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Valeurs et pratiques gestionnaires

Éthique et service public : où en sommes-nous ?

Diane Girard

Résumés

La plupart des organisations du secteur public, tant au Québec qu’au fédéral, se sont trouvées, jusqu’à récemment, inexorablement attirées vers une approche limitant leurs initiatives réelles en matière d’éthique à des règles de comportement imposées aux employés, sans consultation ni dialogue. En réduisant ainsi l’éthique à quelques règles sur un nombre de sujets limités, dont les conflits d’intérêts et la confidentialité, on en restreint la portée. Si l’établissement de certaines règles minimales peut s’avérer souhaitable sur certains sujets, une telle approche laisse peu de place au questionnement des pratiques habituelles de travail et à la réflexion quant à la meilleure façon d’exécuter sa mission, tenant compte de l’impact sur les diverses parties prenantes et des valeurs privilégiées par l’organisation et ses membres. On assiste toutefois depuis peu à des initiatives, dans ces deux milieux, axées davantage sur la détermination de valeurs communes et le dialogue.

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Texte intégral

1Depuis quelques années, l’éthique est devenue une préoccupation importante du secteur public. On peut toutefois s’interroger sur le sens des démarches entreprises à ce jour. De quoi se préoccupe-t-on au juste ? Les initiatives sont-elles réellement telles qu’elles puissent répondre aux dilemmes éthiques et aux nouveaux défis des organismes publics et de leurs employés ? Le service public se distingue-t-il du secteur privé à cet égard ?

Limites de l’approche actuelle

  • 1 Outre les dispositions propres à la fonction publique le gouvernement fédéral a mis en place, en 19 (...)

2Le secteur public semble avoir fait preuve, dans le passé, d’une vision assez étroite en matière d’éthique, se limitant à certains aspects bien précis, surtout à des préoccupations relatives aux conflits d’intérêts1, à la confidentialité, à la discrétion et à la neutralité politique. Ces questions sont certes fort importantes mais elles ne représentent qu’une partie des interrogations éthiques susceptibles de survenir dans le service public.

3Les initiatives des organisations gouvernementales québécoises et canadiennes se sont également trouvées généralement réduites à une approche déontologique visant l’imposition de règles de conduite sur un nombre de sujets restreints. Cette façon de concevoir l’éthique commence toutefois à changer, comme le démontrent certaines expériences récentes sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

4L’approche déontologique privilégiée par le passé s’est traduite par l’absence quasi générale de consultation des employés lors de la préparation des codes ou des politiques liées à l’éthique ainsi que par la rareté des initiatives de formation et leur contenu limité, axé sur l’apprentissage de règles et de comportements précis plutôt que sur l’apprentissage d’habiletés permettant aux employés de mieux déceler et résoudre les enjeux éthiques que comporte leur travail. Et certes, si l’on considère l’éthique simplement comme une autre façon d’imposer des règles de conduite, il suffit d’adopter ces règles, de les faire connaître, puis de punir au besoin ceux qui ne s’y conforment pas.

  • 2 G. A. Legault, « Les codes : une tension entre le droit et l’éthique » et « Éléments de prospective (...)

5À notre avis, l’éthique vise plus que le respect de certaines règles de comportement. Pour qu’elle serve réellement à guider les membres de l’organisation dans leurs actions et à leur permettre de résoudre les dilemmes éthiques qui se présentent à eux, la démarche organisationnelle devrait comporter la recherche d’un consensus sur les valeurs et les principes qui devraient guider leurs actions, donc un dialogue avec les premiers concernés, les employés et les gestionnaires de l’organisation2. Elle devrait également permettre de remettre en question, au besoin, le bien-fondé et la justesse de leurs pratiques quotidiennes, tant lors de l’élaboration du code et de la déclaration de valeurs que par la suite. L’éthique est, en fait, pour reprendre une expression utilisée en gestion, un processus d’amélioration continue.

6Vue ainsi, l’éthique permet de guider les membres de l’organisation à partir de leur mission et de la clarification des valeurs qu’ils partagent et choisissent de mettre en application dans l’exécution de la tâche qui leur est confiée. Une telle approche fait appel à l’autonomie de jugement et comporte une dose de responsabilisation : chacun se doit d’être prêt à justifier ses actions par un raisonnement qui tienne compte des circonstances précises auxquels il faisait face, des impacts possibles sur les diverses parties en présence (citoyens, collectivité, employés, partenaires, etc.) et des valeurs qui ont fait l’objet d’un consensus. C’est donc la volonté de vivre selon certaines valeurs communes et la prise en compte de l’autre, et non simplement la peur de sanctions, qui sert de soutien à la prise de décision.

7Cependant, quoique l’on fasse souvent mention de certaines valeurs dans le cadre des démarches amorcées par les organismes publics, la plupart d’entre eux se sont trouvés, jusqu’à récemment, inexorablement attirés vers une approche limitant leurs initiatives réelles en matière d’éthique à des règles imposées de comportement et l’interdiction de certains actes précis. En réduisant l’éthique à quelques considérations spécifiques, conflits d’intérêts ou confidentialité, on en restreint la portée. On vise alors non pas à faire le mieux possible dans les circonstances, en fonction des valeurs déterminées ensemble, mais bien d’éviter de faire ce qui est défendu. Et, compte tenu que le manquement à ces règles peut s’accompagner de sanctions, on ne s’attardera qu’à certains types de comportements particulièrement répréhensibles, en en négligeant beaucoup d’autres dont la portée peut sembler plus étroite.

8Si l’établissement de certaines règles minimales peut se révéler souhaitable sur certains sujets, le fait de s’y limiter laisse peu de place au questionnement des pratiques habituelles de travail et des objectifs fixés, et au réel dialogue à l’intérieur de l’organisation quant à la meilleure façon de procéder.

