L’éthique professionnelle dans l’administration fédérale suisse
Résumés
Cet article décrit l’évolution récente que l’éthique dans le service public a connue au sein de l’administration fédérale suisse. Il distingue trois phases : l’analyse du problème, la formulation des programmes et la mise en œuvre des mesures. L’encouragement d’un comportement respectueux de l’éthique dans l’administration fédérale suisse combine moyens de contrôle traditionnels et nouveaux instruments de prévention. Le but principal ainsi poursuivi est d’inciter les agents de la force publique à adopter les comportements souhaités.
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1En Suisse, l’éthique dans le service public est un sujet fréquemment abordé. En effet, depuis la fin des années 1980, la confiance du public dans les institutions politiques a été ébranlée à plusieurs reprises. Deux commissions d’enquête parlementaire ont, pour l’une, mis au jour la surveillance illégale d’un très grand nombre de citoyens effectuée au nom de la protection de l’État et, pour l’autre, révélé l’existence d’une organisation militaire secrète au sein du ministère de la Défense. Dans le domaine de l’exportation du fromage, marché réglementé par l’État, les prix minimaux convenus avec l’Union européenne ont été contournés par le biais de remboursements à des clients étrangers. Un officier de l’état-major général de l’armée a dû répondre d’abus de confiance commis dans l’exercice de fonctions publiques, d’escroquerie et de faux dans les titres, infractions commises dans le contexte de l’organisation d’une manifestation de commémoration. Le cas d’un ancien comptable des services de renseignements militaires qui, des années durant, a détourné des millions au moyen de la mise sur pied de troupes fictives et qui s’est constitué un véritable arsenal privé est presque caricatural. Cette énumération pourrait encore être allongée. Si de tels cas isolés ne permettent certes pas de déduire que tout le service public suisse est entaché d’irrégularités, ils ont à juste titre suscité une prise de conscience des problèmes en matière d’éthique et de corruption.
- 1 Le CPI reflète le degré de corruption d’un État tel qu’il est perçu par les hommes d’affaires et le (...)
2Les experts nationaux et internationaux sont d’avis que, en Suisse, la corruption est un phénomène plutôt marginal. Selon l’indice de perception de la corruption 2001 (Corruption Perception Index, CPI) de Transparency International, la Suisse fait partie des pays perçus comme les moins corrompus. Elle ne se situe toutefois qu’au milieu de ce groupe de tête1. De 1985 à 1998, il y a eu en moyenne quarante-sept condamnations pénales par an pour violation des devoirs de fonction, aucune tendance à la hausse n’ayant été constatée. À ce chiffre, il faut encore ajouter les sanctions relevant du Statut des fonctionnaires (législation suisse sur les fonctionnaires) qui ne sont pas répertoriées par les statistiques ainsi que le nombre non quantifiable de violations ignorées. Le nombre de ces violations ignorées pourrait précisément se révéler important dans le domaine de la corruption.
- 2 OCDE, L’éthique dans le service public. Questions et pratiques actuelles, « Études hors série sur l (...)
3L’éthique dans le service public va cependant au-delà de la simple absence de corruption. Sur le modèle de la définition de l’OCDE2, cela peut être considéré comme un système de règles qui permettent de traduire les idéaux caractéristiques de l’administration publique dans la pratique quotidienne. La modernisation du service public modifie les valeurs en vigueur dans la fonction publique et les systèmes régissant leur application de manière fondamentale. Les réformes de l’administration élargissent la marge de manœuvre de l’action publique qui est de plus en plus axée sur des valeurs telles que l’efficacité, l’efficience et la transparence. Il y a donc apparition d’un besoin de réorientation qui explique également l’intérêt grandissant pour les questions ayant trait à l’éthique dans le service public.
4Le présent article donne une vue d’ensemble des mesures prises depuis le milieu des années 1990 pour encourager l’éthique au sein de l’administration fédérale suisse – les mesures adoptées par les cantons et les communes ne sont donc pas considérées. Il est basé sur une version mise à jour du rapport d’enquête « L’éthique dans le service public » qui avait été publié en 1998 par l’Organe parlementaire de contrôle de l’administration (OPCA).
Pour un comportement respectueux de l’éthique
- 3 W. Linder, Schweizerische Demokratie. Institutionen, Prozesse, Perspektiven, Berne, Haupt, 1999 ; R (...)
