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Françoise GRÜND (textes réunis par) : La musique et le monde. Internationale de l’imaginaire, nouvelle série, 4

Paris : Maison des cultures du monde/Arles : Babel, 1995
Yves Defrance
p. 336-338
Référence(s) :

Françoise GRÜND (textes réunis par): La musique et le monde.Internationale de l’imaginaire, nouvelle série, 4. Paris: Maison des cultures du monde/Arles: Babel, 1995. 235 p.

Texte intégral

1Une étrange impression de fin de siècle se dégage de ce petit livre où sont réunis une quinzaine de textes. Conformément à l’esprit de la revue Internationale de l’imaginaire, il s’agit là d’un lieu de confrontation. On y fait peu ou pas d’ethnomusicologie, mais on en parle, et dans une langue accessible. C’est à mon sens tout l’intérêt de cette publication, désormais disponible en format et au prix de livre de poche.

2Impression de fin de siècle, non pas pour la discipline, particulièrement féconde en France, mais concernant les bilans dressés sur l’évolution de l’objet. Sommes-nous en train d’assister, impuissants, à l’agonie des musiques traditionnelles dans le monde ? Préservation, sauvetage, dégénerescence endogène, paradoxes, autant de termes qui, au fil des pages, trahissent un malaise. Malaise du chercheur Jean During, devant de nouvelles configurations de terrain (« grandeur et misère de la musique baloutche »). Amertume de Bernard Lortat-Jacob face à l’invasion de la musique rock sur grand écran, à laquelle la population d’un village sarde oppose une résistance passive… pour combien de temps ? Pessimisme de Tràn Van Khê sur les chances de survie de plusieurs genres musicaux au Viêt-Nam. Autocritique de Hsu Tsang-Houei à Taiwan : « Comment pouvons-nous négliger un legs musical en voie de disparition ? » Nostalgie de Françoise Gründ à chaque séparation d’avec des musiciens invités pour se produire en France.

3Ce que les terrains « exotiques » sont en passe de vivre, l’Europe paraît en avoir connu certains aspects un siècle plus tôt. Cette « beauté du mort » qui fascinait les folkloristes du xixe siècle agit probablement comme un puissant ressort chez les compositeurs occidentaux dans leur quête de nouveaux langages. Musiques « régionales » dans un premier temps – parce que plus proches géographiquement et culturellement – musiques « non européennes » dans un second. Ici se pose le problème de savoir si un véritable syncrétisme culturel reste fondamentalement envisageable dans la création musicale occidentale contemporaine. Marie-Claire Mussat apporte d’intéressants éléments de réponse, appuyés sur des exemples concrets. Jean-Claude Eloy y ajoute sa propre expérience de compositeur. Parcours individuel, certes, mais significatif d’une démarche partagée, à plus d’un titre, par beaucoup de ses contemporains. Pourtant si les musiques du monde servirent, pour partie, à regénérer une inspiration tarie, l’échange semble s’être opéré en sens unique. Les projets généreux d’un langage musical universel ne paraissent avoir été reçus que des Occidentaux cultivés. Idée qu’exprime également Habib Hassan Touma : « Car si la musique est effectivement un phénomène universel, elle n’est en aucun cas un langage universel ». D’où la difficulté, en Occident, de mettre en scène, ou plutôt sur scène, des musiques de cultures lointaines de par leurs langues, religions et traditions. L’expérience de musiciens sénoufo-fodonon, venus à Paris en 1990, offre à Michel de Lannoy l’occasion de développer une réflexion sur l’universelle intimité des espaces musicaux. Il est intéressant de noter qu’une initiative de « spectacle » soit à la naissance d’une problématique d’un type nouveau pour l’ethnomusicologue. Comment mettre en résonance des représentations et des symboliques de l’espace, non plus par écrit, mais sous forme de spectacle vivant ?

