Navigation – Plan du site

AccueilNumérosvol. 4, n° 1Zone libreMarchés publics, libre-échange et...

Zone libre

Marchés publics, libre-échange et clause éthique. À propos d’une initiative belge

Axel Gosseries

Résumés

L’article évalue une proposition belge de « clause éthique » dans les marchés publics. Selon l’objectif premier du libre échange (souveraineté des consommateurs ou amélioration du sort des plus défavorisés), le protectionnisme en matière de marchés publics sera ou non justifiable. C’est le second point de vue qui est adopté. Trois questions sont alors traitées. D’abord, ne faudrait-il pas qu’une « clause » éthique aille au delà des trois seuls problèmes que sont le crime contre l’humanité, l’esclavage et les pires formes de travail des enfants ? Bien que d’autres objectifs soient clairement légitimes, l’auteur montre pourquoi leur poursuite via les marchés publics est problématique. Ensuite, la proposition est ambiguë quant à savoir si ce sont d’abord les États ou les entreprises qui sont visés. Le recours à la notion de complicité apparaît à cet égard insuffisant sur le plan éthique. Enfin, l’auteur montre combien les contraintes liées au régime juridique des zones de libre échange ne permettent pas aux États de donner à de telles clauses éthiques une forme juridique appropriée. Des réformes sont donc nécessaires.

Haut de page

Notes de la rédaction

Des prototypes de ce texte ont été présentés le 2 juillet 2001, à Bruxelles, au séminaire du GRESEA intitulé « L’État et les entreprises peuvent-ils s’entendre sur des critères éthiques ? », et le 9 octobre 2001, à la chaire Hoover d’éthique économique et sociale (Louvain-la-Neuve).

Texte intégral

L’auteur tient à remercier pour leurs commentaires le public de ces deux présentations ainsi que P. d’Argent, P. Coppens, D. Déom, C. Fabre et P. Monfort.

  • 1 Commission des communautés européennes, communication interprétative sur le droit communautaire app (...)
  • 2 Un exemple est constitué par les régimes spéciaux d’encouragement en droit européen (réduction de t (...)

1En mars 2001, le gouvernement belge a mis à l’agenda une proposition visant à introduire une « clause éthique » en matière de marchés publics fédéraux. À ce jour, l’initiative n’a pas abouti, en particulier en raison d’obstacles juridiques liés au droit communautaire et au droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces obstacles sont cependant sous-tendus par des enjeux éthiques que nous nous proposons d’explorer ici. Nous examinerons en particulier à quelles conditions l’introduction d’une telle clause éthique peut être considérée comme juste. Au-delà des circonstances du cas belge, l’enjeu de cette question est d’importance, tant sur le plan pratique que théorique. En pratique, les marchés publics représentent par exemple 14 % du PNB de l’Union européenne1. Sur le plan théorique, de telles initiatives dites d’« achat sélectif » s’inscrivent dans le cadre plus large d’une recherche par de nombreux pays développés d’outils visant à infléchir les politiques d’entreprises installées hors de leurs frontières, lorsque cela ne peut être fait à travers les institutions des États hôtes2. Pensons aussi aux lois dites de compétence « universelle » ou « quasi universelle » par lesquelles une juridiction interne d’un État peut être amenée à connaître des faits commis en violation de règles internationales par des personnes à l’étranger aux dépens de non-nationaux, et ce sur base de critères de rattachement les plus divers. Enfin, la pratique d’« achats sélectifs » pose la question de savoir dans quelle mesure un État peut associer, à l’objectif « principal » d’une prérogative dont il dispose, des objectifs « secondaires ». La fiscalité a pour objet principal de recueillir des fonds pour financer des politiques publiques. Elle est néanmoins largement utilisée aussi pour infléchir le comportement des citoyens. Pensons par exemple aux taxes sur certains produits tels que le tabac ou l’alcool, ou sur certaines activités, telles les émissions de polluants. Ce que l’on admet pour la politique fiscale, on ne l’admet pas nécessairement pour toute politique. Ainsi, en matière de permis de bâtir, il ne sera pas nécessairement acceptable que l’octroi de permis à une entreprise soit soumis à la garantie que cette entreprise emploie un certain quota de femmes ou adopte une politique salariale déterminée. Qu’en est-il alors de l’utilisation des marchés publics comme levier de politiques sociales ?

