La participation donne confiance
Résumés
Renforcer le lien social en encourageant les citoyens à s’engager dans leur communauté n’est pas suffisant pour les ramener au cœur du système politique national. La contre-démocratie, c’est-à-dire l’ensemble des actions menées du local au mondial pour surveiller, dénoncer, s’opposer aux pouvoirs politiques et économiques dominants, doit reposer sur la participation institutionnalisée des citoyens à la coconstruction des décisions et des politiques publiques. Une démocratie délibérative qui s’ouvre à la parole des citoyens non experts et non élus est la meilleure source de confiance.
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1Je retiens du texte de Manon Loison que la meilleure manière de revitaliser la démocratie réside dans la capacité de renforcer le lien social par divers moyens. Cette idée est fort séduisante et j’y adhère. Elle m’apparaît cependant insuffisante. J’aimerais expliquer pourquoi.
2Le désaveu des peuples des pays développés envers leurs régimes démocratiques s’explique de bien des manières. On peut mettre le cynisme ambiant sur le compte de certaines affaires de corruption ou d’abus de pouvoir. Sauf que ces situations touchent une minorité d’hommes et de femmes politiques. De plus, nos systèmes démocratiques comportent des mécanismes pour les juger et les punir, preuve que les systèmes fonctionnent, peuvent repérer les brigands et leur infliger une correction. En outre, la démocratie telle que nous la vivons permet aux électeurs de jeter les fautifs à la porte lors des élections suivantes. Les citoyens ne sont pas impuissants devant l’imposture. Enfin, les comportements déviants de certains de nos élus pourraient très bien avoir l’effet contraire sur les masses en incitant nombre d’entre nous à poser leur candidature et d’aller faire mieux qu’eux une fois élus.
3La distance prise par les populations à l’égard de la politique partisane me semble s’expliquer par des facteurs structurels plus importants. D’abord, la politique a réussi, par l’instauration de l’État-providence et des grands systèmes de sécurité sociale et d’éducation publique, à accroître la sécurité, la liberté et l’égalité entre les citoyens. Ces systèmes sont devenus lourds. Cette lourdeur freine leur évolution positive, empêche la souplesse que requiert le pluralisme des sociétés modernes. Elle a toutefois l’avantage de rendre ces systèmes indestructibles. On ne peut pas revenir en arrière. Des gouvernements sabrent les budgets, l’égalité d’accès n’est jamais parfaite, mais l’essentiel est préservé. En ce sens, la majorité des citoyens a le sentiment de pouvoir compter sur des acquis. Nous ne sommes plus dans un contexte de nécessité. Nous vivons à l’époque de l’amélioration continue. Bref, dans l’ensemble, sur les questions essentielles, la majorité d’entre nous croit que les problèmes les plus graves sont résolus. Le jugement que l’on porte alors sur les hommes et les femmes politiques et les choix que l’on fait lors des scrutins électoraux portent sur des nuances de style et de leadership.
4Ces succès de l’État-providence ont aussi pour conséquence d’avoir élargi les zones de liberté et d’action des citoyens. C’est là, paradoxalement, un deuxième facteur d’éloignement de la politique. Par leur action bénévole, l’entraide locale, la coopération, la pratique artistique amateur, les corvées populaires, les festivals, les comités, les associations sportives, les sociétés historiques, nombre de citoyens trouvent moyen de rendre leur vie plus agréable, d’aider un proche ou un voisin ou de résoudre un problème commun. Le secteur privé et l’économie sociale et solidaire offrent désormais des services qui, autrefois, auraient été pris en charge par l’État. La décentralisation accroît la responsabilité des communautés locales sur bien des enjeux, disqualifiant du même coup l’État. En somme, protégés par les grands systèmes de l’État-providence, les citoyens se débrouillent de plus en plus seuls pour résoudre les problèmes résiduels, sans recourir ni aux services publics ni à leurs élus dont l’utilité leur échappe de plus en plus.