4Ces constats objectifs émanant d’ethnomusicologues mais aussi de « spécialistes et peuples du spectacle », conduisent le lecteur à prendre conscience des enjeux qui se profilent à l’aube du xxie siècle. Le travail de l’équipe de la Maison des cultures du monde s’avère, à cet égard, très encourageant. Organisation de concerts et de conférences, éditions de disques et ouvrages participent d’une patiente stratégie de diffusion de la pluralité des cultures, notamment musicales. La collection Inédit, née de la progammation du festival des Arts Traditionnels créé à Rennes en 1973, a pris aujourd’hui une bonne vitesse de croisière avec douze CD par an. Après avoir révélé aux francophones des musiques « inédites » provenant des républiques de l’ancienne URSS, ce sont onze nûbat qui sont enregistrées dans leur intégralité au Maroc. Cette anthologie Al-’Ala, forte de 73 CD présentés par Pierre Bois, est immédiatement suivie de deux autres anthologies : le malouf, ou musique arabo-andalouse de Tunisie, et le mugam d’Azerbaïdjan. D’autres publications de documents sonores sont consacrées à diverses régions du monde (Tanzanie, Java, Cambodge, Chine, etc.). La discographie des musiques traditionnelles, qui s’est considérablement développée ces vingt dernières années, joue un rôle non négligeable dans la formation du public occidental. Il n’est d’ailleurs pas rare que des programmateurs de spectacle soient directement influencés par le disque. Tineke de Jonge le reconnaît sans fausse honte, tout en relevant qu’en retour, « l’effet concert » entraîne incontestablement une augmentation des ventes de disques. D’où la position-clé des « débusqueurs de talents », au savoir-faire digne d’une ingénierie culturelle hautement spécialisée. Pour Michel de Lannoy elle requiert « une rigueur égale à celle de l’ethnologue sur le terrain, dans la relation adéquate à construire entre sa propre problématique et l’objet étudié ». Que se soit à Genève, à Berlin, à Utrecht ou à Paris, le succès des programmes proposés dépend de facteurs désormais maîtrisés et qui excluent, comme le rappelle Chérif Khaznadar, des formes difficilement « transportables » (vaudou, candomblé…). Il paraît évident que cette voie, bien qu’insatisfaisante, s’affirme comme l’une des plus réalistes alternatives aux menaces pressantes d’une world music insipide. Laurent Aubert souligne avec justesse qu’en Europe comme en Amérique du Nord et en Asie orientale, quelques institutions ont obtenu les moyens de développer une démarche cohérente et globale de revalorisation de musiques « rares », « non seulement par un travail approfondi de recherche et de documentation, mais aussi par une action soutenue auprès de leurs détenteurs et de leurs audiences potentielles ». La concertation entre ethnomusicologues et responsables politiques et culturels semble donc donner, par endroits, des résultats prometteurs. Une des réponses possibles au dépit nuancé des ethnomusicologues face aux transformations radicales qui ont cours dans le monde actuel se trouverait peut-être dans la communication de Jean-Pierre Estival. Comparé aux terrains évoqués plus haut, le dynamisme des musiques traditionnelles du domaine français frise l’insolence : « L’originalité – et la force – du mouvement des musiques traditionnelles est d’avoir accompli la réactualisation et la revivification de ces pratiques musicales en croisant les domaines de la recherche scientifique sur les sources, de la formation et de la création/diffusion ». Y aurait-il un « modèle français » en la matière ? Une fin de siècle, décidément, pleine de contradictions !

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Defrance, « Françoise GRÜND (textes réunis par) : La musique et le monde. Internationale de l’imaginaire, nouvelle série, 4 »Cahiers d’ethnomusicologie, 9 | 1996, 336-338.

Référence électronique

Yves Defrance, « Françoise GRÜND (textes réunis par) : La musique et le monde. Internationale de l’imaginaire, nouvelle série, 4 »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 9 | 1996, mis en ligne le 05 janvier 2012, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1290

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Auteur

Yves Defrance

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CC-BY-SA-4.0

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