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AccueilNumérosvol. 25, n° 2Les gardiens de l'éthiqueUn ombudsman, cinq mandats : quel...

Résumés

Le Protecteur du citoyen traite des plaintes et des signalements qui visent autant les ministères et les organismes du Québec, que le réseau public des services de santé et des services sociaux et les services correctionnels. Il intervient aussi en matière d’intégrité publique sur la base de divulgations d’actes répréhensibles. Depuis peu, il assure le suivi de la mise en œuvre des appels à l’action d’une commission d’enquête majeure concernant les droits des personnes autochtones dans leurs relations avec des services publics québécois.

La diversité des mandats et des actions compromet-elle le fil conducteur qui donne tout son sens à la mission du Protecteur du citoyen ? Un seul organisme peut-il assumer un tel élargissement de son rôle initial ? Où fusionnent les différents volets de son action ?

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Texte intégral

La naissance d’un ombudsman

1La Loi sur le Protecteur du citoyen est adoptée en 1968 afin de créer un organisme neutre, libre et indépendant chargé de recevoir, d’examiner et de traiter les plaintes et les signalements des citoyennes et des citoyens à l’égard des ministères et des organismes. Daniel Johnson, premier ministre du Québec de 1966 à 1968, est l’instigateur du Protecteur du citoyen. Le Québec est alors au seuil d’une prise de conscience des droits individuels et collectifs, et de revendications pour une affirmation de la parole citoyenne. Dans la foulée, quelques années plus tard, la Charte des droits et libertés de la personne est adoptée à l’Assemblée nationale. Elle reconnaît que toutes les personnes au Québec sont égales en valeur, en dignité et en droits.

2Le Protecteur du citoyen, pour sa part, veille à la défense des droits des utilisateurs des services publics. Il se veut facile d’accès. Pour ce faire, il réduit les formalités au minimum.

3Investi des pouvoirs et de l’immunité des commissaires en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête, le nouveau Protecteur du citoyen peut exiger des services publics qu’ils lui livrent tout document pertinent et qu’ils répondent à toutes ses questions. Au terme de ses enquêtes, s’il a constaté des manquements qui le justifient, il peut faire des recommandations pour y mettre fin. L’efficacité de son action est fondée sur sa capacité d’influence et de persuasion. Si les résultats tardent, il peut en aviser le gouvernement ou les parlementaires, ou encore commenter publiquement les faits.

4Mise en garde : il n’est l’avocat de personne. Le Protecteur du citoyen conserve en tout temps sa pleine impartialité et entend toutes les parties avec la même attention. Il est indépendant du gouvernement et ne rend compte qu’à l’Assemblée nationale.

Des enquêtes qui marquent un tournant

5Au fil des années, le Protecteur du citoyen traite des dizaines de milliers de plaintes individuelles dont le règlement va parfois jusqu’à changer radicalement le traitement accordé à des personnes par des services publics. Le plus souvent, il est question de décisions administratives erronées ou trop strictes, de délais déraisonnables, d’information déficiente ou de manquements à la loi ou à l’esprit de la loi. Quand des correctifs doivent être apportés, le Protecteur du citoyen obtient une bonne collaboration de ses interlocuteurs gouvernementaux. Ses recommandations sont acceptées dans 98 % des cas.

6Au cours des mêmes décennies, de nombreux dossiers du Protecteur du citoyen à effet collectif s’inscrivent dans l’espace public comme des tournants décisifs. C’est le cas lorsqu’il intervient, en 1975, au nom des personnes expropriées lors de la création du Parc national Forillon, en Gaspésie. Bien qu’il s’agisse d’un parc de juridiction fédérale, c’est le ministère des Travaux publics du Québec qui a été chargé de négocier les indemnités avec les propriétaires. Le Protecteur du citoyen obtient pour eux des sommes additionnelles.

7C’est encore lui qui confirme, en 1997, les préjudices subis par ceux que l’on a appelés les orphelins de Duplessis. Ces personnes ont été placées sans raison médicale dans des hôpitaux psychiatriques entre 1935 et 1965, et ce, pour des raisons strictement comptables. Les conclusions du Protecteur du citoyen valent aux victimes des compensations financières qui ne rachètent pas le comportement odieux des autorités de l’époque. Elles donnent cependant aux « orphelins » le sentiment d’avoir été entendus.

