Lucie RAULT, Instruments de musique du monde
Lucie RAULT : Instruments de musique du monde. Paris : La Martinière, 2000. 232 p., photographies noir-blanc et couleurs.
Texte intégral
1Voici certainement un des plus beaux livres récemment publiés sur la musique et ses instruments : soulignons d’abord le remarquable travail éditorial de La Martinière et le soin apporté à la conception graphique par la maison Rampazzo & Associés. Très aérée, la mise en page confère à l’ensemble de l’ouvrage une excellente lisibilité ; le texte principal y est réparti en deux colonnes par page, plus un espace latéral correspondant à peu près à une demi-colonne, où sont placées la plupart des légendes des illustrations. L’alternance des textes et des images rythme agréablement la présentation et l’œil passe volontiers des uns aux autres ; de même, l’insertion de photos d’instruments détourées et d’encadrés donne à l’ensemble une dynamique tout à fait judicieuse. En revanche, l’absence de retrait en début de paragraphes – qui correspond à une mode typographique aujourd’hui courante – prive la lecture d’une certaine respiration naturelle qui rendrait le développement de la pensée de l’auteur plus facile à suivre.
2Quant à la sélection iconographique, due à Ève Czinczenheim et Marise Delaplanche, elle séduit autant par son esthétique et sa richesse que par la diversité de ses sources : archives photographiques de nombreuses institutions (Musée de l’Homme surtout, mais aussi Library of Congress, Musée de Tervuren, Centre Georges Pompidou…), collections d’agences photographiques, clichés de terrain d’ethnomusicologues ou de voyageurs célèbres, etc. Les photographies d’instruments de musique, pour la plupart sélectionnés parmi les fleurons de la collection du Musée de l’Homme, et celles de musiciens, de luthiers ou de danseurs sont judicieusement complétées par des images montrant notamment des phénomènes naturels sonores ou des lieux aux propriétés acoustiques particulières. Les représentations picturales de musiciens abondent également : peintures pariétales paléolithiques, fresques égyptiennes ou étrusques, bas-reliefs assyriens, mosaïques romaines, miniatures européennes, turques, persanes ou indiennes, tankas tibétains, estampes japonaises, idéogrammes chinois (calligraphiés par l’auteur), voisinent dans cet ouvrage avec des croquis et des tableaux de Léonard de Vinci, George Catlin, van Gogh, Chagall, Juan Gris ou Man Ray, dont le Violon d’Ingres de 1924 est placé en regard d’une figurine des Cyclades pour évoquer l’anthropomorphisme des vièles occidentales (pp. 84-85). Ce procédé de mise en parallèle est d’ailleurs repris à plusieurs occasions afin de mettre en évidence l’universalité de la musique comme fait humain ; on rencontre ainsi deux harpistes, l’un de l’Égypte ancienne et l’autre du Congo au début du XXe siècle (pp. 148-149), ou un tableau d’Anselmo Bucci représentant un violoncelliste face à une photographie d’un joueur de vièle chinoise erhu, dont la position des doigts et la concentration du regard sont étonnamment similaires (pp. 156-157). Parmi les anciens clichés, on admirera notamment celui de ce chaman sibérien posant avec son tambour, réalisé en 1882 par Tounanoff (p. 106), ou encore ces Indiens Kwakiutl du Canada saisis dans leur danse par l’appareil de Curtis (p. 63). Dans l’ensemble, ces photos sont superbes, et leur contemplation suscite de nombreux émerveillements, même si leur adéquation au texte n’est pas toujours rigoureuse. Précisons encore que le volume est découpé en cinq grandes parties, complétées par un lexique réalisé par Madeleine Leclair, par une bibliographie et un index des instruments de musique cités. Une telle somme mérite en tout cas d’être relevée car elle est à la hauteur de cette publication ambitieuse, lui assurant la garantie de qualité et de représentativité nécessaire à l’illustration d’un sujet aussi vaste.
