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Dossier

L’autre oreille

Le pouvoir mystique de la musique au Moyen-Orient
Jean During
p. 57-78

Full text

« Dans le santā’, les soufis écoutent un autre son qui vient du trône divin... Toi tu écoutes la forme de la musique, mais eux, ils ont une autre oreille ! »
Mowlānā Jalāloddīn Rūmī

1Dans la culture islamique, la réflexion sur la musique est dominée par la question de son pouvoir sur le corps et l’âme. Ce pouvoir est au centre des discussions et des mythes, en particulier dans la pensée soufie. En dehors des ouvrages scientifiques, la plupart des traités consacrés à la musique commencent d’un côté par poser le caractère transcendant de la musique comme création divine, pratique angélique puis initiatique, et de l’autre, par constater son pouvoir immanent sur les êtres, même dépourvus de discernement, comme les nouveaux-nés ou les animaux. Sur les causes de l’impact de la musique elle-même, ces traités ne proposent que des explications métaphysiques, et donnent parfois l’impression que la musique est réduite à une métaphore de la métaphysique. Toutefois, il est possible d’aller plus loin dans l’élucidation du pouvoir de la musique - ou de son mode de fonctionnement - en se référant à l’anthropologie traditionnelle, aux coutumes des derviches, aux règles du concert spirituel ou samā’, aux nombreuses anecdotes sur cette pratique, et surtout en interrogeant les représentants actuels de ces traditions artistiques et spirituelles. En effet, le Moyen-Orient a conservé de nombreuses traditions musicales régionales plus ou moins liées à la mystique, qui offrent un champ d’investigation d’une richesse exceptionnelle.

2Dans les pages qui suivent, nous reposerons donc la question du pouvoir de la musique, ou des « musiques à pouvoir », en nous appuyant sur des idées, des pratiques et des faits courants de nos jours dans les traditions sacrées (et éventuellement profanes) de l’Orient islamique. Nous en tirerons accessoirement quelques principes de portée plus générale susceptibles d’intéresser ceux qui voient dans ces arts autre chose qu’un agrément pour l’oreille.

  • 1 ME : During 1988 ; MM : During 1989.

3Ce domaine s’approche nécessairement par deux voies : la musique elle-même (dans sa forme et sa substance), et le sujet qui la pratique et qui l’écoute, perspective qui englobe la psychologie de l’audition, les représentations, les conditions générales et le contexte. Nous emprunterons ces deux voies en prenant en compte ce que les intéressés eux-mêmes en disent et en livrant nos propres observations. Devant l’ampleur du sujet, nous sommes obligés de condenser cet exposé à l’extrême et de nous contenter souvent d’allusions. Le lecteur pourra trouver des développements, des arguments et des références à des faits précis ou à des sources bibliographiques dans deux de nos ouvrages abrégés ici ME et MM1.

Les conditions générales du concert mystique

4Dans la plupart des traités soufis classiques les conditions du concert spirituel (samā’) sont soumises à trois facteurs : zamān, makān, ikhwān, le temps, le lieu, les adeptes (les « frères »).

L’unité des participants

  • 2 Dans ce cas précis, séance d’invocation collective. Dhikr se prononce « zikr » ou « zekr » dans l’i (...)

5Les règles concernant les adeptes sont de diverses sortes. Traditionnellement elles visent à définir quelles personnes doivent être exclues du samā’ : les critères semblent avant tout désigner ceux qui dérangent l’assemblée par leur comportement ou les pensées qu’ils nourrissent ou suscitent. Mais en fin de compte, la condition principale de la réussite d’un samā’ ou d’un dhikr2 peut se résumer en une formule : l’union des participants.

6Mais d’abord pourquoi l’union ? Sans doute parce que l’union fait la force : dans un groupe bien soudé, l’émotion gagne tous les participants comme un courant qui passe. Les sujets plus émotifs entraînent les autres. Il est donc important que l’effet soit homogène, que les différences individuelles s’estompent, que tous reçoivent les mêmes impressions et y répondent. Dans un groupe désuni, certains sont des poids morts : ils n’entrent pas dans le jeu et leur comportement affecte la performance et l’attitude des autres. Ce principe vaut pour les petits groupes aussi bien que pour les grands. L’union ou unité peut s’envisager à plusieurs niveaux :

  • L’unité en esprit. Elle se réalise spontanément du fait que les adeptes adhèrent tous à la même culture, idéologie et doctrine. (Ce principe vaut aussi pour les musiques d’art. Dans la tradition persane, il est bien connu que certains maîtres répugnaient à jouer s’il se trouvait dans l’assemblée des personnes incapables d’apprécier leur art.)

  • L’union de cœur. L’unité spirituelle ne se réalise que si rien ne vient troubler la concentration requise. Les soufis recommandent à l’auditeur de vider sa pensée, de ne pas s’occuper des autres et de se voir seul devant Dieu. Aucun sentiment négatif ne doit interférer, en particulier concernant les autres adeptes.

  • L’unité formelle et physique. Elle peut être soulignée par un vêtement rituel ou un signe distinctif ; parfois c’est l’orientation rituelle qui joue le rôle de dénominateur commun. Un protocole particulier de salutation indique aussi le nivellement de la hiérarchie entre les adeptes. Lorsques les derviches participent activement, il est important que tous chantent les mêmes paroles, sans changer certains mots au gré de leur disposition intérieure. Néanmoins, chacun est libre d’interpréter les paroles du chantre selon ses propres états d’âme, dans certaines limites (ME : 63 ; Ghazzāli 1975 :485).

7L’unité peut être matérialisée par le contact physique. Souvent les derviches se tiennent par la main ou le bras, se balançant de haut en bas ou d’un côté à l’autre ; certains entraînent leurs condisciples dans la danse ou dansent ensemble. La mise à l’unisson des corps peut aussi se faire sans contact physique, par les mouvements stéréotypés et la danse.

8- Unification sujet-objet : de même que dans la gnose ou « science présentielle » (‘ilm-i huzūrī) toute distance est abolie entre le connu, le connaissant et la connaissance, de même la performance musicale doit réaliser l’unité, notamment entre le musicien lui-même, la musique et le moyen (l’instrument) (Safvat 1984 : 47-8). La musique doit impérativement être assimilée, ce qui implique non seulement de la connaître par cœur, mais de la faire sienne au point de pouvoir la modifier à son gré par l’ornementation, les variations de tempo, les broderies, etc. Jouer une musique ne signifie pas qu’on l’ait comprise, tout comme réciter un texte ne signifie pas qu’on l’ait compris, ni même qu’on en connaisse la langue. Ce n’est que lorsqu’on parvient à paraphraser le texte ou à construire de nouvelles sentences qu’on a assimilé le texte ou la langue. En musique, ce stade correspond à celui de la création et plus précisément de l’improvisation, sur lequel nous reviendrons plus loin.

9Un autre aspect de l’unification opère entre le sujet et le moyen (l’instrument et la technique), et entre l’objet (la musique) et le moyen. Tout décalage entre l’idée musicale, la forme et le geste instaure une distance entre les trois éléments. L’adéquation avec le geste ou le mouvement doit être parfaite de sorte que la main ou la voix suive toujours le projet musical sans hésitation ni angoisse. Cela n’implique pas forcément la virtuosité ; il est plus important de connaître ses limites techniques et de s’en accomoder. Omettre ce principe conduit à la peur de manquer son but ou, dans le meilleur des cas, à la virtuosité gratuite qui vide le geste de son contenu.