5À l’opposé, avec la mondialisation, beaucoup de citoyens croient que les décisions les plus susceptibles d’influencer le cours des choses sont prises sur les places boursières ou dans les grandes organisations internationales. La distance s’accroît, dans leur esprit, entre leurs besoins et les orientations décidées dans de tels cénacles. Leur impression est en partie fondée puisque les mécanismes de détermination des positions nationales dans les forums internationaux sont souvent opaques et inaccessibles aux simples citoyens. Seuls quelques groupes d’intérêts ont accès à la conversation. Une oligarchie élitiste et égoïste est à l’œuvre.
6À ces trois vecteurs de cynisme s’en ajoute un quatrième, brièvement évoqué ci-dessus : la part croissante que prennent les groupes d’intérêts dans la vie politique. Le débat public est monopolisé par des associations disposant de moyens de communication et de lobbying. Patronat contre syndicats. Environnementalistes contre industriels. Pharmaceutiques contre médecins. Associations d’enseignants contre directeurs d’école. L’ouvrier, le paysan, le malade, l’élève sont rarement au cœur des délibérations, même si tous ces groupes d’intérêts prétendent parler en leur nom. Le citoyen non affilié osant lever la main pour prendre la parole sera vite enterré par les discours formatés pour ces groupes d’intérêts, avec l’aide de spécialistes des relations publiques. C’est sans compter le poids des experts, spécialistes, chercheurs et autres universitaires patentés dont la parole, même si elle est souvent contestée, demeure intimidante pour le citoyen moyen.
7Alors que faire pour les ramener au centre du système politique national ?
8On peut contraindre davantage les élus ou rendre le vote obligatoire. Ces propositions ne modifient pas la trame de fond.
9L’idée maîtresse du texte de Manon Loison est de renforcer le lien social en encourageant les citoyens à s’engager dans leur communauté, à participer au service civil, à cultiver le dialogue intergénérationnel, et ainsi de suite. J’adhère à cette proposition. La démocratie sera d’autant plus forte que la cohésion sociale sera élevée dans la communauté politique. Les citoyens se sentant responsables les uns des autres chériront le bien commun. J’en suis.
10Cela ne serait toutefois pas suffisant à mes yeux pour redynamiser la vie politique. Ce qui est au cœur du problème est moins la cohésion sociale, somme toute relativement forte malgré la domination des discours individualistes dans l’imaginaire de notre époque. Des sociétés civiles fortes peuvent également exercer une influence sur le cours des choses.
11Mais la cohésion et l’influence ne sont pas synonymes de pouvoir. Or ce qui se trouve au cœur de la démocratie et de la vie politique, c’est le pouvoir.
12Au cours des dernières décennies, à côté de nos institutions démocratiques sont apparus divers mécanismes que le sociologue et historien Pierre Rosanvallon réunit sous le vocable de contre-démocratie. C’est l’ensemble des actions menées du local au mondial pour surveiller, dénoncer, s’opposer aux pouvoirs politiques et économiques dominants. Ces actions s’appuient sur diverses formes de mouvements participatifs et volontaires qui usent des nouveaux moyens de communication en abondance.
13Cette contre-démocratie comporte toutefois un danger : que se construisent, à côté des institutions démocratiques légitimes, des républiques civiles œuvrant non pas pour l’intérêt commun mais pour des intérêts particuliers ou des idéologies. La contre-démocratie menace la capacité des peuples, ainsi tiraillés entre des groupes d’intérêts, des mouvements religieux ou des communautés locales certes très cohérentes et cohésives, de définir le bien commun de la nation, de l’exprimer et d’agir en son nom. Or, la contre-démocratie est là pour rester. Il faut donc apprendre à canaliser l’énergie et les compétences que recèlent ces divers mouvements civiques et politiques au sein même des institutions démocratiques. Il faut leur faire une place en élargissant l’espace de participation au sein de ces institutions.
14La participation est la clé du renouvellement de la démocratie occidentale.
15Participation ne veut pas dire référendum. Participation n’est pas synonyme de démocratie directe. Ni se limite à ces consultations publiques conventionnelles qui prennent, le plus souvent, la forme de la juxtaposition des points de vue opposés de groupes organisés et d’experts sur une question donnée. Pour aller plus loin, il faut emprunter des méthodologies participatives qui enlèvent le monopole de la parole publique aux groupes organisés et aux experts et qui relativisent le pouvoir d’arbitrage du seul élu.