5Les discussions sur l’éthique dans l’administration se limitent souvent à des sujets tels que les codes de conduite, les cours de formation ou les institutions actives dans le domaine de l’éthique. Cette approche est insatisfaisante tant il est vrai que les administrations sont des systèmes d’exécution très spécialisés chargés de la concrétisation et de la mise en œuvre d’objectifs définis à l’échelon politique. L’efficacité de leur action repose sur la spécialisation des rôles et l’application de procédures standardisées et formelles. Les appels lancés aux fonctionnaires pour leur demander d’agir en respect des normes de conduite demeureront sans effet s’ils sont incompatibles avec les impératifs du système bureaucratique. Les standards en matière d’éthique constituent le maillon faible de la chaîne de tous les facteurs qui influent sur le comportement des agents publics : outre les aspects psychologiques propres à chacun, il convient notamment de souligner le rôle de l’environnement professionnel immédiat, des conditions de travail, des structures et des procédures de l’organisation administrative, de la culture d’entreprise, du système politique et des conditions économiques du pays concerné. Avant d’aborder les mesures concrètes visant à encourager un comportement respectueux de l’éthique dans l’administration fédérale, il paraît opportun de mentionner quelques facteurs contextuels propres au système suisse qui influent positivement ou négativement sur l’éthique dans le service public3.
- 4 Voir le rapport de 2001 Economic Freedom of the World du Fraser Institute, Vancouver : www.fraserin (...)
6La Suisse est un petit État qui dispose d’une administration de taille relativement réduite et transparente, peu politisée, disposant de moyens raisonnables et de bonnes structures organisationnelles, offrant des conditions de travail satisfaisantes et employant des agents bien formés. Les structures démocratiques efficaces garantissent un degré de contrôle et de participation politiques élevé. Dans la mesure où l’on admet généralement qu’un rapport inversement proportionnel existe entre liberté économique et corruption4, le libéralisme économique de la Suisse devrait avoir un bon effet anticorruption.
- 5 L’effet de cette évolution des valeurs sur l’éthique au travail a été résumé de manière saisissante (...)
7Cependant, le pays réunit naturellement aussi un certain nombre de conditions qui représentent des risques du point de vue de l’éthique dans le service public. La coalition gouvernementale, résultat du système de concordance, est constituée de quatre grands partis démocratiques au pouvoir sans interruption depuis 1959. Avec une telle démocratie de consensus à l’échelon fédéral, la transparence en matière de compétences et la détermination claire des responsabilités peuvent présenter certaines difficultés. Le système de milice – tâches officielles exécutées à titre bénévole ou activité professionnelle secondaire – induit d’étroites interconnections entre fonctions civiles et publiques et est à l’origine de conflits d’intérêts. La petite taille du pays et l’interpénétration des élites économiques et politiques constituent un milieu favorable au népotisme. Ce problème semble particulièrement important dans le domaine des marchés publics des cantons et communes qui, en 1997, atteignaient tout de même un volume d’environ quinze milliards de dollars américains. Comme pour d’autres pays, l’éthique dans le service public est exposée aux pressions dues à l’internationalisation des rapports commerciaux, aux interactions de plus en plus nombreuses entre les secteurs privé et public ainsi qu’à l’évolution des valeurs sociales5.
8Quelles sont les mesures que la confédération a prises dans ce contexte pour encourager un comportement respectueux de l’éthique dans le service public ? Depuis le milieu des années 1990, il est possible de distinguer trois phases qui se chevauchent : une phase d’analyse du problème et de formulation des exigences politiques en découlant (deuxième partie de la décennie), une phase consacrée à la formulation des programmes politiques (fin de la décennie) et une phase (en cours) de mise en œuvre des mesures décidées.
Analyse du problème et exigences politiques
9En 1995, inquiété par quelques irrégularités, le Conseil fédéral (le gouvernement suisse) a chargé le ministère de la Justice de procéder à une analyse de la situation et de proposer des mesures de lutte contre la corruption. L’étude résultant de ce mandat a conclu que la situation n’était pas alarmante. Elle proposait toutefois quelques mesures préventives et répressives telles que le renforcement du droit pénal, un renforcement du personnel du contrôle des finances ou l’élaboration d’un règlement type relatif à l’interdiction d’accepter des cadeaux.