Fig. 1 : Derviches de l’ordre des Ne’matollāhi écoutant le chant et le ney au mausolée de Shāh Ne’matollāh Vali.

Fig. 1 : Derviches de l’ordre des Ne’matollāhi écoutant le chant et le ney au mausolée de Shāh Ne’matollāh Vali.

Mahān, Iran, 1981. Photo : Jean During.

10Il faut enfin veiller à l’adéquation entre la musique et l’auditeur. On jouera donc la musique qui convient à l’auditeur selon son tempérament (les quatre humeurs), son physique, sa position sociale et sa culture. Les anciens traités indiquent les modes à jouer pour chaque type d’auditeur(s) (Behjat al-ruh 1346, in Safīuddīn 1967 : 87 sq.).

Le lieu

11Les soufis veillaient à pratiquer les samā’ dans des lieux appropriés, mais leurs critères n’étaient pas très stricts (ME : 117 ; Ghazzāli 1975 : 397 sq.). En revanche, il est évident que le choix de certains lieux, tels que les tombeaux des saints, vise à conditionner l’état psychique des participants et à renforcer l’impact de la musique. L’influence du lieu se ramène souvent à une opposition entre ville et campagne, entre civilisation et nature, le milieu urbain étant moins propice au flux de la vie intérieure que la solitude du désert.

Le temps

12Certains shaykh disent que l’activité diurne des hommes, motivée par le désir et les passions, crée une sorte de pollution qui enténèbre l’atmosphère spirituelle. La nuit, lorsque tout le monde dort, l’atmosphère s’éclaircit et la communication avec l’au-delà est beaucoup plus aisée, que ce soit à l’état de veille ou dans les songes. C’est sans doute pour cette raison que la majorité des assemblées soufies se tient le soir ou la nuit, et que les veillées sont plus fréquentes que les journées de dévotion.

13Plus précisément, les soufis considèrent que chaque heure possède son propre « moment » (waqt), c’est-à-dire sa qualité et son effet particuliers. Les moments forts sont le lever du soleil (mais plus encore, la pointe de l’aube, soit une heure avant), le coucher du soleil et la nuit, en particulier de minuit à l’aube. Ces moments-là sont les plus propices à la pratique de la musique.

14On peut avancer que l’obscurité s’accompagne d’une baisse des stimulations extérieures et permet l’ouverture des facultés intérieures telles que l’imagination, la concentration, la réceptivité. Les défenses mentales et les verouillages psychiques sont moins forts, ce qui favorise l’accès à des états différents, notamment dans la pénombre, lorsque personne ne voit personne, comme c’est souvent le cas dans les samā’.

15De fait, en Iran, même les performances de musique profane se font de préférence dans la pénombre, et l’on imagine que dans le passé les derviches s’éclairaient seulement de quelques lampes à huile. A plus forte raison, les dhikr de certaines confréries se font dans l’obscurité quasi totale. Les participants ferment les yeux et perçoivent parfois des apparitions, des images symboliques, des âmes, ce qui contribue largement à modifier leur état de conscience.

16Les moments forts sont aussi ceux des jours sacrés, en particulier la nuit précédant ces jours. De grandes assemblées de dhikr se tiennent à ces occasions.

17L’idée d’opportunité dans le temps rejoint celle de l’adéquation de la musique et du moment. Le choix des airs ou des modes en fonction de la nature et du tempérament des auditeurs ne concerne que les assemblées profanes et non les milieux religieux ou soufis qui par définition sont très homogènes. Dans ce cas-là, c’est l’évaluation globale de la situation et du moment qui conduit au choix judicieux des pièces interprétées et permet un impact plus profond sur les auditeurs. Dans certains groupes de derviches kurdes, ce choix est laissé au shaykh, qui est censé être clairvoyant et qui sait quels sont les chants qui correspondent à la nature du « moment ». D’autres fois, c’est le chantre qui choisit les chants en suivant sa propre inspiration.

18Dans la pratique musicale séculière, cet aspect est également très important. On pourrait distinguer deux grands genres de musiques : celles qui s’adaptent aux auditeurs et aux musiciens (comportant donc à certains niveaux une part d’improvisation), et celles auxquelles les auditeurs et les musiciens s’adaptent (ne comportant aucune part d’imprévisible ni de création). Le premier genre relève probablement d’un besoin d’adéquation entre les dispositions subjectives de l’interprète aussi bien que des auditeurs, et le contenu de la musique. Le second est sans doute lié à une vision protocolaire, voire dogmatique, à une certaine révérence pour un répertoire fixe chargé de valeurs symboliques.

  • 3 En arabe : athar. Le concept d’asar renvoie à une conception globale qui privilégie les échanges d’ (...)

19Nous essayerons de cerner maintenant l’aspect le plus mystérieux du pouvoir de la musique tel qu’il apparaît dans les traditions ésotériques islamiques sous le concept subtil d’« effet », asar3.

L’« effet » ésotérique

20Afin d’approfondir le mystère du pouvoir du son et de recueillir des témoignages authentiques, nous avons eu de longs entretiens avec un mystique très estimé, considéré comme le grand détenteur de la tradition de musique sacrée et secrète de l’ordre des Ahl-e haqq du Kurdistan (MM : 510 sq.).

21Selon les maîtres de cette voie, l’effet de la musique (asar) dépend essentiellement de trois facteurs : l’auditeur, ou « récepteur », l’interprète ou « émetteur », la musique elle-même. A ceux-ci il faut ajouter le moyen de transmission, l’instrument. Le troisième point sous-entend que le créateur de la mélodie peut y avoir déposé un pouvoir particulier (asar) qui, à lui seul, peut s’avérer efficace. En principe, dit ce maître, toutes les mélodies populaires traditionnelles recèlent, à un degré ou à un autre, un pouvoir semblable. (Remarquons qu’il s’agit là d’une précieuse définition du domaine traditionnel, et de sa ligne de démarcation avec les productions de la culture séculière et banalisée). Ce pouvoir est en rapport direct avec la capacité spirituelle de son créateur et il opère dans les trois éléments de la communication musicale, de façon isolée ou complémentaire. On a donc les combinaisons suivantes :

  • Tout d’abord, le cas idéal où tous ces éléments se complètent harmonieusement : sensibilité du récepteur, potentialité du contenu mélodique, art de l’interprétation et pouvoir personnel de l’interprète.

  • L’auditeur peut être ému par une musique quelconque, car il y investit lui-même ce qu’il porte en lui. Il est rare que ce seul élément puisse le conduire loin ; il existe toutefois des affinités entre telles formes mélodiques et telles dispositions psychiques, intervenant à un moment propice.

  • L’effet est bien plus fort lorsqu’il s’agit d’une musique (ou d’une parole) possédant un « pouvoir intrinsèque » (par exemple un air sacré, une mélodie traditionnelle, un verset du Coran). Tous les airs n’ont pas le même pouvoir latent, tout comme un brin de paille n’a pas l’aptitude à être lancé, quelle que soit la force avec laquelle on s’y applique.

