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John GRAY. African Music. A Bibliographical Guide to the Traditional, Popular, Art, and Liturgical Musics of Sub-Saharan Africa / Carol LEMS-DWORKIN. African Music : A Pan-African Annotated Bibliography

New York, Wesport (Connecticut) : Greenwood Press, 1991 / London : Hans Zell Publishers, 1991
Christian Poché
p. 250-257
Référence(s) :

John GRAY. African Music. A Bibliographical Guide to the Traditional, Popular, Art, and Liturgical Musics of Sub-Saharan Africa. New York, Wesport (Connecticut) : Greenwood Press, 1991. 500 p.

Carol LEMS-DWORKIN. African Music : A Pan-African Annotated Bibliography. London : Hans Zell Publishers, 1991. 382 p.

Texte intégral

1Une grande fébrilité bibliographique semble marquer cette fin de siècle. Comme si un état des lieux rendu de plus en plus nécessaire devenait un impérieux mot d’ordre. Cette activité de nos jours devient telle, qu’elle a créé, dans le courant de ces dernières décennies, une véritable discipline autonome, celle de la recherche bibliographique des musiques traditionnelles. Quoiqu’on en pense, beaucoup a été publié dans ce domaine. Il devient donc urgent d’établir le recensement des principaux écrits afin d’en faire le point.

2L’Afrique musicale n’est point sur la brèche : on aurait voulu croire que les textes qu’elle a suscités se comptaient sur les doigts. Combien de personnes avisées estiment que la monographie musicale africaine ne démarre en fait qu’avec l’ouvrage du docteur Stephen Chauvet, Musique nègre, paru en 1929 et faisant suite à de nombreux articles publiés ici ou là ? Non seulement les documents se sont avérés nombreux mais déjà, par le passé, ils avaient développé une réflexion bibliographique appropriée. Bien que timide, elle a eu le mérite d’exister. Néanmoins ces prémices sont désormais balayées par deux ouvrages majeurs parus à peu d’intervalle l’un de l’autre. Ceux de John Gray et de Carol Lems-Dworkin. Ces magnifiques réalisations viennent momentanément clore ce jeune dossier.

3Si donc la bibliographie musicale africaine se trouve fortement auréolée par la sortie de ces deux volumineux ouvrages, son histoire ne débute pas pour autant aujourd’hui : d’autres publications l’ont précédée, montrant que ce domaine déjà balisé avait attiré l’attention. Il est bon de rappeler, même succinctement, ces quelques titres peu connus, sauf des spécialistes, qui ont préparé le terrain. C’est tout d’abord le livre de L.J.P. Gaskin qui, publié en 1965 à Londres sous le nom de A Select Bibliography of Music in Africa, fut pendant très longtemps le Baedeker de la bibliographie musicale du continent africain, rendant de très nombreux services à l’usager. Bien que l’ouvrage en question mentionne, en plus de textes spécifiques, les relations de voyages, les récits ou autres rapports de missions qui, souvent, ne parlent que brièvement de la musique et dont l’accumulation de références étoffent copieusement les pages du volume, cette bibliographie, aujourd’hui épuisée, est restée un livre incontournable pendant de très nombreuses années. Gaskin, il est vrai, avait travaillé sous la tutelle de l’éminent Klaus Wachsmann. Sa compilation totalisait 3370 entrées, ce qui est une somme de connaissance et un véritable exploit. Les entrées étaient essentiellement réparties par disciplines et par pays : découpage qui sert de point de départ à la démarche de John Gray. Que de titres inconnus et rarissimes figurent dans la nomenclature de Gaskin, comme ce livre publié en 1943 à Lisbonne Música negra de Belo Marques, étude portant sur les Tonga du Mozambique, ou la Musica africana du padre Filiberto Giorgetti, édité à Bologne en 1957 qui porte essentiellement sur la musique des Azande : titres repris en bonne et due forme par John Gray dans son travail. Auparavant ce manuel avait été précédé par de modestes essais de Douglas Varley African Native Music, An Annotated Bibliography, Folkestone & London, 1936, réédité en 1970, suivi d’une étude peu connue d’Alan Merriam, libellée « An annotated bibliography of African and African derived music since 1936 » Africa 21 (1951) : 319-329, et l’ouvrage de Darius Thieme African Music : A Briefly Annotated Bibliography, Washington, 1964, publié par les soins de la Library of Congress et qui était destiné à faire le point des collections de cette prestigieuse bibliothèque sur cette question. Il ressortait de la lecture de ces ouvrages, hormis le travail de Merriam, que ceux-ci étaient essentiellement compilés par des bibliothécaires de formation ou des archivistes, ce qui allait de soi dans la mesure où ces derniers pouvaient prétendre avoir accès à une documentation dispersée, qu’ils savaient mieux que quiconque dépister afin de la rendre accessible, rôle incombant moins à l’ethnomusicologue davantage absorbé par des problèmes de terrain.

