Nathalie FERNANDO : Polyphonies du Nord-Cameroun
Nathalie FERNANDO : Polyphonies du Nord-Cameroun, Paris : Peeters, Selaf 441, 2011, 341 p. DVD-rom encarté
Texte intégral
1L’ethnomusicologue Nathalie Fernando nous propose, dans Polyphonies du Nord-Cameroun, une synthèse de ses recherches (menées entre décembre 1994 et janvier 1998) qui ont donné lieu à l’obtention de son doctorat. C’est dans une perspective comparatiste qu’elle effectue l’analyse des musiques vocales (a cappella et accompagnées de percussions), instrumentales (monodiques et polyphoniques) et voco-instrumentales polyphoniques de six populations vivant dans les Monts Mandara (Ouldémé, Mofou, Mofou-Goudour, Mouyang) et dans les plaines environnantes (Guiziga, Toupouri) de la province de l’Extrême-Nord du Cameroun. En sept chapitres, l’auteur s’intéresse aux « formes syntaxiques, comportements scalaires et procédés compositionnels monodiques et polyphoniques » (p. 18) de ces musiques dans le but de dégager des principes de catégorisation propres à la culture locale. « Il s’agi[t surtout] de savoir si les musiques produites avec des objets matériels identiques ou si la pratique de certains procédés compositionnels communs procèdent de stratégies cognitives identiques ou, au contraire, se distinguent les unes des autres par un savoir-faire spécifique garant d’une identité que chaque communauté cherche à maintenir » (p. XXI).
2Le premier chapitre expose la méthodologie, largement inspirée de la linguistique et des sciences cognitives, utilisée tant sur le terrain (re-recording, entretiens individuels et collectifs) que dans la transcription et l’analyse. À tout moment, elle confronte les points de vue émique et étique des participants pour dégager la pertinence culturelle des résultats. S’ensuit un chapitre sur les instruments, qui recense par de brèves descriptions organologiques les aérophones, les membranophones, les idiophones et les cordophones qu’utilisent les six groupes étudiés. On y apprend que leur usage est souvent régi par le calendrier agraire et que certains d’entre eux possèdent une fonction symbolique. Le troisième chapitre aborde le contexte musical, c’est-à-dire l’organisation sociale des groupes étudiés, différente selon les zones d’habitation. Le répertoire transmis oralement d’une génération à l’autre peut s’accompagner de danses collectives et n’échappe pas à la modernité ni aux mouvements migratoires des populations ; les matériaux employés dans la facture d’instruments s’adaptent à leur temps (flûtes en PVC ou crin de cheval remplacé par des câbles de frein de vélo) et les emprunts interethniques se manifestent dans la majorité des répertoires. Dans les montagnes, les manifestations musicales, surtout instrumentales et jouées généralement par des ensembles homogènes, suivent le calendrier agricole de la culture du mil. La musique des populations des plaines, majoritairement vocale, se rattache davantage aux circonstances ponctuelles, telles l’initiation et le deuil. De nombreux tableaux synoptiques illustrant le découpage musical de l’année de chacun des groupes étudiés jalonnent ce chapitre.