9Une telle approche fait également abstraction du fait que, dans la réalité, les employés peuvent être confrontés à des situations où leurs valeurs personnelles et celles liées à leur rôle au sein de la fonction publique sont en conflit. Or, il ne suffit pas de dire que l’employé se doit de suivre ce qui a été édicté comme comportement : il serait illusoire de penser que, dans la pratique, les choses peuvent se résoudre aussi aisément. Il faut lui permettre de trouver une solution satisfaisante, et vivable, au conflit de valeurs auquel il fait face. Il faut donc laisser place à la réflexion et à l’autonomie décisionnelle, ce qui n’empêche pas l’adoption de règles minimales sur certains sujets.

10De façon plus précise, en ce qui a trait au Québec, un coup d’œil sur le contenu du code d’éthique de la fonction publique québécoise disponible au moment d’écrire ces lignes, L’éthique dans la fonction publique québécoise, son ton autoritaire, les sujets traités et l’absence de participation des employés visés lors de la préparation du code laisse croire que l’approche y est déontologique. Il ne semble pas y avoir eu d’effort réel de dialogue lors de la détermination des comportements prescrits ou proscrits. Le code de la fonction publique québécoise vise plus particulièrement le travail (assiduité et compétence), le lien avec l’organisation (obéissance hiérarchique, loyauté), le service au public (diligence, éviter la discrimination, traiter le public avec égards et courtoisie, donner l’information à laquelle le citoyen a droit) et le comportement (discrétion, neutralité politique, prudence et réserve, agir avec honnêteté et impartialité, éviter les conflits d’intérêts, exclusivité du service).

11Certes, il y a eu au cours des dernières années quelques tentatives isolées de réflexion et de dialogue en matière d’éthique, dans des ministères et organismes publics québécois. Elles ont toutefois rarement abouti à une remise en question réelle des valeurs qui guident l’action et de la façon de les mettre en pratique dans les activités quotidiennes. Les réflexions dont nous avons eu connaissance portaient surtout sur la façon de mettre en application les valeurs et les principes déjà déterminés par la direction ou par le code imposé par le gouvernement.

  • 3 Vérificateur général du Québec, Rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 2000-2001, t. 1, chap. (...)

12Dans son rapport 2000-2001, le vérificateur général du Québec a tenté « d’évaluer dans quelle mesure l’administration gouvernementale québécoise est dotée d’une infrastructure adéquate de l’éthique3 ». Le rapport s’inspire fortement des recommandations de l’OCDE quant aux éléments qui devraient composer une infrastructure de l’éthique. L’énoncé de valeurs fondamentales et de règles minimales, les mesures visant à favoriser la compréhension de ces valeurs et règles, puis la reddition de comptes et le contrôle des résultats obtenus font partie des recommandations retenues.

  • 4 Ibid., p. 45.

13Le rapport du vérificateur général relève « l’absence d’un corps commun de valeurs fondamentales et de règles minimales auxquelles toute personne qui contribue directement ou indirectement à la gestion des fonds et des biens publics se doit d’adhérer4 ». La formation donnée au personnel y est considérée comme insuffisante ; seules quelques rares organisations ont fait de la formation en matière d’éthique et, même dans ce cas, cette formation n’a pas été suivie par l’ensemble du personnel. Une formation sur certains sujets très précis, telle la protection des renseignements confidentiels, a toutefois été donnée par plusieurs organismes au cours des dernières années.

  • 5 Ibid., p. 60.
  • 6 Ibid., p. 53.

14Le vérificateur général précise que l’OCDE recommande de « combiner judicieusement les systèmes de gestion de l’éthique fondés sur les règles et ceux fondés sur les valeurs en vue de favoriser un tel comportement5 ». Il mentionne la disparité des valeurs citées dans la législation (Loi sur la fonction publique) relativement aux fonctionnaires et administrateurs publics. Il précise également la disparité des valeurs mentionnées dans les divers codes d’éthique et de déontologie existants ou leur absence6.

15Les recommandations de l’OCDE peuvent certes constituer une référence intéressante en matière d’éthique dans le secteur public. Toutefois, le rapport du vérificateur général du Québec nous semble trop s’appuyer sur elles, laissant peu de place à certaines réalités propres aux pratiques québécoises et canadiennes et sans se référer à des exemples réels d’initiatives qui ont eu un certain succès.

16Par exemple, pour l’OCDE, le cadre juridique constitue le point de départ de la communication des valeurs fondamentales et des règles minimales. L’OCDE spécifie toutefois que celles-ci constituent un minimum, qu’elles doivent s’accompagner d’autres exigences ou explications, notamment pour tenir compte des risques plus élevés de manquements dans certaines organisations. Par ailleurs, l’OCDE favorise l’adoption d’une déclaration de valeurs cadres pour l’ensemble de la fonction publique.

  • 7 Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1, Règlement sur les normes d’éthique, de discipline (...)

17Par contre, les initiatives canadiennes qui ont eu du succès, à ce jour, ainsi que le rapport Tait, sur lequel nous reviendrons, se sont orientés davantage vers l’élaboration d’une déclaration de valeurs propres à chaque organisation. Sans nier qu’il y a certaines valeurs communes à l’ensemble de la fonction publique, dont certaines sont déjà prévues dans la législation7, nous croyons que les initiatives où les membres peuvent déterminer les valeurs clés propres à chaque organisation permettent de tenir compte des particularités et de la culture de chaque organisation et sont, par conséquent, bien plus utiles. Par ailleurs, la judiciarisation proposée de l’éthique contraste avec la volonté typiquement canadienne et québécoise de limiter l’intervention du judiciaire là où elle n’est pas essentielle.

18Finalement, l’insistance de l’OCDE sur le contrôle et les sanctions s’éloigne également de l’approche canadienne émergente qui vise, tout en ayant recours aux sanctions au besoin, à mettre davantage l’accent sur l’amélioration progressive des pratiques de gestion.