4Plus imposant et plus proche de nous, quoique encore plus méconnu et ignoré, est l’essai bibliographique rédigé par un ethnomusicologue de renom, Kwabena Nketia, sous forme de polycopié, et publié à Paris en une centaine d’exemplaires, en 1983, par les soins du Conseil International de la Musique pour les besoins de la funambulesque histoire de la musique de l’Unesco, projet à l’époque baptisé « Music in the Life of Man : a World History », puis devenu « Universe of Music – A History », et qui, depuis, bat terriblement de l’aile. Nketia avait complété, en 870 entrées, l’inventaire des publications parues sur la musique africaine demeurées en suspens depuis l’ouvrage de Gaskin, d’où le nom de son recueil : « A Check-list of publications on African Music since Gaskin 1965 », édité sous le nom de Work in Progress Africa. En quelque sorte une remise à jour de la bibliographie musicale africaine sur une vingtaine d’années, dans la mesure où, plus nous avançons, plus les publications se multiplient. D’autres essais assez timides allaient encore suivre : celui, non daté, de Ben A. Aming An Annotated bibliography of music and dance in English-speaking Africa, publié à Legon (Ghana), comprenant 132 entrées et celui, plus imposant, du bibliographe de l’Afrique, Dominique René De Lerma qui, en plus de son approche globale sur ce sujet, a consacré une partie de ses recherches au domaine musical, et les a fait publier chez Greenwood en 1981.

5Les deux ouvrages qui paraissent aujourd’hui sont d’une vaste dimension et d’une haute ambition : l’un et l’autre signés d’auteurs américains, ils tentent de faire le tour le plus complet de la question, avec des méthodes de travail plus performantes que celles de leurs prédécesseurs. A cet effet les chercheurs disposent désormais de l’informatique, seul outil en soi capable d’assurer la faisabilité d’une pareille entreprise et d’arriver à dresser un bilan plutôt exhaustif de la bibliographie musicale et autant que possible dans toutes les langues. Si le premier des auteurs semble relever d’une formation de bibliothécaire, bien que John Gray se présente comme le directeur du Black Arts Research de New York, la seconde, Carol Lems-Dworkin, possède une connaissance intrinsèque du sujet qu’elle traite, c’est du moins ce qu’il ressort de la lecture de son ouvrage. A cet égard, la formation technique de John Gray, qui a opéré sur une base de données, a entraîné certaines erreurs grossières qu’une connaissance du terrain ou du moins l’examen du texte incriminé, aurait certainement évitées : celle de confondre par exemple l’Etat du « Sudan » avec la région de Java Ouest qui porte le nom de « Sunda » et qui est faussement rectifiée en « sudanese ». C’est ainsi que, dans cette nomenclature africaine, une malencontreuse coquille (N° 3036) porte sur le « Sudanese gamelan » entré au chapitre du Soudan et, tel quel, ce titre renvoie vers une double erreur. Mais ceci semble une faute courante dans les bibliographies puisqu’on la retrouve également dans l’ouvrage de Krüger-Wust, Arabische Musik in europäischen Sprachen. Eine Bibliographie (Wiesbaden : 1983). Néanmoins John Gray propose, avec 5802 titres, la plus complète et formidable compilation jamais atteinte par la connaissance de la musique africaine et qui apparaît comme un véritable tour de force et un ouvrage difficilement surpassable. Gray se contente, comme l’indique son titre, de ne traiter que de l’Afrique sub-saharienne. Il y inclut donc les îles du Cap Vert, mais curieusement, ignore celles de l’Océan Indien se rattachant culturellement à l’Afrique (Madagascar, Comores). Il néglige donc les publications musicales concernant cette zone pour des raisons d’autant plus incompréhensibles qu’une spécialiste de Madagascar, Norma McLeod, ne peut être ignorée du bibliographe, dans la mesure où elle est citée abondamment pour ses écrits sur la musique africaine. Mais cette mise à l’écart n’entame en aucune façon le plaisir que procure cet ouvrage et la multiplicité de références qu’il autorise.