- 6 CCF (Service de contrôle administratif du Conseil fédéral), Risques de corruption et mesures de séc (...)
10À la suite de cette étude, le Conseil fédéral a chargé son organe de contrôle de l’administration de procéder à un inventaire systématique des activités à risque au sein de l’administration fédérale et d’évaluer les mesures de prévention correspondantes. L’étude publiée en 1998 par cet organe de contrôle a montré que le risque de corruption dans la majorité des activités examinées était minime et avant tout lié aux marchés publics, au traitement des informations sensibles, aux autorisations ainsi qu’au contrôle de la mise en œuvre des politiques. Pour 13% des activités plus concernées par les risques de corruption, les auteurs de l’étude ont toutefois estimé que les mesures de sécurité en place étaient discutables ou insuffisantes6. En plus de l’amélioration des mesures de sécurité, l’organe de contrôle de l’administration a également proposé d’accorder une plus large place au thème « corruption et éthique » dans le cadre de la formation continue et du perfectionnement du personnel de la confédération.
11L’initiative de la discussion au sujet de l’éthique dans le service public n’émanait pas seulement du gouvernement. En effet, depuis le milieu des années 1990, de nombreuses interventions parlementaires ont été déposées dans les domaines de la lutte contre la corruption et de l’encouragement d’un comportement respectueux de l’éthique dans l’administration et la politique. L’initiative parlementaire 96.414 (Lutte contre la corruption) rejetée par le Conseil fédéral et la motion 96.3457 (Cas de corruption. Conséquences législatives), qui demandaient la révision des dispositions pénales en matière de corruption, en sont des exemples. La motion 98.334, dont la portée était plus large que les précédentes, mérite également d’être mentionnée dans ce contexte. Elle demandait la nomination d’une commission d’éthique qui aurait été chargée d’élaborer des principes éthiques régissant l’action politique.
- 7 Voir http://www.parlement.ch (E-Doc, Publications/ Rapport du Parlement).
- 8 Ibid.
12En 1995 déjà, lorsque l’on commençait à se préoccuper des questions de corruption et d’éthique dans l’administration fédérale, les commissions de gestion (c’est-à-dire les instances de haute surveillance des deux chambres du parlement) ont demandé à l’administration fédérale de présenter une liste de toutes les mesures de prévention de la corruption. En 1997, les commissions de gestion ont examiné la politique du personnel de la confédération. Au cours de cet examen, elles ont aussi abordé un certain nombre de questions en rapport avec l’éthique administrative au sens large7. Dans ce contexte, elles ont notamment exigé l’élaboration de nouveaux principes directeurs cohérents en matière de politique du personnel ainsi qu’un meilleur soutien des cadres. En 1998, une inspection a porté sur les occupations accessoires des fonctionnaires et les activités professionnelles d’anciens fonctionnaires8. Pour éviter les conflits d’intérêts, ces instances de contrôle ont, entre autres, exigé le remplacement du principe de l’interdiction des activités accessoires lucratives sous réserve d’autorisation, par un système d’autorisation générale moyennant déclaration préalable accompagné d’un élargissement de l’application des règles de récusation pour les fonctionnaires qui travaillent également dans le secteur privé.
- 9 OPCA, L’éthique dans le service public, Berne, 1988. Voir http://www.parlement.ch (E-Doc, Publicati (...)
13Dans le cadre de cette inspection, les commissions de gestion avaient également chargé l’OPCA de réaliser une enquête sur l’éthique dans le service public, enquête qui est à la base du présent article9. L’étude de l’OPCA repose sur une enquête effectuée auprès des responsables du personnel de l’administration fédérale. Cette étude a montré qu’une mauvaise conduite du personnel, les erreurs de recrutement et un manque de transparence dans la définition des compétences sont les principaux facteurs qui renforcent les prédispositions à commettre des irrégularités dans le service public. Selon les résultats de l’enquête, les principales stratégies permettant de lutter contre de telles irrégularités passent par une attitude exemplaire des cadres de l’administration et des pouvoirs politiques ainsi qu’une définition claire des responsabilités. En se fondant sur le rapport de l’OPCA, les commissions de gestion ont, entre autres, exigé la mise en place d’une culture d’entreprise encourageant un comportement respectueux de l’éthique dans le service public, ainsi qu’un renforcement du respect des règles de l’éthique par les unités administratives autonomes que la confédération gère par mandat de prestations et enveloppes budgétaires (selon les principes de la nouvelle gestion publique).