  • Néanmoins l’effet intrinsèque peut être intensifié par l’interprète. Dans ce cas, il faut tenir compte de deux facteurs : l’un, apparent, consiste en l’art subtil de l’interprétation (élément fondamental de la musique d’art, comme nous le verrons plus loin) ; l’autre, impalpable, tient au rayonnement, au pouvoir personnel de l’interprète. Ce pouvoir est directement en rapport avec la personnalité morale, et en ce sens, la musique agit comme un révélateur du for intérieur de celui qui la pratique (aussi bien que de celui qui l’écoute). Comme « langage de l’âme », ou « nourriture de l’âme » (selon l’expression des soufis), la musique ne permet pas de mentir ; ainsi, plus l’âme de l’interprète est pure et parfaite, plus sa musique a un effet spirituel. Si certaines musiques agissent sur le corps et les instincts primaires, c’est en général parce qu’elles sont déviées par les auditeurs car, sauf exception, les musiciens sont considérés comme spirituellement plus clairs que la moyenne des mortels. C’est ainsi que la pratique de la musique traditionnelle se pare de vertus et se parfume de sainteté.

22A la limite, il semble que certains maîtres ou saints transmettent leur rayonnement par le support de la musique, mais sans que la forme apparente de la musique s’en trouve affectée d’une manière notoire. Ce cas est extrêmement rare et suppose également, semble-t-il, une certaine aptitude de la part des auditeurs ou récepteurs.

23Le charisme personnel est un aspect fondamental de l’effet de la musique, le plus mystérieux et le plus difficile à cerner par la raison et les sens extérieurs. C’est sans doute pour cela que ce qu’on appelle de nos jours « magnétisme personnel » est souvent traditionnellement lié à l’existence supposée d’êtres surnaturels qui assistent les personnes charismatiques. (Il existe toute une hiérarchie d’êtres invisibles, des djinns jusqu’aux anges et aux chérubins, sans omettre la muse des Grecs). De même, pour les exploits de certains « fakirs » (fuqārā), tels que l’immunité au feu et la lévitation, le censeur Ibn Taymiyya (m. 1328) invoque la participation des djinns, reléguant ces pratiques au domaine de l’idolâtrie et frappant d’anathème une importante catégorie de derviches (ME : 146).

24Quelle que soit la manière dont on interprète ces notions de forces invisibles, il reste qu’elles sont liées à des faits et des réalités très marquants, dépassant complètement le cadre de la normalité.

Les êtres invisibles

25La participation des « êtres invisibles » est parfois une des conditions mêmes du caractère sacré de la musique. Certains rituels peuvent même être envisagés comme des sortes de sacrifices sonores qui leur sont dédiés. Toutefois, l’intervention des invisibles n’explique pas le fonctionnement et l’efficacité de la musique, car on peut aussi bien dire que celle-ci est efficace en raison de leur présence, ou qu’au contraire c’est le pouvoir de la musique qui les appelle.

26Ainsi, explique un derviche kurde de l’ordre Qādirī : « Chaque formule de dhikr possède un maître (sāheb), un préposé (movakel), c’est-à-dire une entité, un ange qui lui est attaché en particulier, semblable au gardien invisible d’un lieu saint. C’est par ce préposé que le dhikr produit sa force spécifique ». Lorsque le chantre (khalife) joue et chante, il doit établir une relation avec le Trône divin (‘arsh). Alors les anges écoutent le tambourin (daf) et forment dans le monde invisible un cercle de dhikr, un jam’, et plus précisément une spirale cônique dont le centre pointe vers le haut, comme une ziggourat. Les anges dansent et chantent le long des courbes de cette spirale et le musicien doit se mettre en harmonie avec leur musique. C’est alors que l’effet du dhikr devient extraordinaire et que les forces spirituelles imprègnent tout le lieu. Il s’agit donc d’établir une harmonie entre la terre et le ciel et de faire circuler les énergies entre les deux plans afin de bénéficier des grâces du monde céleste » (MM : 284).

Le tawājud, le conditionnement

27L’intégration de toutes ces notions exige un certain effort, ou au moins une disponibilité du sujet et une activation mentale qui contribuent pour une bonne part à amplifier l’effet de la musique. Les anciens écrits soufis sur l’audition mystique préconisent une telle attitude, le tawājud, qui est la condition préliminaire de l’extase (ME : 110 sq.). Il s’agit à l’origine de se représenter par exemple les attributs divins, les merveilles du monde spirituel, le Jugement dernier, le paradis, le souvenir des saints, etc. Le sens des paroles chantées est aussi largement sollicité, car en général, il ne s’agit pas d’un langage plat et évident, mais d’une langue symbolique dont chaque mot peut se charger de sens variés et profonds. (Cette souplesse sémantique, ce flou est une des conditions de l’impact de cette poésie, chaque auditeur y trouvant son compte). Nous ne nous occupons pas pour l’instant des mélodies ou des supports verbaux censés posséder un « effet » en eux-même, mais seulement de la part active du sujet récepteur. Ghazzāli, le grand théoricien du soufisme note que les auditeurs persans entrent parfois en extase à l’écoute de chants en arabe ou en turc dont ils ne comprennent pas un mot. Ce fait s’explique parce qu’ils projettent dans les mots un sens qui s’accorde avec leur état affectif.

28Le degré le plus haut de ce déferlement du sens dans l’écoute est évoqué parfois de la façon suivante : en fait, toute créature (à part l’homme) est constamment en état de louange, de chant, de prière et de danse par amour pour le Créateur. Selon Jīlī (XIIe s.), lorsqu’il arrive au stade de purification et de domination de tous ses attributs humains, l’homme peut percevoir la Divinité par l’organe de l’ouïe spirituelle et entendre alors la voix de tous les êtres. Cette idée se retrouve dans toute la littérature mystique islamique (ME :50 sq.).

Fig. 2 : Seyyed Karim, chantre (khalife) de l’ordre des Qādīrī.

Fig. 2 : Seyyed Karim, chantre (khalife) de l’ordre des Qādīrī.

Sanandaj, Kurdistan iranien, 1983. Photo : Jean During.

29Avant de parvenir à ce stade, l’auditeur ne perçoit les sonorités mystiques des mondes que dans des éclairs fugitifs. Mais précisément, c’est le caractère fugace et éphémère de cette perception intérieure qui confère à l’extase son caractère propre. L’état dont il s’agit n’est pas la transe, mais le plus souvent une sorte de fulgurance sans épaisseur temporelle, bien différente également d’un état prolongé de méditation ou d’enstase. Dans cet état - appelle parfois waqt, instant - on perd son objet en même temps qu’on l’atteint (« trouver » étant un autre sens de wajd ou « enstase »). C’est à cette double détermination que l’extase dans le soufisme doit sa coloration ambiguë de joie suprême mêlée d’affliction. Sans nous étendre davantage sur cette question qui justifierait de très longs développements, qu’il suffise d’insister sur la préparation du sujet. Cette préparation peut être consciente, dans le cas d’un homme voué à la voie mystique, ou latente, dans le cas d’un sujet présentant des dispositions innées ; elle peut être délibérée, dans le cas du tawājud, l’effort imaginai, éventuellement soutenu par des mouvements ou des danses.