3Un des mérites de cet ouvrage réside dans le fait qu’il n’impose aucune hiérarchie de principe entre les cultures. En ceci, il se démarque par exemple de celui dirigé par Ruth Midgley, Les instruments de musique du monde entier (1978), qui tentait d’appréhender la matière selon une vision didactique unitaire, inévitablement réductrice, dans laquelle l’Occident se taillait la part du lion. A cet égard, Lucie Rault opte pour une vision beaucoup plus large, selon laquelle l’instrument est toujours replacé dans son contexte humain et événementiel. La subjectivité de l’auteur se révèle être le meilleur fil conducteur d’un ouvrage qui, comme elle l’écrit dans son Introduction, « relève d’une approche plus instinctive que savante, plus naturelle que méthodique, pour repenser la démarche musicale propre à l’homme, en prenant en compte les motivations premières de sa quête sonore » (p. 9). Le défi principal d’une telle entreprise réside davantage dans sa conception, son organisation de la matière et ses options – que taire dans l’immensité de l’information disponible ? – que dans une quelconque prétention à l’exhaustivité. Les exemples illustrant le propos sont dans l’ensemble bien choisis, même s’ils dénotent un certain déséquilibre entre les cultures et les régions du monde : c’est ainsi que les références à la Chine – domaine de spécialisation de l’auteur – y abondent, alors que d’importantes aires culturelles comme l’Inde, le monde islamique, l’Océanie, les Caraïbes et le champ amérindien, sont quelque peu sous-représentées. Mais le fait est probablement inévitable, et même souhaitable dans la mesure où on ne s’exprime jamais aussi bien que lorsqu’on parle de ce qu’on connaît !
4On imagine aisément le travail qu’a impliqué la rédaction d’un tel livre, où les connaissances personnelles de l’auteur ont constamment dû être mises en perspective et intégrées à une vision générale impliquant une accumulation de données inévitablement empruntées aux travaux d’autres spécialistes. Le résultat est une brillante synthèse, fourmillant d’informations parfois très détaillées, parfois plus sommaires, qui offrent au profane une lecture passionnante, mais dont le professionnel retirera souvent le sentiment « d’avoir déjà lu cela quelque part », nous y reviendrons plus loin. L’impression est d’autant plus troublante que les sources ne sont jamais indiquées dans le texte et que le lecteur ne peut que se reporter aux trois pages de bibliographie figurant en fin de volume pour savoir quels ont été les ouvrages consultés. Que le procédé ait été imposé à l’auteur par l’éditeur ou non ne change rien au problème : c’est une question de déontologie. Nous sommes à cet égard loin de la rigueur et de la probité scientifiques d’un André Schaeffner, dont l’Origine des instruments de musique, publié pour la première fois en 1936, demeure un modèle du genre inégalé, du moins en français, ainsi qu’une mine de renseignements d’une grande richesse. Ce livre y puise d’ailleurs abondamment, en particulier dans sa deuxième partie intitulée « Le corps instrumental » (pp. 42-91).
5Dans la quête d’universaux qui anime constamment son propos, Lucie Rault cède parfois aux vieilles théories évolutionnistes, notamment lorsqu’elle se penche sur les origines vocales ou corporelles des instruments de musique (pp. 54-55) ou dans ses pages sur la nature magique des musiques « primitives » (pp. 94 et suiv.), où l’on reconnaît la griffe de Marius Schneider. Il est d’ailleurs souvent question dans ce livre de musiques ou de civilisations « primitives », parfois, comme en p. 165, de civilisations « dites ‘primitives’« , avec la distanciation que semblent indiquer la formule et les guillemets, mais sans que le concept soit jamais clairement défini, ou encore de « populations aborigènes », sans qu’il soit mentionné d’où elles sont aborigènes (p. 151). N’aurait-il pas mieux valu tordre le cou une fois pour toutes à ce type de vocabulaire ambigu ?
6La première partie de l’ouvrage, « Les voix de la nature » (pp. 10-41), est consacrée à une évaluation quelque peu impressionniste des origines de la musique humaine. Pour donner un sens à sa place dans l’univers, l’homme préhistorique aurait élaboré un mode de communication sonore avec l’ordre naturel et « l’être supérieur » en exploitant notamment les propriétés acoustiques des cavernes. Certains de ces sanctuaires naturels seraient ainsi porteurs d’une « carte de résonance » comportant des « nœuds », des « ventres » et des « portes » acoustiques. Selon l’hypothèse développée par l’auteur, qui fait siennes les observations et les conjectures de Iégor Reznikoff, c’est leur disposition qui aurait déterminé la répartition des peintures pariétales, réalisées en fonction des propriétés acoustiques des grottes. Elle prolonge plus loin cette réflexion en notant que « les lieux sacralisés par l’homme sont presque toujours des espaces de résonance privilégiés » (p. 47), s’appuyant notamment sur l’exemple des cathédrales, où, selon les principes d’une « science architecturale entièrement vouée au son », la voix a cappella « outrepasse son émission naturelle pour s’élancer vers l’au-delà, en un défi qui rejoint celui de l’architecture » (p. 49).