16Le moyen privilégié est d’inclure le simple citoyen dans la conversation. Par des jurys, des conférences de consensus, des ateliers de scénarios, des laboratoires vivants d’innovation sociale, on peut accroître la participation des citoyens de manière à éclairer la décision publique. Ces méthodes s’apparentent à ce que d’aucuns appellent la « coconstruction » ou la « cocréation de politiques publiques ».
17La participation implique un partage du pouvoir entre les élus et les citoyens invités à prendre part au processus de décision. Concevoir la démocratie de cette manière est contre-intuitif pour la plupart des élus qui ont pris le risque d’être candidats, ont gravi les échelons du parti, se sont prêtés au jeu électoral et se croient désormais propriétaires du pouvoir chèrement gagné.
18Or j’ai montré plus haut que les élus sont déjà autant la cible d’influences diverses qu’ils se font imposer des décisions prises par une oligarchie qui les dépasse. Ils ne sont pas aussi autonomes qu’ils le prétendent ou le voudraient.
19Au lieu de chercher à s’allier aux puissants, ils devraient s’allier à ceux et celles dont ils sont les représentants, c’est-à-dire les citoyens. En partageant avec eux le pouvoir, dans des mécanismes de participation balisés, informés, neutres, inscrits dans la durée et institutionnalisés, ils redonneront confiance à leurs commettants. Ces mécanismes doivent certes laisser à l’élu la décision finale. Mais ils doivent être conçus de manière à ce que le poids du processus empêche l’élu d’en ignorer les conclusions. En outre, s’appuyant sur les citoyens, informés et inclus dans la décision, l’élu sera en mesure de faire plus solidement face à tous les lobbies organisés.
20La participation comporte un autre avantage. Participer donne envie de participer. Un citoyen engagé dans une consultation publique ou dans une démarche de réflexion sur l’avenir de son quartier, de sa ville ou du système national de sécurité sociale, sortira de ce processus mieux informé, plus compétent pour exprimer ses vues, plus confiant en lui-même et plus conscient des liens qui l’unissent à ses concitoyens dans un destin commun. Ces hommes et ces femmes s’engageront plus volontiers dans leur communauté, voire dans la vie politique nationale. Ils élargiront les rangs des candidats potentiels avec comme avantage d’être plus convaincus de la nécessité d’écouter les citoyens avant de décider.
21En participant aux décisions, ces citoyens, et tous leurs proches, leurs voisins, leurs amis, prendront mieux conscience du fait que, malgré les succès de l’État-providence, au-delà de sa capacité d’agir au sein de sa communauté, en dépit de la mondialisation et de la puissance des groupes d’intérêts, la vie politique nationale et les décisions qui en découlent demeurent primordiales, essentielles et centrales dans le bien-être des nations.
22Outre l’inclusion des mécanismes de participation véritable, nos institutions démocratiques doivent, pour regagner en crédibilité et en légitimité, adopter des procédures réellement délibératives. Les Parlements, les consultations parlementaires, la ligne de parti, le jeu politique font que les décisions résultent souvent bien davantage d’un rapport de force que d’une délibération effective. L’émotion l’emporte sur la raison. Pour délibérer, il faut du temps, de la transparence, des connaissances scientifiques, de l’information, des échanges et des débats dans lesquels les experts et les parties prenantes ne se bornent pas à énoncer leurs points de vue formatés d’avance, mais doivent soumettre leurs opinions à la réfutation des autres, puis répliquer, s’expliquer, prouver leurs dires, convaincre. Dans de tels processus, le citoyen, énonçant ses besoins, ses préférences et ses valeurs, joue un rôle d’arbitrage sur lequel l’élu peut s’appuyer pour décider. C’est un processus infiniment plus exigeant, au bout duquel la décision ne peut être que meilleure. De meilleures décisions créeront de la confiance. C’est notre but commun.
Pour citer cet article
Référence électronique
Michel Venne, « La participation donne confiance », Éthique publique [En ligne], vol. 13, n° 2 | 2011, mis en ligne le 30 octobre 2012, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/571 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.571
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