3Les trois chapitres suivants présentent l’analyse musicale du répertoire. L’auteur traite d’abord des échelles musicales (chapitre IV). Fernando nous rappelle que de nombreuses musiques d’Afrique subsaharienne reposent sur des échelles de type pentatonique anhémitonique. Plusieurs cas de figure abondamment illustrés d’exemples musicaux révèlent quelques constats pour les musiques instrumentales et vocales : le pentatonisme domine, il y a instabilité dans les degrés qui fondent les échelles hexatoniques et un nombre important d’échelles sont calibrées à partir d’un intervalle de seconde (p. 151). Outre les échelles mélodiques, la métrique et le rythme constituent des éléments essentiels de la musique des populations camerounaises étudiées (chapitre V). Il s’agit surtout de musiques cycliques « fondées sur des ostinati à variation » (p. 159). Les exemples présentés dans ce chapitre révèlent des cas de métrique isochrone, d’utilisation de l’aksak, de périodicité isométrique, de segmentation et de variation. Enfin, un sixième chapitre analyse en profondeur les processus compositionnels plurilinéaires dans la musique vocale et instrumentale. Plurilinéarité se comprend ici en tant que « modes de superposition des différentes parties instrumentales et/ou vocales qui fondent une pièce, que cette superposition ait ou non un caractère polyphonique » (p. 209). Il est alors question de la façon dont s’élabore cette plurilinéarité, à partir de la référence mentale qui constitue la base d’une pièce instrumentale et de ses procédés compositionnels (tuilage, polyrythmie, hoquet). Le dernier chapitre sert de synthèse. Il cherche à montrer les « principes qui sous-tendent l’organisation du patrimoine musical de chacune des six communautés envisagées » (p. 269) en proposant une catégorisation du répertoire étudié. Les résultats de l’analyse et des données des enquêtes témoignent de la complexité de l’organisation de ces pratiques musicales.
4Il ne faudrait surtout pas passer sous silence le DVD-rom qui accompagne et complète cet ouvrage. Magnifiquement conçu et facile d’utilisation, il apporte des explications supplémentaires, par exemple sur les instruments ; comporte de nombreux extraits sonores et quelques extraits vidéos ; reproduit les tableaux synoptiques et les exemples musicaux de l’ouvrage avec des liens interactifs. Une cinquantaine de transcriptions musicales illustrent, en image et en son, le fonctionnement des polyphonies. Nous regrettons toutefois que le contenu du livre n’ait pas été mieux adapté à l’utilisation de cet outil si bien réussi. Plutôt que d’exploiter le contenu du DVD-rom et d’y ajouter des renvois clairs tout au long de l’ouvrage, le lecteur découvre ces renvois dans les notes de bas de page ou les légendes des tableaux et des schémas. Il est dommage que l’un puisse facilement se passer de l’autre.
5Nous regrettons également le manque de descriptions ethnographiques des musiques étudiées. En choisissant de se concentrer sur l’analyse musicale du répertoire retenu, Nathalie Fernando a certes réussi à montrer, par la rigueur de sa méthode, la complexité de ces musiques vocales et instrumentales, mais l’absence de contextualisation (mise à part la description du cycle agraire annuel) nous laisse un peu sur notre faim. Comment, concrètement, se déroulent ces occasions musicales ? Quel est le rôle des interprètes lors de ces manifestations ? À quelques reprises au cours de l’ouvrage, l’auteur nous rappelle l’inutilité d’étudier la musique en dehors des circonstances. Qu’un ouvrage préconisant l’importance de l’approche anthropologique dans l’analyse du fait musical laisse si peu de place à cette même dimension, quel paradoxe ! Une mise en contexte et une description plus détaillées de certaines pièces contribueraient sûrement à étoffer une étude déjà riche de ces répertoires.
6L’ouvrage de Nathalie Fernando apporte assurément une meilleure connaissance et compréhension des musiques polyphoniques d’Afrique subsaharienne. En allant au-delà du résultat sonore, l’auteur a dégagé des stratégies de composition musicale autant que des catégories culturelles. De plus, comme elle l’écrit, « dans une perspective comparatiste, l’accès aux stratégies compositionnelles et aux savoir-faire implicites offre des indices quant aux relations entre des populations en situation de contact et relatifs à la diffusion des patrimoines » (p. 323).
Pour citer cet article
Référence papier
Marie-Hélène Pichette, « Nathalie FERNANDO : Polyphonies du Nord-Cameroun », Cahiers d’ethnomusicologie, 25 | 2012, 265-267.
Référence électronique
Marie-Hélène Pichette, « Nathalie FERNANDO : Polyphonies du Nord-Cameroun », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 25 | 2012, mis en ligne le 14 novembre 2012, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1910
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