  • 3 L. Van den Bossche, Introduction dans les cahiers spéciaux des charges d’une clause éthique comme c (...)
  • 4 Note Van den Bossche, point 2.
  • 5 Note Van den Bossche, Annexe, §1(a).
  • 6 Note Van den Bossche, Annexe, §2(b).

2La proposition prise ici comme point de départ est énoncée dans une note du cabinet du ministre fédéral Van den Bossche, datée du 6 mars 20013. Ses caractéristiques principales sont les suivantes. Primo, la clause éthique proposée est conçue comme une « condition d’exécution contractuelle que l’adjudicataire devra respecter pendant la durée de son contrat4 ». Secundo, même si elle ne s’applique qu’à des actes posés durant la durée du contrat (champ d’application temporel), il s’agit d’une clause universelle, c’est-à-dire de conditions devant être satisfaites sur l’ensemble des installations de l’entreprise et de ses sous-traitants. Ces conditions ne s’appliquent donc pas uniquement sur les sites de l’entreprise ayant un lien direct avec le marché public concerné. Tertio, quant au contenu de la clause, il est prévu que « l’adjudicataire s’engage à n’exercer lui-même ou par le biais d’entreprises liées, pendant l’exécution du contrat, aucune activité commerciale dans des États dont, pendant l’exécution du contrat, les autorités se rendent coupables de : crimes contre l’humanité ; violations de l’interdiction de l’esclavage ou de pratiques assimilées ; violations de l’interdiction des pires formes de travail des enfants5 ». L’accent n’est donc pas mis directement sur les actions de l’entreprise elle-même, mais sur sa complicité supposée avec des pratiques inacceptables prenant place dans certains États. En outre, sous l’angle de l’administration de la preuve, c’est à une liste d’États qu’il est proposé de recourir. La présence dans un des pays de cette « liste noire » ne constituerait cependant qu’une présomption réfragable de complicité. En d’autres termes, l’entreprise disposerait de la possibilité de prouver « que les activités commerciales réalisées dans les États [de la liste noire] ne sont pas de nature à offrir quelque forme de soutien que ce soit à la réalisation des crimes ou interdictions visées6 ».

L’État douanier, l’État consommateur et les objectifs du libre-échange

3Une des difficultés suscitées par l’introduction d’une clause éthique dans les marchés publics est sa possible incompatibilité avec les régimes de libre-échange. Les objectifs déclarés de la libéralisation des échanges commerciaux sont divers. Parmi eux, mentionnons une plus grande liberté de choix des consommateurs et une liberté accrue des producteurs. Notons aussi une amélioration à la fois du sort des consommateurs les plus défavorisés (par une diminution attendue des prix) et de celui des producteurs des pays pauvres (par un meilleur accès aux marchés des pays riches). Ainsi, le libre-échange conduirait à une réduction des inégalités nord-sud.

4Liberté accrue et amélioration du sort des plus défavorisés ne coïncident cependant pas nécessairement, ici comme dans d’autres domaines. L’on oublie souvent en effet que la liberté des acteurs économiques, si elle était totale, inclurait aussi celle d’adopter des comportements protectionnistes. Or, rien dans les régimes de libre-échange n’interdit par exemple que les particuliers décident par leurs achats de favoriser systématiquement des producteurs nationaux. Dans une telle hypothèse, la suppression des barrières étatiques aux échanges ne suffirait pas à accroître l’accès aux marchés des pays riches au profit de producteurs étrangers, et en particulier des plus pauvres d’entre eux. L’hypothèse du consommateur protectionniste est donc révélatrice de la nécessité de hiérarchiser les divers objectifs poursuivis par les politiques de libre-échange.