30Ainsi, tous les préparatifs préconisés aux adeptes (prières, ablutions, invocations, etc.) n’ont pas une simple valeur rituelle mais visent à ouvrir la voie aux états spirituels. Et pourtant, l’Esprit souffle où il veut, et c’est même lorsqu’il frappe le derviche à l’improviste, à son insu, que le choc est le plus violent. Ici, l’effet de surprise est interprété comme la marque de la pure transcendance divine, de la « grâce surnaturelle » comme disent les théologiens.

Le pouvoir des sons

Théories et idées reçues sur l’effet de la musique

31Du côté de l’Occident, les tentatives d’explications du pouvoir de la musique ne s’avèrent guère convaincantes lorsqu’on les étudie séparément. (Cf. à ce sujet la bonne synthèse de Rouget 1980 et MM : 593-608). Nous nous contenterons d’en évoquer les principales.

32Réfutons tout de suite la thèse avancée par A. Daniélou (1978 : 63) des propriétés intrinsèques de certains rythmes impairs (5, 7 ou 9 temps) qui auraient le pouvoir d’induire la transe. De fait, il semble au contraire que la large majorité des rythmes soufis soit à 4 temps (qawwālī indo-pakistanais), parfois à 6/8 (Iran). Les rares rythmes à 9 ou 10 temps se trouvent dans les rituels turcs mevlevi, (mais dans les phases les plus calmes) et ‘issawa du Maghreb (10 temps). Ceux à 7 temps sont par contre courants dans les confréries du Turkestan, mais pas dans les phases ultimes du dhikr.

33Par ailleurs l’affirmation (du même auteur) que des intervalles particuliers sont plus que d’autres porteurs d’un effet extatique relève d’une idéologie néopythagoricienne suspectée par les Anciens eux-mêmes. La comparaison d’un chant qalandari baloutche avec un āvāz persan suffit à démentir une telle affirmation : malgré les différences de leurs systèmes acoustiques, leurs éthos respectifs s’avèrent également efficace.

34La thèse de l’effet intrinsèque des battements de tambour ne vaut pas davantage. Malgré la présence fréquente de percussions, il est facile de trouver des contre-exemples comme les rites du jam’ des Alevi d’Anatolie, des Ahl-e haqq du Kurdistan, ou du genre qalandari du Baloutchistan qui se passent de percussion. D’un autre côté pourtant, il est difficile de nier l’impact de certains grands tambourins comme le daf des derviches Qādirī ou Rifā’ī. Toutefois, le volume sonore doit être pris en considération, ainsi que le fait que le rythme facilite le mouvement, en particulier les mouvements de dhikr dont nous parlerons plus loin. Ces rythmes simples mais puissants parlent au corps et demandent une réponse : il est plus facile de les suivre que de subir leur agression en leur résistant passivement. Cette modification de l’attitude et de la conscience normale est un premier pas vers d’autres états de conscience.

35On parle volontiers de danses extatiques, en sous-entendant que ces mouvements sont capables d’induire l’extase. Pourtant les soufis sont à peu près unanimes sur ce point : ce n’est pas la danse qui produit l’état de grâce, c’est le contraire (ME : 150 sq.) ; le vrai soufi ne danse ou ne s’agite que lorsque l’extase le saisit et qu’il ne peut plus ou ne veut plus se contrôler. Cependant, et il s’agit là d’un point important, les mouvements et la danse sont permis, voire recommandés aux débutants afin d’induire l’extase en imitant ses manifestations apparentes. De la même façon un hadith dit « Pleurez en entendant le Coran », impliquant qu’en se forçant au début, cela devient naturel par la suite. Il s’agit là encore d’une sorte de tawājud. D’une certaine manière, les mouvements du corps qui accompagnent certaines techniques du dhikr ne sont pas sans effets non plus, et constituent eux aussi une sorte de tawājud. (Ce terme possède à l’origine, le sens de « conditionnement imaginai », mais par la suite connote plutôt les « manifestations de l’extase » ou « l’extase excitationnelle ».)

36De fait, lorsque les derviches sont saisis par l’extase, il leur arrive souvent de se livrer intensément au mouvement de ces dhikr, de sorte que les deux éléments demeurent liés, formant un système circulaire. Certains dhikr s’accompagnent en effet de différents mouvements et de techniques respiratoires visant à faire circuler des énergies dans les centres psycho-spirituels (cœur, tête, estomac) ; ces mouvements peuvent être très discrets et complètement intériorisés, mais leur nature rythmée s’accommode bien des formes musicales. Ainsi le dhikr produit des effets psychosomatiques remarquables lorsqu’il est pratiqué avec une intense participation du corps : la respiration haletante crée une hyperventilation qui engendre un état dit « d’obnubilation » ; cet état favorise l’abandon des défenses psychiques et le « lâcher prise », amenant le sujet à des états de crise (MM : 177, 513). Des techniques très proches sont employées dans certaines méthodes psychothérapeutiques contemporaines (en particulier le rebirth).

37Malgré tout, il est douteux que ces mouvements, et encore moins ceux de la danse, aient un effet très puissant sur le psychisme. Du reste, les shaykh reconnaissent que le dhikr purement technique, sans mobilisation de l’intention, demeure vide de tout effet.

38Le réflexe conditionné a parfois également été invoqué. Il est vrai que certaines conditions sont toujours nécessaires afin que la musique produise un effet. Dans ce sens, l’audition est conditionnée par le moment, le lieu, et les participants, sans parler de l’intention, comme on l’a vu plus haut. Par ailleurs, il arrive qu’une mélodie ait produit un jour sur un sujet un effet particulièrement puissant, de sorte qu’à l’audition de cette mélodie il retrouve plus ou moins le même état. Bien entendu, rien ne dit qu’il s’agit bien d’un « réflexe » : le mécanisme peut très bien se bloquer pour des raisons connues ou non. De plus, un réflexe ne produit qu’un effet instantané alors que la transe dure parfois des heures. Enfin, la répétition des mêmes mélodies finit par les « user » comme disent les derviches, c’est pourquoi ils s’appliquent à renouveler le répertoire. En fait, ce qu’on appelle parfois réflexe conditionné relève souvent seulement du conditionnement, du tawājud : telle mélodie agit comme un signal et le sujet sait qu’il doit ou qu’il peut en principe y répondre.

  • 4 Sur cette question et sa relation avec l’audition musicale, cf. Watslawick 1980 : 28sq.