  • 8 Vérificateur général du Québec, op. cit., p. 62.

19Il peut sembler significatif que le rapport du vérificateur général du Québec mentionne qu’« un élément important qui incite le détenteur d’une charge publique à adopter un comportement éthique est la sanction qu’il peut encourir à la suite d’un écart de conduite8 » et qu’il évoque à plusieurs reprises l’importance des mesures relatives à la détection d’actes répréhensibles et à leur sanction. Il est difficile de penser que l’on obtiendra la même adhésion des employés à une forme d’éthique qui se concentre sur des règles et des manquements que lorsque l’éthique repose sur des valeurs communes définies ensemble et qui serviront de fondement à l’action, le tout complété par certaines règles minimales. Lorsque l’éthique se résume à des règles, la réponse des employés se résume à de l’obéissance ou à de la désobéissance.

20Précisons que le ministère du Conseil exécutif, en réponse au rapport du vérificateur, souligne que le secrétariat du Conseil du trésor et le Secrétariat à la modernisation travaillent actuellement à une déclaration des valeurs fondamentales propres au service public, à un nouveau règlement sur l’éthique et la déontologie dans la fonction publique, à un guide de saines pratiques de gestion ainsi qu’à la préparation d’une stratégie globale de diffusion de l’information en vue de sensibiliser à l’éthique et la déontologie. Il sera intéressant de voir, une fois ces initiatives adoptées, si elles ont réussi à dépasser le cadre déontologique.

21Soulignons enfin que certains ministères et organismes publics québécois tentent depuis quelque temps de mettre en place des approches éthiques davantage fondées sur le dialogue et la clarification de leurs valeurs organisationnelles. Le temps nous dira si ces organisations réussiront à mener à bien ces initiatives, ou si elles retomberont dans la déontologie.

  • 9 A. C. Côté, « Éthique, probité et intégrité des administrateurs publics : suivi du rapport d’un gro (...)

22Un autre exemple de la difficulté, au Québec, à élargir le débat et à dépasser l’approche déontologique actuelle, c’est le Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics adopté en 1998. Quelques années plus tôt, le gouvernement québécois créait un groupe de travail sur l’éthique, la probité et l’intégrité des administrateurs publics, qui avait pour objectif de contribuer à restaurer le lien de confiance entre les citoyens et l’administration publique. Cela faisait suite au constat d’une crise de confiance envers l’administration publique et notamment envers des sociétés d’État et des organismes filiales d’entreprises publiques9.

  • 10 Ibid., p. 239 et 240.

23Le groupe de travail suggérait une approche décentralisée par laquelle chaque société d’État devenait responsable d’élaborer son propre code d’éthique et de déontologie. Par ailleurs, le groupe suggérait que le code ainsi adopté regroupe un volet sur l’éthique, un sur la déontologie et un sur les moyens et procédures. Dans ce volet éthique, il proposait que l’organisme « précise la manière dont il conçoit et intègre sa mission et qu’il énonce les principes et les valeurs qui doivent animer et gouverner sa réalisation » et qu’il indique « la manière dont il aborde les questions fondamentales qui ont trait à la poursuite des impératifs du service public dans un contexte commercial ou industriel, à l’imputabilité des entités de l’administration publique et aux conséquences du fait que les biens qui lui sont confiés font partie du domaine public10 ». Le volet déontologique, quant à lui, devait traiter des devoirs généraux des administrateurs, notamment ceux liés aux conflits d’intérêts et à l’après-mandat.

  • 11 Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics, 17 juin 1998, art. 35.
  • 12 Vérificateur général du Québec, op. cit., p. 56.

24Le règlement adopté a repris un bref énoncé ayant dilué considérablement la portée que le groupe de travail proposait pour le volet éthique du code, précisant que « les principes d’éthique tiennent compte de la mission de l’organisme ou de l’entreprise, des valeurs qui sous-tendent son action et de ses principes généraux de gestion11 ». Il énumère également une série de règles concernant notamment les conflits d’intérêts, l’après-mandat, la confidentialité des informations, les cadeaux et les activités politiques. Dans la majorité des cas, les organismes concernés se sont contentés d’adopter un document reflétant cette portion déontologique ou de modifier leur politique existante en ce sens, sans s’attarder au volet éthique proposé dans le règlement, et encore moins à celui proposé initialement par le groupe de travail. Précisons par ailleurs que le rapport du vérificateur général du Québec souligne plusieurs insuffisances quant au suivi donné par les organisations visées à ce règlement12.

  • 13 Auditor General of British Columbia, 1996-97, Report 10 : Compliance audits, p. 74.

25Le vérificateur général de la Colombie-Britannique soulignait également, il y a quelques années, que les codes des employés de la fonction publique et les sociétés d’État de cette province s’intéressaient particulièrement aux questions de conflits d’intérêts, de cadeaux et de confidentialité. Il y avait peu ou pas de formation à ce sujet, si ce n’est brièvement lors de l’embauche ou lorsque surviennent des problèmes précis13. Le phénomène n’est donc pas seulement québécois.

26Une approche quelque peu différente, axée davantage sur les valeurs, semble avoir été tentée par le gouvernement fédéral. En 1997, un groupe de réflexion publiait un rapport, De solides assises (rapport Tait), qui invitait la fonction publique fédérale à entreprendre une vaste réflexion sur ses valeurs de base et les enjeux nouveaux que présentent les nouvelles approches de gestion et de prestation de services. Plutôt que de tenter de codifier les valeurs applicables à la fonction publique, le groupe de travail s’est penché sur les défis auxquels les fonctionnaires sont, de leur propre avis, confrontés. Dans le cadre de son travail, le groupe a notamment relevé une tension entre les valeurs anciennes et les valeurs nouvelles de la fonction publique, par exemple entre le respect des procédures établies et l’atteinte de résultats, la prudence et la prise de risques. Ces valeurs nouvelles sont issues des changements apportés au fil des ans au rôle et à la façon de faire de la fonction publique. Le rapport faisait également mention que les fonctionnaires doutaient partager les mêmes valeurs que leurs dirigeants. Le groupe de travail a conclu, entre autres, à la nécessité d’un dialogue permanent à travers la fonction publique sur les valeurs qui lui sont propres et à l’importance d’un leadership clair à ce sujet de la part des dirigeants.

