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Livres

Enrique CAMARA DE LANDA (dir.), Ignacio CORRAL BERMEJO, Monica DE LA FUNENTE GARCIA, Maria GONZALEZ LEGIDO : Sangita y Natya. Musica y Artes Escénicas de la India

Valladolid (Espagne) : Universidad de Valladolid, 2006
Jeanne Miramon-Bonhoure
p. 309-313
Référence(s) :

Enrique CAMARA DE LANDA (dir.), Ignacio CORRAL BERMEJO, Monica DE LA FUNENTE GARCIA, Maria GONZALEZ LEGIDO : Sangita y Natya. Musica y Artes Escénicas de la India. Valladolid (Espagne) : Universidad de Valladolid, 2006. 245 p., 6 DVD.

Texte intégral

1Voici le premier livre en langue castillane dédié à la musique indienne ; en effet, comme le fait observer Enrique Camara de Landa, docteur en ethnomusicologie et professeur à l’Université de Valladolid, qui dirige cette édition, la littérature musicologique espagnole n’offrait pas encore d’ouvrage sur la musique et les arts de la scène de l’Inde.

2L’initiative prise par les quatre spécialistes espagnols ayant collaboré à ce travail est d’autant plus louable que le livre est accompagné d’un support audiovisuel conséquent, ce qui est encore peu fréquent dans les publications actuelles. En effet, six DVD complètent le livre, sous forme de monographies consacrées à trois instruments (vînâ, sitâr, mridangam), un genre vocal (le chant carnatique) et deux genres scéniques (la danse bharata nâtyam et le théâtre kathakali).

3L’éditeur de la présentation de la collection, annonce une introduction à la musique et aux arts de la scène de l‘Inde, à travers « l’exposition analytique de quelques-uns de ses systèmes généraux les plus représentatifs » (p. 13). On remarquera cependant que l’essentiel de ces systèmes concerne la tradition classique de l’Inde du Sud, avec une exception : un chapitre du livre et un DVD consacrés à la musique hindustani ou musique classique de l’Inde du Nord, représentée ici par le sitâr. L’auteur justifie ce choix par l’existence d’une littérature déjà très abondante sur la musique hindustani accessible en Occident, et par le fait que la majorité des auteurs de cet ouvrage sont spécialisés dans la tradition carnatique (p. 10).

4Sangita y Natya ; nâtya désigne l’art du nata c’est-à-dire de celui qui se met en acte ; sangîta est un élément de la performance, ce terme sanscrit regroupant le jeu d’un instrument, le chant et la danse (cf. Tarlekar 1999) un sujet qui englobe une très grande diversité de savoirs et savoir-faire bien difficile à résumer en quelque deux cents pages. En effet, Enrique Camara nous avertit dès l’introduction de son livre qu’il s’agit avant tout de faciliter l’accès à cette culture grâce au travail et à l’enthousiasme d’une équipe passionnée par la musique et les arts de la scène indiens. Les auteurs ont tous une double approche de cette culture, à la fois pratique et universitaire (p. 7).

5Le livre en lui-même est structuré en quatre grandes parties : une « Introduction » (pp. 7-50), une « Présentation de la musique carnatique » (pp. 51-170), un chapitre sur la musique hindustani à travers le sitâr (pp. 172-191), et une présentation de deux arts de la scène : le bharata nâtyam et le kathakali (pp. 194-240). Une bibliographie est proposée en fin de chaque article, avec un complément en fin d’ouvrage (pp. 241-243). On regrettera cependant l’absence d’une discographie et d’un glossaire, tant pour le texte que pour les DVD.

6Pour introduire le sujet du livre, Enrique Camara propose dans un premier article une réflexion sur les convergences et divergences entre musique indienne et musique occidentale, afin de « faciliter un premier contact avec ces concepts et ces phénomènes nouveaux pour le lecteur » (p. 9). Il articule son propos autour de cinq concepts, qui, selon lui, expriment une permanence dans la création artistique, tant en Inde que dans la tradition classique occidentale : 1. la notion de « souffle vital » ou « inspiration divine » (prâna) à l’origine de toute création, 2. la théorie, 3. l’Histoire, 4. la transmission et 5. l’ornementation.

7Concernant l’Histoire, deux propositions de découpages sont illustrées, celle de Peter Crossley-Holland (1960) – 1. Epoque pré-aryenne, 2. Chant védique (1500-250 av. J-C), 3. Influences bouddhiques et hellénistiques, 4. Moyen-âge (VIIe au XVIIIe siècle) et 5. Période moderne (depuis 1700) – ; et celle de Trân Van Khê (1983) : 1. Légendaire, 2. Classique (IIe siècle av. J-C au XIIIe siècle), 3. Islamique et Moghol (XIIIe au XVIIIe siècle), 4. Britannique (XVIIIe siècle à 1946) et 5. Contemporaine.