7« L’homme va composer son empreinte sonore, marquer sa place dans l’espace ou dans le silence » (p. 29) et inventer les premiers instruments d’une musique aux propriétés essentiellement utilitaires et magiques : sifflets de chasse en phalange de cervidés et flûtes en cubitus de rapace de l’Aurignacien, ocarinas en coquille d’escargot, conques, rhombes, racleurs et sonnailles du Magdalénien ; ces instruments d’origine paléolithique semblent bien avoir eu une diffusion universelle, et l’auteur note que leur pratique est demeurée vivace en plusieurs régions du globe.
8Postulant avec Schaeffner que « la musique prit sa source dans le corps », Lucie Rault note en début de deuxième partie que c’est dans le ventre maternel « que s’impriment les premier sons, à la fois dans le corps et dans la mémoire du bébé, quand sa conscience ne les enregistre pas encore » ; « son exposition à l’air lors de l’accouchement provoque sa première expression humaine individuelle : le cri », immédiatement assorti de la reconnaissance de la voix maternelle (p. 44). A partir de cette impulsion initiale, chaque civilisation aurait développé sa propre esthétique vocale, ses propres types de chant, « reflets de cet ordre naturel et biologique mais également de l’ordre social » (p. 52). La voix humaine y sera soumise à toutes sortes de traitements, destinés à produire divers « effets instrumentaux » culturellement déterminés tels que vibratos, frappements de glotte, sifflements, cris, sons à bouche fermée, gloussements, registres et timbres inhabituels… Le cas échéant, ces ressources phonétiques de la bouche utilisée comme instrument peuvent être assistées d’un altérateur ou d’un amplificateur naturel, voire prolongées par un instrument comme l’arc en bouche ou la guimbarde, ancêtres présumés des cordophones (p. 54).
9Cette approche organologique de l’appareil phonatoire est ensuite appliquée aux autres parties du corps, et notamment aux membres supérieurs et inférieurs. Claquer des doigts, battre des mains ou les frapper « sur d’autres parties du corps, prises pour résonateurs directs » (p. 55), ou encore piétiner le sol (p. 63) : tous ces « gestes sonores » sont « liés au rythme, donc à la danse » (p. 55), laquelle, « avant d’être un acte religieux, constitue une libération rythmique d’énergie, un acte d’extase, un moyen, dans un abandon de soi total, d’approcher la divinité et de s’unir à elle » (p. 63).
10Pour celui qui en joue, l’instrument « ne représente-t-il pas un prolongement de sa personne, un objet supplémentaire ou une transposition d’une partie de son corps ? » (p. 80), s’interroge l’auteur : prolongement du souffle dans les tuyaux et calames portés à la bouche ; prolongements de la cage thoracique ou du ventre par des résonateurs ; prolongement de la langue par l’anche de la clarinette, la languette de la guimbarde ou la corde de l’arc musical ; des mains par les claquettes, hochets, sistres et autres bâtons entrechoqués ; des pieds par les bâtons de rythme et les pilons martelant le sol ; des bras, de la ceinture ou des chevilles, voire de la tête ou des oreilles par les grelots et les sonnailles de danse.
11Signalons au passage quelques inexactitudes relatives à la détermination organologique de certains instruments : le simandre (p. 71) n’est en effet pas un instrument secoué, mais une plaque percutée à l’aide d’un marteau ou d’un bâton ; alors que « l’angklung de Java ou des îles Salomon… » (p. 75), instrument dont le son est produit par secouement, est plus à rapprocher du sistre que du bâton de rythme.
12L’analogie de nombreux instruments avec le corps humain est évidente : les uns le prolongent, d’autres le représentent de façon stylisée et symbolique, d’autres encore sont de simples outils de travail faisant l’objet de détournements sonores. A l’anthropomorphisme de certains répond le zoomorphisme d’autres, tels les cithares birmanes en forme de crocodile, les instruments du gamelan indonésien ornés de têtes de dragons ou les sifflets d’Amérique centrale en forme d’oiseaux, qui constituent une sorte de « bestiaire musical » aux connotations souvent mythologiques (p. 89). De par leur forme et leurs matériaux, des idiophones comme les tambours à fente ou « arbres-tambours » de Vanuatu ou d’Afrique centrale (pp. 75-79) affirment pour leur part plutôt une relation symbolique entre l’homme et les forces telluriques. « En prenant possession de ces éléments (humains, animaux, végétaux, minéraux) et en les gouvernant à sa guise, note en conclusion Lucie Rault, l’homme exprime sa vision du monde et organise son univers en lui donnant corps et voix » (p. 91).