  • 14 K. Kernaghan, « L’éthique : est-ce un îlot de stabilité dans un monde en perpétuelle évolution ? », (...)

27L’idée d’un dialogue permanent sur les valeurs constituait une ouverture intéressante sur le sens même de l’éthique, d’une évolution importante à ce sujet : « L’éthique procède non seulement de la connaissance de la différence entre le bien et le mal, mais aussi de la volonté d’agir correctement une fois que l’on a compris ce qu’il faut faire. La conduite éthique s’intéresse autant au choix entre le bien et le mal qu’au choix entre deux biens et deux maux. En outre, l’éthique est une question où il faut reconnaître que tous n’ont pas la même perception du bien et du mal, ni de ce qui peut constituer un moindre mal. Voilà pourquoi un dialogue sur les questions d’éthique et de valeurs est indispensable dans toute la fonction publique pour arriver à comprendre et à accepter les différents points de vue sur ces questions14

28Le rapport a été suivi de la publication d’un guide de discussion, renfermant un certain nombre d’études de cas. Par ailleurs, les rencontres, conférences et publications autour du renouvellement de la fonction publique fédérale (La Relève), au cours des quelques années suivant le dépôt du rapport, ont incorporé certains volets sur les valeurs et l’éthique. Le vérificateur général mentionne également qu’un rapport déposé en octobre 1997 sur la modernisation de la fonction de contrôleur au sein du gouvernement reconnaît l’importance des valeurs et de l’éthique. De plus, un rapport clé du Conseil du trésor de mars 2000, intitulé Des résultats pour les Canadiens et les Canadiennes : un cadre de gestion pour le gouvernement du Canada, fait mention de l’importance de valeurs saines dans la fonction publique.

29Toutefois, dans la pratique, seuls quelques organismes fédéraux ont effectivement entrepris, à cette époque, le dialogue en la matière, dont les ministères de la Citoyenneté et de l’Immigration, celui de la Défense nationale, celui du Développement des ressources humaines, et celui des Travaux publics et Services gouvernementaux, ainsi que la Gendarmerie royale.

  • 15 J. Cochrane, « Values and Ethics in the Day-to-Day Functionning of the Public Service of Canada », (...)
  • 16 Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, Cap sur l’éthique : dilemmes touchant les valeurs (...)

30Ainsi, par exemple, l’approche du ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté, axée sur l’éthique et la définition des valeurs organisationnelles, a été amorcée en réponse au besoin d’aider les employés à réconcilier valeurs personnelles et valeurs organisationnelles dans les situations ou elles paraissent être en conflit15. Quoique leur secteur d’activité fasse l’objet de nombreuses politiques et règlements, plusieurs situations pouvaient survenir qui n’étaient pas couvertes par celles-ci. Le fait que les employés du ministère fassent généralement affaire avec des personnes de cultures et d’origines différentes rend encore plus difficile la résolution des dilemmes auxquels ils peuvent faire face. Les employés furent consultés de façon élargie : l’organisation leur demanda de soumettre des cas de dilemmes qu’ils avaient rencontrés. Des quelque cent cinquante cas, on en retint quinze pour un examen plus détaillé. Le tout fut soumis à nouveau aux gestionnaires et employés qui furent encouragés à en discuter dans leurs services respectifs et à fournir des solutions possibles. Les réponses (environ deux cent cinquante) furent utilisées dans un ouvrage de référence pour les employés16.

  • 17 Gendarmerie royale du Canada, Vision partagée en matière de leadership, octobre 1998.

31La Gendarmerie royale a lancé, pour sa part, dans le milieu des années 1990, dans le cadre d’une réorientation de sa philosophie de gestion, un projet de vision partagée en matière de leadership. Cette initiative visait à revoir les valeurs de l’organisation et rédiger des énoncés actualisés de mission, vision et valeurs de la GRC. Des discussions ont eu lieu parmi les employés des diverses réunions du Canada puis les résultats ont été mis en commun. Les valeurs clés retenues sont la responsabilisation, le respect, le professionnalisme, l’honnêteté, la compassion et l’intégrité17.

32Il est regrettable que le rapport Tait n’ait pas incité plus de ministères et d’organismes à entreprendre un tel dialogue sur leurs valeurs et sur l’éthique. Diverses raisons ont pu conduire à cette situation, dont le surcroît de travail, le manque de leadership à ce sujet et le désenchantement face aux nombreuses initiatives gouvernementales qui surgissent, année après année. La résistance au changement peut aussi avoir eu une incidence, en particulier celle de gestionnaires habitués au mode hiérarchique et peu enclins au dialogue avec leurs employés sur des sujets de fond comme les valeurs. La difficulté à mobiliser temps et ressources pour une telle opération, si elle n’est pas considérée comme prioritaire, peut aussi avoir eu un impact.

33Un nouvel effort a toutefois été amorcé, au cours des dernières années, afin d’encourager ce dialogue dans l’ensemble des ministères fédéraux. Le gouvernement fédéral a procédé notamment, au cours de l’année 2001, à une vaste consultation électronique à ce sujet auprès de ses employés18. Il a également procédé à la création du Bureau des valeurs et de l’éthique de la fonction publique au sein du secrétariat du Conseil du trésor, en 1999, lequel sera responsable notamment de la coordination des activités d’éducation, de dialogue et d’information dans l’ensemble des ministères19.

