Navigation – Plan du site

AccueilCahiers de musiques traditionnelles9LivresStephen JONES. Folk Music of Chin...

Livres

Stephen JONES. Folk Music of China, Living Instrumental Traditions

Oxford : Clarendon Press, 1995
François Picard
p. 315-317
Référence(s) :

Stephen Jones. Folk Music of China, Living Instrumental Traditions.Oxford : Clarendon Press, 1995. xxvii + 422 pages. 39 + 2 photos, 33 tableaux, 3 cartes, 39 exemples musicaux, bibliographie, index

Texte intégral

1La musique chinoise ne se limite pas aux mélopées des restaurants cantonais. On y trouve aussi l’opéra, la chanson populaire et les formes intermédiaires que l’on nomme « ballades » (quyi). A elle seule, la musique instrumentale comprend les répertoires en solistes pour les cithares qin et zheng (cf. Goormaghtigh 1990 et Rault-Leyrat 1987) et le luth pipa. Quant aux carillons de l’Antiquité, aux grandes suites de la cour des Tang et autres genres historiques, ils sont pour la plupart perdus. Mais on rencontre aussi en Chine le courant des jeunes compositeurs contemporains, le répertoire en soliste ou en orchestre des professionnels, et enfin la variété.

2Stephen Jones réussit à nous passionner pendant des centaines de pages en explorant une petite partie des traditions musicales chinoises. Tout en excluant celles des Tibétains, Türks, Mongols, Lao-Thaïs et Birmans, bref, celles des « minorités », que les chercheurs occidentaux s’accordent à laisser à d’autres spécialistes, il organise une vision générale des traditions musicales intrumentales vivantes. Il faudrait ajouter « rurales », puisque ce que Jones cherche surtout à mettre en valeur, c’est la richesse de tout ce qui échappe au style des conservatoires, aux ensembles de chant et de danse et aux professionnels du film et de la radio. De telles limitations pourraient sembler artificielles si elles ne correspondaient pas effectivement à une réalité.

3La musique intrumentale chinoise rurale traditionnelle existe bien, et Stephen Jones en explicite abondamment les sources : a) les musicologues de Pékin ou de Shanghai qu’il appelle « centraux », tels Yuan Jinfang, Ye Dong, Gao Houyong, qui ont suivi le chemin tracé par Yang Yinliu et Cao Anhe dès les années 1930 ; b) les chercheurs locaux, érudits mais partiels, voire parfois partiaux, qui seuls ont accès au plus proche de l’expérience ; c) le terrain, ouvert aux étrangers depuis 1985. La présentation ainsi documentée de cette musique s’organise autour d’une opposition simple entre les ensembles de sonneurs et batteurs et ceux de soies et bambous. Aux premiers s’ajoutent les percussions seules, formations désormais très rares, tandis que les seconds comprennent les quelques formations pour cordes seules, dont le plus bel exemple, les « Treize suites pour cordes », ne subsiste que sur le papier.

4Tout ceci, accessible à travers les sources chinoises, avait déjà été popularisé en Occident et l’on aurait tort d’y voir une nouveauté. Ce qu’apporte Jones, au delà de connaissances désormais à la portée de tout anglophone, c’est un regard attentif et éclairé, engagé aussi. La faiblesse quantitative des références aux travaux théoriques tranche dans un monde anglo-saxon, en fait américain, qui ne saurait désormais situer ses enjeux que dans les brillantes diatribes des disputationes. Jones a écrit un parfait manuel de terrain, un vade-mecum du chercheur où l’on trouvera les noms des genres, des interprètes importants, des villages encore inexplorés. On y verra notamment que, pour étudier ce domaine, il vaut mieux se baser à Shanghai ou Xi’an plutôt qu’à Pékin. Mais ce terrain est volontairement dégagé de toutes les scories qui auraient pu l’obscurcir au nom d’enjeux académiques, afin de toujours mettre en valeur les traditions vivantes, les musiques et les musiciens.