- 10 N. Quéloz, M. Borghi et M. L. Cesoni, Processus de corruption en Suisse, Bâle, Genève et Munich, He (...)
14La phase d’analyse s’est achevée par une étude du Fonds national suisse de la recherche scientifique effectuée de 1997 à 1999 portant sur la corruption à l’échelon cantonal10. Cette étude parvient à la conclusion que, en comparaison avec les autres domaines politiques, celui des marchés publics est particulièrement sensible à la corruption et que, à cet égard, la législation en vigueur souffre d’un certain nombre de lacunes ainsi que d’un manque de cohérence. L’étude propose un grand nombre de mesures préventives et répressives de lutte contre la corruption.
Formulation des programmes politiques
- 11 OCDE, op. cit., p. 30. Voir également E. Löffler, Ethik-diskussion und Korruptionsbekämpfung im öff (...)
15L’OCDE distingue trois composantes de l’« infrastructure de l’éthique » qui incitent à un comportement professionnel et respectueux de l’éthique11. Le contrôle, tout d’abord, principalement assuré grâce à un cadre juridique qui rend possibles les investigations et les poursuites indépendantes, grâce à des mécanismes efficaces de responsabilisation et de contrôle et grâce à la transparence, à l’implication du public et à son rôle de surveillance ; l’orientation du comportement, ensuite, qui résulte d’un engagement fort des cadres de l’administration et des dirigeants politiques, d’une déclaration qui présente les valeurs – par exemple sous la forme de codes de conduite – et d’activités d’intégration professionnelle comme l’éducation et la formation ; la gestion, enfin, qui permet d’assurer de bonnes conditions de travail ainsi qu’une gestion professionnelle des ressources humaines dans la fonction publique. Le cas échéant, les divers instruments d’encouragement de l’éthique peuvent être assumés par un organe de coordination spécifique.
16Sans prétendre à l’exhaustivité, voyons les principales mesures visant à encourager un comportement respectueux de l’éthique dans l’administration fédérale suisse qui ont été prises selon ces trois axes depuis le milieu des années 1990.
17Dans le domaine du contrôle, il convient de mentionner la révision des dispositions pénales en matière de corruption, dispositions qui sont entrées en vigueur en 2000. La corruption de fonctionnaires étrangers tombe dorénavant également sous le coup de la loi, et les sanctions relatives à la corruption d’agents publics suisses ont été renforcées. En outre, en plus de la corruption en tant qu’acte, les sanctions s’appliquent de même aux relations préalables. Cette révision du code pénal a aussi permis de supprimer une règle pour le moins étonnante rendant fiscalement déductibles, dans certaines circonstances, les pots-de-vin versés à des fonctionnaires. La révision des dispositions pénales relatives à la corruption a permis à la Suisse de ratifier la convention sur la lutte contre la corruption internationale en mai 2000. De plus, en février 2001, le Conseil fédéral a approuvé la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe. La législation suisse respecte en grande partie, voire dépasse dans certains cas, les conditions générales minimales de la répression pénale de la corruption fixées par cette convention. Toutefois, avant de pouvoir ratifier cette convention, la Suisse devra encore supprimer certaines lacunes à l’occasion d’une prochaine révision des dispositions pénales en matière de corruption.
18L’introduction du principe de la publicité dans l’administration fédérale est le second élément qui doit être mentionné dans le domaine du contrôle. À cet égard, la loi fédérale sur la transparence de l’administration, en préparation depuis 1998 déjà, introduit un droit d’accès aux documents officiels juridiquement protégés et améliore ainsi la transparence de l’administration. Ce « droit d’accès » ne sera certes pas absolu ; il pourra être limité, différé ou même refusé par l’autorité de décision lorsque des intérêts publics ou privés prépondérants s’y opposeront. En cas de conflit, il appartiendra à une instance de recours indépendante – encore à préciser – de se prononcer sur la publicité des documents en question. Suite à de considérables retards, le projet de loi du gouvernement est attendu pour l’automne 2002.
