Coresponsables
La pandémie de COVID-19 qui continue de secouer le monde – et le risque pour la vie et pour la sécurité des personnes qu’elle présente – a rendu nécessaire la prise de milliers de décisions par les autorités administratives. Ces décisions avaient pour objet tant le freinage de la progression de la maladie, l’émission de mesures de contrôle des conséquences de celle-ci, que le déploiement de mesures réactives aux conséquences indirectes de la pandémie sur la santé, l’économie, ou les services aux citoyens, pour n’en nommer que quelques-uns. De plus, considérant le contexte d’urgence, plusieurs pouvoirs publics ont dû ou ont pu être exercés sans tenir compte des règles procédurales (par exemple des mesures d’équité, de consultation ou autres exigences de forme) qui doivent normalement précéder leur expression (voir à ce titre le Décret 177-2020 du 13 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois).
La gestion à court terme des problèmes à régler dans un tel contexte s’effectue de manière différente qu’en situation normale. Les choix à opérer sont plus précipités, de sorte que les étapes courantes de gestion (planifier, organiser, diriger, contrôler) peuvent être escamotées. Il s’ensuit qu’une décision peut être prise sans que ses conséquences subséquentes aient été anticipées. Par exemple, la Prestation canadienne d’urgence a été déployée pour aider les employés et les travailleurs indépendants malgré les conséquences potentielles quant aux possibilités de recrutement des organisations (Lavoie, 2020). C’est comme si la planification se faisait davantage à court terme, en réaction aux différents aspects de la crise qui se manifestent de façon consécutive et que le contrôle, pour sa part, se réalisait plutôt à moyen ou à long terme. De même, l’évaluation des choix est reportée ou limitée car le temps presse. Ainsi, il y a un paradoxe apparent entre gérer la crise (à court terme) et contrôler les choix réalisés (à moyen terme).
Il semble également y avoir un paradoxe entre gérer les événements issus de la crise et maintenir les activités opérationnelles régulières. Il est notamment difficile de préserver un équilibre adéquat entre la situation urgente et les activités opérationnelles récurrentes. Par exemple, le choix de sauver des vies aujourd’hui (dans la crise associée à la COVID) a nécessairement un impact sur la volonté de sauver des vies à plus long terme, dont le traitement différé des cas de cancers et d’opérations de nature diversifiée (Lacoursière, Touzin et Bilodeau, 2021). L’arbitrage entre ces choix déchirants est soumis à d’importantes considérations éthiques qui ne se manifestent qu’en situation de crise, alors que les ressources pour considérer ces enjeux éthiques sont limitées.
De plus, l’appréciation de l’efficacité des décisions prises dans un contexte d’urgence peut varier. D’une part, des mesures adoptées en réponse à une crise pourraient se révéler populaires auprès des personnes visées par celles-ci, lesquelles continueront de réclamer la mesure après la fin de la crise. D’autre part, ces décisions pourraient ne pas avoir l’effet escompté, même à court terme, par exemple lorsque les personnes à qui ces mesures s’adressent ne réagissent pas de la manière prévue ou espérée. Cela amène le décideur à s’interroger sur ses possibilités d’action ainsi que sur les considérations (éthiques, économiques, humaines) qui doivent guider ses choix.
Outre les décisions et leurs retombées, il existe également des enjeux relatifs au processus de gestion de crise. Celui-ci soulève, à certains égards, des questions se rapportant à la gestion du changement. Par exemple, la gestion du changement implique de prévoir une série de cibles d’actions et de stratégies qui favoriseront le passage d’une situation insatisfaisante à une situation désirée (Collerette, Lauzier et Schneider, 2013). Un constat similaire vaut pour la crise. De même, en gestion du changement, il est fréquent que le processus retenu soit conséquent au type de changement à privilégier. Ainsi, un changement plus complexe sera accompagné d’une gestion du changement plus substantielle. L’ampleur de la crise est donc aussi à considérer par rapport au type de démarche de gestion de crise considéré, et aura des conséquences quant à l’identité des acteurs à mobiliser ou à la détermination des décideurs appropriés. Alpaslan (2009) suggère d’ailleurs une conception large (plus inclusive) des parties prenantes lors de gestion de crise. Peut-on tirer des leçons des activités qui sont associées (préparation, identification des détenteurs d’enjeux, stratégie de communication, formation, etc.) à la gestion du changement pour gérer le quotidien d’une crise qui s’éternise? Se pose également la question de la mobilisation du sens éthique de la population face à la crise.
Bien que l’adage Salus populi suprema lex (« le salut du peuple est la loi suprême ») accorde une liberté d’action importante aux décideurs publics d’un point de vue strictement légal (en ce sens que leurs décisions visant à protéger la population ne seront généralement pas annulées par les tribunaux), leurs décisions n’en restent pas moins assujetties à l’éthique et leur conformité aux attentes des citoyens – qu’il faut évidemment être en mesure de bien identifier – fera l’objet de débats publics, pendant et après la crise.
L’objectif du présent numéro est d’explorer dans quelle mesure la crise a modifié ou modulé l’environnement éthique des décideurs publics en vue, le cas échéant, d’en tirer des leçons en prévision de prochaines crises et d’identifier des stratégies ou pratiques susceptibles de guider l’exercice de pouvoirs publics en temps de crise.
*Les responsables du numéro accueilleront des propositions en marge de ces sous-thèmes si elles sont jugées pertinentes.