  • 7 Voir C. McCrudden, « International Economic Law and the Pursuit of Human Rights : A Framework for D (...)
  • 8 Voir cependant, sur l’importance symbolique des comportements des États, B. O’Neill, Honor, Symbols (...)
  • 9 La distinction entre domaine privé et domaine public pourrait être utile de ce point de vue. Notons (...)

5Imaginons d’abord – première possibilité – que l’objectif principal du libre-échange soit celui de garantir une souveraineté du consommateur la plus étendue possible. En ce cas, il serait tout à fait logique d’admettre que, pour autant qu’il soit spontané, un comportement protectionniste des consommateurs – c’est-à-dire une préférence pour des produits nationaux – soit admissible. Mais l’on comprendrait mal alors que, simultanément, l’État lui-même, dans ses comportements d’achat (marchés publics), ne soit pas également autorisé à adopter une telle attitude protectionniste. En effet, les marchés publics occupent une place intermédiaire entre, d’une part, les comportements d’achat de n’importe quel particulier ou entreprise privée et, d’autre part, les barrières à l’entrée éventuellement posées par les États en application de leurs prérogatives de puissance publique. En supprimant les barrières à l’entrée dans une zone de libre-échange, les États renoncent certes à une partie des moyens dont ils disposent pour influer sur le comportement d’achat de leurs citoyens. C’est au consommateur seul qu’il incombe alors, de façon décentralisée, de faire ses choix, plutôt que de façon centralisée, à travers les décisions des représentants qu’il a élus. Par contre, dans le cas des marchés publics, il apparaît difficile de justifier l’interdiction d’achat protectionniste par un État en faisant référence à la liberté des consommateurs7. L’État intervient ici lui aussi comme consommateur. L’on comprendrait mal qu’il doive ainsi renoncer à une liberté (celle d’être protectionniste) que des acteurs tels que des grandes entreprises privées à ancrage national garderaient intacte8. Certes, l’État doit veiller à acheter au meilleur prix afin de préserver au mieux les intérêts de ses contribuables citoyens. L’on percevrait cependant difficilement pourquoi, alors que rien n’arrêterait une unanimité de consommateurs de n’acheter que des produits nationaux, ces mêmes consommateurs ne seraient pas autorisés, cette fois en tant que citoyens, à imposer à leur État d’adopter la même approche dans le cadre de ses propres achats. Le citoyen, souverain dans ses comportements de consommation privée, serait sans voix lorsqu’il s’agit de dicter à l’État, pour ce qui concerne les achats publics, la manière d’acheter qu’il estime la plus appropriée. En bref, si l’objectif prioritaire du libre-échange était la liberté du consommateur, alors non seulement les acteurs privés, mais aussi les États dans le cadre des marchés publics devraient être libres d’adopter des comportements qui manifestent une préférence pour des producteurs nationaux. L’État consommateur ne devrait alors pas être mis sur le même pied que l’État douanier9. Et le risque de protectionnisme généré par l’introduction d’une clause éthique dans les marchés publics ne devrait en rien nous inquiéter.

6Par contre, si c’est d’abord l’amélioration du sort du (producteur le) plus défavorisé qui justifie le libre-échange, le tableau est tout autre.