19Dans le domaine de l’orientation du comportement, les nouveaux principes directeurs en matière de politique du personnel, introduits en 1999 par le Conseil fédéral, méritent d’être mentionnés. Ces principes directeurs formulent les diverses normes d’une politique du personnel moderne et définissent des standards en matière de comportement qui s’adressent aux cadres et aux collaborateurs de la confédération. Selon ces principes directeurs, le comportement des agents publics doit être guidé par les objectifs, la volonté de rendement, la responsabilité individuelle et la disposition à apprendre. Le respect de ces principes est l’un des volets de l’entretien annuel du supérieur hiérarchique avec chacun de ses collaborateurs, entretien qui constitue la base de l’évaluation personnelle et influence l’évolution du salaire de ces derniers.
20En avril 2000, en prenant certains pays de l’OCDE pour modèles, le Conseil fédéral a en outre adopté un code de comportement qui s’applique à l’ensemble du personnel de la confédération. Ce code énumère des valeurs et des standards en matière d’éthique professionnelle tels que l’absence de préjugés, la crédibilité, le respect de la confidentialité des informations accessibles du fait de la fonction et l’interdiction d’accepter des cadeaux. Le code de comportement insiste sur les bonnes conditions de travail qui augmentent la satisfaction du personnel et réduisent le risque de comportement incorrect dans le service public. Il oblige non seulement les agents publics, mais aussi leur employeur, c’est-à-dire la confédération, à prendre leurs responsabilités. Le code de comportement ne doit pas être considéré comme un document juridique, mais plutôt comme une référence. Les comportements illicites sont en effet poursuivis en vertu de la loi sur le personnel et du code pénal. Le code de comportement a été distribué à tous les employés de la confédération, et les responsables du personnel ont été invités à en discuter et à le rendre concret lors des cours de formation et de perfectionnement ainsi que lors des entretiens avec les collaborateurs.
21La liste des cours de perfectionnement proposés de manière centralisée par l’Office fédéral du personnel ne comporte pas de cours d’éthique en tant que tels. En effet, les questions relatives à l’éthique sont abordées à l’occasion des cours de cadres ou cours pour spécialistes des ressources humaines. Ce type de formation s’adresse par conséquent presque exclusivement aux cadres administratifs moyens et supérieurs.
- 12 Article 15, alinéa 3, de l’ordonnance sur le personnel de la confédération.
22Dans le domaine de la gestion, la nouvelle loi sur le personnel de la confédération, adoptée en 2000 et progressivement mise en œuvre, est incontestablement l’un des éléments importants de l’infrastructure de l’éthique. En recourant aux moyens d’une politique du personnel moderne, la nouvelle loi veut une action administrative mieux axée en fonction de ses objectifs et plus efficiente. Elle cherche également à faciliter les processus de changement dans l’administration et à améliorer la capacité des employés de la confédération à s’adapter au marché du travail. Pour atteindre ces objectifs, la confédération en tant qu’employeur a besoin d’une plus grande marge de manœuvre. La mobilité professionnelle et les flux d’informations entre les secteurs public et privé doivent être renforcés. La nouvelle loi sur le personnel supprime le statut de fonctionnaire des employés de la confédération et le remplace par des contrats de travail résiliables, comparables aux contrats de droit privé mais offrant une protection plus étendue contre les licenciements. Le système des salaires est devenu plus flexible et les traitements dépendent plus des prestations individuelles que par le passé. Outre les prestations et les capacités individuelles, l’évolution des salaires des collaborateurs sera également influencée par leur comportement, les principes directeurs et le code de comportement définissant les standards correspondants12. La question de savoir dans quelle mesure la nouvelle loi sur le personnel influera sur le respect de l’éthique demeure encore ouverte. Fort controversée, cette question a d’ailleurs constitué un volet important des discussions qui ont précédé la votation populaire au sujet de la loi. Ce sont principalement la gauche et certains syndicats qui ont combattu le projet en arguant que la nouvelle loi entraînerait une détérioration des conditions et de la culture de travail, ce qui se traduirait par une réduction de l’intégrité du personnel. Au contraire, les partisans du projet y voyaient un renforcement tant de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques en matière de conduite que de la responsabilité individuelle des collaborateurs. En outre, ils étaient d’avis que le nouveau droit était de nature à encourager le dialogue entre les niveaux hiérarchiques, à créer un meilleur climat de confiance entre les employeurs de la confédération et leurs partenaires sociaux, à améliorer la motivation au travail et à augmenter la transparence des procédures.
