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Claire DEVOS : Qawwali, la musique des maîtres du soufisme

Paris : Editions du Makar, 1995
Pierre-Alain Baud
p. 320-322
Référence(s) :

Claire Devos : Qawwali, la musique des maîtres du soufisme. Paris : Editions du Makar, 1995. 154 pages. Photos, bibliographie, lexique. ISBN 2-9506068-3-0

Texte intégral

1Si la compréhension intime des concerts soufis relève davantage de l’expérience personnelle intérieure de l’auditeur que de la seule connaissance formelle, le livre de Claire Devos Qawwali, la musique des maîtres du soufisme et le double CD qui l’accompagne, nous guident manifestement sur la voie à suivre.

  • 1  En dépit du riche travail universitaire de Martina Catela à partir de son expérience pakistanaise, (...)

2Premier ouvrage publié en français sur cette expression musicale indo-pakistanaise que les frères Sabri ou Nusrat Fateh Ali Khan ont fait tournoyer autour du monde1, cette proposition littéraire et musicale des éditions du Makar nous interpelle en effet à de multiples plans, liant dans sa conception même l’approche intuitive et poétique essentielle à une appréhension sensible du qawwali, et présentation critique nécessaire à l’introduction de ce genre musical auprès d’un public non averti.

3Cette double richesse de l’ouvrage est manifeste dès le prime abord : portrait d’un lumineux chanteur-musicien qawwal sur la jaquette de couverture, calligraphie arabe en guise de préface inspirée, fleur de lotus sur fond d’étang calme, transcription écrite originale de poèmes soufis sur de pleines pages, photographies de musiciens ou de dévots en plein élan mystique, petits icônes marquant de leurs arabesques les changements de propos au fil des pages…, tout concourt à guider le lecteur vers une approche d’ensemble, sensible et bigarrée, de l’univers de ce qawwali si vivant dans la vie indienne et pakistanaise de nos jours. Tel un long poème soufi qui « préserve la liberté du sujet afin qu’il accède de plein gré au sens qui lui convient » (Jean During), ce livre entre d’abord en résonance avec son lecteur.

4Mais l’intérêt singulier de cet ouvrage concerne aussi tout autant la présentation érudite et fluide que l’auteur nous propose de cette « musique contextuelle par excellence », pour reprendre la très juste formulation de Regula Burckhardt Qureshi, pionnière dans l’étude de cette forme musicale. Certes, certains lecteurs auraient apprécié une introduction moins fugitive sur la génèse du qawwali, notamment quant à son enracinement pré-islamique ou sur ses liens avec ce qui nous en rapproche historiquement, via les philosophes grecs ou les chrétiens des premiers siècles. L’éclairage demandera là à être prolongé ; mais c’est que Claire Devos veut rapidement nous guider vers le « cœur du soufisme », vers cette quête de l’annihilation du soi dans une union mystique avec le divin, message d’amour qui s’exprime notamment dans la relation passionnelle unissant maître et disciple : « Tant que Khusrau restera auprès de moi, je ne pourrai quitter ce monde », révèle ainsi Hazrat Nizâmuddin Awliya…

5La présentation des grandes figures des poètes soufis qui ont marqué l’essor et l’enracinement du qawwali comme langage musical et comme pratique spirituelle éminemment intégrée à son époque, la réflexion sur l’état de transe ou sur le sens du message proclamé par le qawwâl trouvent ainsi tout à fait leur raison d’être dans cet ouvrage.

6Bienvenue aussi est la réflexion sur la place des femmes, non seulement dans la transmission de la tradition aux jeunes enfants, mais aussi sur le répertoire de chansons ou les formes d’extase qui leur sont propres, « balancement du buste qui s’accélère et s’accentue progressivement jusqu’à que le front effleure le sol ; lorsque elle défait ses cheveux, le femme s’abandonne […] Si l’on veut interrompre sa transe, il suffit de renouer ses cheveux défaits… ».

7L’accent mis sur les liens proches entretenus depuis toujours avec l’hindouisme est un autre aspect marquant de ce livre. Une photographie est notamment symbolique de la saveur de cette ouvrage : celle de Mer’âj Ahmed Qawwâl accompagné de sa femme, tenant dans ses bras un large bouquet de fleurs de moutarde qu’un vieux brahmane venait de lui offrir comme à l’accoutumé depuis la mort d’Hazrat Nizamuddin et d’Amir Khusrau à l’occasion de la fête du printemps. Cette image de respect mutuel, de pleine reconnaissance de la foi de l’autre dans sa différence et sa similitude fondamentale est singulièrement bienvenue dans un sous-continent trop animé ces temps-ci d’étroites humeurs nationalistes ou fondamentalistes…

8De très salutaires remarques sont enfin formulées quant au statut de musicien « traditionnel » happé dans le tourbillon de la modernité. La trajectoire personnelle de l’auteur, à cotoyer huit années durant les qawwals de Nizamuddin -et notamment le contact privilégié et rare qu’elle a pu développer avec un des plus anciens, Mer’aj Ahmed- l’ont marqué au plus intime. L’immense respect et l’admiration exprimée quant à la valeur irremplaçable du répertoire et du mehfil (concert traditionnel) ne ternit en rien sa pleine acceptation du temps qui passe : nous ne sommes effectivement plus à l’époque de l’empereur Akbar et de son soutien aux mystiques soufis –, et le chapître sur les musiques de film s’appropriant le style qawwali – parfois en duo de groupes de femmes – est loin d’être essentiellement empreint de nostalgie…

9Comment dès lors, joignant lecture de cet ouvrage et écoute du magnifique CD qui l’accompagne, ne pas répondre à l’invitation formulée par Me’râj Qawwâl, en exergue du livre : « Approchez vous, approchez vous là »…. Le musicien retient son chant pour vous accueillir ; le poème qu’il avait entonné reste suspendu au bord des lèvres, accroché à une note de l’instrument, comme en attente dans l’air où flotte un parfum d’encens et de pétales de roses… ». Merci à Claire Devos de nous permettre par son œuvre d’aller à la découverte, sensible et critique, d’un qawwali vivant.

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Notes

1  En dépit du riche travail universitaire de Martina Catela à partir de son expérience pakistanaise, malheureusement non publié, et de divers articles de Denis Matringe plus centrée sur la poésie soufie panjabie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre-Alain Baud, « Claire DEVOS : Qawwali, la musique des maîtres du soufisme »Cahiers d’ethnomusicologie, 9 | 1996, 320-322.

Référence électronique

Pierre-Alain Baud, « Claire DEVOS : Qawwali, la musique des maîtres du soufisme »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 9 | 1996, mis en ligne le 05 janvier 2012, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1272

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Auteur

Pierre-Alain Baud

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