8En 2009, le Protecteur du citoyen procède à une enquête sur la gestion par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) d’une éclosion de listériose dans les fromages. Dans son rapport, il formule 12 recommandations au MAPAQ pour qu’il améliore ses mécanismes de prévention, ses plans d’intervention et sa gestion des toxi-infections.

9Ce sont là des enquêtes qui, parmi d’autres, placent ponctuellement le Protecteur du citoyen à l’avant-plan du débat social. Ses enquêtes individuelles, moins retentissantes, mobilisent tout autant son attention et ses efforts.

10Le Protecteur du citoyen est aussi l’ombudsman correctionnel. À ce titre, il a compétence sur les établissements de détention provinciaux et sur la Commission québécoise des libérations conditionnelles. La mise en isolement des personnes détenues pour des périodes allant bien au-delà de ce qu’autorise le droit international est notamment au centre de ses prises de position.

Protecteur du citoyen et des usagers

11En 2006, le Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux est intégré au Protecteur du citoyen. La fusion découle de l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et d’autres dispositions législatives. Cette loi a pour but, entre autres, de mieux outiller les usagers qui veulent faire valoir leurs droits vis-à-vis du réseau de la santé et des services sociaux. Désormais, l’Ombudsman traite leurs plaintes et leurs signalements. Il le fait généralement en deuxième recours, après le Commissaire aux plaintes et à la qualité des services de l’établissement visé.

12C’est en vertu de ce mandat que le Protecteur du citoyen examine des services qui appellent parfois à des correctifs urgents à l’égard de clientèles vulnérables. On pense ici à des personnes âgées en perte d’autonomie et à des personnes handicapées. Les unes comme les autres ne reçoivent pas toujours les soins nécessaires, que ce soit à domicile ou en ressource d’hébergement. Des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et des jeunes en difficulté se plaignent également de rester en périphérie du système de soins en attendant trop longtemps d’être pris en charge.

13En 2021, le Protecteur du citoyen mène une enquête approfondie sur les conditions d’hébergement en CHSLD lors de la première vague de la pandémie de COVID-19. Recueillant les témoignages des personnes hébergées, des familles et des intervenants, il lève le voile sur des conditions de soins et de vie indignes, dans un contexte où le personnel de terrain fait pourtant l’impossible pour assurer les services de base. Son rapport retentissant alimente la réflexion et les réactions de nombreux acteurs et actrices de la santé sur l’urgence d’agir et le devoir de mémoire.

Au lendemain de la Commission Charbonneau…

14En 2015 se conclut la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, mieux connue sous le nom de « Commission Charbonneau ». Celle-ci met au grand jour des pratiques illégales d’individus de toutes les sphères dans le monde des chantiers publics.

15Dans son rapport d’un millier de pages, la Commission recommande notamment que le mandat du Protecteur du citoyen soit élargi en matière d’intégrité publique. C’est ainsi qu’à compter de 2017, le Protecteur du citoyen traite les divulgations d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics. Il reçoit aussi les plaintes en cas de représailles liées à ces divulgations.

16C’est la première fois que le Protecteur du citoyen agit en matière d’intégrité publique. Or, ces enquêtes peuvent être particulièrement perturbantes pour les organisations et les personnes visées. Il y est question, entre autres, d’allégations de manquements graves aux normes d’éthique, d’usage abusif de fonds publics, de mauvaise gestion, d’abus d’autorité. Comparativement aux enquêtes conventionnelles de l’Ombudsman, les conclusions peuvent être « explosives » : congédiement, atteinte à la réputation. Toutefois, ce n’est pas là l’objectif du Protecteur du citoyen qui tient avant tout à mettre fin aux abus et à assurer la mise en œuvre des conditions qui permettront d’éviter que pareilles situations ne se reproduisent.

17Comme autre nouveauté, le Protecteur du citoyen mène, en vertu de ce mandat, des enquêtes de nature plus formelle. Celles-ci exigent, par exemple, que toute personne entendue à titre de personne mise en cause ou de témoin soit convoquée par assignation et puisse être contrainte de produire toutes les preuves requises.

18Tant les enquêtes que leurs résultats sont assortis du plus haut niveau de confidentialité, étant donné les conséquences potentielles, à la fois pour les personnes mises en cause et pour les lanceurs d’alerte. La confiance des divulgateurs est ici un enjeu crucial pour qu’ils livrent ce qu’ils savent au Protecteur du citoyen.

