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Film

Côte-d’Ivoire : Siaka, musicien africain

Hugo Zemp. Paris 2005
Vincent Zanetti
p. 299-301
Référence(s) :

Côte-d’Ivoire : Siaka, musicien africain. Images et enregistrements : Hugo Zemp. Paris 2005. 1 vidéocassette VHS PAL ou 1 DVD, production Sélénimu Films, diffusion Süpor XAO.

Texte intégral

  • 1 Cf. Cahiers de musiques traditionnelles 15, pp. 231-235, Genève, 2002

1En 1958 et dans les années 1960, la Côte d’Ivoire fut le premier terrain de recherche d’Hugo Zemp : voyage initiatique à plus d’un égard, marqué notamment par une scène de funérailles traditionnelles en pays sénoufo, dans la région de Korhogo. Bien des années plus tard, à la veille d’une retraite méritée, le chercheur du CNRS, devenu pionnier du film d’ethnomusicologie, est reparti à la recherche de ces premières émotions ivoiriennes et a ramené plusieurs films consacrés à l’art du balafon sénoufo tel qu’il est pratiqué dans le nord-ouest du pays 1. C’est alors que se situent nos premières rencontres : une interview pour la Radio Suisse Romande Espace 2, puis une critique de ces films pour l’édition 2002 des Cahiers de musiques traditionnelles, nous ont amenés à évoquer une possible suite à ces films dans le contexte plus moderne des cabarets de Bobo-Dioulasso, au Burkina-Faso. A Hugo Zemp qui cherchait un guide, j’ai proposé de prendre contact avec celui qui m’apparaissait à la fois comme le plus intègre et le meilleur des informateurs dans ce domaine, le balafoniste burkinabé Siaka Diabaté, un de mes compagnons de tournées au sein du groupe du djembéfola Soungalo Coulibaly. Rendez-vous fut pris à Bouaké, domicile ivoirien du musicien, et là, séduit par l’exceptionnelle virtuosité de Siaka Diabaté et par la polyvalence de ses talents d’instrumentiste, Hugo Zemp en oublia son projet de cabaret et décida de consacrer un film entier à l’artiste.

  • 2 Cf. Soungalo Coulibaly – Live, 1 DVD Arion ARN 80699, 2005

2A ce stade, il convient de s’arrêter sur le personnage de Siaka Diabaté. Né au sein d’une importante famille de griots d’Orodara en 1965, il n’est jamais allé à l’école. Complètement analphabète, pas très doué en relations publiques et peu enclin à se vendre lui-même, Siaka Diabaté est pourtant un véritable génie du balafon. Pas seulement dans sa variante sénoufo, telle qu’on la retrouve dans sa région natale du Kénédougou et dont l’art lui a été inculqué à coups de bâtons par son oncle, mais aussi sous sa forme malinké, celle du jelibalani des griots mandingues, en fait un instrument fondamentalement différent du premier : autre forme, dimensions différentes, autre accordage, autre répertoire… En près de vingt ans de pratique, Siaka Diabaté est passé sur cet instrument du stade de l’autodidacte brillant à celui du virtuose novateur. Fort de ses expériences de scène et de studio au sein du groupe de Soungalo Coulibaly 2, il en a repoussé les limites traditionnelles, laissant loin derrière lui les plus fameux de ses pairs de la scène « griotique » de Paris ou de Bamako. Comme si cela ne suffisait pas, il s’est également découvert au cours d’une tournée en Europe un don certain pour la kora, la harpe-luth traditionnelle des griots malinké, dont il joue aujourd’hui aussi bien lors des fêtes à Bouaké que sur les scènes internationales, à l’occasion des tournées.

3On peut légitimement se demander comment de tels talents ont pu échapper à l’attention des producteurs de la world music. La réponse se trouve sans doute dans le caractère solitaire et défiant de Siaka Diabaté, ainsi que dans sa fidélité indéfectible à ceux avec lesquels il travaille. Adonné tout entier à sa recherche musicale, peu soucieux de se montrer ailleurs que là où l’on joue vraiment, il est de ces artistes à la personnalité discrète dont le génie ne saute aux yeux que lors des concerts. De ce point de vue, comme de celui de sa polyvalence instrumentale ou de sa faculté à faire siens des répertoires nouveaux, on a affaire ici à un musicien tout à fait atypique.