7Il apparaîtrait alors tout à fait légitime d’empêcher les États d’être protectionnistes, non seulement par des barrières à l’entrée, mais aussi en matière de marchés publics, en particulier ceux de fourniture. La vigilance s’imposerait face à toute clause, fût-elle qualifiée d’« éthique » ou de « sociale », visant à imposer des restrictions potentiellement protectionnistes aux soumissionnaires. Mais il importe d’ajouter que si l’objectif d’une zone de libre-échange est effectivement d’améliorer le sort des plus défavorisés, et en particulier des producteurs des pays les plus pauvres, alors il est essentiel de lutter contre le protectionnisme non seulement lorsqu’il est pratiqué par les États, mais aussi lorsqu’il l’est par les particuliers et par les entreprises privées. Certes, une entreprise véritablement multinationale aura moins tendance à être protectionniste. Il se peut aussi que certaines formes de protectionnisme profitent aux plus défavorisés, tout en étant d’ailleurs écologiques, par exemple lorsqu’elles se traduisent par l’achat de produits dits à « circuits courts » (à la fois en termes de distance géographique et de nombre d’intermédiaires). Qu’un consommateur portugais décide de renoncer à acheter des cerises canadiennes acheminées par avion, au profit de fruits locaux est certainement susceptible d’être justifiable à la fois du point de vue de l’amélioration du sort du plus défavorisé (ici, le producteur portugais) et sur le plan écologique. Néanmoins, l’on peut poser qu’en général le protectionnisme, en particulier lorsqu’il est le fait de (citoyens de) pays riches, est susceptible de nuire aux plus défavorisés, et en particulier aux producteurs des pays pauvres. Si tel est le cas, il nous faut donc non seulement en dissuader les États, mais aussi trouver les instruments visant à décourager les acteurs privés d’adopter de tels comportements protectionnistes. L’on connaît déjà les interdictions relatives aux discriminations fondées sur la couleur de peau ou sur la nationalité, en matière d’embauche, par exemple. Mais force est de constater qu’en ce qui concerne la discrimination en matière d’achats les arsenaux juridiques sont très pauvres. Une mesure possible à cet égard consisterait à supprimer la mention du pays de provenance sur les produits de consommation. L’information et, donc, la liberté de choix effective du consommateur en seraient certes réduites. Mais si l’amélioration du sort du producteur le plus défavorisé est un objectif qui a priorité, la seule indication de prix et de composition du produit devrait suffire à assurer une information suffisante au consommateur. Exit donc les « made in Belgium » et autres « mangez québécois » sur les produits, ou dans les publicités. De même faudrait-il veiller à ce que les entreprises d’une certaine taille mettent en place des procédures d’achat suffisamment formalisées de façon à permettre à une autorité, de préférence internationale, de vérifier que des considérations protectionnistes n’entrent pas en compte dans leurs choix.

8Ainsi, selon l’objectif prioritaire assigné au libre-échange, le refus d’achat d’un État devrait tantôt être traité comme l’est le refus d’autoriser l’entrée de certains biens sur son territoire (mais il devrait alors en aller de même du protectionnisme des consommateurs privés), tantôt être appréhendé de la même manière que n’importe quel comportement d’achat d’un consommateur particulier (et l’obstacle du protectionnisme serait alors levé pour tout achat, qu’il soit le fait d’un particulier ou d’un État).

9Bref, si l’objectif unique du libre-échange était la souveraineté du consommateur, l’on comprendrait difficilement, d’une part, que ce que peut faire une personne en tant que consommateur, elle ne pourrait le faire comme citoyen et, d’autre part, que ce qu’une multinationale peut faire, un État ne pourrait pas le faire en ce qui concerne son domaine privé. Par contre, si nous considérons l’amélioration du sort des plus défavorisés sur le plan mondial comme un objectif bien plus défendable du libre-échange – ce qui est notre position –, la crainte d’un protectionnisme déguisé sous une clause éthique doit être prise très au sérieux.

  • 10 Nous aurions pu en prendre d’autres. Ainsi, un exemple souvent discuté est celui d’une norme de sal (...)

10Plus précisément, une clause dite « éthique » dans les marchés publics ne se justifiera que si elle sert effectivement des objectifs susceptibles de prévaloir sur celui de l’amélioration du sort des plus défavorisés (par exemple, le respect de certaines libertés fondamentales) ou si elle concourt à réaliser l’objectif même d’amélioration du sort des plus défavorisés. La proposition Van den Bossche fait référence à trois préventions : le crime contre l’humanité, l’esclavage et le recours aux pires formes de travail des enfants. Même si l’application d’une telle clause éthique allait à l’encontre du sort des producteurs des plus défavorisés, il serait néanmoins possible de justifier un tel écart par la nécessité de respecter les libertés fondamentales en jeu dans ces trois cas, et qui doivent primer l’objectif d’amélioration du sort du plus pauvre. Il est néanmoins possible de se poser deux questions. D’une part, la justice n’exige-t-elle pas que l’on impose aux entreprises des obligations allant au-delà de ces trois seules préventions ? Nous prendrons deux exemples, l’un dans le domaine de l’environnement, l’autre dans celui du droit du travail10. D’autre part, la proposition Van den Bossche cultive une certaine ambiguïté quant à savoir si elle vise les entreprises ou, à travers elles, les États dans lesquelles elles opèrent. Dans quelle mesure est-il en effet moralement pertinent de recourir à une notion de complicité comme le fait la proposition à propos des entreprises concernées ?