  • 20 Rapport du vérificateur général du Canada, octobre 2000, chap. 12, « Les valeurs et l’éthique dans (...)

34Le vérificateur général du Canada, pour sa part, précise dans son rapport pour l’an 2000 la nécessité de trouver un juste équilibre entre les contrôles financiers et de gestion, d’une part, et les méthodes fondées sur les valeurs et sur l’éthique, d’autre part. Les recommandations prioritaires sont de renforcer le leadership pour ce qui est de promouvoir un comportement conforme à l’éthique, puis de relancer un dialogue approfondi sur les valeurs et l’éthique, qui souligne la primauté des principes suivants : le respect de la loi, l’intérêt public et la fonction publique en tant que bien public20.

  • 21 Conseil du trésor, Des résultats pour les Canadiens et les Canadiennes : un cadre de gestion pour l (...)

35Les ministères et organismes fédéraux se sont d’ailleurs vus publiquement assigner la tâche de « promouvoir continuellement les valeurs de la fonction publique, le leadership et la mise en place d’un milieu de travail exemplaire, caractérisé par l’appui aux employés, l’encouragement à l’initiative, à la confiance, à la communication et au respect de la diversité21 ».

36Nous croyons donc que l’approche adoptée par le passé, de nature quasi strictement déontologique et portant sur des aspects très précis, a réduit la portée de l’éthique et son utilité pour guider les employés de la fonction publique dans leurs décisions et leurs actions. L’ouverture qui commence toutefois à se manifester à une approche axée davantage sur les valeurs et sur le dialogue, tant au Québec qu’au Canada, est à un stade encore quelque peu embryonnaire, dans l’ensemble, mais son avenir semble prometteur.

37La discussion sur les initiatives du secteur public québécois et canadien en matière d’éthique ne saurait se limiter à la nature même de l’approche éthique utilisée. En effet, le service public est confronté à de nouvelles réalités, à de nouveaux défis, lesquels comportent leurs dilemmes éthiques particuliers. Cela devrait avoir une incidence sur les initiatives en matière d’éthique au sein de ces organismes publics.

Une réalité changeante et de nouveaux défis

  • 22 OCDE, Renforcer l’éthique dans le secteur public ; les mesures des pays de l’OCDE, op. cit., p. 34.

38Le secteur public fait face à une réalité changeante et à de nouveaux défis, liés notamment aux attentes du public à son égard22. Les attentes plus élevées du public peuvent être attribuées en partie à l’accroissement de la méfiance, due aux scandales des dernières années et à l’effort conjugué des médias et des groupes d’intérêts. De plus, nous sommes à l’ère de la consommation, et les services publics n’échappent pas à la règle. En tant que consommateur de services publics, le citoyen a des attentes en termes de rapidité et d’efficacité. Par ailleurs, en tant que citoyen et contribuable, il exigera une utilisation raisonnable des deniers publics et des justifications à ce sujet. Le secteur public a dû prendre des engagements plus nombreux relativement à la qualité des services offerts pour tenter de satisfaire le public. Transparence, reddition de compte et qualité des services deviennent les mots d’ordre. Comme le soulignait le rapport Tait, cette situation crée une réelle tension entre les valeurs traditionnelles de la fonction publique et les nouvelles valeurs professionnelles liées à cette nouvelle réalité, dont l’innovation, la créativité, l’initiative et le service aux clients-citoyens.

  • 23 M. Dion, « Éthique gouvernementale : entre l’élaboration des politiques publiques et leur applicati (...)

39Pour ajouter à la confusion, le citoyen s’attend à ce que les administrateurs publics agissent dans l’intérêt du public. Or, dans nos sociétés de plus en plus pluralistes, il est difficile de servir un intérêt public plus diffus et complexe que dans une société homogène23.

40Par ailleurs, sur le plan interne, le pluralisme accru de la main-d’œuvre rend nécessaire la clarification des valeurs organisationnelles devant guider l’action. Pluralisme non seulement culturel et religieux, mais aussi intergénérationnel et, tout simplement, pluralisme des valeurs même entre gens de même culture et du même âge.

  • 24 Rapport du vérificateur général du Canada, op. cit., chap. 12, p. 6.

41À cela se mêle la complexité grandissante des milieux de travail, tant par le nombre de services offerts et la multiplicité des intervenants due aux partenariats accrus avec d’autres ministères et le secteur privé. D’importants changements ont eu lieu, au cours des dernières années, dans la façon dont le gouvernement structure et exécute ses programmes, tant au Québec, qu’au Canada. Le rôle que le gouvernement doit jouer est remis en question. On assiste à une déréglementation, à une réduction des effectifs, à la réévaluation de divers programmes et services et à une délégation accrue de pouvoirs décisionnels aux fonctionnaires dans les régions quant à l’application des politiques et la gestion des deniers publics24.

  • 25 J. P. Pfiffner, « The Public Service Ethics in the New Public Personnel System », Public Personnel (...)

42La rationalisation du secteur public a également eu comme conséquence l’utilisation plus fréquente de sous-traitants, de contractuels et d’employés temporaires ainsi que des partenariats avec le secteur privé. De plus, les départs à la retraite prévus au cours des prochaines années devraient faire s’accroître le nombre de nouveaux employés. De là survient un défi considérable : comment s’assurer que tous ceux impliqués dans l’ensemble du processus de services gouvernementaux au public, qu’ils soient fonctionnaires ou sous-traitants, agissent dans l’intérêt du public et selon des valeurs propres au secteur public et à l’organisation qu’ils servent25 ?

  • 26 Voir notamment la Loi sur l’administration publique, L. Q. 2000, c. 8.

