Marisol RODRIGUEZ MANRIQUE : La Musique comme valeur sociale et symbole identitaire. L’exemple d’une communauté afro-anglaise en Colombie (île de Providence)
Marisol RODRIGUEZ MANRIQUE : La Musique comme valeur sociale et symbole identitaire. L’exemple d’une communauté afro-anglaise en Colombie (île de Providence). Préface de Monique Desroches. Paris: L’Harmattan, 2008. 375 p., ill. n.b., tableaux.
Full text
1Issu d’une thèse doctorale intitulée « Construction identitaire à travers la musique et les habitudes d’écoute. Le cas d’une communauté anglo-africaine de la Caraïbe hispanophone» et soutenue en 2007 à l’Université de Montréal, cet ouvrage aborde les enjeux d’une culture musicale insulaire considérée comme un fait social total. Marisol Rodríguez met ici en évidence de nombreuses données locales, de nombreux mécanismes – tant musicaux que socioculturels – dont l’évaluation pourrait être transposée à peu près telle quelle à d’autres contextes et d’autres situations musicales. La portée de ce livre dépasse donc largement les particularités de l’île de Providence, laquelle apparaît plutôt comme un « cas d’espèce» exemplaire de processus tels que le « glocalisme» ou la « tradernité» – pour reprendre les néologismes utilisés par l’auteure afin de définir la dialectique et les tensions qu’elle implique, respectivement entre le global et le local et entre la tradition et la modernité, caractéristiques de l’époque contemporaine. C’est en cela que les problématiques qui se dégagent de ce livre justifient largement le choix du sujet, même si la musique dont il est question ne semble a priori se signaler par aucune originalité particulière, par aucun trait spécifique marquant.
2L’auteure s’intéresse moins aux paramètres formels et structurels de la musique qu’aux phénomènes musicaux en tant que modes spécifiques de représentation sociale et aux diverses attitudes manifestées vis-à-vis des musiciens en fonction de leur catégorie. Cette approche me paraît justifiée dans la mesure où les principales pratiques musicales providenciennes – la musique religieuse et la tradition chorale (pp. 64-69), la musique dite traditionnelle (danses de salon, pasillos, mentos et calypsos) (pp. 70-104) et la musique populaire (reggae et soca) (pp. 104-110) – apparaissent comme des variantes locales de courants musicaux plus largement répandus, en particulier dans le reste des Caraïbes.
3À cet égard, les principaux axes de ce travail sont à mon avis judicieusement déterminés. L’accent y est mis autant, sinon davantage, sur le « pôle de réception» de la musique que sur celui de sa création et de sa production; l’étude des comportements musicaux et des représentations du monde qui leur sont liées prime de ce fait sur celle des structures musicales. L’auteure assume ainsi délibérément une approche plus anthropologique, voire sociologique, que systémique, et sa problématique centrale est celle de la musique comme mode de représentation et comme valeur sociale.
4Le phénomène de la « mise en tourisme» de la musique traditionnelle est évalué plus loin en tant que réservoir musical, mais aussi comme cause de transformation des répertoires traditionnels et de leur interprétation (pp. 111-141). Les différentes théories relatives à « l’impact du tourisme sur la musique» sont présentées avec clarté, à partir du point de vue de l’ethnomusicologue colombienne Margarita Ruiz, qui voit le tourisme comme une cause de « folklorisation» et de « pétrification» de la culture vivante, auquel s’oppose celui de Monique Desroches – que partage l’auteure –, pour qui il est plutôt « une sorte de relais pour une dynamisation éventuelle du patrimoine musical dans le milieu» (p. 130).
5Marisol Rodríguez analyse par ailleurs de façon très pertinente l’influence exercée par les instances politiques (au niveau tant local que national), religieuses (baptistes, adventistes, catholiques) et médiatiques dans les processus de transmission et d’institutionnalisation – et donc d’instrumentalisation – des diverses catégories musicales. L’influence des technologies contemporaines est particulièrement sensible dans ce qu’elle appelle le phénomène de « pickopisation» de la musique populaire: l’usage d’amplificateurs (en anglais: sound systems; en espagnol colombien: picó) apparaît ainsi à la fois comme marqueur identitaire de la jeune génération et en tant que source d’une nouvelle construction sociale, plus anglo-afro-caribéenne qu’afro-colombienne (pp. 166-175).
6Quat au concept de « tradernité», cité plus haut, il vise ici à définir un aspect de la mondialisation culturelle consistant en « une tentative d’équilibre entre la préservation des valeurs traditionnelles et l’adoption des valeurs modernes» (p. 329). Selon Marisol Rodríguez, une telle stratégie « déloge les préjugés de stagnation et de passéisme envers les valeurs traditionnelles et en même temps écarte les idées préconçues sur une certaine décadence collée souvent aux valeurs modernes» (p. 330). Elle engendre une série de comportements marqués à la fois par des paramètres externes et des dynamiques internes s’inscrivant dans le cadre général des bipolarités entre tradition et modernité, voire entre « localisme culturel» et « globalisme homogénéisant» (p. 331).
7« Une île qui boude ses traditions musicales! Quel sujet original pour une étude ethnomusicologique», note avec humour Monique Desroches en ouverture de sa préface (p. 15). En effet, le défi est relevé haut la main, et ce qui aurait pu être un sérieux handicap pour une recherche telle que celle menée par Marisol Rodríguez se révèle au contraire être à la source d’une démarche particulièrement originale et pleinement assumée. Les neuf chapitres de ce livre proposent ainsi un cheminement pertinent à travers les diverses problématiques abordées: le contexte historique et géographique, les différentes catégories musicales et les contraintes auxquelles chacune est soumise, les processus de transmission, les enjeux politiques et économiques auxquels répond la musique – en particulier ceux de sa « mise en tourisme» – et enfin les divers systèmes de représentation de la société et du monde manifestés par chaque catégorie musicale. Ajoutons que le style est dans l’ensemble fluide et adapté à la construction du discours, et que la rédaction est exemplaire par la clarté et la cohérence du propos.
References
Bibliographical reference
Laurent Aubert, “Marisol RODRIGUEZ MANRIQUE : La Musique comme valeur sociale et symbole identitaire. L’exemple d’une communauté afro-anglaise en Colombie (île de Providence)”, Cahiers d’ethnomusicologie, 22 | 2009, 293-294.
Electronic reference
Laurent Aubert, “Marisol RODRIGUEZ MANRIQUE : La Musique comme valeur sociale et symbole identitaire. L’exemple d’une communauté afro-anglaise en Colombie (île de Providence)”, Cahiers d’ethnomusicologie [Online], 22 | 2009, Online since 18 January 2012, connection on 11 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1010
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