39Nous voudrions proposer par ailleurs une hypothèse d’interprétation basée sur la dichotomie fonctionnelle qui oppose le cerveau gauche et le cerveau droit. A chaque hémisphère sont dévolues des tâches totalement différentes et incompatibles, le gauche relevant du langage, de la rationalité, de l’analyse, le droit de la saisie immédiate, synthétique, symbolique et non verbale4. C’est aussi par cet hémisphère droit que s’exprime la pensée mystique, avec ses symboles et ses paradoxes ; c’est également lui qui est sollicité dans la plupart des psychothérapies. Certains points obscurs ou énigmatiques dans les formes musicales trouvent leur sens à la lumière du fonctionnement spécifique de cet hémisphère irréductible aux catégories rationnelles du langage. La musique parle quant à elle le langage elliptique du cerveau droit. D’autres éléments sont parfois mis à contribution pour activer cet hémisphère qui, dans le cadre quotidien, est généralement submergé par l’hémisphère gauche. En voici quelques exemples :

  • l’utilisation des parfums dans les rites musicaux des soufis, l’odorat étant directement et profondément lié au cerveau droit ;

  • l’aspect obscur et profondément symbolique de nombreuses paroles de chants extatiques, qui parfois semblent ne même pas se soucier de syntaxe, est typiquement en rapport avec le système du cerveau droit ;

  • citons aussi le caractère répétitif, obsessionnel du déroulement des performances, ainsi que l’ambiguïté rythmique qui relève de l’indécidable (par exemple, où se placent le premier temps, les temps forts ?).

Quelques traits caractéristiques des musiques extatiques du Moyen-Orient

40Antérieurement à toute analyse musicale, remarquons que les musiques à pouvoir se distinguent intuitivement des airs profanes ou de simple divertissement par une ambiance particulière, un climat, une saveur très difficiles à cerner par les mots. Nous avons souvent constaté que ce climat était décelable par les connaisseurs, même lorsqu’il s’agissait de traditions inconnues d’eux. Il est possible toutefois de préciser ces impressions.

Répétition et dhikr

41Un caractère fréquent dans ces musiques est une sorte d’ostinato rythmique qui est emprunté à une technique d’invocation sous forme de litanie orale ou mentale, le dhikr, dont les formules sont très variées en durée (bien qu’assez brèves), en rythme et en signification. Beaucoup de mélodies soufies sont marquées par la forme du dhikr. Dans certaines, le dhikr sert de support à une mélodie distincte. Dans d’autres, la mélodie prend son envol, mais l’auditeur averti peut sentir qu’il s’agit d’un support à la récitation du dhikr intérieur. Ainsi, à l’audition d’une mélodie, il est fréquent que le derviche se mette à réciter mentalement son dhikr personnel ou tout autre formule sacrée s’adaptant au rythme de la mélodie. Il s’agit d’une des formes les plus répandues d’écoute active, qui souvent ne se trahit pas par une attitude manifeste.

Répétition et structure globale

42Lorsque les caractères « extatiques » d’une mélodie ou d’un chant ne sont pas évidents, c’est dans le déroulement global d’une performance qu’apparaissent quelque élément caractéristique. Un des points importants de toutes ces musiques (à quelques exceptions près cependant), est leur caractère répétitif.

43Pourquoi la répétition ? pourquoi la réitération de brèves formules, voire d’effets acoustiques ? Pourquoi des rythmes courts ? Il semble que la perception de ces éléments présente quelques points communs avec les états mystiques. La répétition en musique est une manière de signifier la continuité d’un même état affectif. Durant tout le déroulement de la musique on a « vécu dans le même », on n’a pas été transporté d’un état à un autre, contrairement à ce qui se passe souvent dans les musiques d’art. Dans la musique profane, cette démarche est parfaitement appropriée à des visées sociales et culturelles : il s’agit d’assurer la cohésion du groupe, de régulariser le temps en le ritualisant, ou tout simplement de régler le déroulement d’une danse. Dans une musique de type mystique, la répétition correspond à une méthode spirituelle de concentration, d’unification, de méditation, comme on le voit par exemple dans le dhikr. Le hāl, cette touche de grâce, est un état fugitif par essence ; comment le prolonger un peu, si ce n’est en l’attachant à un phénomène contrôlable, modulable, prolongeable ? Lorsque l’état est atteint, la musique le fait durer. Cela suppose que cette musique présente une très forte cohérence expressive : unité de rythme, de tempo, de mode et de timbre. C’est ainsi que les possédés guāti du Baloutchistan s’agitent durant parfois plusieures heures à l’audition de deux ou trois mélodies. Dans les meilleurs cas ils acceptent d’autres mélodies, mais de caractère et de rythme très proches.

44Selon cette interprétation, la musique ne provoque évidemment pas l’extase, mais la maintient, la régularise. Le cas le plus fameux est celui de Mowlānā Rumi qui réunissait ses musiciens dès qu’il éprouvait un état de grâce, afin de le faire fructifier dans le chant et la danse. Mais en dehors de ces cas exceptionnels, comment la musique peut-elle opérer plus efficacement, à partir de rien d’autre qu’elle-même ?

45D’une manière générale, il convient donc de lier la musique à l’état initial de l’auditeur ; elle agira progressivement en partant d’un état affectif, d’une disposition spirituelle accessible, puis en modulant insensiblement cet état, de manière à le transformer, à l’amplifier et atteindre un sommet ; une fois ce sommet atteint, les sons et la musique se stabilisent. Ce schéma, que nous avons appelé mandala musical, correspond à la plupart des rites extatiques du monde islamique. On le retrouve dans beaucoup de formes de développement musical, même profane. (D’ailleurs la transe, l’extase ou le ravissement esthétiques existent à des degrés divers dans le domaine sacré aussi bien que profane). La meilleure illustration de cette structure est donnée par le rituel des derviches qādirī du Kurdistan.

Structure d’une séance de dhikr, le mandata musical

  • 5 Si on pouvait visualiser la pratique du dhikr, c’est certainement l’image du cercle qui s’imposerai (...)

46La figure du cercle (le mandata le plus simple)5 est présente à tous les niveaux du dhikr et équivaut à la fois à un psychogramme et à un cosmogramme (MM : 285 sq.). Le centre suprême de l’homme est la particule divine (zarre-ye zāt), enveloppée des différentes couches subtiles de l’âme (latā’if), elles-mêmes entourées des énergies vitales, lesquelles sont délimitées par le corps physique. L’essentiel des techniques spirituelles telles que le dhikr consiste à pénétrer ces couches afin de découvrir son propre centre absolu, la partie divine de soi. Ce travail est à juste titre assimilé à une « concentration », parce qu’il ramène progressivement l’être vers son centre. L’instrument privilégié de cette ascèse est le verbe, un mot, un dhikr.

47Ces dhikr ont des effets diversifiés : le premier, lāilāha illā ‘llāh, facilite l’abandon du monde illusoire, le passage de l’état de dispersion à celui d’unification (tafreqe, opposé à jam’, précisément). Le second dhikr majeur est Allāh, puis vient hayy (le Vivant) et hu (contraction de huwa, Lui, l’ipséité ineffable). Dans la pratique, ce ne sont plus des noms mais des souffles, des vibrations. Ils ne comportent plus d’articulation mais seulement la modulation d’une inspiration et d’une expiration. Le déroulement du rituel de la plupart des dhikr, peut se représenter par une série de cercles concentriques partant du plus large et culminant dans le plus petit, c’est-à-dire dans le point central. On passe des formules articulées, des phrases du wird à des formules de plus en plus brèves, simples, unifiées. Le dernier dhikr n’est plus articulé, il ne comporte plus d’éléments de contraste, de différenciation ; il se réduit à l’unité d’un souffle, comme le cercle se réduit finalement à un point. De même, il ne définit plus un cycle rythmique (4 ou 2 temps) mais une simple pulsation, un point pulsant.