43Par ailleurs, le nouveau mot d’ordre dans le secteur public est celui de la gestion axée sur les résultats, c’est-à-dire sur les conséquences et les effets de leurs programmes26. Mais qui dit reddition de comptes sur les résultats dit priorisation des résultats chiffrables et mesurables. Calqué sur des modèles issus du secteur privé, on semble donc vouloir mettre de plus en plus l’accent sur les résultats chiffrés. Ce développement de nouveaux modèles de gestion comporte toutefois d’importants effets pervers possibles en matière d’éthique. En effet, la course aux résultats pourrait influer sur la coopération interministérielle et accentuer le travail en silos, la concurrence interne ou entre ministères, au détriment de la réelle qualité du service.

44Elle pourrait également avoir un effet important sur la conduite des employés. En effet, avec plus de liberté d’action dans l’utilisation des moyens nécessaires pour atteindre les résultats, il risque d’y avoir plus de zones grises où il faudra trancher. Or, il est de la nature de l’être humain de faire ce qui est récompensé. Dans une culture où les résultats chiffrables et mesurables prennent le dessus, le risque augmente de se retrouver avec une culture où la fin justifie les moyens.

45Nos interventions en éthique auprès d’entreprises privées nous indiquent qu’un des principaux problèmes auxquels elles se trouvent confrontées est justement les effets pervers liés à la pression importante d’atteindre des résultats. La concurrence féroce que se livrent les entreprises et les forces du marché incitent à viser l’augmentation des résultats, que ce soit par des rationalisations et des coupures d’effectifs, des fusions ou des acquisitions, ou le développement de nouveaux marchés ou produits. La pression est énorme et la vision souvent à très court terme. Il devient difficile, dans un tel contexte, d’oser interroger le bien-fondé des certains projets, au nom de l’éthique, d’oser demander un temps d’arrêt pour évaluer les conséquences des nos décisions sur les autres parties prenantes (communauté locale, environnement, employés, clients et autres). Bien plus, les employés arrondissent les angles alléguant, souvent avec raison, que c’était la seule façon d’atteindre les objectifs. Or, ce faisant, ils contournent entre autres les procédures et normes mises en place pour assurer la sécurité ou l’efficacité de leurs produits et tenir compte de leur impact sur autrui.

46On assiste donc, dans le secteur privé, à un attrait indéniable des résultats chiffrés au détriment de certaines valeurs, au lieu de chercher à concilier les deux. Cela conduit souvent à des situations où la culture organisationnelle incite à fermer les yeux sur les comportements discutables.

47En adoptant une gestion axée sur les résultats, le secteur public doit prendre conscience de ces effets pervers possibles et, si ses dirigeants continuent dans cette voie, ils doivent s’assurer de prendre les mesures nécessaires pour contrer ces effets. Sachant qu’un tel modèle risque de tout miser sur les résultats chiffrés, les gestionnaires devraient favoriser le dialogue pour établir un consensus, au sein de chaque organisation, sur les valeurs qui devraient guider le comportement et s’assurer de rappeler celles-ci régulièrement. La façon dont seront déterminés les objectifs à atteindre devra être surveillée de près. Faut-il viser, comme le secteur privé, une augmentation chiffrée à chaque trimestre ? Ou plutôt orienter nos efforts vers une amélioration réelle et permettre le droit à l’erreur dans un contexte d’apprentissage ?

  • 27 Vérificateur général du Québec, Rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 200-2001, t. 1, chap.  (...)

48La réflexion à ce sujet semble avoir commencé. Par exemple, au Québec, un groupe spécial a eu pour mission d’examiner l’impact de la modernisation de la gestion sur l’éthique et la déontologie de la fonction publique, et un nouveau règlement traitant d’éthique et de valeurs serait en cours d’élaboration27.

49Il serait également important de revoir les critères d’évaluation du personnel et de s’assurer que l’on évalue et récompense non seulement les résultats chiffrés, mais aussi la justesse des moyens pris pour atteindre ces résultats, le comportement dans son ensemble et son adéquation avec les valeurs communes déterminées par les membres de cette organisation.

  • 28 C. E. Mitchell, « Violating the Public Trust : The Ethical and Moral Obligations of Government Offi (...)
  • 29 D. B. Dewar, « Les valeurs de la fonction publique. Comment naviguer entre les écueils », Perspecti (...)

50Les pressions en provenance de l’actualité politique et des politiciens eux-mêmes viennent complexifier encore plus la tâche de certains gestionnaires publics. Le rôle du fonctionnaire inclut l’application des directives et des décisions de ses supérieurs. Dans une organisation de nature hiérarchique telle que la fonction publique, la loyauté envers ses supérieurs est de mise, sous peine souvent de représailles. Or, certaines décisions politiques peuvent aller à l’encontre des principes et des valeurs organisationnelles ou encore heurter profondément les valeurs personnelles du fonctionnaire28. Tenu à la loyauté envers le gouvernement, le fonctionnaire peut se retrouver confronté à un sérieux dilemme éthique. De plus, la fonction publique a pour rôle, lorsqu’elle conçoit des programmes, donne des conseils ou applique des programmes, de « veiller aux intérêts à plus long terme de la société, que les politiciens peuvent perdre de vue en raison de leur cycle électoral de quatre ou cinq ans29 ». Cela n’est certes pas sans créer quelques tensions, éthiques ou non.

51Finalement, l’existence de sociétés d’État à caractère commercial nous semble aussi soulever des enjeux éthiques importants. Ces organismes, par lesquels l’État s’éloigne de sa mission première, s’inspirent des modes de gestion du secteur privé. Le public, toutefois, y voit un organisme gouvernemental et ses attentes en matière de probité sont importantes. De plus, l’existence même de ces organismes, et la nature de leurs activités, est de plus en plus questionnée.

