L’Intégrale, un exemple d’environnement éthique
Résumés
Plusieurs directions avouent candidement ne pas savoir comment composer avec l’éthique dans leur organisation. Comment faire en sorte que le code d’éthique, considéré comme l’outil de promotion des valeurs de l’organisation, devienne un instrument que le personnel s’approprie et transpose dans son travail quotidiennement ? L’auteur présente les différentes composantes de la démarche éthique qui permettent de vraiment définir un environnement éthique dans l’organisation : code d’éthique, comité d’éthique, modèle de gestion, valeurs.
Plan
Haut de pageTexte intégral
1L’éthique devient de plus en plus une norme de qualité que les organisations publiques et privées semblent vouloir adopter pour répondre aux demandes de leur clientèle. Aussi, plusieurs auront le réflexe de se doter d’un code d’éthique ou d’une charte de valeurs où l’on consigne la conduite que les employés doivent adopter à l’égard des clients de l’entreprise. Malheureusement, le document, souvent lancé en grande pompe, sera vite oublié. Plus encore, le code d’éthique devient un instrument pour sanctionner le personnel. Plusieurs directions avouent d’ailleurs candidement qu’elles ne savent pas comment composer avec l’éthique dans leur organisation. Souvent, le code a été écrit à la suite de l’embauche d’un consultant en éthique qui, après avoir discuté avec la haute direction, a rédigé un document qui devient le credo de l’organisation. Si le document ne reflète que les préoccupations de la direction, son appropriation par les employés est pratiquement nulle. Comment faire en sorte que le code d’éthique considéré comme l’outil de promotion des valeurs de l’organisation devienne un instrument que le personnel intègre et transpose dans son travail quotidien ?
2L’Intégrale est un centre de réadaptation en déficience intellectuelle, organisme public du réseau de la santé et des services sociaux du Québec, issu d’un regroupement de deux organisations en 1992, qui ont fusionné en 1995. Le centre gère un budget de plus de vingt millions de dollars et compte plus l’équivalent de deux cent vingt-cinq employés plein temps. Il offre des services à plus de huit cent cinquante usagers. L’organisme s’est doté, au fil des ans, d’un environnement éthique qui lui donne aujourd’hui une valeur ajoutée. Le travail auprès de personnes ayant une déficience intellectuelle exige que tous les membres de l’organisme qui en a la responsabilité adoptent une conduite éthique irréprochable. Le propos de cet article est de présenter la démarche dans laquelle notre centre s’est engagé et où il continue d’investir.
Un code d’éthique
- 1 Association des centres d’accueil du Québec, Le code d’éthique : une démarche et un outil de mobili (...)
3Le tout a commencé pour répondre à l’obligation légale de doter l’établissement d’un code d’éthique. Déjà à l’époque, la direction avait manifestement exprimé le souhait que le code reflète les préoccupations de l’ensemble des acteurs de l’organisation. Dès cette étape on s’interrogeait sur ce qu’était un code d’éthique. Nous avons retenu la définition suivante : « Il s’agit d’un document écrit rappelant les valeurs véhiculées dans l’établissement et précisant les droits des usagers ainsi que les pratiques et conduites attendues des personnes y œuvrant1. » Dans la foulée, nous sommes tous convenus que le code d’éthique ne serait pas un outil d’évaluation ou de contrôle, pas plus qu’un mécanisme visant à encadrer la pratique professionnelle dans la perspective étroite du bien et du mal ou dans un esprit légaliste. Le code d’éthique ne remplacerait jamais le jugement.
4Le nôtre résulte d’une consultation menée sur une période de quatre mois auprès de groupes représentatifs de l’ensemble des usagers du centre, de leurs représentants et des employés de tous les niveaux de la structure organisationnelle. Sa préparation a en effet mobilisé le personnel – tout le personnel – de l’établissement autour de la question éthique, et surtout dans la perspective de l’appropriation par tous des valeurs jugées importantes par les usagers que nous avons le devoir de servir et des valeurs que nous partageons comme employés.