6Pour sa part, Carol Lems-Dworkin étend sa recherche à tout le continent africain, îles comprises, englobe l’Afrique du Nord, aborde l’Antiquité égyptienne, et enfin cite les travaux consacrés à la diaspora des Noirs dans les deux Amériques comme aux Antilles et aux Caraïbes. Erreur de taille, car si l’auteur se contente de 1703 entrées, c’est cependant la périphérie qui souffre de faiblesses. Les « Amériques noires », pour reprendre l’expression de Roger Bastide, tout comme l’Afrique du Nord, sont bien plus riches en production de littérature musicale que la sélection glanée par l’auteur ne le laisse supposer. En revanche, il n’est pas sûr que certaines références signalées sur le Venezuela (N° 123) portent exactement sur la musique des Noirs, mais à ce jeu toutes les citations de textes deviennent possibles. A ce titre, il est d’autant plus frappant que l’auteur passe sous silence l’un des ouvrages clés en la matière : La musica afrovenezolana de Luis Felipe Ramon y Rivera (Caracas : 1971), ou celui plus spécifique de Rosa Elena Vázquez Rodríguez La practica musical de la poblacion negra en Peru (La Havane : 1982). Enfin, et à notre étonnement, le nom du célèbre musicologue cubain Fernando Ortiz (1880-1969), pionnier en la matière, qui a beaucoup contribué à l’étude de l’apport des Noirs à la musique de Cuba, n’est même pas mentionné, et encore moins l’un de ses ouvrages majeurs, paru pour la première fois en 1950 et réédité depuis, La africanía de la música folklórica de Cuba (La Havane). Enfin, la bibliographe n’a pas dû connaître l’ouvrage du regretté Vincent Doucet (1959-1984), Musiques et rites afro-américains (Paris : 1988). En ce qui concerne l’Afrique du Nord, sa méconnaissance de la langue arabe fait obstacle, bien que l’auteur prenne soin de la signaler dans sa préface comme facteur pertinent. Elle tempère néanmoins sa recherche dans ce domaine, puisqu’elle ne se contente de signaler qu’un seul ouvrage et encore, ce dernier n’a-t-il pas été publié à New York ? Bahījah Sidqī Rashīd, Egyptian Folk Songs in Arabic and English (reprise d’une édition publiée au Caire en 1958). Elle ne fait donc que sélectionner prélever quelques publications éparses en allemand, anglais et français, mais passe sous silence les deux ouvrages de l’égyptienne Samha el Kholi directement rédigés en langue anglaise et publiés en Egypte, The function of music in Islamic Culture (Le Caire : 1984) ; The Tradition on Improvisation in Arab Music (Le Caire : n.d.), bien qu’ils s’agisse d’essais n’abordant pas directement l’Afrique noire, mais qui répondent cependant au cahier des charges que l’auteur s’est imposé. La bibliographe ignore l’existence d’un des rares ouvrages publiés dans la capitale égyptienne, en langue arabe, sur la musique africaine : celui de Muhammad Maḥmūd Sāmī Ḥāfiz : al-Mūsīqá al-Ifriqiyya [La musique africaine] (Le Caire : al-Maktaba al-Anjlu al-Misriyya, 1989, 131 p.). Elle néglige aussi les deux livres bilingues arabe et anglais, publiés à Khartoum par Ali al-Daw : Traditional musical instruments in Sudan (1985) ; Traditional Music in al-Berta Society (1988), titres qu’ignore également John Gray. De même les ouvrages en langue russe, bien qu’assez discrets sur ce sujet, sont absents chez cette dernière, mais figurent en bonne place chez le premier.