48Les chants se succèdent dans un ordre correspondant à un resserrement du cycle rythmique (éventuellement aussi à une accélération) et à une alternance plus rapide des couplets. Les derniers chants sont très brefs et se rapprochent des dhikr. Leur sens va aussi en se contractant : on passe de la poésie, de la métaphore, des images et des symboles à l’invocation, à l’appel des saints. Le champ mental se concentre et l’on aborde naturellement la troisième phase.

49Les cycles rythmiques sont courts et se répètent de manière uniforme ou unifiée. Il n’y a plus de relation dialectique entre le chœur et le soliste, ni de dichotomie entre les auditeurs et les chanteurs. On approche de l’étape de l’unité. Cette approche se fait par des cercles de plus en plus courts, comme on l’a vu. Enfin, on peut considérer que les derviches atteignent le centre lorsqu’ils n’ont plus besoin du support matériel du dhikr et qu’ils sont plongés dans la force surnaturelle (qui les rend invulnérables aux traitements qu’ils s’infligent parfois). A ce stade-là ils ne pratiquent plus le dhikr, ils sont comme envahis par lui ou plutôt par l’essence qu’il invoque. C’est l’irradiation (tajalli) de l’essence qui donne son nom au rituel : hadra c’est-à-dire « présence », « manifestation », ou encore mahal-e zohur, « lieu épiphanique ».

50Parmi toutes les formes de concert soufi, certaines possèdent davantage que d’autres ces caractères « mandaliques », mais d’une manière générale, la plupart des musiques traditionnelles de l’Orient, dans leur déroulement global, peuvent être plus ou moins envisagée sous cet aspect.

51Une des légendes les plus répandues en Orient sur le pouvoir de la musique met en scène Fārābī, le grand philosophe et savant du Xe siècle, qui fut aussi un excellent théoricien de la musique. Par la seule magie de sa musique, il parvint tour à tour à faire rire son auditoire, puis à le faire pleurer, enfin à l’endormir. Selon certains musiciens, la leçon à tirer de cette légende est une autre illustration du principe du développement progressif de l’éthos musical.

52Le musicien a d’abord commencé à jouer les airs qui correspondaient à l’état général des auditeurs, puis, par des variations insensibles, à leur insu, il est parvenu à infléchir l’éthos dans le sens qu’il avait choisi. L’éthos de la musique initiale est le plus souvent passif et douloureux, arrachant des larmes aux participants ; au contraire, le sommet est atteint généralement dans la joie et le mouvement.

53On retrouve cette tactique dans les musiques soufies : même au sein d’une même pièce, il est fréquent (dans le genre qalandari baloutche par exemple), de réduire progressivement l’ambitus, de manière à finir sous la forme d’un dhikr.

54La forme de mandala est inhérente à la répétition dans la mesure où la répétition pure n’est jamais saisie comme telle dans la perception musicale : ou bien l’attention se fatigue et la formule mélodique perd progressivement son intérêt, ou bien elle se maintient et chaque répétition s’accompagne d’une intensification ; ou encore elle se relâche et se resserre par vagues successives, tout en maintenant la même disposition affective. Ainsi la répétition est inséparable de l’amplification et de l’orientation. Ici encore c’est l’esprit qui lui confère une direction, un sens, faute de quoi l’attention se relâche.

55Cependant, à un niveau plus restreint, dans le cadre d’un seul air, la répétition ne saurait évidemment constituer un critère pertinent. En Orient, toutes les musiques populaires ont plus ou moins un caractère répétitif. La différence tiendrait donc bien à la structure de l’enchaînement des mélodies, au programme musical complet, à la forme de mandala. Par ailleurs, il y a toutes les chances pour que la tournure de la mélodie soit un peu différente, disons plus extravertie, plus gracieuse, moins lancinante malgré sa répétitivité. Au sein d’une même culture, les airs sacrés se distinguent souvent des airs profanes par certains traits esthétiques qui peuvent être dégagés par une analyse serrée, mais qui, comme nous l’avons dit, se saisissent intuitivement. Par ailleurs, l’interprète, qui dispose d’une grande marge de liberté, peut contribuer à modifier l’éthos d’un air.

L’interprétation et la performance

56Un proverbe iranien dit : « Le chanteur, pas le chant », c’est la manière qui compte, non la forme. Certains musiciens soutiennent que toute mélodie peut produire de grands effets, à condition de la jouer d’une manière appropriée. Un derviche jouera autrement un air sacré ou un air profane. Il entrera dans une disposition différente qui modifiera l’ambiance de l’assemblée ; de même, la disposition des auditeurs modifiera la sienne et ainsi de suite, par un processus de feed-back qui peut amener le concert à un point d’ébullition. Le processus d’intention dans ces cas encore est fondamental.

  • 6 On consultera sur ce point une intéressante étude de ces interactions dans le qawwālī soufi indo-pa (...)

57Les psychologues s’efforcent de mettre en évidence les éléments non verbaux de la communication. Une phrase simple peut avoir plusieurs significations ou méta-significations, selon la manière dont on l’énonce ; beaucoup d’éléments doivent être pris en compte : le contexte, la distance entre les interlocuteurs, leur statut et position hiérarchique, leur culture, la durée des silences et les mouvements imperceptibles et involontaires. Tout cela contribue pour beaucoup à l’échange d’informations, et les artistes y sont très sensibles6.

L’ornementation et les différents plans de perception

58Une des fonctions de l’ornementation est de permettre de réitérer une même mélodie sans en diminuer l’intérêt et de favoriser le maintien ou l’amplification d’un même état. Toutefois, il ne s’agit pas seulement d’” agrémenter » la mélodie, mais de lui conférer ce que nous appelons une dimension de profondeur. L’ornementation est souvent poussée très loin, même dans les mélodies les plus simples ; son accès est difficile et comme caché par le plan apparent de la ligne mélodique dont il constitue le niveau intérieur (MM : 557 sq.).

59La signification profonde de l’ornementation suggère donc une superposition de différents plans de perception ou plans de lecture, qui est très liée à la vision mystique du monde. On pense aussitôt à la polyphonie qui présente aussi plusieurs plans de lecture simultanés, mais dans le cas de la musique du monde musulman (qui est délibérément monodique), la séparation des différents plans de perception ne se fait pas qu’au niveau mélodique. Citons par exemple le plan du rythme, marqué d’un côté par les percussions et de l’autre par la mélodie qui parfois s’y conforme, parfois s’en écarte, parfois est en phase, parfois hors phase ; citons l’association de la voix et de l’instrument qui n’est jamais conçue comme une simple superposition ; citons l’ensemble instrumental dans lequel chacun interprète ses propres ornements. Une autre différence est que ce dédoublement de la perception n’est pas nécessairement imposé par la logique de la forme musicale, comme dans la polyphonie ; il prend au contraire un relief particulier, du fait qu’il est sollicité seulement par moments au cours d’une performance. C’est un peu comme ces oasis de verdure qui en Orient apparaissent au milieu d’un paysage dépouillé : ce sont des moments particuliers de la performance, comme :

  • deux chanteurs qui unissent leurs voix ;

  • le dédoublement d’une mélodie à la quarte ou à la quinte ;

  • l’introduction d’un instrument accompagnant la voix ou d’un second instrument mélodique ;

  • un bourdon accompagnant par moment une mélodie (comme dans le ney des derviches turcs) ;

  • la scansion d’un ostinato mélodico-rythmique (genre dhikr) à l’arrière-plan d’une mélodie ;

  • l’apparition fugitive d’un mouvement harmonique ;

  • l’introduction de paraphrases, de variations dans lesquelles le thème reste identifiable en filigrane ;

  • une frappe à contre-temps ;

  • toute manière de faire apparaître l’ambiguïté d’un rythme.

