À propos du compte rendu des deux volumes de Chants populaires de la Grande Lande, de Félix Arnaudin
Texte intégral
1Dans le précédent volume des Cahiers de musiques traditionnelles, Eliane Gauzit et Pierre Bec ont produit un compte rendu concernant les deux tomes des Chants populaires de la Grande Lande de Félix Arnaudin, auxquels j’avais participé. Dans ce texte ils m’accusent de manque de rigueur scientifique et de négligence dans mon travail d’édition des chants collectés par Arnaudin. Ce n’est pas la première fois qu’ils s’en prennent à moi à ce sujet, puisqu’ils ont publiquement émis leurs critiques à l’occasion d’un récent colloque organisé par la F.A.M.D.T. (Clamecy, 27-28 octobre 2000). J’avais alors répondu en argumentant afin de les convaincre de leur erreur, mais cela n’a pas suffi semble-t-il, puisqu’ils réitèrent par écrit. Voici donc ma réponse :
2Je remarque en premier lieu qu’Eliane Gauzit et Pierre Bec ne disent presque rien sur les deux introductions que j’ai écrites pour les deux volumes de chants, et notamment sur la première qui apportait des éclaircissements sur les travaux d’Arnaudin. Cela indique bien leur parti pris. En revanche, concernant l’établissement des chants, ils ne voient partout qu’erreurs et fourvoiements. Certes, je ne prétends pas à la perfection, et je veux bien reconnaître de petites erreurs comme par exemple l’oubli de la double barre de mesure sur la partition de la page 65 du deuxième tome. Et je n’accuserai pas le correcteur pour me dédouaner, ce serait trop facile.
3Un autre problème selon Gauzit et Bec est le fait que j’ai précisé avoir respecté les manuscrits de F.A., en ne portant pas les paroles directement sous la mélodie lorsque F.A. ne l’avait pas fait, mais que je n’ai pas respecté ma propre parole en inscrivant le texte sous la partition à la page 100 de ce second volume. Il est vrai que j’ai bien porté le texte sous la ligne mélodique, mais pour l’établissement de ce chant, comme pour de nombreux autres, qui avaient été réédités en 1970 par Suzanne Wallon et Jacques Boisgontier, j’ai dû me contenter de reproduire leur travail, car il m’a été très difficile de consulter les manuscrits de F. A. La consigne était que, vu leur fragilité, il fallait éviter au maximum de les examiner. Si donc il y a eu erreur, elle n’est pas de mon fait, mais de Boisgontier et de Wallon. Donc, pour l’ensemble des chants édités en 1970, je me suis contenté de reproduire l’ouvrage publié. Une seule exception à cela : elle concerne les chants qui avaient été donnés par Boisgontier et Wallon avec des alternances de mesures à deux et trois temps, chose qui m’a semblé curieuse. Comme ces alternances de mesures n’étaient pas dans les manuscrits de F. A., j’ai rétabli les mesures données par le folkloriste. Ce rétablissement n’a pas plu du tout à Boisgontier qui m’en a voulu et, à partir de ce moment-là, nos rapports sont devenus difficiles. Je répugne à dire cela, du fait de la disparition de Jacques Boisgontier, mais, vu l’acharnement de E. Gauzit et P. Bec, je dois m’y résoudre. De plus ce fait permet de mieux comprendre l’attitude de ces derniers, qui étaient tous deux - faut-il le préciser ? - grands amis de Boisgontier. On est bien en plein règlement de comptes. Donc, avant de m’accuser de manque de rigueur scientifique, il faudrait y regarder de plus près. Car aucune explication valable ne peut être trouvée concernant ces alternances de mesures éditées en 1970. En outre, d’autres divergences sont apparues, notamment sur le problème de la graphie de l’occitan, qui est le suivant : Arnaudin avait mis au point une graphie particulière pour rendre compte du parler de la Grande Lande, allant même jusqu’à faire fondre des caractères d’imprimerie spéciaux pour les diphtongues (ceux qui possèdent l’édition originale du tome 1 de 1912 le savent bien). Comme il s’agissait de rééditer l’œuvre de F.A., j’avais demandé que soit respectée la graphie qu’il a élaborée et utilisée, pour bien rendre compte du souci de rigueur scientifique du folkloriste. Boisgontier s’y était fermement opposé, et son statut de spécialiste de la langue occitane lui a permis d’avoir gain de cause. Donc la publication des textes a été faite en graphie normalisée. Ce qui, il faut en convenir, n’est pas de la plus grande rigueur scientifique, puisque l’œuvre de F.A. est trahie car amputée de ce qui était une véritable innovation. Et cela, E. Gauzit et P. Bec se gardent bien de le dire dans leur compte–rendu des deux volumes de chants. De même qu’ils taisent le fait que Boisgontier a refusé de corriger les transcriptions que j’ai faites des paroles sous les partitions, car il m’en voulait pour les deux raisons indiquées ci-dessus. Le « on sait que L. Mabru n’a guère tenu compte de la collaboration de J. Boisgontier » de Gauzit et Bec, qui est tout à fait mal venu, s’explique mieux, d’autant plus qu’ils ne savent rien, puisqu’ils n’étaient point présents. C’est sans doute une des raisons de leur acharnement, ce qui se comprendra là aussi bien mieux lorsque l’on saura que Pierre Bec m’a dit qu’il regrettait de n’avoir pas été invité à participer à cette édition.
