Skip to navigation – Site map

HomeCahiers d’ethnomusicologie22LivresSabine TREBINJAC : Le pouvoir en ...

Livres

Sabine TREBINJAC : Le pouvoir en chantant. Tome II: Une affaire d’État… impériale

Nanterre: Société d’ethnologie, 2008
Aurélie Névot
p. 287-290
Bibliographical reference

Sabine TREBINJAC : Le pouvoir en chantant. Tome II: Une affaire d’État… impériale. Nanterre: Société d’ethnologie, 2008. 214 p.

Full text

1Dans le premier tome du Pouvoir en chantant consacré à L’art de fabriquer une musique chinoise, publié en 2000, Sabine Trébinjac – chargée de recherche au CNRS (LESC, Nanterre) – montre par quels processus, en Chine contemporaine, la « tradition» devient le « traditionnalisme d’État». En appuyant son analyse sur les transformations de la musique ouïgoure par l’« appareil gouvernemental» afin de la rendre harmonieuse avec le régime en place, elle conclut que « le monde des sons est envisagé comme un champ symbolique de l’ensemble du politique» (2000: 375). S’interrogeant sur la continuité historique entre la Chine contemporaine et la Chine ancienne à propos de la musique et de ses institutions, elle propose de remonter la chronologie des faits dans le second tome du Pouvoir en chantant intitulé Une affaire d’État… impériale. Elle entreprend alors d’embrasser un vaste champ historique allant du XIIe siècle av. J.-C. au XXe siècle.

2La première partie, « Un rescrit ancien sur la musique», met en avant que les confucéens furent les premiers à conceptualiser l’importance accordée à la musique en Chine. L’auteure base son argumentation sur le Yueji, Notes sur la musique, un traité écrit au Ier siècle av. J.-C., dont elle propose une traduction inédite (pp. 24-48) avec le texte original en annexe (I-XV). L’analyse du texte révèle que les pratiques ayant trait aux « affaires musicales» étaient plus politiques que musicales, à tel point que Sabine Trébinjac intitule le premier chapitre « Le Yueji: un traité « a-musical »». Yue, la musique – sémantiquement associée à la danse et à la poésie – étant reliée à la structure sociale par le biais des rites qui régulent le monde, l’harmonie musicale est l’harmonie cosmologique et universelle. L’organisation du monde influe sur la musique qui a également une incidence sur l’ordre universel (p. 50). De la sorte, observer la musique de son peuple permet au souverain de prendre connaissance de l’état de son gouvernement. A l’inverse, la « bonne» musique composée par un « bon» souverain et entendue par le peuple génère des sentiments vertueux. Et chaque nouvel empereur étant porteur d’une nouvelle vertu liée au mandat céleste, chaque dynastie était rythmée par un style musical différent.

3Dans la deuxième partie, « Du symbole politique aux institutions musicales d’État», S. Trébinjac s’intéresse aux institutions responsables des « affaires musicales» dans une analyse diachronique (IIIe-XXe siècle). Le deuxième chapitre, intitulé « Histoire du yuefu des Han», porte sur le bureau de la musique, yuefu, inauguré par l’empereur Wu des Han au IIe siècle Avt J.-C. Ce bureau prit la place d’institutions antérieures. Mais, s’il s’agissait auparavant d’une « bureaucratie symbolique», une efficacité réelle fut prêtée au yuefu. Ses trois plus hauts fonctionnaires avaient d’ailleurs un titre militaire: musiciens, ils étaient comme des soldats en charge de préserver l’harmonie (p. 79). Ils devaient assurer la cohésion territoriale en intégrant les traditions musicales de l’ensemble de l’empire (p. 76).

4Dans le troisième chapitre intitulé « les différentes institutions musicales d’État au fil des dynasties», l’auteure relève les passages contenus dans les vingt-cinq « Histoires dynastiques» en rapport avec la musique; les textes en chinois – datant de la dynastie des Wei (220-264) jusqu’à celle des Qing (1644-1911) – et leur traduction sont placées en annexe (pp. 98-133), un tableau récapitule les instances de tutelle, les titres des responsables et leurs status (pp. 134-140). Il apparaît que « toutes les dynasties successives ont eu au moins une institution musicale rattachée aux plus hautes instances de l’organisation étatique» (p. 95). S. Trébinjac remarque par ailleurs que les dynasties non han accordèrent la plus grande importance aux institutions musicales – comme pour prouver qu’elles étaient aussi vertueuses que les autres (p. 96). Les tâches des fonctionnaires de ces diverses institutions musicales sont étudiées dans la dernière partie: « Le travail musical effectué dans les institutions d’État».

5Le quatrième chapitre, « Du tube de bambou à l’emblème politique», s’intéresse à la manipulation des étalons sonores qu’il fallait régler à chaque changement de dynastie, d’où le lien que l’auteure établit avec l’emblème politique: ces tubes de bambou étaient liés aux rites, tous deux associés au souci confucéen d’ordre et de hiérarchie sans lesquels l’empereur ne pouvait gouverner. S. Trébinjac explique dans le détail la théorie de la construction des tubes sonores, la façon de calculer leur longueur physique, le système de progression par quinte et par quarte alternées. Proposant de les « entendre», elle conclut qu’une variation de plus de cinq demi-tons est observable entre les fondamentaux des diverses dynasties.