5Chaque usager de nos services et chaque employé de l’établissement peuvent donc se reporter au document pour se rappeler les valeurs sur lesquelles nous nous sommes entendus lors de cette consultation. C’est devenu un guide précieux pour permettre aux employés de l’établissement de se remettre en question, individuellement, pour son profit personnel, dans les interventions qu’il a à réaliser auprès des usagers, dans les décisions qu’il a à prendre les concernant et dans la gestion des activités qu’il a à mener, quel que soit son rôle dans l’organisation. Dans cet esprit, le code d’éthique se distingue d’un code de déontologie professionnelle qui a généralement pour fonction de définir, dit le dictionnaire, « l’ensemble des devoirs qu’impose à des professionnels l’exercice de leur métier », et qui est écrit par une corporation professionnelle et reconnue au sens du code des professions. Le code d’éthique favorise l’émergence des valeurs souhaitées et appropriées. Il devient un incontournable au-delà de l’obligation légale. C’est un outil indispensable pour faire connaître et rappeler à tous les valeurs attendues par les différents acteurs de l’organisation. C’est également un instrument de promotion, une opportunité de discussion et de remise en question.
- 2 Le lecteur peut prendre connaissance du code d’éthique de L’Intégrale sur son site Web à l’adresse (...)
6Notre code d’éthique insiste sur trois messages, l’un s’adressant aux employés à l’intention des usagers, un autre aux gestionnaires à l’intention des employés et le dernier aux partenaires2.
7Sous la forme d’un acronyme, le premier message rappelle qu’il faut intervenir avec ART, c’est-à-dire avec « amour, respect et transparence ». Les usagers demandent, par exemple, à être écoutés et compris, qu’on respecte leurs droits et libertés et que les interventions soient à leur service et non à celui des structures.
8Le second message indique qu’il faut gérer avec TACT, c’est-à-dire avec « ténacité, ART, confiance et talent ». Les employés demandent, par exemple, que le code d’éthique soit présenté à tout nouvel employé, que leur supérieur immédiat intervienne auprès d’eux comme il souhaite les voir intervenir auprès des usagers, c’est-à-dire avec amour, respect et transparence, que leur jugement soit reconnu et utilisé, puis que les structures soient plus souples, plus flexibles et attentives aux besoins des usagers.
9Le dernier message propose qu’on s’associe avec PLAISIR, c’est-à-dire avec « pluralisme, limpidité, ART, ingéniosité, simplicité, intérêt et réciprocité ». Les partenaires demandent, par exemple, que les employés de L’Intégrale reconnaissent leurs missions respectives, démontrent de l’ouverture dans leurs rapports avec eux, se montrent actifs dans la recherche de solutions face aux problèmes qui leur sont présentés et qu’ils fassent preuve de souplesse dans leurs relations avec eux.
10Le code d’éthique de L’Intégrale se distingue, nous semble-t-il, de la plupart des autres codes d’éthique en ce sens qu’il ne considère pas seulement les relations avec les usagers mais également celles avec les cadres et les partenaires. Il est important en effet que la conduite éthique à l’égard des usagers soit relayée par celle des cadres à l’égard du personnel et celle du personnel à l’égard des partenaires. L’approche client préconisée dans le modèle de gestion prend ainsi tout son sens dans le code d’éthique.
Le comité d’éthique
11Le code d’éthique, devenu un outil organisationnel, sera utile pour autant qu’il soit connu et intégré par le personnel. Dès la publication du code d’éthique et sa distribution, L’Intégrale s’est dotée d’un comité d’éthique qui a pour mission de soutenir la démarche éthique au sein de l’organisation. Le comité est constitué de cadres, d’employés et de représentants des usagers et des partenaires. Les comptes rendus sont publiés sur l’intranet et diffusés auprès de toutes les équipes. Le comité encourage toute initiative visant un plus grand respect de l’éthique dans les interventions auprès des usagers de nos services, dans les rapports des cadres avec le personnel et finalement des employés avec les partenaires.
12Toutefois, il importe que le comité d’éthique se garde de se substituer à une autre structure déjà établie dans l’organisation. Pourquoi ? Parce que l’éthique est et doit demeurer la préoccupation de chacun des employés. En effet, chaque employé cadre devrait, en théorie, s’assurer de faire tout en son possible pour que les employés des services qui sont sous sa responsabilité adhèrent au code d’éthique et respectent les valeurs qui y sont énoncées. Chaque employé devrait donc, en principe, connaître le code d’éthique de l’organisation, y adhérer en toute honnêteté et s’efforcer de s’y conformer en pratique. De même, chaque usager devrait être au fait du code d’éthique de l’établissement et se prévaloir de ses droits, lorsqu’il se croit lésé.