Ajouter des normes d’émission et interdire tout travail des enfants ?

  • 11 Sur la situation au regard du droit européen : communication « Marchés publics et environnement », (...)
  • 12 La distinction entre marchés de fourniture et de travaux est tout aussi pertinente en matière de po (...)
  • 13 Postulons ici que nous nous limitons à une clause restreinte, comme dans l’affaire « crevettes-tort (...)

11À supposer que les régimes de libre-échange qui s’imposent à eux le permettent11, les États ne devraient-ils pas profiter du levier de leurs marchés publics pour imposer des normes environnementales particulières à leurs soumissionnaires ? Certes, l’on ne verrait sans doute aucune objection à ce que, dans le cadre d’un marché de travaux, le maître de l’ouvrage fixe des normes particulières visant, par exemple, à réduire les dépenses de climatisation des bâtiments. Mais imaginons qu’il s’agisse plutôt d’un marché de fourniture, par exemple d’une commande de poutres d’acier12. L’on pourrait très bien envisager que l’État belge se préoccupe non seulement des qualités intrinsèques des biens commandés, mais aussi de la façon dont ils ont été produits13. Il prévoit donc que, dans l’évaluation de l’offre économiquement la plus avantageuse, il tiendra non seulement compte du prix par poutre, mais aussi de l’efficience énergétique de sa production. Après tout, il peut être avantageux pour la Belgique qu’il y ait moins d’émissions de CO2 en Tchéquie ou en Inde, le CO2 émis se répartissant uniformément sur la planète. Notre question est alors : serait-il juste que l’État belge impose à ses soumissionnaires une norme d’efficience énergétique dans le cadre d’un tel marché de fourniture ? Pour y répondre, il est nécessaire de distinguer deux hypothèses.

12Imaginons d’abord que le protocole de Kyoto a été ratifié, que les obligations qu’il contient sont justes et respectées. Chaque État se voit impartir un quota d’émissions de CO2. D’aucuns estiment que la clef de répartition telle qu’elle est reprise dans le protocole de Kyoto n’est pas assez égalitaire et que les réductions consenties par les pays développés devraient être proportionnellement moins élevées. Accordons-nous néanmoins pour estimer que le quota imparti à un pays comme l’Inde n’est certainement pas trop élevé par rapport aux États développés impliqués, au vu de la population indienne et de ses besoins de développement. Posons donc que le quota indien est juste, ou du moins n’est certainement pas trop élevé. L’Inde serait donc non seulement juridiquement mais aussi éthiquement en droit d’émettre la quantité de CO2 prévue dans le protocole de Kyoto. Postulons aussi que l’Inde ne dépasse pas son quota et qu’elle parvient à faire respecter des normes d’émission.

13Quel est le rapport entre le protocole de Kyoto que l’on suppose mis en œuvre et la légitimité de l’introduction d’une exigence d’efficience énergétique dans un marché de fournitures ? Mettons-nous à la place d’un chef d’entreprise indien qui soumissionne le marché de poutres d’acier. En raison de la bonne marche de ses activités, il a le choix entre améliorer les performances environnementales de son entreprise au-delà des normes indiennes d’émission de CO2 ou accroître le salaire de ses employés. Ne serait-il pas pleinement en droit de tenir le raisonnement suivant : « L’Inde s’est vue assigner un droit d’émettre une certaine quantité de CO2 par an, elle respecte ses engagements et mon entreprise est en conformité avec les normes d’émission indiennes nécessaires à la mise en œuvre des obligations de l’État indien. Quel argument éthique m’empêcherait alors de me préoccuper d’abord du salaire de mes travailleurs dont le quotidien est sans commune mesure avec celui d’un citoyen d’un pays développé ? » Si l’on estime ce raisonnement justifié, une conclusion s’impose : dans un contexte où une répartition juste des obligations étatiques de réduction d’émissions est effectivement en place, il serait injuste qu’un État impose à une entreprise d’un autre État de s’aligner sur des exigences d’efficience énergétique plus élevées que celles de cet autre État. Imposer un critère d’efficience énergétique dans le contexte des marchés publics reviendrait ainsi à reprendre d’une main une partie du droit d’émission qui a été accordé de l’autre à l’État concerné.