7John Gray, quant à lui, couvre l’histoire de la documentation musicale africaine dans sa totalité, ce qui est tout à son honneur, en dépit des embûches qui l’attendent. Il prend pour point de départ le récit du padre italien Cavazzi, qu’il date malheureusement de 1732, année qui correspond plus exactement à l’édition française traduite par le Père Labat. La relation de voyage de G.A. Cavazzi da Montecuccolo fut publiée pour la première fois à Bologne en 1687, sous le titre de Istorica Descrizione de Tre Regni Congo. Ce texte, célèbre entre tous mais peu connu, recèle une série de gravures sur l’activité musicale de l’Angola. Il constitue très certainement, avant le fantaisiste Gabinetto Armonico (Rome : 1723) du Padre Bonnani, mais après le classique Syntagma Musicum de M. Praetorius publié entre 1614 et 1619, l’une des toutes premières références iconographiques collectées sur le terrain. Il est vrai que, si la relation du Padre Cavazzi est d’une importance considérable, ce document n’est pas historiquement le premier à marquer et à survoler, même épisodiquement, l’activité musicale africaine. John Gray élimine, vraisemblablement pour des raisons de commodités, des relations de voyage de missionnaires ou autres, antérieures à cette date, qu’il juge trop modestes pour le créneau qui l’intéresse : fait d’autant plus regrettable que l’on doit au voyageur arabe du XIVe Ibn Battūta, la première description du balafon dans l’Empire du Mali, et que les écrits des missionnaires en Abyssinie, le portugais Francisco Alvarès (XVe), l’allemand Job Ludolf (1681), le jésuite français Jérôme Lobo (1728), recèlent une description très précieuse des instruments de musique du royaume, pour ne pas citer également le journal de voyage de Vasco de Gama (1497-98). Si néanmoins l’on voulait mettre les pendules à l’heure, il y aurait lieu de rappeler que le premier texte, du moins dans la connaissance actuelle des choses, relatant l’activité musicale africaine doit être attribué au polygraphe arabe al-Jāḥiz (IXe) qui, dans son écrit Kitāb fakhr al-sudān calá al-bidān [Le livre de la supériorité des Noirs sur les Blancs], est le premier à aborder ce thème historiquement.

8Carol Lems-Dworkin entreprend sa recherche à partir de 1960 et la poursuit jusqu’en 1991, date qui lui permet d’intégrer également l’ouvrage de son confrère John Gray. Cette période d’une trentaine d’années donne à son travail un caractère beaucoup moins exhaustif. Néanmoins l’auteur accentue aussi sa démarche sur des publications en langue yorùbá, les cite quasiment dans leur intégralité et s’attarde sur les nombreux périodiques qui publient occasionnellement des textes relatifs à la musique. Parfois elle baisse les bras devant l’énormité de la tâche à accomplir. Ainsi en est-il des publications de Gerhard Kubik, auteur sans doute de la plus grande quantité de textes sur la musique africaine [n.d.l.r. : cf. l’entretien avec G. Kubik dans ce numéro]. La bibliographe se contente de prélever quelques titres dans la moisson de ses écrits et renvoie le lecteur pointilleux au chercheur autrichien en personne, signalant son adresse à Vienne, et précisant bien que la demande de desiderata des titres exhaustifs signés de Kubik, doit s’accompagner d’une enveloppe timbrée (N° 901). Elle ignore cependant l’un de ses rares ouvrages, Zum Verstehen afrikanischer Musik (Leipzig : 1988) mentionné cependant par John Gray.

9Enfin, tous deux dépouillent ouvrages, articles, communications, chapitres de livres et thèses, mais il s’agit davantage de thèses américaines. Les thèses sont généralement d’accès difficile, hormis celles que prodiguent à toute personne qui en fait la demande et l’acquisition, celles rassemblées par l’UMI à Ann Arbor (U.S.A.). En ce qui concerne les articles, John Gray a soin, dans sa présentation, de séparer les monographies des thèses, des articles ou communications, des chapitres publiés dans un ouvrage de portée générale : tout ceci constituant donc une présentation quadripartite : procédure louable qui conduit cependant à quelques interrogations. Ainsi en est-il du texte de Bernhard Ankermann « Die afrikanischen Musikinstrumente », publié d’abord en 1901 à Berlin dans le périodique Ethnologisches Notizblatt, puis séparément réédité en 1976, puis en 1983 à Leipzig, en un ouvrage portant le même nom. Ce titre apparaît ainsi à deux reprises dans des chapitres différents sans que l’on puisse en établir le lien. Autre différence d’approche : John Gray ne fait que dresser l’inventaire des publications, d’où la confusion que pourrait induire la lecture, comme l’exemple d’Ankermann le suggère, alors que Carol Lems-Dworkin fait suivre chaque titre retenu d’un commentaire incisif qui donne une autre lumière à son travail, le personnalise et en facilite la lecture.