23À mi-chemin de la phase de mise en œuvre, il n’est pas encore possible de se prononcer de manière définitive sur les mesures prises à ce jour. L’évaluation systématique de l’exécution et de l’efficacité des nouveaux éléments de l’infrastructure de l’éthique devra être effectuée ultérieurement. Nous donnerons en dernière partie quelques indications au sujet d’un certain nombre de lacunes constatées jusqu’ici.
Promotion de l’éthique au niveau administratif
24L’enquête auprès des responsables du personnel de l’administration fédérale effectuée à l’occasion de l’examen de l’OPCA mentionné plus haut a montré que, indépendamment du renouvellement de l’infrastructure de l’éthique entrepris par le parlement et le gouvernement, les départements et les offices de l’administration recouraient déjà à un certain nombre d’instruments afin de renforcer l’éthique professionnelle. En premier lieu, les responsables interrogés ont cité différents types de formation continue et de perfectionnement. Il ne s’agissait en l’occurrence pas de cours d’éthique au sens strict, mais de cours de cadres et de perfectionnement ou de séances d’information destinés aux nouveaux collaborateurs. En deuxième lieu, ils ont mentionné la mise en place d’une culture d’entreprise moderne dans les services administratifs. Ces notions quelque peu générales recouvrent des concepts tels que des modèles de communication transparents et ouverts ou un style de conduite décentralisé caractérisé par la confiance et une définition claire des responsabilités. Pour encourager la « culture d’entreprise », les services interrogés avaient élaboré leurs propres lignes directrices, à l’échelon du département ou de l’office, ils avaient adopté de nouvelles directives et organisé des cours pour leurs cadres et amélioré la communication entre les divers niveaux hiérarchiques.
25Ce n’est qu’en troisième lieu que les responsables interrogés ont énuméré une série d’instruments de contrôle interne visant à prévenir toute irrégularité. Ils ont notamment mentionné les contrôles de sécurité, les contrôles sporadiques effectués par une instance d’inspection interne et autonome, le contrôle de gestion (management accounting), le principe des contrôles croisés, la mise en place d’une instance de plainte indépendante et la séparation des compétences en matière de planification, d’exécution et de décompte dans le domaine des marchés publics. Parmi les autres instruments visant à encourager un comportement respectueux de l’éthique, le soin apporté au recrutement, les rotations et l’enrichissement des tâches, la définition de procédures claires, les contrôles effectués par des organes de contrôle externes ainsi que la définition de normes de comportement spécifiques ont également été cités.
26En considérant ces diverses mesures politiques et administratives, on constate que la définition du problème a été élargie. Si, au début, il s’agissait avant tout de prévenir la corruption au sens strict du terme, la compréhension de l’éthique dans le service public s’est graduellement élargie. La définition actuelle dépasse le seul cadre du conflit classique entre intérêts publics et intérêts privés et, dans un sens plus large, s’étend à l’évolution des valeurs induite par la modernisation de l’appareil administratif dans le but de répondre aux incertitudes provoquées par ces mutations. La plus grande marge de manœuvre accordée à l’administration doit être guidée par des normes et des standards éthiques qui lui permettent de rester sur le bon chemin.
- 13 E. Löffler, op. cit., p. 147.
27Le spectre des mesures visant à encourager un comportement respectueux de l’éthique dans l’administration combine les effets de diverses politiques : les instruments répressifs visant à dissuader les comportements non souhaités sont nouvellement combinés à des instruments moins contraignants dont le but est d’orienter les comportements et d’améliorer la conduite du personnel au moyen d’incitations qui récompensent les comportements souhaités. En matière d’éthique dans les service public, comme Löffler l’a observé dans d’autres pays de l’OCDE13, il y a, en Suisse également, une convergence entre l’approche des États de droit du continent européen et celle du droit coutumier des pays anglo-saxons.
Problèmes et lacunes
28Actuellement, il est trop tôt pour une évaluation définitive des instruments d’encouragement à l’éthique dans l’administration fédérale. Toutefois, il est déjà possible de relever quelques problèmes et lacunes.