14Il y a cependant une seconde hypothèse, celle où le protocole de Kyoto n’a pas été ratifié ou n’est pas respecté et où cela conduit à une répartition injuste de l’effort de réduction d’émissions de CO2. Imaginons donc que l’Inde ne réduise pas suffisamment ses émissions. Dans ce cas, y aurait-il encore un obstacle éthique à ce que l’État belge impose des exigences d’efficience énergétique dans le cadre de ses marchés publics ? Certes, l’entrepreneur indien rétorquera : n’est-il pas légitime que je me préoccupe d’abord du salaire de mes travailleurs plutôt que de l’efficience énergétique de mes modes de production ? C’est oublier qu’une répartition juste des obligations étatiques de réduction d’émission de CO2 tiendrait compte non seulement de la quantité d’émissions par habitant, mais aussi du niveau de vie de ces personnes, y compris le salaire de ses travailleurs. Si, malgré une telle prise en compte, l’on pouvait estimer que la population indienne émet plus de CO2 que ce à quoi elle aurait droit, l’État belge serait tout à fait justifié à imposer des exigences d’efficience énergétique dans le cadre de ses marchés publics. Mais, idéalement, elles devraient être différentes en fonction de la nationalité de l’adjudicataire. L’État belge devrait en effet calculer un niveau juste d’émission par pays, évaluer ce que cela impliquerait en termes de normes de production pour chaque pays concerné. Ce sont ces normes, différentes pour chaque pays, que l’État belge devrait alors préciser dans son cahier des charges. Mais l’on voit directement surgir les problèmes de discrimination sur base de la nationalité que cela engendrerait. Si l’on peut admettre un traitement différencié de divers États dans le cadre d’un accord multilatéral allouant des quotas d’émissions, il semble par contre beaucoup moins défendable en raison des règles de libre-échange de discriminer entre des entrepreneurs en fonction de leur nationalité dans le cadre d’un marché public.

15Ainsi, si le système Kyoto est effectivement en place et peut être considéré comme juste, l’introduction de clauses dans le domaine des émissions de CO2 devrait être considérée comme injuste puisqu’elles imposeraient des obligations supplémentaires aux entreprises et aux États concernés. Si par contre le système Kyoto n’est pas en place, il incomberait à l’État souhaitant prévoir une clause éthique en matière d’émissions de CO2 de définir des normes différenciées en fonction de l’État dans lequel est implantée l’activité du soumissionnaire. Cela pourrait être juste si l’État adjudicateur ne cède pas à l’arbitraire, mais cela violerait certainement les règles en vigueur en matière de non-discrimination dans le domaine du libre-échange. Telle est donc la difficulté. Il est urgent d’inciter les entreprises, qu’elles soient belges ou indiennes, à réduire leurs émissions de polluants. Mais il n’est pas nécessairement juste de le faire à travers des normes imposées dans le cadre de marchés publics.

  • 14 Sur le travail des enfants, voir B. White, Children, Work and “Child Labour” : Changing Responses t (...)

16Une autre question qui se pose est de savoir si, au-delà de l’interdiction des pires formes de travail des enfants, il ne faudrait pas interdire le recours à toutes les formes de travail des enfants14. La clause éthique ne pourrait-elle pas être un instrument efficace à cet égard ? Le débat consacré au travail des enfants, comme ceux consacrés à l’abolition de la prostitution ou à la libéralisation de la consommation de drogues, se porte en réalité sur deux fronts. L’un a trait à la question de savoir pourquoi il serait problématique de faire travailler des enfants. L’autre a trait aux moyens à mettre en œuvre pour lutter contre cette pratique.

