Roger J.V. Cotte. Musique et symbolisme, résonances cosmiques des œuvres et des instruments
Roger J.V. Cotte. Musique et symbolisme, résonances cosmiques des œuvres et des instruments. St-Jean-de-Braye : Dangles, 1988, 238 p., nombreuses illustrations et tableaux (noir et blanc)
Full text
1Il existe de nombreux ouvrages sur le symbolisme en général, mais rares sont ceux qui traitent de ses liens particuliers avec la musique. Raisonné, bien documenté, agréable à lire et au surplus muni d’une abondante iconographie en noir et blanc, le livre de Roger Cotte est à cet égard des plus précieux, du moins à titre d’introduction, car il est évident que l’on ne peut faire le tour de la question en 230 pages. En effet, le symbolisme entretient de multiples rapports avec la musique, et bien qu’on hésite à suivre l’auteur lorsqu’il affirme que « chez nous ces rapports sont sans doute plus complexes et aussi plus complets qu’ailleurs » (9), force est de reconnaître que le sujet est difficile à appréhender. Comment faire entrer dans un ensemble cohérent des données aussi disparates que l’expérience d’un Messiaen qui, drogué, voyait les sons et entendait les couleurs, des considérations sur le blason, dont le terme dérive de l’allemand blasen, « souffler » (le héraut d’autrefois « blasonnait » un chevalier en sonnant de la trompe et en décrivant ses armes pour l’annoncer), et des remarques sur l’alchimie décrite comme l’Art musical par ses adeptes qui faisaient figurer de nombreux instruments sur leurs représentations allégoriques à la Renaissance ?
2Le premier mérite de R. Cotte est par conséquent d’avoir su intelligemment diviser la matière en chapitres bien définis, sans omettre, le cas échéant, de renvoyer le lecteur de l’un à l’autre, tout en offrant un parcours clair et facile à suivre. Ainsi, partant de l’Antiquité, il examine d’abord les théories pythagoriciennes (ch. I) et le concept de « musique des sphères », une dénomination qui semblerait venir d’une confusion des termes sphaira (sphère) et sphyra (marteau), cet outil ayant été employé dans une expérience fameuse et d’ailleurs mal interprétée pendant des siècles, lors de laquelle on frappait des enclumes de volume variable pour produire différents sons. Dans ce chapitre, l’auteur fait encore large usage d’un traité du XVIIe siècle, dû au Père Mersenne, qui contient d’intéressantes vues sur les rapports entre musique et astronomie, par association des intervalles et des planètes notamment.
3Le deuxième chapitre est consacré aux relations entre les sons et les couleurs, un thème qui a une longue histoire et qui semble avoir suscité, surtout à l’approche de l’époque contemporaine, un certain nombre de recherches individuelles plus ou moins ignorantes des théories du passé. Les chapitres III et IV traitent respectivement les questions des modes mélodiques et des rythmes, retraçant l’évolution de ces éléments de la musique grecque au Moyen Age et à la Renaissance. R. Cotte rappelle ici l’essentiel de la rhétorique musicale qui combine tel mode ou telle tonalité avec tel sentiment ou telle occasion précise, la même démarche étant suivie pour les rythmes, issus des structures métriques de la poésie grecque. Les musiciens du Moyen Age ont, certes, utilisé ces données théoriques de façon bien différente que les Anciens, créant une confusion dans les termes et jouant une musique non directement comparable, mais ils ont gardé la distinction fondamentale entre les deux rythmes de base, le « parfait » (ternaire) et l’« imparfait » (binaire), accordant une valeur masculine au premier et féminine au second.
4Après un court aperçu des valeurs symboliques des voix (ch. V) où, entre autres correspondances et selon une tradition rapportée par Mersenne, les quatre voix de soprano, contralto, ténor et basse sont rapprochées respectivement du feu, de l’air, de l’eau et de la terre, l’auteur en vient aux instruments de musique (ch.VI) dont le symbolisme est doublement lié à la matière (ou aux différentes matières) qui les constitue et à la forme qu’ils affectent. Ce chapitre va de pair avec le onzième et dernier, intitulé « Dictionnaire symbolique des instruments de musique » (40 pages), qui, tout en reprenant et en classifiant un grand nombre de données éparpillées dans l’ouvrage, en synthétise l’apport peut-être le plus intéressant et le plus original. Roger Cotte s’est également appliqué lui-même à reconstituer des répliques d’instruments disparus qu’il illustre à l’aide de photographies.
5Particulièrement denses et passionnants, les chapitres VII et VIII qui forment une unité, donnent diverses interprétations symboliques d’une vaste iconographie allant des sculptures des cathédrales aux cartes du tarot, en passant par la peinture et le blason, partout où apparaissent des instruments de musique. Le symbolisme musical se mêle à la théologie, à l’astrologie, à l’héraldique et à l’alchimie notamment. Citons l’exemple extrêmement fréquent de la harpe et du luth, figurant le soleil et la lune et à ce titre souvent mis en opposition. Dans un autre registre, la cornemuse avec sa « bourse » et son tuyau est un symbole sexuel notoire. Toutefois, dans une fresque analysée en détail par l’auteur, sur la voûte de la crypte de la Collégiale de Saint-Bonnet-le-Château, cet instrument représenterait le signe des Gémaux, sans doute en raison de son mécanisme à air et du fait qu’il produit deux sons simultanés. A ce propos, sachons gré à R. Cotte d’être toujours prudent et réservé lorsque sa « théorie » préconçue lui impose, çà et là, une lecture relativement subjective des faits.
- 1 Roger Cotte est, entre autres, l’auteur de La musique maçonnique et ses musiciens. Paris : Borrego (...)