8L’auteur expose à cette occasion des aspects essentiels de la musique indienne, mais le sujet est trop vaste pour être abordé de façon approfondie dans le cadre d’un chapitre ; d’autre part, on s’étonne que Daniélou figure deux fois dans la bibliographie alors qu’aucune référence n’est faite à Jack Goody (1996) et Gerry Farrell (1999) ; qui ont produit une réflexion importante en la matière.

  • 1  Traité d’art dramatique indien écrit entre 200 av. J.-C. et 300 ap. J.-C.

9Dans un deuxième volet de cette première partie, Camara consacre une dizaine de pages à l’organologie et à la présentation des quatre classes indiennes d’instruments, établie par Bharata dans le Nâtyasâstra1 : ghana (idiophones), avanaddha (membranophones), tata (cordophones), et sushira (aérophones). Des photos des instruments sont regroupées en annexe, ainsi qu’un texte complémentaire en appendice sur la vînâ, rédigé par Ignacio Corral Bejmero. Camara de Landa fait remarquer que ce système de classification coïncide avec celui qu’ont élaboré Hornbostel et Sachs (1914).

  • 2  Aucune référence n’est précisée dans le texte.

10Notons par ailleurs que, pour la traduction du genre des mots sanscrits, Enrique Camara de Landa a appliqué la règle proposée par Maria Gonzalez Legido dans sa thèse de doctorat2 qui consiste à utiliser le genre féminin en espagnol pour tous les concepts associés au système mélodique (râga) et le genre masculin pour les concepts en relation avec le rythme (tâla). Ce choix est motivé par une phrase abondamment citée dans les livres de musique carnatique « sruti : mata, laya : pita ». La note et le tempo seraient donc associés respectivement à la mère et au père. Aucune distinction n’est par ailleurs faite dans la transcription des termes indiens entre les voyelles brèves et longues, ce qui amène le lecteur à lire par exemple raga au lieu de râga (qui se prononce « rag »).

11La deuxième partie du livre, qui est la plus importante, est dédiée à la musique carnatique ; Maria Gonzalez Legido y présente les principes de base de ce système musical en un texte très dense, riche en tableaux et en schémas explicatifs. Cependant l’auteur établit systématiquement un parallèle entre les noms indiens et occidentaux des notes sous forme de tableaux, ce qui ne paraît pas indispensable à la compréhension ; la transcription sur partition aurait peut-être été plus efficace.

12lgnacio Corral Bermejo signe les deux articles suivant, le premier sur le répertoire et les pratiques actuelles (p. 95), enrichi d’un appendice sur le système de notation, et le second sur l’analyse des différents éléments constitutifs d’un râga (râga laksana, p. 129). Après une brève présentation du système des 72 melakarta et des caractéristiques constitutives d’un râga, Corral insiste sur la distinction entre janaka râga et janya râga ; les premiers étant les râga principaux, « râga mères » (sept notes en ascendant et descendant) d’où dérivent tous les autres. Les janaka râga indiquent le numéro de série auquel chaque râga correspond dans le système des 72 melakarta, alors que le janya râga fait référence au melam auquel il est apparenté. L’auteur développe ces règles à l’aide d’un exemple tiré d’une composition de Tyagaraja (grand compositeur indien du XVIIIe siècle) de façon très précise et synthétique.

13Maria Gonzalez expose ensuite quelques principes théoriques et méthodologiques utilisés dans l’enseignement du chant carnatique, tels qu’elle a pu les expérimenter en tant qu’étudiante à Trivandrum (Kerala). Cette section est très riche en exemples d’exercices de chant, malheureusement non accompagnés d’un support audio. Un renvoi au DVD aurait été en effet bienvenu pour illustrer ces exemples.

14Cette partie centrale sur la musique carnatique est suivie de la présentation du sitâr, choisi pour représenter la musique hindustani. Enrique Camara désigne le sitâr comme un instrument paradigmatique et international. Il rappelle les différentes théories liées à la naissance de cet instrument, attribuée communément au grand poète et musicien musulman Amir Khusrau (XIIIe siècle) ; mais l’auteur fait remarquer que c’est seulement dans les années 1940-1945 que l’instrument s’est standardisé. Le système de transmission traditionnel guru-shishya-parampara (transmission de maître à disciple) est également abordé. Cet article est relayé par le DVD correspondant, qui suit à peu près la même structure (organologie, évolution, apprentissage, histoire, interprétation) et se termine par une démonstration.

15Le choix du sitâr pour illustrer la musique classique du Nord est un peu déroutant, si l’on considère l’ouvrage dans sa globalité ; en effet, pourquoi ne pas avoir pris dans ce cas l’exemple du chant hindustani pour établir une articulation avec la tradition vocale du sud   ? Il semblerait que le livre aurait gagné en cohérence en n’abordant que la musique carnatique ; en effet, comme l’auteur le fait remarquer en introduction, il existe déjà suffisamment d’ouvrages complets sur la musique hindustani et sur le sitâr pour qu’il puisse en faire l’économie dans le cadre de ce livre. De plus, contrairement à la qualité scientifique et littéraire du livre, le support audio-visuel souffre de très grandes inégalités. Tant la qualité de l’image et du son que les exemples choisis sont souvent regrettables. Seul le DVD sur le mridangam (qui n’est pas abordé dans le livre) est vraiment réussi.