60Ces événements survenant au cours d’une performance contribuent pour une bonne part à en relever l’intérêt, à en intensifier l’impact émotionnel. Ils peuvent même être des stratégies plus ou moins consciemment mises en œuvre par les musiciens.

61Par quel effet ce dédoublement de la perception produit-il un impact émotionnel ? C’est une question des plus délicates que nous posons aux psychologues et qui est sans doute liée elle aussi au fonctionnement du cerveau droit et gauche. Mais quoiqu’il en soit, nous sommes ramenés à la notion soufie d’intention comme facteur déterminant de l’expérience mystique (et sans doute esthétique). C’est l’intention qui donne le sens et la valeur aux choses afin de les reconduire à leur fondement, à leur origine. Tel est le sens de l’herméneutique des textes sacrés, du ta’wīl, de l’interprétation symbolique et finalement du tawājud imaginai. Dans cette perspective, le dédoublement de perception constitue un symbole de l’amphibologie de la réalité, de son double sens apparent et caché (zāhir et bātin), opposition fondamentale de la cosmologie islamique. C’est ainsi que l’étourdissement, le vertige sensoriel qui résultent de la scission des plans de perception, l’ambiguïté rythmique éprouvée jusque dans son corps peuvent être pour le sujet réceptif, transcendés, spiritualisés et perçus comme les prémisses de l’extase.

Stylisation de l’émotion

62Une autre manière plus directe d’agir sur le sujet est de lui communiquer une émotion dont on donnera d’abord une forme stylisée. De fait, ce qui frappe souvent les auditeurs occidentaux à l’écoute des musiques du monde arabe et iranien, c’est son caractère pathétique (reconnu généralement comme tel par les amateurs eux-mêmes). Si c’est bien par la forme pure que la musique exprime l’émotion, il existe cependant des procédés musicaux qui renforcent son pouvoir suggestif en imitant les sonorités de certaines émotions élémentaires, en particulier l’affliction et les larmes. Ces procédés sont bien connus des chanteurs religieux shi’ites qui célèbrent les saints Imāms et les martyrs de la foi. Ils se retrouvent naturellement dans les chants de derviches, lorsqu’il s’agit de signifier l’émotion. Il est aisé de constater que ces procédés sont suivis immanquablement par un regain d’enthousiasme ou d’émotion. Citons-en quelques-uns, tels que :

  • les inflexions dramatiques de la voix (fréquent chez les chanteurs religieux), suggérant les pleurs, la gorge nouée ;

  • l’accès au registre aigu, distorsion du refrain quelques notes au-dessus avant de terminer sur les mêmes notes ;

  • l’improvisation verbale, exclamations (haqq, hu, yā ‘Ali chez les derviches), interpolation de commentaires personnels (pas toujours sous forme musicale) ; ces procédés sont fréquents chez les qawwālī ;

  • l’intervention d’un chœur : la mobilisation soudaine de l’auditoire, sous l’injonction du chantre ;

  • l’accentuation du rythme, l’accélération ; le passage soudain d’un rythme à un autre.

Autres aspects

63Nous évoquerons brièvement quelques autres points dont l’importance nous est apparue au contact de ces « musiques à pouvoir » ou implicitement dans les propos des maîtres, dont nous avons pu vérifier ou expérimenter la portée.

Le plaisir

64Le principe de plaisir est à la racine de l’audition et de la pratique musicale, qu’il s’agisse d’un plaisir sensuel comme le suscitent beaucoup de musiques, d’un plaisir plus subtil d’ordre émotionnel, ou à la rigueur d’un agrément intellectuel. A quelque niveau qu’on l’envisage, la musique reste associée à ce principe. Le musicien ne peut y échapper et doit payer à la Beauté le tribut du plaisir qu’il doit dégager de sa gangue de trivialité et orienter vers un fin sublime.

65Bien que certaines conceptions de la musique aient abouti (en particulier en Occident) à la réification totale de l’œuvre musicale, il est douteux que la musique pure puisse parler par elle-même indépendamment de celui qui la joue, comme le ferait une boîte à musique ou un ordinateur. Celui qui s’ennuie à sa propre musique ne pourra jamais captiver l’auditeur. De la même manière, celui qui ne maîtrise pas tous les aspects de sa musique (comme un orateur maîtrise la langue), ne saura convaincre son auditoire ; ou encore, celui qui narre l’aventure d’un autre ou expose un savoir de deuxième main ne persuadera jamais aussi bien que celui qui relate sa propre expérience. Il est donc important que l’interprète prenne personnellement un extrême plaisir à sa musique. Non pas seulement en contemplant les formes sonores qui se déploient dans le temps, mais en en goûtant tous les détails, en s’enivrant de sa sonorité, en s’émerveillant d’un ornement, et en se délectant du geste qui le suscite. Ainsi, bien que les formes sonores soient les plus abstraites des formes, le corps aussi y prend pleinement sa part. Et c’est peut-être cette adéquation entre le geste et la pensée qui confère à l’expérience musicale son intensité inégalable.

Le geste

66Le geste peut être en lui-même porteur d’une énergie de type psychique, comme l’expliquent les théories des arts martiaux d’Extrême-Orient. Selon certains derviches kurdes, le geste ou le souffle mobilise une force vitale (sans doute l’équivalent du qi chinois), située au niveau de l’estomac, qui se libère avec le contact de la main sur l’instrument (le tambourin daf) ou l’émission vocale. Cette énergie est véhiculée par le son musical et touche l’auditeur auquel elle transmet son effet. Il est probable qu’elle réveille à son tour une énergie du même ordre, favorisant une modification de l’état psychique. L’essentiel de l’art du chanteur et du percussionniste tient à la circulation de cette énergie. A un niveau moins ésotérique, tous les maîtres suivent plus ou moins intuitivement les mêmes principes.

La maîtrise du temps

67Maîtriser le rythme signifie que chaque note tombe avec la plus grande précision au moment optimum, sans que jamais l’interprète ne laisse transparaître ni hâte ni retard, ni hésitation ni automatisme, ni angoisse ni indifférence, ni raideur ni relâchement. Lors de l’acte musical, le temps et le tempo trahissent les moindres fluctuations de l’attention ou de l’intention. En ce sens sa maîtrise rejoint celle du geste évoquée plus haut, car elle seule donne au son sa pleine signification, sa beauté et sa plénitude. La différence entre le jeu du maître et celui de l’élève se situe souvent à ce niveau là. Les maîtres recommandent une certaine pesanteur, une assise, une lenteur dans le jeu qui sont certainement en rapport avec les qualités morales et psychiques de maîtrise de soi.

