Cuba — Les danses des dieux. Musiques de cultes et fêtes afro-cubains
Cuba — Les danses des dieux. Musiques de cultes et fêtes afro-cubains. Enregistré in situ par Herman C. Vuylsteke. Paris : OCORA, 1988.
Texte intégral
1Les musiques rituelles noires se sont généralement mieux conservées à Cuba que dans beaucoup d’autres pays du Nouveau Monde, et cet enregistrement — premier compact de musique cubaine, à ma connaissance — nous offre un échantillonnage des musiques des principaux groupes ethniques d’origine africaine, dont les liturgies ont survécu dans l’île. Sont également inclues deux rumbas : un guaguancó et une columbia. Ensemble de danses et de musiques profanes, la rumba descend notamment, sur le plan chorégraphique, de danses bantoues dont la yuka, danse de fertilité, et la makuta, danse de guerre.
2Les plages consacrées au culte arará (déformation du rada dahoméen) et au culte vaudou de Cuba me semblent particulièrement intéressantes, car il n’en existe pratiquement pas d’enregistrements, alors qu’on en trouve plusieurs des tumbas francesas, groupes également d’origine haïtienne de la région d’Orienté, mais dont la musique n’est pas religieuse. La comparaison entre la musique arará de Cuba et celle du vaudou haïtien s’avérera certainement riche d’enseigmements pour les ethnomusicologues.
3Si la qualité technique des enregistrements est excellente, la notice explicative est malheureusement truffée de fautes d’orthographe, de lourdeurs et d’inexactitudes. Les nombreuses maladresses de français auraient, me semble-t-il, facilement pu être corrigées par un éditeur. De nombreux mots, Rumba par exemple, sont écrits avec une lettre majuscule, alors que cela ne se justifie pas. Et si l’on décide d’adopter l’orthographe espagnole des mots africains, comme Vuylsteke le fait par exemple pour iremé, il convient alors d’écrire lucumί (et non lucumies), arará (et non Ararâ), carabalí (et non carabali), Ogún, et non Oggun, Eleguá, et non Ellegua, yá, et non yà, etc.
4Voici, enfin, quelques exemples d’erreurs factuelles : les couleurs d’Oggún (dont l’avatar chrétien est saint Pierre et non saint Jean-Baptiste), sont le vert et le noir, non pas le rouge qui est la couleur de Changó. Un peu plus loin nous lisons : « cela explique pourquoi les croyants Lucumies ou Palo-Monte sont souvent membres de plusieurs confréries et qu’ils visitent assidûment les églises catholiques ». Les églises catholiques, ou autres, sont loin de pulluler dans la Cuba d’aujourd’hui, et ceux qui s’adonnent ouvertement à l’« opium du peuple » sont loin d’entrer dans les bonnes grâces du Parti. D’autre part, la santería ayant récupéré (en les transposant sur un autre registre) des éléments de christianisme, elle se suffit souvent à elle-même, et il n’est pas rare de voir, sur les autels de santeros, la Vierge Marie voisiner avec les offrandes aux dieux yorubas.
5Nous lisons un peu plus loin : « nous avons voulu illustrer la danse populaire par excellence, la Rumba, par deux exemples, qui se rattachent plus ou moins directement aux cultes africains, via les Tambors yuka et la danse des Iremés de l’association secrète Abakwa ». Une poule retrouverait difficilement ses petits dans cet imbroglio. Si, comme nous l’avons mentionné plus haut, des éléments chorégraphiques de la yuka sont passés dans certaines formes de rumba, notamment, en ce qui concerne le guaguancó, le vacunao, ou mouvement pelvique, la musique des tambores (et non pas tambors) de yuka diffère de celle de la rumba. Quant aux iremés des Abakwa (les Abakwa ne sont pas une association secrète mais un groupe ethnique originaire du sud du Nigeria, qui s’est constitué en plusieurs confréries secrètes, et les iremés, qui existent encore du côté africain sont des figures costumées et masquées représentant les ancêtres), leurs danses sont, elles aussi, distinctes de la rumba, bien que certains mouvements de danses abakwa se soient parfois glissés dans la rumba columbia.
6Nous lisons encore : « malgré certaines différences, entre autres dues aux idiomes employés, il y a une grande unité de style : polyrythmies, polytimbres des percussions et alternance des chants soliste-choeur ». Différences et unité de style entre quoi et quoi ? Vuylsteke ne le précise pas. Je passe sur d’autres zones d’ombre et inexactitudes pour en venir à la rumba. Là encore, l’orthographe défaille : Guanabocoa au lieu de Guanabacoa, « cajot » au lieu de « cageot ». Quant à cascara (qui s’écrit cáscara), le mot ne désigne en aucun cas un musicien mais un rythme, joué avec une baguette, soit sur le côté d’un tambour ou sur un autre instrument dans le guaguancó, soit joué avec la main droite aux timbales, tandis que la main gauche marque la clave.
7On lit enfin : « des nombreuses anciennes formes de la rumba comme jiribilla, palatino, resedà, Mamà’buela, manunga et même yambu, aucune n’a survécu en dehors du théâtre ». Si le yambú n’est pas fréquemment dansé, on le joue non seulement à Cuba mais à New York, où l’interprètent des percussionnistes tels que l’Américain Gene Golden ou Jerry González, d’origine portoricaine.
8Que les faiblesses de la notice explicative ne découragent cependant pas les auditeurs d’acquérir ce compact : les musiques afro-cubaines sont parmi les plus fascinantes du monde noir. Ce compact, présenté de manière élégante et sobre, perpétue la qualité de la collection OCORA telle que l’a conçue Pierre Toureille.
Pour citer cet article
Référence papier
Isabelle Leymarie, « Cuba — Les danses des dieux. Musiques de cultes et fêtes afro-cubains », Cahiers d’ethnomusicologie, 2 | 1989, 308-309.
Référence électronique
Isabelle Leymarie, « Cuba — Les danses des dieux. Musiques de cultes et fêtes afro-cubains », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 2 | 1989, mis en ligne le 15 septembre 2011, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/2368
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