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La danse des Wodaabe, film de Sandrine Loncke, 2010
La danse des Wodaabe, film de Sandrine Loncke, 2010, Chef-opératrice : Charlotte Krebs, prise de son : Sandrine Loncke. 1 DVD, 90 minutes, vidéo couleur. Avec le soutien du CNRS, du Ministère de la Culture, de la Société française d’ethnomusicologie, de l’Institut Angenius. Grand Prix Nanook du Festival International Jean Rouch 2010 ; Second Prix du Festival du Film de Chercheur 2010.
Full text
1Entre 1954, année de la sortie du premier film ethnographique consacré aux Peuls Wodaabe (alors appelés Bororo), et 2010, date de la première présentation de La danse des Wodaabe de Sandrine Loncke, on aurait pu penser que tout avait été dit et montré sur cette société de pasteurs nomades du Niger, tant elle a suscité d’engouement chez les cinéastes documentaristes. On a en effet vu se succéder les documentaires les plus convenus, florilèges d’images archi-rabâchées de ces fameux danseurs longilignes faisant étalage de leur « beauté peule » qu’ils valorisent avec leur visage fardé d’ocre ou d’orange, leurs dents éclatantes, mises en valeur par les lèvres noircies, leurs yeux outrageusement maquillés et écarquillés qui roulent dans tous les sens. Ceci dans le but de séduire la plus belle femme du lignage adverse avec laquelle le plus beau et meilleur danseur partagera peut-être quelques moments…
2La plupart de ces films n’ont fait que reprendre les mêmes clichés et les mêmes scènes spectaculaires, soulignées par un commentaire off parfois lyrique, poétique ou explicatif, souvent ennuyeux, redondant et même paternaliste à l’égard du spectateur, sans jamais parvenir à expliquer vraiment quels pouvaient être les liens entre la danse spectaculaire, quasi extatique des Wodaabe, leurs chants collectifs polyphoniques et la survie de leur groupe. Classons à part Les nomades du soleil de Henry Brandt (1921-1998), premier documentaire ethnographique 16 mm sur les « Peuls Bororo », tourné en 1953 dans les mêmes régions du Niger (Azawak), qui demeure un témoignage sensible d’un cinéaste fasciné par cette population, révélée pour la première fois au grand public par son superbe et premier film.
3Sandrine Loncke aborde, elle aussi, le thème de cette fameuse danse, mais de manière complètement différente : pas de commentaires off, mais des explications données au fur et à mesure des différentes séquences du rituel par un interlocuteur wodaabe qui raconte, en fulfuldé (avec sous-titres) et à sa manière, le pourquoi et le comment du rituel annuel le plus important chez les Wodaabe, le daddo gerewol.
4Le film débute par un long panoramique sur les centaines de jeunes hommes chantant et dansant sur place, le visage traversé de mimiques et de grimaces étranges : tremblement des lèvres, gonflement des joues, avec une explication d’un ancien, hilare, ordonnateur de la cérémonie, qui vient quelque peu dédramatiser la scène : « Ce sont les décoctions », dit-il, c’est-à-dire des « médicaments » qui mettent les danseurs dans cet état. Abruptement, on saute dans le dénuement de la vie quotidienne du campement, accompagnée de vent et de poussière ; la gestion du petit bétail, le pilage du mil, ensuite le thé (influence des nomades touaregs et des Arabes sédentaires), la traite, les gestes de la vie quotidienne, la mère, les femmes qui vaquent, s’interpellent.
5C’est le matin, une fillette se lève. À côté d’elle, les enfants miment la danse yaake, encouragés par leur père Ouba. Ce dernier prend à part son fils aîné Outou : « Ce n’est pas parce que tu vas à l’école qu’il faut délaisser la tradition ». Cette tradition, qui se concrétise dans la cérémonie geerewol, est une véritable guerre rituelle opposant « alternativement, sept jours durant, deux lignages adverses dans le chant et la danse. Mais l’enjeu profond de telles cérémonies est en fin de compte de se séparer pacifiquement, après s’être mutuellement délivré une reconnaissance de conformité culturelle. Ritualiser le conflit pour mieux préserver la paix et l’unité en leur propre sein… C’est la stratégie que ces nomades ont inventée. Car la guerre, la vraie, celle qui se livre par les armes pour la conquête du pouvoir ou d’un territoire, leur histoire n’en porte pas trace » (cf. Sandrine Loncke, note d’intention : p. 10).
6« Nous, on danse pour porter la guerre aux autres lignages », dit Ouba, « on veut revenir avec de nouvelles femmes pour agrandir notre campement ». « Tu sais, voler une femme, ce n’est pas facile ; seuls les Wodaabe en sont capables ». Les explications sur les enjeux du vol de la femme tournent autour de sa beauté, mais aussi de celle de l’homme qui la convoite. Questions de beauté, mais aussi d’amour.
7« Les jeunes danseurs vivent cette épreuve comme une véritable métamorphose : après avoir dansé six jours durant face au soleil couchant, la geerewol de l’aube, au septième jour, est pour eux une renaissance qui sonne leur naissance sociale en tant qu’hommes adultes, désormais dignes « fils » de la communauté des Wodaabe » (id. : p. 11).
8Retour à la cérémonie : un des chefs de chœur entonne la mélodie descendante, reprise par l’ensemble des danseurs alignés en une rangée interminable ; puis, par quelques battements de mains, il donne le signal du début de la danse, dont l’organisation est ainsi disséquée dans la séquence. Ici point n’est besoin d’explications : l’image se suffit à elle-même.
9On revient sur les préparatifs, mais cette fois du côté des jeunes filles qui dansent entre elles, belles, bras levés, agitant les mains, prêtes à se montrer. La caméra suit tous ces mouvements, parfaitement et intimement intégrée. Mais il est évident que les protagonistes savent qu’elles sont filmées : elles présentent leur visage et leurs attitudes les plus avantageuses, tout comme les hommes alignés le font de leur côté. Malgré un certain trac perceptible, elles en ont manifestement l’habitude. Après tout, ne sont-elles pas là pour s’exhiber ?
10Le film fait donc alterner les séquences de danse, esthétisantes, et celles, plus discrètes, se déroulant dans les coulisses, sorte de backstage d’un spectacle familial, avec les scènes de confidences accordées par Ouba, son épouse et de jeunes femmes du voisinage ravies de donner leur avis à la cinéaste et à son opératrice qui ne tentent à aucun moment de faire oublier leur présence. On voyage ainsi jusqu’à la fin du film, en devinant peu à peu le mystère de la geerewol à travers les explications que nous donnent ces personnages entièrement dévoués à la raison d’être de ces chants et danses indissociables de leur identité wodaabe.
11Si on est séduit et ému par la sincérité des propos, par l’authenticité et la complexité du rituel, par sa fragilité due aux crises que traverse le pays, quelques scènes présentent parfois un caractère répétitif et superflu. Mais les images sont tellement belles, les cadrages si soignés et les mouvements de caméra si discrets que ces quelques longueurs « passent » sans aucun problème.
References
Bibliographical reference
François Borel, “La danse des Wodaabe, film de Sandrine Loncke, 2010”, Cahiers d’ethnomusicologie, 24 | 2011, 293-295.
Electronic reference
François Borel, “La danse des Wodaabe, film de Sandrine Loncke, 2010”, Cahiers d’ethnomusicologie [Online], 24 | 2011, Online since 21 March 2012, connection on 04 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1800
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