Les situations de crise imposent un fardeau différent sur les décideurs publics – leurs décisions, leurs comportements et leurs attitudes seront scrutés attentivement par ceux qui en dépendent. Ces situations créent de nouvelles tensions (ou exacerbent celles existantes) entre les intérêts privés des individus, y compris ceux que les décideurs publics doivent normalement desservir, et les intérêts publics de la société qui doit répondre à la crise. Comment les décideurs publics doivent-ils ajuster leur comportement et l’exercice de leurs pouvoirs dans ce contexte?
Comment conceptualiser ou modéliser ces attentes éthiques dans l’environnement (par définition exceptionnel) qu’est la situation de crise? Quelles vérifications ou quels contrepouvoirs devraient s’appliquer à ces décisions, et sous quelles contraintes, par exemple en termes de délais?
Par ailleurs, la situation de crise peut appeler à un ajustement du rôle de certains décideurs publics pour aider le public et les autres organes de l’État à gérer la crise. Dans quelle mesure les décideurs publics peuvent-ils réagir aux changements à leur mission ou à leurs orientations, que ceux-ci soient exigés du gouvernement central, par le public ou par la situation de crise elle-même, tout en respectant leurs attributions officielles?
Malgré la présence de la crise, la normalité – ou du moins une certaine normalité – persiste, quoique perturbée. Comment prendre des décisions quotidiennes ou usuelles lorsque la crise, incluant ses conséquences et les impondérables qu’elle engendre, sévit tout autour? Quelles sont les considérations éthiques entourant la prise de décisions routinières pendant une crise? En ce qui a trait à l’emploi par exemple, comment gérer les attentes des employeurs vis-à-vis des capacités des employés dans le contexte d’une crise, lorsque les outils ou les repères habituels sont indisponibles? Par exemple, la pandémie actuelle a accentué la réalité du télétravail. Comment, face à cette nouvelle prestation du travail, concilier les heures de travail à réaliser à la maison avec la présence des enfants (lorsque les écoles sont fermées) (Tremblay-Potvin, 2020)? De même, comment gérer ses employés à distance et favoriser le travail d’équipe?
En droit administratif, la situation d’urgence est souvent définie par un ensemble de circonstances qui met en péril la sécurité des personnes ou des biens. En gestion, la situation de crise se définit par « un incident ou un événement qui représente une menace pour la réputation et la viabilité de l’organisation » (traduction libre de Pearson et Mitroff, 1993 : 49). L’une ou l’autre de ces situations justifie un changement dans la gestion des priorités par les gestionnaires et les décideurs publics. Comment ceux-ci devraient-ils réorganiser leurs priorités? Quels sont les enjeux éthiques entourant le traitement des priorités, même en temps de crise? Comment déterminer ces priorités lorsque les impacts privés et publics peuvent différer? Comment gérer les impacts à court et à long terme des effets de ces décisions sur la sécurité des personnes (incluant la santé mentale) et des biens? Comment qualifier et étudier les effets à long terme non pas de la source de l’urgence ou de la crise, mais de l’exercice des pouvoirs publics, sur les citoyens et la perturbation des personnes et des mœurs?
Dans les crises d’une certaine envergure, comme la pandémie de COVID-19, il pourra être nécessaire d’adopter des mesures d’interventions qui empiètent sur les droits et libertés individuels du public, que ceux-ci soient protégés par une Charte ou autrement tenus pour acquis par la population, ou sur d’autres limites à l’exercice de pouvoirs administratifs (comme les règles d’adjudication de contrats). On peut penser ici par exemple aux mesures de confinement, de couvre-feu, ou à l’attribution de contrats sans appel d’offres vu le contexte d’urgence. Bien que la situation de crise puisse justifier, aux yeux des tribunaux du moins, la limitation de certains droits et l’assouplissement de certaines procédures, ces mesures drastiques doivent toutefois être exercées de manière éthique. Quelles sont donc les considérations éthiques qui entourent, voire encadrent, ces décisions? En France, par exemple, comment le couvre-feu à 18 heures génère-t-il un stress indu sur les citoyens (précipitation pour aller récupérer les enfants chez la nounou, transports en commun bondés et fermeture des commerces plus tôt) (Saïkali, 2021)? Quels sont les risques pour la santé mentale des gens par rapport à leur santé physique?
Avant publication, tout article fait obligatoirement l’objet d’une double évaluation par les pairs, lesquels évaluent son acceptabilité. L’auteur est ensuite invité à modifier son texte à la lumière des commentaires des évaluateurs. Le Comité de direction de la Revue peut refuser un article s’il ne répond pas aux normes minimales attendues d’un article scientifique ou s’il n’est pas lié à la thématique choisie.
Les personnes qui souhaitent proposer un article doivent faire parvenir une proposition d’article aux responsables du numéro et au secrétariat de rédaction (voir Conditions de soumission). Les propositions d’article doivent compter de 150 à 200 mots.
Le Comité de direction de la Revue fera part de sa décision dans les vingt jours suivant la date limite de remise des propositions. Les auteurs dont la proposition aura été retenue pourront envoyer leur article complet. Les articles définitifs doivent compter environ 40 000 caractères (bibliographie et résumés non compris), inclure un résumé et des mots-clés (en français et en anglais), ainsi qu’une bibliographie (n’excédant pas trois pages).
Les propositions de soumission, sous forme de résumés de 150 à 200 mots, doivent être envoyées d’ici le 4 juin 2021 à :
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Stéphanie Gagnon, ENAP stephanie.gagnon@enap.ca
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Nicholas Jobidon, ENAP nicholas.jobidon@enap.ca
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Revue Éthique publique ethiquepublique@enap.ca
Date limite pour remettre les textes définitifs : 15 octobre 2021
Parution prévue (en ligne, en libre accès immédiat) : Avril 2022