52On constate donc que le contexte actuel comporte de nombreux défis pour le secteur public. Nous sommes d’avis que l’approche déontologique est insuffisante pour faire face à ces nouvelles réalités. Les organismes publics devront être en mesure de faciliter le dialogue en matière d’éthique afin de permettre aux employés de s’entendre quant aux valeurs et aux principes devant guider leur action et de prendre les meilleures décisions possibles tout en tenant compte de la complexité du contexte actuel entourant le service public. Ils devront également s’assurer qu’il sera facile, et tout à fait acceptable, pour un employé d’entreprendre à temps une réflexion sur les dilemmes éthiques qui se présentent, et lui permettre, par de la formation et un encadrement appropriés, d’acquérir les habiletés nécessaires pour résoudre ces dilemmes.

Public et privé : différences et similarités

  • 30 D. Girard et M. Provost, « La gestion des risques éthiques dans les entreprises au Québec : le rôle (...)

53Y a-t-il une différence significative entre le secteur privé et le secteur public en ce qui concerne les initiatives en matière d’éthique ? Les organisations canadiennes privées, tout comme celles du secteur public, se sont limitées principalement, par le passé, à la rédaction et à la diffusion de codes servant à préciser leurs attentes quant au comportement de leurs employés. Ainsi, par exemple, l’analyse de codes de certaines des plus grandes entreprises québécoises a démontré que, généralement, il s’agit bien plus de prescriptions et de prohibitions édictées par la direction que de valeurs et de principes pouvant guider les décisions de tous les membres de l’organisation. Le contenu du code renvoie généralement aux obligations des employés en matière de conflits d’intérêts, de cadeaux, de confidentialité des informations et d’utilisation des biens et des fonds de l’entreprise30.

54Certains codes mentionnent également des questions telles que les limites aux transactions boursières et aux placements, l’environnement, le rôle de l’entreprise à l’égard de la communauté, le comportement envers les actionnaires, la qualité et la sécurité du produit, la franchise dans la publicité, le traitement juste et équitable des clients, la sécurité et la santé, le harcèlement ainsi que le respect de la vie privée. Il n’est pas coutume, pour la direction, de procéder à une consultation préalable auprès des employés à ce sujet.

55Tant le secteur privé que le secteur public semblent donc avoir privilégié, dans le passé, l’approche purement déontologique. Nous constatons toutefois, en pratique, depuis quelques années, de plus en plus d’initiatives axées sur les valeurs et sur le dialogue dans le secteur privé, tout comme dans le secteur public. Débuts embryonnaires, certes, mais tout de même réels.

  • 31 KPMG (Canada), Sondage sur l’éthique-2000. L’éthique au quotidien, février 2000.

56Voyons maintenant de plus près les différences et similarités quant aux principales initiatives mises en place. KPMG a entrepris, en 1999-2000, un sondage auprès des principales organisations canadiennes des secteurs privé et public, portant notamment sur les initiatives de ces organisations en matière d’éthique31. Des participants au sondage, 69 sur 77 du secteur privé (90 %) et 63 sur 76 du secteur public (83 %) ont affirmé avoir un document écrit énonçant leurs valeurs et principes, que ce soit sous forme de code ou de déclaration. Quoique les pourcentages soient similaires, des différences ont été constatées quant à l’époque au cours de laquelle le document avait été créé.

57L’adoption d’un code ou d’un énoncé de valeurs est une initiative plus récente dans le secteur public (depuis moins de deux ans pour 46 % des interrogés, depuis plus de dix ans pour 8 % d’entre eux) que dans le secteur privé (depuis plus de dix ans dans 22 % des cas, au cours des deux dernières années dans 20 % des cas). Est-ce dire pour autant que le secteur privé ait de l’avance sur le secteur public quant aux types d’initiatives destinées à faciliter l’implantation de l’éthique dans l’organisation ou qu’il y consacre davantage de ressources ? Y a-t-il des différences significatives quant aux initiatives ?

58Au chapitre des ressources consacrées à l’éthique, 32 % des participants du secteur public déclaraient avoir, au sein de leur organisation, un cadre supérieur dont la tâche incluait expressément de mettre en application, de surveiller et d’évaluer les initiatives en matière d’éthique. Au privé, la proportion est de 52 %.

59Quant au temps consacré annuellement à la formation en éthique, 45 % des participants du secteur privé affirment faire de la formation en éthique, ils sont 33 % au secteur public. Ce dernier semble consacrer davantage de temps à la formation de la haute direction à ce sujet (16 % de ceux qui font de la formation y consacrent de quatre à huit heures par année et 16 % plus de huit heures ; dans le privé, ces proportions sont de 22,2% et de 5,6 %). Quant à la formation des gestionnaires, 22,2 % de ceux qui en font dans le secteur privé y consacrent de quatre à huit heures par année et 5,6 % plus de huit heures (dans le public : 20,8 % et 12,5 %). Le temps consacré à la formation des employés autres que gestionnaires est similaire dans les deux secteurs et n’est de plus de quatre heures que dans 17,2 % (privé) et 18,1 % (public) des cas.

60Quant à l’inclusion de critères spécifiques liés à l’éthique dans les critères d’évaluation du personnel, le secteur public l’emporte mais par une marge tout de même assez réduite et non significative. Au privé, 27,3 % des interrogés affirment avoir de tels critères pour les gestionnaires, et 19,5 % pour le personnel, comparativement à 31,6 % et 22,4 % pour le secteur public.

61Nous constatons donc que les secteurs public et privé ont tous les deux adopté des approches et mis sur pied des initiatives similaires, à ce jour, en éthique, à quelques exceptions près.

62Ce survol permet de constater la nécessité d’un changement de cap. L’insuffisance de la déontologie et les nouveaux défis auxquels fait face le secteur public interpellent ses dirigeants. Il est temps d’élargir la réflexion et d’y mettre les énergies nécessaires pour que l’éthique devienne réellement une aide à la prise de décision, permettant aux gestionnaires et aux employés de faire le mieux possible, compte tenu des circonstances au sein desquelles ils opèrent, et de concilier les tensions entre les valeurs qui entrent en jeu dans leurs opérations quotidiennes.