19Par la même occasion, les ministères et les organismes assujettis à la nouvelle Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics doivent se doter d’un mécanisme interne de traitement des divulgations. C’est dire que la culture de l’intégrité publique se donne des moyens pour se répandre et s’imposer dans l’appareil gouvernemental. Ces responsables du suivi des divulgations constituent un premier palier de recours pour le personnel de l’organisation.

20Avec ce nouveau mandat, le Protecteur du citoyen acquiert de nouveaux secteurs de compétence, notamment le réseau de l’éducation, le réseau des services de garde pour la petite enfance et les sociétés d’État.

… et de la Commission Viens

21En décembre 2016 est constituée la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès. Après des décennies de mise à l’écart, les Premières Nations et les Inuit du Québec entendent imposer leur voix, au prix souvent de douloureux témoignages. Ils veulent que l’on reconnaisse impérativement leur culture, leur langue, leurs spécificités, les dénis de justice qu’ils ont subis et leurs revendications. À l’issue de travaux d’envergure, la Commission reconnaît l’existence de discriminations systémiques dans les cinq secteurs qui ont fait l’objet d’une enquête (services policiers, correctionnels, de justice, de santé, de protection de la jeunesse et services sociaux). La Commission Viens insiste aussi sur le fait que les Premières Nations et les Inuit sont les mieux placés, sinon les seuls, pour identifier leurs besoins et leurs aspirations au regard des services publics avec lesquels ils font affaire.

22Dans son rapport final déposé en 2019, la Commission Viens propose au gouvernement de confier au Protecteur du citoyen le suivi des appels à l’action du Rapport, et ce, jusqu’à leur pleine réalisation. Après consultation d’entités autochtones, le Protecteur du citoyen décide d’ajouter cet autre volet à sa mission. La nouveauté cette fois, c’est la création d’une équipe interne spécialisée dans les questions autochtones, et la responsabilité qu’endosse le Protecteur du citoyen au regard du suivi de recommandations qui n’émanent pas de ses propres services.

23Le rapport de la Commission Viens constitue un texte fondateur en ce qui a trait aux défis que doivent relever les services publics au Québec quant aux besoins des Premières Nations et des Inuit. On ne peut plus dicter un modèle d’allocation des ressources se résumant à dire aux communautés : vous allez devoir vous adapter. On doit penser en termes de transformation des services afin que la nouvelle offre ait un sens pour les Autochtones. À titre d’exemple, l’actuelle cour itinérante de justice qui se déplace d’une communauté à une autre pour tenir des audiences représente un exercice souvent incompréhensible pour les Premières Nations et les Inuit. L’instance tient de 30 à 40 procès par jour dans une langue que bien des membres des communautés ne maîtrisent pas. De plus, les principes de justice sont totalement différents pour les populations locales : selon la logique autochtone, à la suite d’une infraction, on doit davantage se tourner vers la réparation que vers la sanction.

24Ce sont là des constats que retient le Protecteur du citoyen également pour lui-même. Dans sa réponse aux plaintes que lui adressent les membres des Premières Nations et des Inuit, il doit penser autrement sa vision des problèmes allégués. Ses services doivent aussi nécessairement intégrer une composante de sécurisation culturelle.

Des mandats distincts, des fondements communs

25Cinq mandats, cinq champs d’implication pour l’Ombudsman. D’où tire-t-il la cohérence de son action ?

26Ses différents rôles se rejoignent principalement à travers les aspects suivants :

  • Une évolution et une intégration des nouveaux mandats étroitement rattachés à la mouvance de la société québécoise ;

  • Le respect des droits des citoyennes et citoyens au cœur même des cinq mandats ;

  • L’indépendance et l’impartialité qui prédominent dans toutes les interventions du Protecteur du citoyen ;

  • Le respect que porte le Protecteur du citoyen aux intervenantes et intervenants des services publics, quels que soient leur secteur et leur niveau décisionnel.

27On l’a vu : de sa création à sa composition actuelle, le Protecteur du citoyen a évolué parallèlement à des changements au sein même de la société québécoise. Qu’il s’agisse de la revendication de leurs droits par des individus et par des groupes, ou de l’importance donnée à la parole des Premières Nations et des Inuit, en passant par la nécessité de doter les utilisateurs des services publics (ministères, organismes, instances de la santé) de nouveaux recours, certains pas franchis par le Québec – des années 1970 à aujourd’hui – se sont imbriqués dans le parcours du Protecteur du citoyen. Cela s’est fait à la fois dans la continuité et dans l’innovation. Il en résulte une institution aussi proche des préoccupations sociétales contemporaines que des questionnements, réclamations ou détresses des personnes qui s’adressent au Protecteur du citoyen en leur nom propre.