29Dans le domaine du contrôle, le renforcement des normes pénales ne parviendra pas non plus à faire fondre la fameuse partie immergée de l’iceberg de la corruption. Le fait que, dorénavant, les « actes préparatoires », c’est-à-dire ceux commis sans qu’il y ait eu contrepartie de la part de l’administration, tombent également sous le coup des dispositions pénales est certes judicieux, mais difficilement applicable du point de vue pénal. En outre, cette nouvelle réglementation est un facteur d’incertitude en raison des problèmes de délimitation par rapport au domaine non punissable relevant des relations normales entre acteurs privés et publics. Il est d’autant plus regrettable que, mis à part les dispositions légales et le code de comportement peu explicites à ce sujet, il n’y ait toujours pas de règlement type ayant force obligatoire générale qui règle la question de l’acceptation de cadeaux. Malgré les contextes d’application très différents d’une unité administrative à l’autre, il serait tout à fait possible et urgemment nécessaire d’édicter une telle disposition, par exemple sous forme de liste de contrôle.
- 14 La partie concernée du code pénal suisse se trouve actuellement au stade de la procédure parlementa (...)
30Les dispositions du droit pénal en matière de corruption présentent encore des lacunes. Le code pénal actuellement en vigueur ne comporte notamment pas de dispositions relatives à la corruption passive de fonctionnaires étrangers. L’absence de responsabilité pénale des entreprises est une autre lacune ; celle-ci devrait cependant bientôt être éliminée14. Quant à lui, le droit pénal ne permet pas de poursuivre une personne morale (une entreprise, par exemple) qui aurait corrompu un agent public. Sans responsabilité pénale de l’entreprise, les dispositions pénales visant à réprimer la corruption d’agents publics étrangers ne sont qu’un tigre de papier. Le domaine de la corruption privée a été exclu de la révision des dispositions pénales relatives à la corruption, ce qui, en raison de la privatisation de certaines parties du service public, constitue une sérieuse faiblesse. Ainsi, ces dispositions pénales ne s’appliquent pas lorsque d’anciennes régies privatisées sont en concurrence avec des offreurs privés. Le Conseil fédéral a annoncé qu’il présentera un projet comportant des normes pénales minimales contre la corruption privée en 2002.
- 15 N. Quéloz et al., op. cit.
31Il y a finalement encore urgence dans le domaine du financement des partis politiques, domaine que, en Suisse, Quéloz qualifie de zone taboue de la discussion sur la corruption15. Bien que plus des trois quarts de la population suisse soient favorables à l’obligation de la déclaration des libéralités en faveur des partis politiques, ceux-ci ne sont pour l’instant pas encore tenus de rendre publiques leurs sources de financement.
- 16 Voir M. Findlay et A. Stewart, « Implementing Corruption Strategies through Codes of Conduct », Cor (...)
32Dans le domaine de l’orientation, le code de comportement de l’administration fédérale a été élaboré par une petite commission d’experts en ressources humaines, ce qui ne contribue guère à son acceptation par les employés ordinaires de la confédération16. Pour améliorer la notoriété et l’acceptation de ce code de comportement, il aurait été préférable d’associer largement les employés de la confédération à la formulation de ces standards. De plus, ce code a été publié avec un certain retard sur l’horaire annoncé. Les responsables ont allégué que ce retard découlait de divergences d’opinion sur des questions de forme ; cela laisse plutôt supposer que, même si l’office du personnel responsable de sa rédaction estime qu’il s’agit d’un élément central permettant d’encourager un comportement respectueux de l’éthique dans l’administration, ce projet n’a de fait pas bénéficié d’une priorité très élevée. Pour l’Office fédéral du personnel, les efforts de mise en œuvre de ce code de comportement dans l’administration fédérale se sont pour l’essentiel limités à le distribuer à tous les employés. La responsabilité concernant l’explication de ces principes de comportement dans le cadre de la formation et du perfectionnement et d’en assurer la mise en pratique dans le travail de tous les jours a été laissée à l’initiative de chaque service administratif et ne fait l’objet d’aucun contrôle de la part de l’Office fédéral du personnel.