4Une atypie que le titre du film d’Hugo Zemp, « Siaka, musicien africain », tend plutôt à cacher en laissant entendre qu’on a affaire à un artiste particulièrement représentatif du continent. Certes, tout au long du film, on se rend compte du fait que Siaka est aussi parfaitement à l’aise derrière l’un ou l’autre de ses deux balafons qu’à la guitare, à la kora ou au kenkeni – le tambour de basse qui accompagne le jeu traditionnel des djembés : de ce point de vue, et c’est sans doute le vrai sens du titre, on sent que tout son art se nourrit de traditions multiples. Mais on n’est jamais vraiment confronté ni à sa virtuosité exceptionnelle, ni à la modernité de son jeu, ni à sa faculté de se réapproprier et de convertir dans son langage musical les apports d’autres cultures, caractéristiques pourtant remarquables, qui font de lui quelqu’un à part dans la famille des musiciens africains.

5En réalité, et c’est son intérêt véritable, le film parle surtout de la ville de Bouaké, du moins telle qu’elle était encore quelques mois avant le déclenchement de la rébellion en septembre 2002. On y retrouve le foisonnement contrasté des minorités culturelles en milieu urbain, on y apprend le fonctionnement des fêtes, les relations particulières entre les batteurs de djembé, les griots et la communauté – ici, plus moyen de parler de public, tout le monde participe. On réalise l’importance des femmes dans la négociation et l’organisation des festivités, leur relation privilégiée avec les musiciens, leur marge de négociation. On prend acte de la distance toujours plus grande qui sépare les aînés, soucieux du respect des formes traditionnelles, des jeunes musiciens, avides de sonorisation tonitruante – au début du film, un très beau plan sur la fête qui se prépare et sur les enceintes de diffusion de son dont les câbles rougeoient dangereusement, exprime mieux que n’importe quel commentaire le peu de souci de maintenance du matériel. On constate la futilité des chants de louanges des griots et la dérive de leur tradition dans un milieu où il est plus facile et plus intéressant économiquement de flatter la clientèle, laquelle n’attend d’ailleurs rien d’autre : loin de la mythologie du griot maître de la parole, on est ici dans le domaine du divertissement le plus simple, lieu de prédilection des griots modernes.

6A cet égard, les images d’Hugo Zemp touchent juste et restituent bien les continuités et les ruptures entre le monde traditionnel et le milieu urbain. Fidèle à sa méthode de prédilection, l’ethnomusicologue filme seul, évite les commentaires inutiles et privilégie les longs plans séquences, qui mieux que tout artifice, permettent au spectateur de se plonger dans la scène et de s’en imprégner. Soucieux de dépasser la barrière de la langue, il a recours systématiquement au sous-titrage, même dans des moments de fêtes pourtant confus, et la précision des textes, vérifiés avec Siaka Diabaté lui-même avant la sortie du film, apportent une réelle plus-value au document. En peignant le monde de la ville, Hugo Zemp apporte un complément intéressant et nécessaire à ses précédents films.

7Au chapitre des points faibles, on ne peut que déplorer la prise de son défectueuse lors des interviews. De fait, l’éclatement de la guerre civile n’a pas permis à Hugo Zemp de retourner à Bouaké, ce qui lui aurait sans doute permis de corriger le tir. Mais le vrai défaut, si tant est qu’il faille parler de ça en ces termes, c’est sans doute, encore une fois le choix du titre : le film aurait pu s’appeler « Bouaké » et dans l’état, il ne rend pas justice à la vraie personnalité de Siaka Diabaté, qui est surtout utilisé comme fil rouge. Un défaut qui pourrait bien trouver réparation dans un prochain film : à l’heure qu’il est, un nouveau projet est en cours, qui permettrait de retrouver Siaka Diabaté dans son milieu culturel d’origine. Confronté à d’autres balafonistes traditionnels, son jeu ne peut qu’en sortir valorisé. A suivre…

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Notes

1 Cf. Cahiers de musiques traditionnelles 15, pp. 231-235, Genève, 2002

2 Cf. Soungalo Coulibaly – Live, 1 DVD Arion ARN 80699, 2005

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Zanetti, « Côte-d’Ivoire : Siaka, musicien africain »Cahiers d’ethnomusicologie, 19 | 2006, 299-301.

Référence électronique

Vincent Zanetti, « Côte-d’Ivoire : Siaka, musicien africain »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 19 | 2006, mis en ligne le 15 janvier 2012, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/156

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Auteur

Vincent Zanetti

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