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Notes

1 Outre les dispositions propres à la fonction publique le gouvernement fédéral a mis en place, en 1994, le Bureau du conseiller en éthique du Canada dont la mission est principalement de conseiller et d’appliquer le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat, ainsi que le Code de déontologie des lobbyistes. Ils ont également la responsabilité de conseiller les ministres, les secrétaires d’État et leur personnel relativement aux rapports qu’ils peuvent entretenir avec les organismes quasi judiciaires. Voir H. Wilson, « Le conseiller en éthique du Canada : son rôle et ses fonctions », dans L’éthique gouvernementale, Montréal, Fides, 1997, p. 373-388. Notons qu’aux États-Unis la mission de l’Office of Government Ethics s’articule également principalement autour des questions de conflit d’intérêts et est de nature déontologique. Voir à ce sujet : D. J. Maletz, J. Herbel, « Beyond Idealism : Democracy and Ethics Reform », American Review of Public Administration, vol. 30, no 1, mars 2000, p. 25. Notons aussi que le principal colloque des gestionnaires publics québécois en matière d’éthique, au Québec, au cours des dernières années, s’est limité aux questions de conflits d’intérêts. Voir à ce sujet A.-G. Bernier et F. Pouliot (dir.), Éthique et conflits d’intérêts, Montréal, Liber, « Éthique publique hors série », 2000.

2 G. A. Legault, « Les codes : une tension entre le droit et l’éthique » et « Éléments de prospective », Enjeux de l’éthique professionnelle, t. II, L’expérience québécoise, Québec, Presses de l’université du Québec, 1997, p. 38-72 et 139-155.

3 Vérificateur général du Québec, Rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 2000-2001, t. 1, chap. 3.

4 Ibid., p. 45.

5 Ibid., p. 60.

6 Ibid., p. 53.

7 Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1, Règlement sur les normes d’éthique, de discipline et le relevé provisoire des fonctions dans le secteur publique, Loi sur le ministère du Conseil exécutif, L.R.Q., c.M-30.

8 Vérificateur général du Québec, op. cit., p. 62.

9 A. C. Côté, « Éthique, probité et intégrité des administrateurs publics : suivi du rapport d’un groupe de travail », dans L’éthique gouvernementale, op. cit., p. 221-251.

10 Ibid., p. 239 et 240.

11 Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics, 17 juin 1998, art. 35.

12 Vérificateur général du Québec, op. cit., p. 56.

13 Auditor General of British Columbia, 1996-97, Report 10 : Compliance audits, p. 74.

14 K. Kernaghan, « L’éthique : est-ce un îlot de stabilité dans un monde en perpétuelle évolution ? », Perspectives sur la gestion publique : les valeurs dans la fonction publique, Centre canadien de gestion, 1994, p. 32.

15 J. Cochrane, « Values and Ethics in the Day-to-Day Functionning of the Public Service of Canada », Business & Professional Ethics Journal, vol. 17, nos 1 et 2, p. 183.

16 Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, Cap sur l’éthique : dilemmes touchant les valeurs et l’éthique au sein de CIC, 1998.

17 Gendarmerie royale du Canada, Vision partagée en matière de leadership, octobre 1998.

18 Voir www.principles-principes.gc.ca.

19 OCDE, Renforcer l’éthique dans le service public ; les mesures des pays de l’OCDE, 2000, p. 146.

20 Rapport du vérificateur général du Canada, octobre 2000, chap. 12, « Les valeurs et l’éthique dans le secteur public fédéral », p. 2.

21 Conseil du trésor, Des résultats pour les Canadiens et les Canadiennes : un cadre de gestion pour le gouvernement du Canada, 2000.

22 OCDE, Renforcer l’éthique dans le secteur public ; les mesures des pays de l’OCDE, op. cit., p. 34.

23 M. Dion, « Éthique gouvernementale : entre l’élaboration des politiques publiques et leur application », dans L’éthique gouvernementale, op. cit., p. 122.

24 Rapport du vérificateur général du Canada, op. cit., chap. 12, p. 6.

25 J. P. Pfiffner, « The Public Service Ethics in the New Public Personnel System », Public Personnel Management, vol. 28, no 4, hiver 1999, p. 541-555.

26 Voir notamment la Loi sur l’administration publique, L. Q. 2000, c. 8.

27 Vérificateur général du Québec, Rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 200-2001, t. 1, chap. 3, « Éthique au sein de l’administration gouvernementale québécoise », p. 49.

28 C. E. Mitchell, « Violating the Public Trust : The Ethical and Moral Obligations of Government Officials », Public Personnel Management, vol. 28, no 1, printemps 1999, p. 27-38.

29 D. B. Dewar, « Les valeurs de la fonction publique. Comment naviguer entre les écueils », Perspectives sur la gestion publique : les valeurs dans la fonction publique, Centre canadien de gestion, 1994, p. 7.

30 D. Girard et M. Provost, « La gestion des risques éthiques dans les entreprises au Québec : le rôle du conseil d’administration », Gestion, vol. 23, no 3, automne 1998. Voir aussi M. Lefebvre et J. B. Singh, « The Content and Focus of Canadian Codes of Ethics », Journal of Business Ethics, vol. 11, 1992, p. 799-808 ; M. Dion et R. Lescarbeau, « Les codes d’éthique des entreprises manufacturières au Québec. État des perceptions des dirigeants », Ethica, 1995, vol. 7, no 1, p. 113-144.

31 KPMG (Canada), Sondage sur l’éthique-2000. L’éthique au quotidien, février 2000.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Diane Girard, « Éthique et service public : où en sommes-nous ? »Éthique publique [En ligne], vol. 4, n° 1 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2016, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/2500 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.2500

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Auteur

Diane Girard

Diane Girard est responsable des Services de consultation en éthique et intégrité de KPMG.

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