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CD, Multimédia

France-Mayotte. Debaa. Chant des femmes soufies

Ocora Radio France, 2010
Guillaume Samson
p. 291-292
Référence(s) :

France-Mayotte. Debaa. Chant des femmes soufies, Enregistrement : Yann Costa ; texte : Abdoule-Karime Ben Said et Victor Randrianary ; photographies : Charles Le Gargasson, Victor Randrianary et Lena Huraux. 1 CD Ocora Radio France C 560229, 2010.

Texte intégral

  • 1 Ile de Mayotte. Musiques, danses et instruments traditionnels. Takamba, TAKA 1016. Ce disque est le (...)

1La question du changement de statut territorial de Mayotte, qui est devenu cette année le 101e département français, paraît avoir favorisé la mise en place d’actions de valorisation de son patrimoine musical. Jusqu’ici peu étudié et documenté, celui-ci fait l’objet depuis 2007 d’une mise en valeur institutionnelle, à travers l’engagement de la Préfecture et, dans une moindre mesure, du Conseil général de Mayotte dans le financement et/ou l’accompagnement de projets de collectage. Edités peu avant un disque du PRMA (Pôle régional des musiques actuelles) de La Réunion consacré aux danses et musiques traditionnelles de Mayotte1, les enregistrements de debaa présentés ici signent par ailleurs l’entrée des musiques mahoraises dans le réseau des festivals de musiques du monde. Le choix d’Ocora de consacrer l’intégralité du disque au debaa peut donc être interprété à l’aune de l’intérêt que cette forme musicale et chorégraphique suscite depuis 2009 (année qui a vu se multiplier les spectacles de debaa sur les scènes européennes) à l’extérieur de Mayotte.

2Indépendamment de ce contexte particulier où se mêlent enjeux scientifiques, patrimoniaux (voire politiques) et enjeux de mise en spectacle, ce disque et le livret qui l’accompagne offrent une bonne entrée en matière dans un genre aujourd’hui très vivant à Mayotte. Constitué de dix pièces enregistrées auprès de cinq madrassatis (associations où se pratiquent le debaa), le contenu sonore montre tout d’abord l’homogénéité du debaa en tant que genre musical et poétique. Basée sur la récitation de poèmes mystiques, la musique du debaa est construite en deux parties principales : une introduction, qui « est un chant a cappella de forme responsoriale entre un soliste et un chœur » et une deuxième partie, accompagnée par des tambours et des cymbalettes, où « la forme responsoriale est gardée » tout en développant des motifs plus courts (p. 14). Les enregistrements, de bonne qualité, permettent d’apprécier ce rapport entre les voix des solistes, qui mettent en valeur « la puissance, la clarté et les ornementations vocales » (p. 14), et les chœurs « exécutés entre unisson et hétérophonie ».

  • 2 Foundi : « maître » religieux.
  • 3 Qasîda : Poèmes mystiques chantés. D’après le livret (p. 1), le terme debaa est synonyme de qasîda (...)

3Le livret, bilingue (français/anglais), comporte deux chapitres. Le premier, rédigé par Abdoule-Karime Ben Said, revient sur l’étymologie du terme debaa ainsi que sur le contexte historique et culturel de l’introduction du genre à Mayotte. D’abord pratiqué par les hommes de la confrérie Rifâ’iyya originaires d’Anjouan, le debaa s’est implanté de façon durable dans les années 1920-1930 sous l’influence de l’enseignement du foundi2 Abdourahamane et des écoles coraniques qui ont ouvert l’enseignement des qasîda3 aux femmes. Partageant le même corpus de textes que d’autres cérémonies soufies (daïra shâdhili, mlidi…), le debaa est devenu un de leurs genres de prédilection, « une occasion de partager joies et moments forts » (p. 3). Il peut aujourd’hui être organisé pour diverses occasions comme un retour de pèlerinage à la Mecque, une fête villageoise, un mariage ou encore pendant la période du ramadan où il opère comme « rite expiatoire » (p. 13). La présentation, dans le livret, des interprètes solistes et des associations au sein desquelles sont pratiquées les pièces enregistrées met notamment l’accent sur la jeunesse de certaines chanteuses et le dynamisme des madrassati.

4Dans le second chapitre, Victor Randrianary insiste quant à lui sur la pluralité des sources de la culture mahoraise (Afrique bantoue, influence indo-mélanésienne et des navigateurs arabes). Il souligne aussi à juste titre les liens que la culture mahoraise entretient avec Madagascar, ainsi que le rôle joué par le statut français de Mayotte dans l’existence d’une interculturalité spécifiquement mahoraise. La question de la chorégraphie, essentielle dans la performance du debaa, est abordée de façon succincte à la fin du livret par Randrianary. Celui-ci insiste sur le caractère « lent », « statique », « minimaliste », mais en même temps « gracieux » et « raffiné » des mouvements de danseuses. On pourra cependant regretter que la présentation de la gestuelle ne soit pas plus détaillée. Le regard sur les textes chantés (à travers les traductions et les commentaires) et la musique (à travers les descriptions et quelques transcriptions rythmiques) aurait gagné à intégrer davantage la dimension chorégraphique dans la mesure où, précisément, Randrianary souligne l’intimité des relations entre danse et musique (« Il s’agit en effet d’un lieu où les gestuelles de danse embrassent la musique », p. 15).

5À propos du livret, on peut d’ailleurs s’interroger sur le bien-fondé d’avoir juxtaposé deux contributions écrites séparément, lesquelles auraient gagné, à mon sens, à être assemblées dans un texte commun. Quelques redondances thématiques, comme par exemple la question des origines (qui, bien que traitée différemment, apparaît deux fois dans le livret texte), auraient pu être évitées. Cela aurait par ailleurs permis de donner davantage de cohésion au propos des auteurs, dont les domaines de compétence et les connaissances paraissent complémentaires.

6En dépit de ces quelques faiblesses éditoriales, ce disque, plutôt bien documenté et illustré, constitue d’ores et déjà une référence pour la connaissance et la diffusion de la culture musicale mahoraise. Le debaa ayant été récompensé en 2009 par le Prix France Musique des Musiques du Monde, cette publication (qui semble faire suite à cette distinction) témoigne également des relations étroites que peuvent entretenir connaissance scientifique, mise en valeur patrimoniale et marché des musiques du monde.

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Notes

1 Ile de Mayotte. Musiques, danses et instruments traditionnels. Takamba, TAKA 1016. Ce disque est le fruit d’un collectage qui, réalisé en 2007, a été financé par la direction des affaires culturelles de la Préfecture de Mayotte.

2 Foundi : « maître » religieux.

3 Qasîda : Poèmes mystiques chantés. D’après le livret (p. 1), le terme debaa est synonyme de qasîda dans les îles des Comores.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guillaume Samson, « France-Mayotte. Debaa. Chant des femmes soufies »Cahiers d’ethnomusicologie, 24 | 2011, 291-292.

Référence électronique

Guillaume Samson, « France-Mayotte. Debaa. Chant des femmes soufies »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 24 | 2011, mis en ligne le 21 mars 2012, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1791

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Auteur

Guillaume Samson

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

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