6Le dernier chapitre, « Quelques témoignages anciens de musiques transformées», traite des collectes, de l’intégration puis des remaniements des musiques non han: incorporer les musiques étrangères, c’était valider l’expansion de l’empire. La transmission entre les répertoires locaux et la tradition musicale de l’empire se faisait par un changement de statut: les musiciens locaux devenaient des musiciens officiels. Ils enseignaient ensuite aux musiciens fonctionnaires puis assistaient à la transformation de leur propre tradition musicale. Ils diffusaient finalement cette nouvelle tradition dans leur pays d’origine (p. 174). La première compilation poético-musicale chinoise née de collectes est le Livre des odes, shijing. La réécriture a porté sur la forme linguistique et sur la forme musicale que les fonctionnaires ont tenté d’accorder avec la musique rituelle et le goût des « gens de bien». L’auteure évoque aussi la pièce Mohedoule, originaire de l’ouest. Intégrée sous la dynastie des Han, elle faisait partie du répertoire militaire. D’après S. Trébinjac, en entendant « sa» musique, l’ennemi était déconcerté et le voleur excité par la possession du « mana» de l’autre qui était un vainqueur potentiel (p. 190).

7Ce travail de longue haleine est remarquable. La clarté du propos – bien qu’un peu répétitif dans les deux premiers chapitres – est d’autant plus impressionnante au regard de la masse d’écrits traduits et analysés. Différents champs disciplinaires interviennent: l’anthropologie, la philosophie et l’acoustique – l’auteure souligne elle-même que la mesure de la variation entre les fondamentaux des diverses dynasties est « une avancée musicologique notoire dans la recherche sinologique» (p. 193). Le panorama historique examiné est par ailleurs fort impressionnant. La démarche entreprise par S. Trébinjac trouve son entière cohérence par le biais de la musique dont l’imbrication au politique sert de fil conducteur.

8 Les collectes musicales permettaient de prendre le pouls du peuple. Les données recueillies traduisaient la force du mandat céleste qui légitime le pouvoir impérial, à tel point que l’expression « »présentation des chansons et des rumeurs » serait devenue synonyme de « rapport administratif »» (p. 71, citant Diény (1968: 12)). Si la continuité historique entre la Chine ancienne et la Chine contemporaine est incontestable, que dire de la situation actuelle, la Chine ayant ratifié le traité de l’UNESCO en 2003 et certaines de ses musiques « nationales» étant désormais classées au patrimoine culturel mondial ? De quel ordre universel parle-t-on alors ? Par ailleurs, si le traité confucéen Yueji met au premier plan le caractère politique du traitement musical, faut-il pour autant le considérer comme un traité « a-musical» ?

  • 1  Cf. Mark Edward Lewis, The Construction of Space in Early China (New York, State University of New (...)

9À propos d’un passage du Yueji qui apparaît dans les Mémoires historiques de Sima Qian et dans le Livre des rites, S. Trébinjac nous apprend que des caractères d’écriture distincts sont employés dans les deux livres (note 56, p. 36): dans un cas est calligraphié le caractère qi que l’auteure traduit par « inspiration»; dans l’autre cas apparaît le caractère homophonique qi, « instrument», transcription que S. Trébinjac retient. Elle traduit donc: « Ces trois moyens [poèmes, chants et danses] sont élaborés dans le cœur humain. Ce n’est qu’après que les instruments entrent en scène». Pourquoi ne pas garder les deux traductions possibles et spécifier que qi, « inspiration», se rapporte également aux « souffles», à une énergie vitale – dans les représentations chinoises, le corps n’est pas séparé de l’esprit, il est perçu comme un composé de substances différentes, fluctuantes et instables, d’énergies vitales: qi, jing et shen1– ?

10En effet, la musique est le produit d’une élaboration interne en ce sens que les sons sont générés par les sensations intérieures comme les sons génèrent des sentiments, c’est « l’intellect qui transforme en sons les sensations provoquées par les impressions reçues de l’extérieur» (p. 15). « Les souffles», qi, semblent être en « jeu», au sens propre du terme, au sein des affaires musicales. L’apprentissage de la musique ne servirait donc pas seulement à faire comprendre que la musique est un symbole et un outil politiques: cette initiation passe par le corps en relation avec l’ordre cosmique et l’ordre social. De même, les coups de tambour donnés lors d’activités militaires ont des « effets». Ce qi, instrument, influençait le moral et l’énergie qi des troupes adverses (p. 185). De la même façon, la pièce Mohedoule interprétée par les cavaliers de l’empereur sur le champ de bataille, si elle engendrait sans doute un « énervement» ou un « amusement», influençait peut-être également les qi, les énergies vitales des guerriers du camp inverse. Autant de questionnements sur le rapport de la musique au corps qui enrichiraient la problématique de départ déjà si passionnante.

Top of page

Notes

1  Cf. Mark Edward Lewis, The Construction of Space in Early China (New York, State University of New York Press, 2006: 21).

Top of page

References

Bibliographical reference

Aurélie Névot, “Sabine TREBINJAC : Le pouvoir en chantant. Tome II: Une affaire d’État… impérialeCahiers d’ethnomusicologie, 22 | 2009, 287-290.

Electronic reference

Aurélie Névot, “Sabine TREBINJAC : Le pouvoir en chantant. Tome II: Une affaire d’État… impérialeCahiers d’ethnomusicologie [Online], 22 | 2009, Online since 18 January 2012, connection on 14 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/1005

Top of page

About the author

Aurélie Névot

Top of page

Copyright

CC-BY-SA-4.0

The text only may be used under licence CC BY-SA 4.0. All other elements (illustrations, imported files) are “All rights reserved”, unless otherwise stated.

Top of page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search