  • 15 Sur ce point, B. White, op. cit., p. 45.
  • 16 Pour des données sur les Pays-Bas et les États-Unis, ibid., p. 23 et 43.

17Traitons rapidement de la première question. Il est en effet difficile d’identifier les raisons précises pour lesquelles le travail des enfants en général est souvent considéré comme un fléau. Est-ce dû au risque d’exploitation par l’employeur ou les parents ? Est-ce dû aux risques particuliers pour la santé liés aux types de travaux dont on charge les enfants ? Est-ce en raison du fait qu’il serait toujours préférable pour un enfant de fréquenter l’école plutôt que l’usine ? Pourtant, pourquoi le travail serait-il un poison pour l’enfant alors qu’il est souvent considéré comme un remède pour l’adulte ? N’invoque-t-on pas souvent les vertus formatrices et socialisantes du travail ? En outre, pourquoi ne pas répondre par une meilleure régulation de leurs conditions de travail plutôt que par leur exclusion du marché du travail15 ? Enfin, comment expliquer les chiffres étonnamment élevés relatifs au travail des enfants dans nos propres pays16 ? Il est dès lors probablement plus pertinent de se demander quel travail des enfants il incomberait d’abolir.

18Postulons néanmoins que nous disposons de bons arguments – quod non – pour promouvoir une abolition générale du travail des enfants. La seconde étape consiste à s’interroger sur les moyens d’atteindre un tel objectif. Le problème principal est celui des effets de déplacement. Lorsque l’on décide de boycotter une entreprise qui recourt au travail forcé, l’on estime qu’un seuil a été franchi et que même si les personnes concernées subissant le travail forcé vont devoir aller travailler ailleurs, l’on imagine difficilement des conditions pires que celles qu’elles ont connues. Par contre, en interdisant par une clause éthique aux entreprises exportatrices d’employer des enfants, et en l’absence de politique satisfaisante dans les États concernés, ne fait-on pas qu’empirer la situation de ces enfants ? Ne sont-ils pas contraints, une fois exclus de telles usines, d’aller chercher du travail dans des conditions plus précaires encore, voire dans des secteurs tels que ceux de la prostitution ? Le remède serait pire que le mal. Une politique d’abolition du travail des enfants se doit donc d’être assortie de mesures d’accompagnement visant à éviter de tels effets de déplacement. De telles mesures, qui incluent généralement une forme de progressivité dans le temps, peuvent prendre diverses formes.

  • 17 Pour une proposition ancienne en ce sens, ibid., p. 13.

19Isolons deux options plausibles basées sur une articulation avec la fréquentation scolaire. Première stratégie : veiller à ce que l’entreprise définisse des horaires tels que les enfants qui y travaillent puissent effectuer une scolarité, le cas échéant mise sur pied par l’entreprise elle-même17. Ces enfants se verraient octroyer un supplément de salaire conditionné à leur fréquentation scolaire. Seconde stratégie : veiller à ce que l’entreprise renonce à recourir au travail des enfants tout en fournissant, à ceux qui parmi les travailleurs sont des parents, un supplément de salaire tel que leurs enfants n’aient pas à travailler. L’octroi de cette forme d’allocation familiale payée par l’entreprise serait conditionné à la présentation d’un certificat de fréquentation scolaire. Cette stratégie risque néanmoins d’encourager l’entreprise concernée à n’engager que des personnes sans enfants. Afin d’éviter cet écueil, l’introduction d’une mesure d’allocation familiale d’entreprise devrait être couplée à une politique de quotas visant à garantir que l’entreprise concernée engage un nombre minimum de personnes ayant des enfants à charge. Ce pourcentage pourrait être déterminé par exemple en fonction de celui existant dans l’entreprise avant l’introduction de la mesure concernée.