13Le rôle du comité consiste à s’assurer de la diffusion du code d’éthique auprès des employés et des usagers de nos services ; à relever les questions éthiquement litigieuses dans les activités relatives à la réalisation de la mission de l’organisation ; à étudier ces questions en vue d’y trouver des solutions ; proposer les solutions à ceux qui, au sein de l’organisation, ont le rôle d’en décider ; enfin, à procéder à l’étude des questions qui lui sont soumises par les usagers, les employés et les membres du conseil d’administration de l’établissement.
14Depuis sa création, le comité s’est réuni de six à huit fois par année, à raison de deux heures et demie par rencontre. Cela a suffi jusqu’ici à assurer un suivi et de la continuité à la vie éthique dans l’organisation. Le comité réalise toute une série d’activités visant la diffusion et l’appropriation par le personnel des valeurs éthiques définies dans le code : articles publiés régulièrement dans le journal de l’organisation, journées annuelles de travail et de discussion avec le personnel, conférences avec des invités spécialisés en la matière, discussions de cas posant un problème éthique, discussions lors de rencontres des cadres ou d’équipes. Il demeure enfin à l’affût de ce qui est publié sur le sujet et assure la diffusion des informations utiles auprès du personnel. La dimension éthique demeure présente dans les projets, dont on s’assure qu’ils respectent les valeurs énoncées dans le code d’éthique.
Un modèle de gestion
15Afin de donner toute la cohérence requise pour assurer l’intégrité du système que constitue l’organisation en conformité avec le code d’éthique, L’Intégrale s’est dotée d’un modèle de gestion fondé sur quatre valeurs cardinales (confiance, respect, éthique et excellence) et sept valeurs opérationnelles (efficacité et efficience, responsabilisation, reconnaissance, communication, collaboration, compétence, innovation). Le modèle de gestion repose sur l’« approche client », qui est tantôt représenté par un usager, tantôt par un collègue de travail, un supérieur ou un partenaire. Finalement, toutes les activités de tous les employés convergent vers la réalisation de la mission au service des personnes déficientes intellectuelles du territoire. Le modèle de gestion sert de trame de fond à la prise de décision par le comité de direction. Voici une brève description des quatre valeurs cardinales qui viennent donner du sens à l’environnement organisationnel.
16La direction fait confiance à ses employés, ce qui les investit d’un pouvoir qui donne à chacun l’assurance nécessaire pour agir. Cela se traduit par une certaine tolérance lors de l’apprentissage d’une tâche donnée, mais aussi par des mesures de contrôle centrées sur les résultats plutôt que sur les moyens.
17Prendre en considération le personnel est un facteur de motivation et de mobilisation. Le respect commande le respect. Les marques de respect se manifestent beaucoup verbalement. Une attitude franche et ouverte se traduit généralement par des comportements respectueux. Être respectueux, c’est aussi accepter les différences.
18L’éthique renvoie à la capacité de prendre des décisions en harmonie avec des principes moraux qui suscitent des choix honnêtes et de qualité. Être éthique commande qu’on respecte un ensemble de valeurs et fasse preuve d’une sensibilité aux conflits de valeurs potentiels dans l’exécution des tâches quotidiennes, ce qui n’est pas toujours facile si l’on veut donner toute la cohérence possible aux actions.
19Chacun s’assure de réaliser sa tâche selon les règles de l’art et un souci d’excellence. Cela suppose que chacun se forme et s’informe régulièrement sur la manière dont les choses doivent être faites. Un programme de mise à jour des connaissances est souhaitable pour poursuivre l’excellence.
Une démarche organisationnelle, une expérience collective
20Une approche éthique intégrée au sein d’une organisation suppose une volonté ferme de la haute direction, des valeurs connues et un ensemble d’activités coordonnées par le comité de direction qui en assure toute la cohésion.
21La volonté de la haute direction est essentielle pour assurer de la continuité et de la cohérence dans les processus de prise de décision. De plus, l’organisation doit s’inscrire et participer collectivement à une démarche d’amélioration continue de la qualité. La direction doit par ailleurs faire preuve de beaucoup d’ouverture et d’écoute pour laisser émerger les valeurs organisationnelles dominantes. Pour créer le climat qui favorisera l’émergence des valeurs, il faut compter avec le temps. Aménager le terrain est une chose, mais on ne peut pas tirer sur une fleur pour la faire pousser plus vite. Il importe pour la direction de réitérer son engagement et son implication régulièrement auprès du personnel.