13Le principe d’analogie et d’interrelation entre la nature et les instruments de musique est souligné dans la partie suivante, « L’instrument sacré » (pp. 92-135), qui aborde le rôle de la musique dans les rituels magiques ou religieux. « La musique s’interpose partout et depuis toujours entre l’homme et sa quête d’une dimension supérieure ; c’est au moyen des sons que s’opère cet échange » note l’auteur, qui précise plus loin que, souvent, « la musique constitue l’élément moteur, sinon le rituel lui-même » (p. 94). D’une extrême importance, ce point est ensuite démontré par de nombreux cas tirés de diverses traditions et liés notamment au chamanisme, aux alliances totémiques, à l’exorcisme ou à l’invocation des esprits, aux pouvoirs charismatiques de la musique, ou encore aux charivaris carnavalesques. Le rôle symbolique et opérant du jeu du mortier dans les rites de pluie en Chine, ou de celui du tambour de bronze dans les musiques martiales et funéraires en Asie du Sud-Est (pp. 120-124) sont à cet égard tout à fait significatifs.
14D’autres exemples destinés à appuyer cette thèse ont été repris tels quels des écrits de spécialistes reconnus, mais sans que ceux-ci soient cités. Déjà signalé plus haut, le procédé mérite d’être dénoncé, d’autant plus qu’il est volontiers accompagné d’un certain flou relatif à l’information fournie. Ainsi, les données concernant le Tibet regroupées dans les chapitres « Le damaru, instrument d’immortalité » (pp. 108-110) et « Dril-bu ou la sagesse » (pp. 110-120) sont manifestement empruntées à Mireille Helffer ; de même, les références au jeu des tambours chez les Teda du Tibesti sont extraites des recherches de Monique Brandily au Tchad, alors que tout ce qui concerne les instruments royaux de la cour de Porto-Novo, au Bénin (pp. 128-129), provient des travaux bien connus de Gilbert Rouget.
15Après avoir signalé que « la cloche est l’instrument privilégié de nombreux peuples d’Afrique pour marquer le rythme » (p. 134), le petit chapitre sur « La cloche, symbole du pouvoir » développe une description détaillée d’un cas africain, y compris quatre noms différents donné à une même cloche double et la citation d’une incantation royale, mais sans préciser de quel roi, de quelle ethnie ni même de quel pays il s’agit. Ce n’est que s’il a en mémoire le livre de Gilbert Rouget, Un roi africain et sa musique de cour (1996), que le lecteur pourra savoir qu’il s’agit du roi Gbèfa de Porto-Novo. L’ambiguïté est entretenue par le fait que les deux photos illustrant ce propos représentent des cloches respectivement japonaise et malienne !
16Dans la quatrième partie intitulée « L’instrument social » (pp. 136-177), l’auteur envisage la musique en tant que fait social et culturel. Certains instruments sont surtout destinés à marquer le temps et à rythmer la vie d’une collectivité ; il en va ainsi de la cloche dans l’Occident chrétien comme dans l’Orient bouddhique, ou du tambour de bois dans certaines cultures africaines et océaniennes. A ce rôle normatif de la vibration sonore, écho de lois cosmiques immuables et de l’ordre social qui en découle, répond celui, plus ductile et individuel, de ce que l’auteur appelle « l’instrument nomade ». Compagnons d’errance de bardes inspirés, témoins de leurs rencontres et de leurs échanges, « luths et vièles vagabonds se retrouvent ainsi dans tous les coins du monde » (p. 144). Que leur ancêtre commun soit ou non l’arc musical, comme le veut un scénario souvent repris, on peut les suivre à la trace, comme le fait Lucie Rault, en observant les innombrables variantes de leurs noms, de leurs formes, de leurs techniques et des musiques qu’ils produisent en chaque région de la planète. Mais quelques imprécisions de détail méritent d’être signalées : contrairement à ce qui est dit, le luth chapey (ou câpî, p. 152) d’Asie du Sud-Est n’a pas toujours quatre cordes ; le rubâb ou rabâb afghan – plutôt que rebab – est un luth et non une vièle, de même que le sursringâr d’Inde du Nord, hybride créé au début du XIXe siècle (p. 153), erronément appelé sringara – ce terme désignant en sanscrit le sentiment érotique et non un instrument de musique. En ce qui concerne la filiation des luths, une certaine confusion entre luths à long manche et luths à manche court amène l’auteur à faire dériver du târ d’Arménie et d’Iran le pipa chinois et le biwa japonais, luths hémipiriformes d’Asie orientale en réalité apparentés au ‘ûd et à son précurseur le barbat sassanide (p. 163). Quant à Gibson (ibid.), c’est le nom d’un célèbre fabricant américain de guitares et non celui d’un dérivé de celles-ci. Signalons encore que l’instrument étrusque semblable à l’aulos grec représenté en p. 166 est manifestement une clarinette double idioglotte du type de l’arghûl égyptien, de la zummâra proche-orientale et des launeddas sardes, et ni une flûte ni un hautbois.