33Dans le domaine de la gestion, en Suisse toujours, le service public connaît une période de réformes en profondeur. Les tâches publiques sont privatisées ou déléguées au moyen de mandats de prestations à des acteurs du secteur privé. L’action publique est de plus en plus axée sur des valeurs telles que l’efficacité, l’efficience et la transparence ; les conditions de travail et les instruments de conduite s’alignent de plus en plus sur le secteur privé. Ce processus de réformes peut cependant être considéré comme une chance du point de vue de l’éthique dans le service public. Chacune de ces réformes est une occasion favorable permettant d’améliorer la transparence et la manière de rendre compte de l’action publique ; elle renforce l’acquisition de la connaissance de l’organisation et permet d’accélérer le temps de réaction en cas de développements erronés. La modernisation du service public comporte cependant aussi un certain nombre de risques sérieux du point de vue de l’éthique. À cet égard, il semblerait que l’administration fédérale suisse ait trop tendance à les minimiser. La délégation accrue de compétences et l’élargissement de la marge de manœuvre ouvrent un peu plus la porte aux agissements irréguliers. Il devient difficile de garder une vue d’ensemble du service public en raison de la décentralisation et des nouvelles formes de partenariat entre secteurs public et privé. De tels partenariats favorisent notamment l’importation dans le service public de pratiques répandues dans le secteur privé, mais proscrites du secteur public (comme l’acceptation de cadeaux). Les contacts accrus avec le secteur privé menacent les valeurs traditionnelles telles que l’égalité de droit ou la primauté de l’intérêt public. La concurrence accrue et l’obligation de performance encouragent aussi la transgression des règles éthiques. Sans devoir renoncer aux avantages de la nouvelle gestion publique, les responsables devraient prendre plus au sérieux les risques qui en découlent pour la politique et pour l’administration et les réduire le plus possible au moyen de contre-mesures appropriées. Le principe selon lequel l’éthique dans le service public est une condition essentielle de l’efficacité de tout État de droit démocratique demeure particulièrement valable en ces temps de réformes fondamentales de l’administration publique.
Notes
1 Le CPI reflète le degré de corruption d’un État tel qu’il est perçu par les hommes d’affaires et les experts.
2 OCDE, L’éthique dans le service public. Questions et pratiques actuelles, « Études hors série sur la gestion publique », no 14, Paris, 1996, p. 14.
3 W. Linder, Schweizerische Demokratie. Institutionen, Prozesse, Perspektiven, Berne, Haupt, 1999 ; R. E. Germann, Administration publique en Suisse, vol. 1, Berne, Haupt, 1996.
4 Voir le rapport de 2001 Economic Freedom of the World du Fraser Institute, Vancouver : www.fraserinstitute.ca/publications/books/efw_2001.
5 L’effet de cette évolution des valeurs sur l’éthique au travail a été résumé de manière saisissante : « Le travail, c’est ce qu’on fait quand on n’a rien de mieux à faire » (Time, 15 mars 1993).
6 CCF (Service de contrôle administratif du Conseil fédéral), Risques de corruption et mesures de sécurité, Berne, 1998, p. 9.
7 Voir http://www.parlement.ch (E-Doc, Publications/ Rapport du Parlement).
8 Ibid.
9 OPCA, L’éthique dans le service public, Berne, 1988. Voir http://www.parlement.ch (E-Doc, Publications/Rapport du Parlement).
10 N. Quéloz, M. Borghi et M. L. Cesoni, Processus de corruption en Suisse, Bâle, Genève et Munich, Helbing & Lichtenhahn, 2000.
11 OCDE, op. cit., p. 30. Voir également E. Löffler, Ethik-diskussion und Korruptionsbekämpfung im öffentlichen Sektor der OECD-Mitgliedsländer, dans les publications de la Société suisse des sciences administratives, vol. 40, 2000, p. 146.
12 Article 15, alinéa 3, de l’ordonnance sur le personnel de la confédération.
13 E. Löffler, op. cit., p. 147.
14 La partie concernée du code pénal suisse se trouve actuellement au stade de la procédure parlementaire d’élimination des divergences.
15 N. Quéloz et al., op. cit.
16 Voir M. Findlay et A. Stewart, « Implementing Corruption Strategies through Codes of Conduct », Corruption and Reform, no 7, 1992, p. 75 et suiv.
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Référence électronique
Daniel Janett, « L’éthique professionnelle dans l’administration fédérale suisse », Éthique publique [En ligne], vol. 4, n° 1 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2016, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/2490 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.2490
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