1Il existe au moins trois bonnes raisons de se réjouir de la publication de cet enregistrement : il vient heureusement compléter la splendide et ô combien partiale et lacunaire collection Brăiloiu, j’entends ici le double dispositif constitué par le fonds Brăiloiu en ligne1 et la Collection universelle de musique populaire en 4 CD, poursuivi avec la collection des Archives Internationales de Musique Populaire (AIMP). Elle marque un point final à l’appellation fausse et désuète, de « musique populaire » pour désigner ces musiques, objets et causes de l’intérêt, de la passion et des recherches des ethnomusicologues, et que l’on appelle enfin : les musiques des gens ; qu’il s’agisse ici de gens de bien plutôt que de gens de peu, de gens de lettres plutôt que de gens sans lettres importe finalement bien peu à l’oreille.
2Cet enregistrement de Sou Si-tai vient à point pour documenter ce qui se présente comme une école particulière de qin, proclamée bien entendu la « dernière » (il n’en est rien). Les amateurs et connaisseurs gardaient précieusement la cassette enregistrée par lui et Liu Chuhua (1986).
3Le disque est superbement enregistré et fait entendre un des plus beaux sons publiés ; c’est en tous cas la conclusion à laquelle aboutit un travail associant connaisseur, compositrice, spécialiste d’acoustique musicale et preneur de son (Picard et al. 2009). Ironiquement, il est ainsi associé à celui de Yang Lining, pourtant cosidéré par les partisans de « l’école de Tsar Teh-Yun » comme emblématique de la prétendue « école des professionnels de conservatoire » ; il est vrai qu’elle a reçu en secret – Révolution Culturelle oblige – l’enseignement du dernier (avant le suivant) des lettrés : Zha Fuxi (1895-1976).
4Enfin, dernier bonheur, non réservé à ses admirateurs : entendre jouer le maître secret, l’ermite des montagnes lui-même, Georges Goormaghtigh (plages 2 et 9), permet de s’assurer que leur propre maître Tsar Teh-Yun n’est pas « la dernière des gens de lettres » (Bell 2008).
5On peut donc jouir de cette musique, de cette sonorité et de la finesse d’une interprétation mature, empreinte de sérénité. Un partisan affirmé des cordes de soie, John Thompson, répertorie sur son site web une liste d’enregistrements avec cordes de soie, comme si c’était une catégorie en soi. Si l’on compare les pièces publiées sur ce disque à celles déjà publiées (soie ou non), on constate que seule la dernière pièce, Zuiweng yin (plage 10),très courte (0’44), ne figure pas déjà dans des enregistrements avec cordes de soie, la pièce qui porte le même nom enregistrée par John Thompson lui-même étant en effet différente. Sinon, seule la plage 1, Guiqulai ci, n’a pas été publiée ni dans l’interprétation du maître Tsar Teh-Yun, ni dans celle de musiciens ou gens de qin d’écoles réputées différentes, mais seulement par Lo Ka-Ping et Yang Baoyuan. On l’aura compris, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, ce n’est pas le répertoire qui fait la spécificité d’une école ; ce n’est pas la sonorité – le disque permet de le constater de manière sérieuse – ni la manière, le style, ou alors d’une manière imperceptible… Reste une éthique, exigeante, et qui a valeur d’esthétique, que tous ceux qui ont eu le bonheur de partager des moments de musique et d’amitié avec Yip Ming-Mei, Liu Chuhua, Georges Goormaghtigh, Shum Wing-Foong, Sou Si-tai ou, sans doute, Maître Tsar, ont éprouvée. On souhaite aux auditeurs un tel bonheur.