17Cette partie se termine sur quelques remarques plutôt désabusées sur notre perception musicale des autres cultures. La popularisation du piano à l’époque romantique et l’organisation de la gamme tempérée qu’il implique seraient ainsi responsables de la perte d’acuité mélodique de l’Occidental moyen, désormais incapable de percevoir des intervalles inégaux (pp. 168-169). Pour ceux qui ne le sauraient pas, il y est rappelé que, dans son abord des musiques de tradition orale, l’ethnomusicologue doit donc commencer par surmonter cet écueil s’il veut pouvoir « reconnaître » et décrire correctement des langages musicaux répondant à d’autres critères que ceux dont il a hérité.
18Devenu « gestionnaire de l’univers à son profit » et « maître des éléments », l’homme aurait conçu les instruments de musique afin de « Donner une âme à la matière », comme nous y invite la dernière partie du livre (pp. 178-219), et de renvoyer à la nature son image sonore, mais d’une façon culturellement déterminée. Ayant évoqué les rites qui président souvent à la fabrication et à l’intronisation des instruments, l’auteur se penche sur certains systèmes classificatoires comme ceux de l’Inde et de la Chine anciennes ou de l’Europe, du Moyen Age à l’époque contemporaine, signalant avec raison qu’au delà de la simple catégorisation organologique, ces systèmes permettent d’appréhender des aspects importants de la philosophie de la musique et de la vision du monde prévalant dans ces cultures.
19A cet égard, le rôle du luthier est essentiel : « lien entre la nature et le musicien », « alchimiste qui anime la matière », il est considéré comme « une sorte de médecin des âmes » dont dépend le devenir de toute musique instrumentale (p. 195), et les matériaux qu’il utilise déterminent à la fois les timbres et la signification des « corps sonores » auxquels ils donnent naissance. Dans ses derniers chapitres, Lucie Rault passe en revue certains de ces matériaux et la manière dont ils sont affectés à la facture instrumentale : les uns proviennent du règne animal, qu’ils soient des éléments du « corps sacrifié » d’humains ou d’animaux, ou faits de corne et d’ivoire, de conques et coquillages ou de plumes, de crins ou de cheveux ; d’autres participent d’un « orchestre végétal » où calebasses, bambous, bois, feuilles, écorces et fibres tressées résonnent de concert ; d’autres encore, parmi les plus anciens dont les vestiges aient été conservées, sont extraits du règne minéral, qu’ils soient faits de terre, de pierre ou de métal. Pour conclure l’inventaire, l’auteur signale enfin « une classe nouvelle d’instruments sans lesquels ce microcosme des matières instrumentales serait incomplet » (p. 216) : les instruments « de récupération », fabriqués à partir des déchets de la société industrielle tels que tuyaux de plastique, jantes de bicyclette ou bidons d’essence. Quels que soient les matériaux et les procédés organologiques qu’ils mettent en œuvre, tous concourent à la panoplie instrumentale d’une humanité en quête d’harmonie, dont cet ouvrage suit à la trace les tâtonnements, les réalisations et les développements les plus significatifs.
Pour citer cet article
Référence papier
Laurent Aubert, « Lucie RAULT, Instruments de musique du monde », Cahiers d’ethnomusicologie, 14 | 2001, 277-283.
Référence électronique
Laurent Aubert, « Lucie RAULT, Instruments de musique du monde », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 14 | 2001, mis en ligne le 10 janvier 2012, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/177
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