La langue

68Les anciens théoriciens du Moyen-Orient, comme Fārābī ou al-Kātib, rattachaient toujours l’effet de la musique au verbe, et Ghazzālī considérait comme un mystère le fait que la musique pure puisse exprimer quelque chose. La connexion avec la poésie est en effet un facteur déterminant, et l’on peut admettre avec eux que c’est dans son association avec la parole que la musique acquiert sa plus grande force et sa perfection. Toutefois l’utilisation de la poésie suppose plusieurs conditions :

  • Une langue au premier degré, exprimant les choses telles quelles, de front, ne saurait être utilisée que dans des contextes très particuliers. En règle générale, il faut préserver la liberté du sujet et ne pas lui imposer un sens, afin qu’il accède de plein gré au sens qui lui convient (MM : 231-3). C’est pour cette raison que la poésie utilise des symboles, des allégories, des images.

  • L’auditeur doit posséder une culture ou sensibilité poétique et une aptitude à interpréter les symboles mis en œuvre dans le texte. Bien entendu, certains symboles ont une résonance universelle, touchent les sphères de l’inconscient collectif et se retrouvent d’une culture à l’autre.

  • Toute langue n’a pas la même aptitude à rendre les émotions ou à raisonner abstraitement ; il faut donc tenir compte du génie de la langue, de ce qu’elle excelle à exprimer. Jamais une traduction du Coran ou d’un ghazal de Mowlānā Rūmī, ne transmettra l’effet que ces textes produisent sur ceux qui les saisissent dans leur langue originelle.

  • Enfin il faut que la langue et les mots ne soient pas « usés », n’aient pas perdu leur force symbolique par un emploi excessif.

Fig. 3 : Zikr de l’ordre des Qādīn.

Fig. 3 : Zikr de l’ordre des Qādīn.

Sanandaj, Kurdistan iranien, 1983. Photo : Jean During.

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Bibliography

BURCKHARDT-QURESHI Regula
1986 Sufi Music of India and Pakistan. Sound, context and meaning in Qawwali. Cambridge : Cambridge University Press.

DANIELOU Alain
1978 Sémantique musicale. Paris : Hermann.

DURING Jean
1988 Musique et extase. L’audition spirituelle dans la tradition soufie. Paris : Albin Michel.
1989 Musique et mystique dans les traditions de l’Iran. Paris : IFRI-Peeters.

GHAZZALI Abû Hamid
1975 Kimiyā-esa’ādat. Téhéran : Éd. H. Khedivjem [1354].

ROUGET Gilbert
1980 La musique et la transe. Paris : Gallimard.

SAFIUDDIN ‘Abd al-Mu’min
1967 Behjāt al-ruh. Téhéran : Éd. Rabino de Borgomale [1346] [apocryphe].

SAFVAT Dariouche
1984 « Musique et mystique » (trad, et notes de J. During). Études Traditionnelles 483 : 42-54 et 484 : 94-109.

WATZLAWICK Paul
1980 Le langage du changement. Paris : Seuil.

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Notes

1 ME : During 1988 ; MM : During 1989.

2 Dans ce cas précis, séance d’invocation collective. Dhikr se prononce « zikr » ou « zekr » dans l’islam non arabe. Les concepts arabes tirés du contexte culturel iranien sont transcrits ici selon le système persan.

3 En arabe : athar. Le concept d’asar renvoie à une conception globale qui privilégie les échanges d’influences entre tous les êtres et objets qui remplissent le monde visible et invisible. La connaissance de ces interactions permanentes et de leur économie, limitées aux préoccupations existentielles fondamentales du sujet, constitue la base d’un comportement juste, en accord avec les lois spirituelles, et donc susceptible d’amener le sujet au salut éternel. En un mot, toute chose possède un ou des « effets » ou « influx » (asar) à des titres divers : une pierre, un lieu, une plante, un objet, une parole, un regard, une pensée (en particulier les paroles et pensées des saints), une mélodie.

4 Sur cette question et sa relation avec l’audition musicale, cf. Watslawick 1980 : 28sq.

5 Si on pouvait visualiser la pratique du dhikr, c’est certainement l’image du cercle qui s’imposerait à l’esprit. Cette image est légitime dans la mesure où presque tous les mystiques musulmans ont choisi cette figure comme symbole de la divinité. L’Etre a la forme d’un cercle ; l’essence est un point qui produit un cercle ; le mouvement de la création est circulaire, descendant depuis le haut du cercle (ghawth-i nuzūtī) et remontant à Dieu depuis le bas du cercle (ghawth-i su’ūdī). Selon d’autres sources, Dieu est un point qui, en tournant, crée le monde. La structure circulaire régit aussi la disposition des adeptes du rite du dhikr qui « forment un cercle » (halqe bastan), au centre duquel se place parfois le shaykh, le qutb.

6 On consultera sur ce point une intéressante étude de ces interactions dans le qawwālī soufi indo-pakistanais par Regula Burckhardt-Qureshi 1986.

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List of illustrations

Title Fig. 1 : Derviches de l’ordre des Ne’matollāhi écoutant le chant et le ney au mausolée de Shāh Ne’matollāh Vali.
Caption Mahān, Iran, 1981. Photo : Jean During.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/docannexe/image/2381/img-1.jpg
File image/jpeg, 780k
Title Fig. 2 : Seyyed Karim, chantre (khalife) de l’ordre des Qādīrī.
Caption Sanandaj, Kurdistan iranien, 1983. Photo : Jean During.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/docannexe/image/2381/img-2.jpg
File image/jpeg, 1.5M
Title Fig. 3 : Zikr de l’ordre des Qādīn.
Caption Sanandaj, Kurdistan iranien, 1983. Photo : Jean During.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/docannexe/image/2381/img-3.jpg
File image/jpeg, 752k
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References

Bibliographical reference

Jean During, L’autre oreilleCahiers d’ethnomusicologie, 3 | 1990, 57-78.

Electronic reference

Jean During, L’autre oreilleCahiers d’ethnomusicologie [Online], 3 | 1990, Online since 15 October 2011, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/2381

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About the author

Jean During

Né en 1947, est docteur ès-Lettres et chercheur au CNRS. Il est l’auteur de nombreuses publications sur la musique orientale. Après une formation en musique occidentale et en philosophie, il a abordé la culture iranienne. Au cours d’un séjour de neuf ans en Iran (1972-1981), il a appris la musique persane en fréquentant les grands maîtres de la tradition. Ses recherches couvrent des aspects très divers, aussi bien historiques que purement musicologiques (La musique iranienne, tradition et évolution, Paris, 1984), mais il s’est particulièrement attaché à éclairer les relations entre la musique, la pensée traditionnelle et le sacré (Musique et mystique dans les traditions de l’Iran, Paris, 1989 ; Musique et extase, l’audition mystique dans la tradition soufie, Paris, 1988). Ses recherches l’ont poussé également vers l’Asie Centrale et l’Azerbaïjan (La musique traditionnelle de l’Azerbāyjan et la science des muqāms, Baden-Baden, 1988)

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