- 1 Il existe d’elle un double CD de ses enregistrements, augmenté de trois pièces interprétées par She (...)
1Ce documentaire de cinquante-deux minutes présente la pratique de la cithare qin à Hong-Kong, au sein d’une communauté qui se réclame dans son ensemble de l’héritage de Madame Tsar Teh-yun1 (1905-2007), grand maître de l’instru- ment qui a su en perpétuer la pratique avec beaucoup de générosité, comme on peut le comprendre au fur et à mesure du déroulement du film. Celui-ci débute en expliquant que des amateurs de qin se sont retrouvés à Hong-Kong dans les années 1950 avec, parmi eux, Madame Tsar Teh-yun qui a enseigné pendant une quarantaine d’années.
2Dès le début, est mis en avant le fait que le qin est l’une des composantes de la culture traditionnelle chinoise, puisque nous rencontrons un médecin traditionnel, lui-même joueur de qin, qui signale notamment que Madame Tsar Teh- yun, en vieillissant, jouait sur des cordes moins tendues afin d’éviter le stress. Le praticien poursuit en affirmant que rien ne vaut la pratique du qin pour chasser l’inquiétude.
3Des extraits d’un concert donné pour un petit groupe de passionnés de l’instrument alternent ensuite avec des entretiens, à commencer par celui mené avec Shum Hing-shun, un collectionneur de qin qui explique comment l’instrument a évolué au cours des dynasties, comment évaluer la qualité du bois et du son, tout en mettant l’accent sur l’importance des inscriptions portées sur l’instrument.
4Nous assistons ensuite à une leçon de chant, suivie d’un concert où le chant est accompagné par le qin de Sou Si-tai, l’un des musiciens de Hong- Kong qui poursuit l’œuvre de Madame Tsar Teh-yun avec le plus de talent (Sou Si-Tai 2007). Comme tous les membres de la communauté qui s‘était formée autour de Madame Tsar Teh-yun, il joue d’un instrument monté de cordes de soie, pratique devenue de plus en plus rare en Chine populaire. Sou Si-tai est égale- ment peintre et calligraphe, dans la tradition la plus pure des lettrés (on pense notamment aux Sept sages de la forêt de bambous) et, tout en nous offrant une démonstration de son art pictural, il explique que sa personnalité est différente de celle de son maître, mais qu’il en suit les grands principes, notamment dans la transmission, où le jeu face à face avec l’élève est fondamental. Il est important que ce dernier joue en même temps que le maître afin de comprendre les défauts de son interprétation.
5Une brève allusion est ensuite faite à l’existence de tablatures, où l’on voit une élève jouer en suivant la partition que lui montre Madame Lau Chor-wah, un autre professeur de la même école. On la retrouve ensuite au restaurant avec Sou Si-tai et quelques-uns de leurs élèves, qui expriment leur point de vue et disent comment la pratique du qin a changé leur vie. Madame Lau Chor-wah explique ensuite l’importance du déchiffrage, pour comprendre le passé, mais elle met également l’accent sur le fait que les mélodies ne sont pas fixes, qu’elles sont mouvantes comme l’eau des rivières et que chacun apporte sa propre version.
- 2 On peut apprécier le jeu de Georges Goormaghtigh sur le CD de Sou Si-tai déjà mentionné, ainsi que (...)
6Nous rencontrons ensuite Georges Goormaghtigh2, sans doute le meilleur connaisseur européen de la musique de qin, qui joue une pièce dans un bois, avec le soutien sonore des eaux d’un torrent. Ce lien à la nature est complété par l’histoire de Bo Ya, que son maître envoie dans une île déserte afin qu’il découvre véritablement la nature et qu’il atteigne enfin une vraie maturité artistique.
7C’est alors que l’on peut voir un document nous montrant Madame Tsar Teh-yun, en train de jouer, puis un musicologue chinois qui évoque la situation particulière qu’a connue Hong-Kong. À l’abri des ravages de la Révolution culturelle et de l’approche de plus en plus « extérieure » de la musique en Chine populaire où s’est surtout développé un jeu de concertistes vivant de leur art sur scène, à Hong-Kong, les joueurs de qin ne vivent pas de leur art.
8Nous assistons ensuite à une leçon donnée par Tse Chun-yan, qui nous permet de voir grâce à des gros plans (comme cela a d’ailleurs été le cas pour les séquences présentant Madame Lau Chor-wah et Georges Goormaghtigh) quelques-unes des techniques raffinées qui permettent l’étonnante étendue de la palette sonore de l’instrument. Après un autre passage présentant la fabrication du qin, nous terminons par un solo joué par une apprentie, Lau Hoying, face à un paysage de mer et de montagnes.
9En résumé, cet excellent documentaire nous permet à la fois de découvrir l’instrument emblématique de la musique chinoise, de pénétrer à l’intérieur d’un groupe de passionnés, fidèles à l’enseignement de leur maître – apportant aussi leur propre personnalité –, tout en constatant que, grâce à l’effort de quelques-uns, une forme musicale ancienne peut survivre à bien des dangers qui la guettent. Le fait que le qin ait été promu « Chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité » par l’Unesco en 2003, s’est notamment avéré bien peu bénéfique pour le jeu traditionnel tel qu’il est pratiqué par des « amateurs » dans le meilleur sens du terme (Goormaghtigh 2007 : 302-304).