5Jamais perdu dans la terminologie parfois absconse des musicologues chinois (quelle est la différence entre chuida et guchui ? Faut-il nommer la Guyue de Xi’an « musique ancienne » ou « musique de tambours » ?) ; Jones ajoute cependant, sans en avoir l’air, le fruit d’une perspective personnelle profonde. A la suite de rares chercheurs, il place en effet les musiques religieuses non pas à la marge, en supplément, mais au cœur de la façon chinoise de voir les rapports entre le son et le monde, entre l’art et la société. Allant ainsi beaucoup plus loin que les théoriciens chinois bloqués, au moins dans leur expression, par des schèmes archaïco-marxistes, il met en valeur les liens organiques existant entre associations musicales et rituels, dégageant l’importance de la fonction para-liturgique des musiques rurales de tradition. Grâce à cela, il peut souligner la nécessaire distinction entre ensembles d’orgues à bouche et hautbois à perce cylindrique shengguan – très proches du rituel et essentiels aux funérailles – et ensembles de percussions avec hautbois coniques et flûtes. Ainsi, et ainsi seulement, peuvent être relevées certaines caractéristiques musicales essentielles, propres à la Chine, héritières de la beauté et de la grandeur des temps anciens, et que seuls les ensembles proches des temples conservent encore : grandes formes, préludes lents non mesurés, longues variations, science des modes et des tempéraments.

6L’ouvrage se présente, classiquement mais efficacement, comme une balade du Nord au Sud, précédée de deux vastes exposés des contextes sociaux et musicaux. Insistons néanmoins, pour la regretter, sur l’absence du Sichuan. L’apprenti chercheur qui ne lirait que le livre pourrait croire cette province non chinoise, ou dépourvue de musique, alors qu’elle en regorge. Et puisque l’on est dans les regrets, ajoutons qu’une meilleure attention à la discographie, désormais plus importante qu’il n’y paraît ici, eut été souhaitable.

7En conclusion, au delà des plus hautes louanges que mérite le livre, je souhaiterais insister sur l’apport personnel de l’auteur et l’importance de sa démarche, telle qu’elle n’apparaît pas dans la modeste notice qui nous le présente comme Research Fellow à la School of Oriental and African Studies, ce qui n’est déjà pas rien. Musicien professionnel – il joue du violon baroque avec les meilleurs ensembles spécialisés britanniques –, l’auteur, bon sinisant, est aussi le dernier disciple formé – quoiqu’informellement – par Laurence Picken, le spécialiste des sources japonaises des anciennes musiques de Chine. Mais renonçant à l’ambition de publier les reconstitutions de monuments musicaux disparus, il s’est mis au service des humbles musiciens de villages, comme si la musique populaire méritait toute l’attention jusque là réservée aux théories de Confucius, à la littérature ou à la philosophie du vide. Cet ouvrage, qui apparaîtra au lecteur peu spécialisé comme une mine de renseignements, est aussi une bombe dans le champ des études chinoises, par la facilité déconcertante avec laquelle il évacue tous les faux problèmes et les vieilles querelles pour toujours en revenir à l’essentiel : il existe en Chine une tradition instrumentale collective magnifique, diverse et colorée, encore détenue par de nombreux groupes et communautés dispersés à travers l’immense pays. Grâce au travail considérable des spécialistes locaux, nationaux et internationaux, nous y avons désormais accès.

8Ajoutons que tables et index, partitions, cartes et photos, bibliographies extensives et références des ouvrages cités apportent tout le confort qui manque cruellement dans les publications en langue chinoise. Si le bonus indispensable que représente un disque compact n’est pas encarté, c’est qu’il a été publié séparément par le Musée d’ethnographie de Genève (Jones 1995).

Haut de page

Bibliographie

GOORMAGHTIGH Georges, 1990, L’Art du qin, deux textes d’esthétique musicale chinoise.Bruxelles: Institut des hautes études chinoises.

JONES Stephen, 1995, Chine. Traditions populaires instrumentales/China. Folk Instrumental Traditions. Double CD VDE-822-823, Collection AIMP XXXVI-XXXVII. Accompagné d’un livret bilingue français-anglais illustré, 36 p.

RAULT-LEYRAT Lucie, 1987, Comme un vol d’oies sauvages, la cithare chinoise zheng. Paris: Le Léopard d’or.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

François Picard, « Stephen JONES. Folk Music of China, Living Instrumental Traditions »Cahiers d’ethnomusicologie, 9 | 1996, 315-317.

Référence électronique

François Picard, « Stephen JONES. Folk Music of China, Living Instrumental Traditions »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 9 | 1996, mis en ligne le 05 janvier 2012, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1268

Haut de page

Auteur

François Picard

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search