10Des convergences aussi : les deux compilations ne portent pas uniquement sur la musique traditionnelle, mais y traitent de l’aspect moderne développé dans les centres urbains. Alors que Lems-Dworkin cite ces travaux dans le corps de la bibliographie, selon la procédure alphabétique, John Gray a soin de diviser son ouvrage en deux parties d’égale longueur : l’une relevant de la musique traditionnelle, l’autre portant sur la musique récente et modernisée que la langue anglaise désigne sous le vocable « popular ». Si ce dernier courant, il y a quelques années, n’intéressait que les Africains en personne, il suscite de plus en plus l’attention des chercheurs. Le nom de Wolfgang Bender de l’Institut d’Ethnologie et des Etudes Africaines de Mayence s’impose notamment. Ce dernier se consacre désormais à ces formes de plus en plus médiatisées portant les labels de jùjú, highlife, makossa, taarab ou rumba zaïroise. Bender a publié à Munich en 1985 l’ouvrage Sweet Mother. Moderne afrikanische Musik (cité par les deux compilateurs) dont le succès fut tel qu’il a déjà été traduit en langue anglaise et française. Par ailleurs, l’américain Peter Manuel, professeur à l’Université de Columbia (New York), est également l’auteur d’un ouvrage publié en 1988 par les très sérieuses éditions de l’Université d’Oxford, sous le titre de Popular Musics of the Non-Western World qui fait également le tour de la question.

11Deux ouvrages certes similaires dans leur portée, malgré des divergences, parus presque simultanément et présentant chacun une approche différente. Il y a lieu d’abord de se demander quelle est la méthode idéale que doit suivre le bibliographe pour établir ses fiches et combler l’attente du lecteur ? Doit-il sélectionner les entrées en fonction des auteurs, et par conséquent les disposer alphabétiquement, ou au contraire doit-il opérer géographiquement, en découpant le continent africain par zones, par pays, et de là par ethnies ? Si Lems-Dworkin a opté pour la première solution, celle qui semble s’imposer naturellement à l’esprit, John Gray, à l’inverse, a jeté son dévolu sur la seconde. Sans doute correspond-elle davantage à la conception que se fait l’honnête homme qui, par exemple, voudrait tout savoir de ce qui a été écrit sur la musique des Kamba, des Embu, des Kikuyu, des Luo du Kenya, et qui n’a que faire des patronymes étrangers qui l’incommodent : ils risqueraient de compliquer sa recherche et de l’égarer. Néanmoins, si cette démarche peut réjouir certains, elle en agacera d’autres qui découvrent avec déception l’éclatement de l’œuvre d’un auteur, fractionnée, mutilée, et renvoyée sous de très nombreuses occurrences. C’est rappeler, quitte à se répéter, le but de l’opération : à qui s’adresse l’ouvrage, et qui en sera le bénéficiaire ? Il est certain qu’une formule idéale aurait été la coexistence des deux méthodes : celle qui groupe les écrits sur une ethnie ou un pays donné, et celle qui, à l’inverse, collige les textes d’un même auteur. Mais cette proposition aurait soulevé la méfiance de plus d’un éditeur, peu soucieux de voir multiplier les pages du produit, craignant de majorer en conséquence son prix de vente et de réduire la portée de la diffusion. Quoiqu’il en soit, une formidable panoplie d’index (4 chez Gray, 2 chez Lems-Dworkin) est là, pour faciliter la recherche. Dans l’un et l’autre des ouvrages, elle permet de multiplier les accès, mais souvent, c’est elle qui guide les débats.

