chercheurs, puisque les intéressés en Égypte n’ont pas d’idées sur leur emplacement. On a demandé également que la totalité des documents soient diffusés par la presse et que les musiciens actuels veillent à ce que les éléments essentiels de la musique arabe, tels que l’improvisation, soient préservés. Finalement, la diversité de cette musique doit être soulignée et être considérée comme une richesse, ce qui nécessitera l’élaboration d’une définition élargie de la musique arabe.
Notes
1 Voir dans ce numéro le compte-rendu sur les disques d’archives musicales arabes du Congrès du Caire 1932. [Ndlr].
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Bibliographical reference
Schéhérazade Qassim Hassan, “Un récent colloque sur le Congrès du Caire de 1932”, Cahiers d’ethnomusicologie, 3 | 1990, 268-271.
Electronic reference
Schéhérazade Qassim Hassan, “Un récent colloque sur le Congrès du Caire de 1932”, Cahiers d’ethnomusicologie [Online], 3 | 1990, Online since 15 October 2011, connection on 12 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/2417
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