4Quoi qu’il en soit, les problèmes quant à la mise en place des textes dans les partitions s’éclairent : je décline donc toute responsabilité, n’ayant qu’une connaissance toute relative de la graphie occitane. Mais j’irais encore plus loin : en me demandant si toutes les erreurs relevées par Gauzit et Bec en sont bien. Car - et cela est fort comique - Gauzit et Bec retiennent comme exemple à ce problème de répartition texte/musique le chant de la page 126, chant qui avait déjà été publié en 1970 par Boisgontier et S. Wallon, avec les mêmes « fautes » de répartition ! Si fautes il y a, elles ne sont donc pas de mon fait. D’ailleurs, dans le volume de 1970, S. Wallon prenait la peine de préciser, je la cite « F.A. a noté cette chanson ainsi, bien que la répartition du texte ne corresponde pas à la prosodie ». (p. 203 de l’édition de 1970). De plus j’avais moi-même tenu à rapporter ces propos de S. Wallon et à préciser que ma transcription avait été faite en reproduisant l’édition de 1970, afin de me dédouaner. Voilà donc la preuve flagrante de la mauvaise foi des mes deux « critiques ».
5Concernant la question de la musique, les critiques sont les mêmes et tout aussi injustifiées. Ainsi, lorsqu’ils m’accusent d’avoir oublié un la bémol à la mesure 3 de la page 100. Là aussi j’ai reproduit l’édition de 1970 (p. 168) dans laquelle Boisgontier et Wallon ne donnent pas de la bémol. Encore une fois s’il y a erreur, elle n’est pas de mon fait. En revanche je me demande comment Bec et Gauzit ont pu consulter des documents auxquels je n’ai pas eu accès, puisque selon eux ce la bémol serait bien visible dans le manuscrit.
6Enfin, pour terminer, ils reviennent sur la question du rapport texte/musique, en m’accusant de proposer des solutions anti-musicales, comme par exemple pour le chant de la page 422 de mon édition, dans lequel la phrase bissée se trouve décalée par rapport à sa première occurrence. Alors là je maintiens ma transcription et l’assume totalement. En effet, celui qui connaît bien le chant de tradition orale des Landes -comme cela est mon cas pour avoir parcouru pendant plus de quatorze années cette région pour collecter - ne s’étonne pas de tels décalages fréquents dans les chants landais, y compris pour les chants à danser. Vouloir absolument que les pratiques musicales de transmission orale des paysans landais suivent les mêmes règles que les pratiques musicales dites « savantes » témoigne d’une part d’une certaine dose d’ethnocentrisme, et d’autre part d’une méconnaissance de ces pratiques. Et c’est bien la transcription graphique d’objets vocaux de nature évanescente qui met en évidence leur irréductibilité aux règles du chant et de la versification de la tradition lettrée. Alors anti-musical, oui peut-être, mais pour des gens qui estiment universelles leurs propres règles et pratiques culturelles, et ne sont pas capables de comprendre l’Autre.
Pour citer cet article
Référence papier
Lothaire Mabru, « À propos du compte rendu des deux volumes de Chants populaires de la Grande Lande, de Félix Arnaudin », Cahiers d’ethnomusicologie, 14 | 2001, 353-355.
Référence électronique
Lothaire Mabru, « À propos du compte rendu des deux volumes de Chants populaires de la Grande Lande, de Félix Arnaudin », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 14 | 2001, mis en ligne le 10 janvier 2012, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/227
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