12Qu’en est-il dans ces deux entreprises gigantesques des références aux écrits en langue française ? Il faut bien le reconnaître, un louable effort est mené dans ce sens afin d’atteindre au dépouillement le plus large. Lews-Dworkin se donne la peine d’éplucher des textes parus dans des publications peu accessibles à un chercheur d’outre-Atlantique, comme le sont les écrits de l’algérienne Nadia Mecheri-Saada sur la musique touarègue, citée à deux reprises. Néanmoins, les thèses soutenues en France sur le thème africain sont toutes absentes de l’une ou l’autre des compilations, exception faite de Zemp (Lems-Dworkin N° 1702), faute, il faut en convenir, d’un outil adéquat de diffusion qui permettrait de les signaler à l’échelon international, en dehors du RILM. Mais encore, lorsqu’on se penche avec minutie sur les sujets rédigés par des auteurs de langue française, de réels manques apparaissent ici ou là, et se font cruellement sentir. Pour ne citer qu’un exemple : la liste exhaustive des écrits du regretté Pierre Sallée (décédé en 1987) a été cataloguée par Monique Brandily et publiée en 1988 dans le numéro 1 des Cahiers de musiques traditionnelles. A cet égard, non seulement le texte de Brandily intitulé « Pierre Sallée, une vie en musique » est ignoré par l’un et l’autre des bibliographes américains, mais la lecture du catalogue des écrits de Sallée rend caduque toute tentative ultérieure de bibliographie éparse où l’oubli, voire la négligence, viendrait régner en maître : car ici l’on reste selon toute évidence sur sa faim. Quant à l’un des pionniers en la matière, André Schaeffner, la liste exhaustive de ses écrits a été publiée depuis belle lurette. Elle a paru dans le numéro spécial de la Revue de musicologie sous le titre Les fantaisies du voyageur : XXXIII variations Schaeffner (Paris : 1982). Concernant André Schaeffner, Carole Lems-Dworkin télescope son nom avec celui d’Hugo Zemp, et le transforme en Hugo Schaeffner (N° 1413), ne lui accordant qu’une seule et unique entrée. Si les écrits de Schaeffner figurent en bonne place chez John Gray, d’inexcusables oublis sont une fois de plus à relever, comme ce petit texte publié séparément à Dakar en 1952 : Timbales et longues trompettes ou l’ouvrage plus connu sur Le jazz (Paris : 1926, réédité en 1988), dans lequel Schaeffner est l’un des premiers à rattacher ce genre à l’Afrique traditionnelle, selon une argumentation rigoureuse relevant d’une approche ethnomusicologique, thème que développeront en force et bien plus tard les Samuel Charters, The Roots of the Blues (Boston : 1981), Norman Weinstein, A Night in Tunisia : Imaginings of Africa in Jazz (Metuchen, N.J. : 1992) et autres auteurs.

13Quoiqu’il en soit, ces quelques réserves ne doivent en aucun cas entacher la portée de ces deux ouvrages qui feront désormais autorité et qui nous semblent se compléter l’un l’autre. Leur consultation deviendra indispensable : elle permettra à plus d’un de gagner en connaissance, par la lecture ou le simple parcours, et facilitera l’accès à ce domaine encore jeune, mais déjà riche, prometteur et plein d’avenir.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christian Poché, « John GRAY. African Music. A Bibliographical Guide to the Traditional, Popular, Art, and Liturgical Musics of Sub-Saharan Africa / Carol LEMS-DWORKIN. African Music : A Pan-African Annotated Bibliography »Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994, 250-257.

Référence électronique

Christian Poché, « John GRAY. African Music. A Bibliographical Guide to the Traditional, Popular, Art, and Liturgical Musics of Sub-Saharan Africa / Carol LEMS-DWORKIN. African Music : A Pan-African Annotated Bibliography »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 7 | 1994, mis en ligne le 03 janvier 2012, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1445

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Auteur

Christian Poché

Christian Poché est ethnomusicologue et musicologue. Après avoir été membre de l’Institut International d’Etudes Comparatives de la Musique de Berlin (depuis, Institut des Musiques traditionnelles) (entre 1970-74) où il fut appelé par Alain Daniélou afin de développer le secteur du Proche-Orient, il a également fait partie de l’Institut du Monde Arabe de Paris (1985-1991) où, entre autres, il a monté une base informatique de données sur la musique arabe. On lui doit aussi l’organisation, dans ce même Institut, du 11e Congrès de l’Académie Arabe de Musique tenu en février 1989 et la publication (avec Bernard Moussali) d’une anthologie en deux disque compacts, des enregistrements du Congrès de Musique arabe du Caire de 1932. Il a collaboré aux dictionnaires Bordas, Grove, Oxford, Encyclopaedia Universalis, Larousse, et a rédigé des articles pour Garland Encyclopedia of World Music (en préparation) et le Diccionario de la Música Española e Hispanoamericana (en préparation). Il est présentement producteur à France Culture. Il est l’auteur d’un livre CD Musique du monde arabe, écoute et découverte (Paris, IMA, 1994) et a contribué à la rédaction des rubriques musicales du premier CD-ROM Adib (1994), consacré au monde arabe. Les Editions de disques OCORA l’ont également chargé de rédiger les notices d’accompagnement du coffret de 6 CD Le monde des musiques traditionnelles (1994), paru récemment.

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