22Les valeurs dont on parle doivent être connues de l’ensemble des gens, congruentes, cohérentes et partagées par le plus grand nombre pour créer l’environnement souhaité. Il est toutefois utile de faire quelques distinctions à cet égard pour bien situer le niveau d’intervention possible. On entend par valeurs les qualités intrinsèquement louables qu’une personne ou une société considèrent comme importantes en tant que principes de conduite. Plusieurs types de valeurs peuvent se côtoyer dans une organisation : organisationnelles, managériales, personnelles et sociales, qui peuvent parfois entrer en conflit et qui sont source de problèmes relationnels à différents niveaux.
23Les valeurs organisationnelles sont des principes d’action généraux que les membres d’une organisation considèrent comme une référence fondamentale. Ce sont des critères du désirable qui permettent de porter un jugement sur l’acceptabilité et sur l’importance des objectifs d’action ou des modes de conduite. C’est un point de repère qui donne le moyen de savoir ce qu’il faut éviter et ce qui est important dans l’organisation. Ces valeurs sont généralement considérées comme la composante centrale de la culture organisationnelle.
24Les valeurs managériales sont celles que la direction d’une organisation cherche officiellement à promouvoir pour mobiliser les énergies et assurer la cohésion des membres de son équipe. À L’Intégrale, ces valeurs sont traduites dans le modèle de gestion.
25Les valeurs personnelles sont les valeurs acquises ou adoptées, consciemment ou non, par chacun d’entre nous. Elles influent sur la façon de penser et sur le comportement, bien qu’elles soient en général fortement influencées par les valeurs sociales.
26Les valeurs sociales, sur lesquelles la population dans son ensemble fonde ses attentes, sont celles généralement acceptées par une société et qui se trouvent dans ses traditions culturelles, ses structures, ses coutumes et ses lois.
27La direction et les cadres d’une organisation doivent être conscients des différents niveaux de valeurs afin de pouvoir superviser et soutenir le personnel. Seules des discussions peuvent susciter la réflexion éthique et faciliter l’harmonisation des valeurs. Le personnel, souvent tiraillé dans l’exécution de son travail, éprouve des difficultés à prendre la distance nécessaire lui permettant de résoudre les conflits éthiques vécus dans sa pratique professionnelle, et ne peut s’en sortir qu’en ayant l’opportunité d’échanger soit en groupe ou lors de rencontres de supervision professionnelle.
28Le comité de direction, en plus d’assurer tout le management des opérations courantes, doit contribuer à garder vivantes toutes les valeurs retenues, soit par un code d’éthique soit par un modèle de gestion, à travers sa planification, ses projets et ses opérations. Les membres du comité de direction assurent l’application des valeurs en introduisant dans leurs activités des discussions et des questionnements pour que les valeurs se traduisent dans leurs pratiques de gestion, dans les pratiques professionnelles et dans les pratiques d’intervention dans le quotidien du personnel. La cohérence des valeurs et des actions sert la plupart du temps de normes formelles ou informelles pour apprécier la qualité de la gestion organisationnelle. La qualité des actions et des opérations trouve sa force dans cette cohérence.
29En conclusion, rappelons qu’une approche éthique dans une organisation demeure une expérience collective qui offre les meilleures garanties de qualité des services. En cette matière, rien ne s’improvise. La participation des clients, du personnel et des partenaires dans la démarche et son application sont autant de conditions nécessaires à la réussite. Créer un environnement éthique demande de la cohérence et de l’ouverture en regard des valeurs affichées clairement, que ce soit par le biais d’un code d’éthique ou de valeurs managériales qui doivent être soutenues par une équipe de direction dynamique et engagée. L’approche client devient un bon fil conducteur pour aider à recentrer les préoccupations du personnel et surtout à donner un sens à leur intervention. Je terminerai en reprenant un paragraphe de la Conception de l’éthique du comité d’éthique de L’Intégrale : « Si l’on tient à ce qu’une organisation ait une préoccupation éthique, il faut accepter collectivement que cette éthique ne soit pas plus que ce que l’éthique personnelle de chacun de ses membres a en commun avec celle de tous les autres membres de l’organisation. »
Notes
1 Association des centres d’accueil du Québec, Le code d’éthique : une démarche et un outil de mobilisation, Montréal, mars 1993, p. 7.
2 Le lecteur peut prendre connaissance du code d’éthique de L’Intégrale sur son site Web à l’adresse suivante : http://www.integrale.org.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Jean-Pierre Aumont, « L’Intégrale, un exemple d’environnement éthique », Éthique publique [En ligne], vol. 4, n° 1 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2016, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/2501 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.2501
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page