6Le chapitre IX traite de l’usage des instruments dans les liturgies occidentales et fourmille d’anecdotes et d’informations utilement rassemblées. Sait-on par exemple que Pie X, le grand réformateur moderne du chant liturgique qui réaffirma la prééminence du grégorien, interdit formellement l’emploi du piano dans la liturgie ? Et que Pie XII, lui-même violoniste amateur, réhabilita le violon, longtemps déconsidéré pour la simple raison, semble-t-il, que ses cordes étaient prétendument confectionnées au moyen de boyaux de chat, un animal souvent associé au diable ? L’auteur examine également les usages musicaux des francs-maçons et des Rose-Croix, deux sociétés qu’il connaît particulièrement bien1.
7Enfin, R. Cotte se livre (ch. X) à une série d’analyses de diverses musiques symboliques, empruntant ses exemples de l’Antiquité jusqu’à l’orchestre symbolique (et imaginaire) d’Alfred Jarry, en passant par les chants du Paroissien romain destinés à « demander la pluie » ou à « demander le beau temps » et des compositions de Couperin, Bach, Mozart et Beethoven, ces deux derniers étant, à l’instar d’un Monteverdi, en relation avec la Franc-Maçonnerie. Ce faisant, il met implicitement en évidence le rôle de catalyseur que jouèrent, dès la Renaissance et jusqu’au début du XXe siècle, plusieurs sociétés initiatiques qui, face à la montée du matérialisme et du modernisme, faisaient feu de tout bois en matière symboliste et qui préservaient ainsi des éléments précieux d’une disparition complète.
8A leur suite, R. Cotte se réfère constamment à la Tradition (terme qu’il écrit avec un T majuscule), un concept qui dans le présent contexte demanderait à être mieux précisé, tout comme le titre de l’ouvrage d’ailleurs, qui ne laisse guère voir qu’il s’agit d’une étude consacrée au symbolisme dans la musique européenne seulement. En effet, la culture occidentale, au sens large du terme, recueille, du moins partiellement et à des degrés divers, l’héritage de « traditions » nombreuses, grecque, égyptienne, romaine, hébraïque, celte, germanique, chrétienne, islamique, pour ne mentionner que les plus évidentes, et l’on peut légitimement se demander ce qui, dans le cadre du symbolisme, fonde cette référence univoque à la Tradition avec un grand T. On se le demdande d’autant plus à la lecture de Musique et symbolisme que cette définition manquante est nécessaire pour bien juger de la valeur des symboles — si le terme est toujours correct — et des courants culturels situés en dehors de ladite Tradition. Que « vaut », par exemple, artistiquement ou spirituellement parlant, la tentative du compositeur et théosophe russe Scriabine qui voulut associer sons et couleurs en fonction du cycle des quintes et de la division duodécimale de l’octave ? Par rapport à la gamme tempérée qui en découle, l’auteur fait remarquer immédiatement après (34) que ce n’est « à proprement parler, qu’une hérésie acoustique et musicale ». Mais hormis cet anathème lancé au passage et malgré le grand cas qu’il fait de la Tradition, R. Cotte n’apporte aucun élément explicite permettant de juger ce qui différencie, sur le plan symbolique, l’art d’un Scriabine de celui d’un Palestrina, pour ne citer qu’un nom, puis de ce qui fait l’essentiel de la musique (ou des musiques !) traditionnelle(s), thème central s’il en est pour les lecteurs des Cahiers de musiques traditionnelles !
9Ailleurs (43) il est question brièvement du dodécaphonisme qui selon certains, dit Cotte, « est l’image ou le symbole [...] de la future société égalitaire ». Bien que l’on ne puisse reprocher à un auteur de n’avoir pas été exhaustif, une réflexion plus approfondie sur la nature des courants musicaux modernes n’eût pas été déplacée dans un ouvrage traitant du symbolisme musical et se terminant un peu en queue de poisson sur Alfred Jarry. Il fallait, soit s’arrêter plus tôt, soit dire un mot de quelques-uns des aspects les plus caractéristiques de la musique contemporaine, comme la musique sérielle qui pousse le dodécaphonime dans ses derniers retranchements, ou encore la musique concrète. Enfin, le rock fait un usage abondant et notoire d’un symbolisme satanique. Cela n’est sans doute pas tout, mais le critère de Tradition implique de voir dans l’histoire récente un mouvement de réaction anti-traditionnel dont Cotte esquisse l’amorce mais qu’il aurait pu au moins survoler pour mettre en évidence a contrario les principes du symbolisme musical occidental.
10Cette réserve mise à part, l’ouvrage de Roger Cotte ouvre d’intéressantes perspectives et nourrit amplement la réflexion sur un sujet délicat. A cet égard, un index en fin de volume ainsi qu’une qualité d’illustration supérieure eussent été souhaitables.
Notes
1 Roger Cotte est, entre autres, l’auteur de La musique maçonnique et ses musiciens. Paris : Borrego, 1987 ; et de Musiciens francs-maçons à la cour de Versailles et à Paris sous l’Ancien Régime, Thèse de doctorat d’Etat, 1982 (en préparation).
Top of pageReferences
Bibliographical reference
Dominique Wohlschlag, “Roger J.V. Cotte. Musique et symbolisme, résonances cosmiques des œuvres et des instruments”, Cahiers d’ethnomusicologie, 2 | 1989, 270-273.
Electronic reference
Dominique Wohlschlag, “Roger J.V. Cotte. Musique et symbolisme, résonances cosmiques des œuvres et des instruments”, Cahiers d’ethnomusicologie [Online], 2 | 1989, Online since 15 September 2011, connection on 14 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/2355
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