16Pourtant un tel support est un apport incontestable au texte, et la démarche initiale a une valeur pédagogique certaine. Le format reste homogène d’un DVD à l’autre, et les thématiques abordées sont très variées (étymologie, histoire, aspects de la transmission, morphologie, principes de la scène, technique de construction des instruments, interprétation artistique) ; d’autre part, chaque DVD propose le texte du livre en fichier PDF téléchargeable. Certains nous permettent d’entendre de longs extraits de concert (DVD vînâ, par exemple), ou une démonstration très efficace comme pour le bharata nâtyam (zoom sur les pieds de la danseuse pendant que le musicien joue et récite les bol). Mais de nombreux petits défauts techniques gênent la compréhension (décalage entre son et image sur le DVD bharata nâtyam, image très sombre sur la démonstration des différentes expressions faciales pour le kathakali, aucun sous-titre, absence de référence de noms, lieux, dates pour certaines performances). Les textes de Monica de la Fuente Garcia n’en restent pas moins intéressants ; elle aborde pour les deux genres scéniques (bharata nâtyam et kathakali) l’histoire, la technique, l’interprétation, et le répertoire. En fin d’ouvrage, un court appendice par Guillermo Rodriguez Martín présente le Mahâbhârata et sa transmission (p. 236).

17De manière générale, l’ensemble de cette réalisation est une formidable initiative de la part des musicologues espagnols qui y ont contribué ; mais la volonté de faciliter l’accès à la culture indienne et d’offrir dans un même temps une littérature spécialisée dans le champ musicologique entraîne un déséquilibre qui se traduit par des inégalités entre le texte et le support audiovisuel. Les auteurs ont voulu aborder trop de choses à la fois, ce qui nuit parfois à la qualité du contenu présenté ; cette critique vaut essentiellement pour les DVD, qui auraient gagné en pertinence s’ils avaient été conçus comme un véritable support au texte.

18Cet ouvrage repose la question de la vulgarisation : à qui s’adresse ce livre   ? Si les auteurs annoncent un « manuel » d’initiation à la musique indienne, on peut comprendre les choix méthodologiques qui favorisent un parallèle avec la musique occidentale (article d’introduction, transcriptions comparées, DVD), bien que ça ne soit pas la seule base de référence. Mais certains chapitres restent très techniques pour un public novice (Raga Laksana, p. 129), et la qualité des exemples choisis (pour le DVD du sitâr notamment) ainsi que l’absence d’un glossaire et de sous-titres viennent déprécier le projet initial. N’oublions pas que ce livre est produit par des universitaires et patronné par l’Université de Valladolid, ce qui l’inscrit dans la littérature musicologique spécialisée. Il faut toutefois souligner le format innovant de cette publication, en souhaitant que ce genre d’initiative soit développé et pensé pour un public ciblé.

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Bibliographie

CROSSLEY-HOLLAND Peter, 1960, « India », in Alec Robertson & Denis Stevens ed. : The Pelican History of Music. London : Penguin Books.

FARRELL Gerry, 1999 [1997], Indian Music and the West. Oxford : Oxford University Press.

GOODY Jack, 1996, The East in the West. Cambridge : Cambridge University Press.

HORNBOSTEL Erich M. von & Curt SACHS, 1914, « Systematik der Musikinstrumente : Ein Versuch », Zeitschrift für Ethnologie 46 (4-5) : 553-590.

TARLEKAR G.H., 1999 [1975], Studies in The Nâthasâstra. With Special Reference to the Sanskrit Drama in Performance. Delhi : Motilal Banarsidass.

TRAN Van Khê, 1983, « India », in Alberto basso, dir. : Dizionario Encyclopédico Universale della Musica e dei Musicisti. Torino : UTET.

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Notes

1  Traité d’art dramatique indien écrit entre 200 av. J.-C. et 300 ap. J.-C.

2  Aucune référence n’est précisée dans le texte.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jeanne Miramon-Bonhoure, « Enrique CAMARA DE LANDA (dir.), Ignacio CORRAL BERMEJO, Monica DE LA FUNENTE GARCIA, Maria GONZALEZ LEGIDO : Sangita y Natya. Musica y Artes Escénicas de la India »Cahiers d’ethnomusicologie, 21 | 2008, 309-313.

Référence électronique

Jeanne Miramon-Bonhoure, « Enrique CAMARA DE LANDA (dir.), Ignacio CORRAL BERMEJO, Monica DE LA FUNENTE GARCIA, Maria GONZALEZ LEGIDO : Sangita y Natya. Musica y Artes Escénicas de la India »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 21 | 2008, mis en ligne le 17 janvier 2012, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1318

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Auteur

Jeanne Miramon-Bonhoure

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