28C’est dire que les enquêtes, constats et recommandations du Protecteur du citoyen sont constamment guidés par le respect des droits des citoyennes et des citoyens, incarné dans ses cinq mandats. Si le volet intégrité publique peut sembler s’éloigner quelque peu de la prise en considération des citoyennes et citoyens utilisateurs des services publics, il n’en demeure pas moins – et c’est ce que le Protecteur du citoyen démontre au fil de ses interventions – que le traitement des allégations d’actes répréhensibles et la fin des abus dénoncés se répercutent directement sur la probité des autorités ou du personnel responsable, sur leurs modes de fonctionnement, la saine administration des fonds publics et la qualité des services à la population. En ce sens, intégrité et qualité des services publics sont indissociables. Par ailleurs, le suivi des appels à l’action de la Commission Viens concerne une catégorie précise de citoyennes et citoyens utilisateurs de services, égaux à part entière tout en présentant des besoins particuliers, soit les membres des Premières Nations et des Inuit.

29Quel que soit l’angle d’enquête, l’indépendance du Protecteur du citoyen par rapport au gouvernement et à toute source d’influence est primordiale, de même que son absence de parti pris. Chaque enquête s’ouvre sur une prise en compte de tous les points de vue.

30Enfin – encore une fois quel que soit le mandat –, le Protecteur du citoyen est convaincu que les personnes tant aux commandes des services publics qu’à l’exécution de ces services sont d’abord et avant tout portées par une volonté de répondre le mieux possible aux besoins de leurs clientèles. Ces dernières années, les organisations publiques ont été confrontées aux conséquences d’une pandémie inédite, au phénomène de la rareté du personnel et à la difficulté de retenir les personnes les plus qualifiées. Au même moment, des défis technologiques se sont posés pour appuyer la nouvelle réalité du travail à distance sans que cela nuise à la qualité des services. Au contraire : l’objectif a souvent été d’en accroître l’accès et l’agilité grâce à des virages numériques complexes. Le Protecteur du citoyen a, à plusieurs reprises, souligné l’ingéniosité des artisans des grandes réformes tout autant que le dévouement d’intervenants et d’intervenantes de terrain qui ont tenu les services à bout de bras, notamment aux pires heures de la propagation de la COVID-19, ou aux prises avec des réaffectations budgétaires majeures.

31Par ailleurs, il est important de mentionner que le Protecteur du citoyen n’a pas manqué d’insister sur l’importance d’articuler les changements vers le numérique avec la préoccupation de demeurer inclusif, notamment à l’égard de personnes qui, pour diverses raisons, utilisent les technologies avec difficulté ou n’y ont pas accès (enjeux de santé physique et mentale, régions mal desservies par Internet, outils informatiques désuets, etc.). Pour certains, le contact d’humain à humain sera toujours nécessaire. Autrement dit, la technologie doit être au service des clientèles, et non le contraire.

Pour conclure

32Il y aurait encore beaucoup à dire sur les valeurs inhérentes à l’action du Protecteur du citoyen qui lient les différentes facettes de l’institution et qui permettent une intégration cohérente de visées et de moyens. Ainsi, l’ensemble du personnel fait serment de confidentialité. Le respect des citoyennes et des citoyens passe en effet par le souci de préserver la nature de toute donnée personnelle.

33Pour conclure, il faut certainement mettre en lumière que les missions du Protecteur du citoyen sont indissociables de l’empathie, de la générosité et de l’inventivité des personnes qui composent l’institution. Comme autre point de convergence, il y a l’humanité de celles et ceux qui, jour après jour, portent plus loin la raison d’être du Protecteur du citoyen. Ce texte leur est dédié.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marc-André Dowd, « Un ombudsman, cinq mandats : quel est le fil conducteur ? »Éthique publique [En ligne], vol. 25, n° 2 | 2023, mis en ligne le 09 février 2024, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/8356 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.8356

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Auteur

Marc-André Dowd

Marc-André Dowd est protecteur du citoyen depuis près de deux ans. Il propose ici une réflexion sur le parcours de l’institution qu’il dirige et dont le développement est intimement lié à une société en mouvance. Il revient aussi sur l’intégration de ses cinq mandats et sur la nécessaire cohérence entre ceux-ci, pierre angulaire de la solidité de l’ombudsman.

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Droits d’auteur

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