20Ces mesures, toutes efficaces qu’elles puissent être, ne sont pas cependant sans soulever de difficultés. Envisageons l’hypothèse d’une entreprise n’ayant jamais recouru au travail des enfants. Elle satisferait la clause. Mais ne pourrait-on pas dire, en raison des effets de déplacement soulignés plus haut, qu’elle contribue moins à l’amélioration du sort des enfants qu’une autre entreprise qui emploierait des enfants à mi-temps, dans de bonnes conditions sanitaires et financières, même sans mesures d’accompagnement ? En outre, jusqu’à quel point appartient-il au secteur privé de suppléer aux manquements des États dans le domaine de l’éducation ou de la lutte contre la prostitution infantile ? C’est toute la question de la ligne de partage des responsabilités entre entreprise et État qui est posée. Cette question est d’ailleurs tout aussi vive chez nous. Pensons par exemple au débat sur le service universel où le secteur privé est appelé à financer des services qui, avant les privatisations, étaient pris en charge par les pouvoirs publics.

  • 18 Voir cependant les réserves de B. White, ibid., p. 8.
  • 19 Pour un argument liberationniste, ibid., p. 45 et suiv.

21Supposons maintenant que l’on impose des mesures d’accompagnement à toutes les entreprises soumissionnaires, qu’elles n’aient jamais recouru au travail des enfants, ou qu’elles soient en train d’y renoncer. L’ampleur des mesures d’accompagnement nécessaires sera néanmoins fonction du contexte propre à chaque pays d’implantation. Dans des pays où la prostitution infantile est fermement combattue et où les infrastructures scolaires sont bien développées, les mesures d’accompagnement attendues seront moins importantes. Ainsi, celles attendues de la part d’une entreprise anglaise renonçant au travail des enfants seront probablement différentes de celles nécessaires pour éviter les effets de déplacement dans le cas d’une entreprise birmane. Mais il apparaît clairement alors que, comme dans le cas des exigences en matière d’émissions, l’ampleur des mesures d’accompagnement par pays devra être déterminée pour chaque entreprise soumissionnaire en fonction de l’État où ont lieu ses activités. Cela est non seulement administrativement très complexe, c’est aussi problématique du point de vue du droit du libre-échange. Il apparaît dès lors que faire pression contre le travail des enfants par une politique de marchés publics n’est pas une voie appropriée. Par contre, à travers les comportements d’achat des consommateurs privés, cela pourrait être mis en œuvre avec beaucoup plus de souplesse18. Mais encore faudrait-il proposer aussi un argument en faveur d’une abolition générale – même progressive – de toutes les formes de travail des enfants. Or, nous sommes loin du compte19. Il n’est dès lors en rien clair que nous devrions aller au-delà d’une interdiction des pires formes de travail des enfants.

Liste noire et complicité

  • 20 Pour un autre exemple dans le cas du travail des enfants, H. Cullen, art. cité, p. 24.

22Une autre caractéristique de la proposition Van den Bossche est qu’elle recourt à une liste noire d’États. Certes, il importe de préciser les critères sur base desquels une telle liste peut être établie. N’oublions pas que, dans la pratique des États-Unis, par exemple, l’on retrouve sur de telles listes des pays comme la Suisse ou l’Irlande. Rappelons également que cette liste n’est utilisée que pour établir une présomption réfragable20. D’autres modes de preuve auraient pu être envisagés, telle la certification individualisée de chaque entreprise. Mais c’est sur une autre difficulté que nous nous concentrerons ici. En se focalisant sur les États, la proposition Van den Bossche cultive une certaine ambiguïté quant aux objectifs de la clause éthique. S’agit-il d’abord de décourager les entreprises à adopter des pratiques jugées inacceptables ou s’agit-il principalement, au travers de contraintes placées sur ces entreprises, de tenter d’influer sur les politiques des États ? La notion de complicité joint les deux en considérant comme inacceptable le fait d’encourager par ses activités les agissements iniques de certains gouvernements. Il nous semble pourtant qu’une focalisation exclusive sur les États est insuffisante, et ce pour deux raisons.

23D’une part, cela aurait-il du sens de condamner une entreprise jugée complice d’un État de la liste noire alors qu’une autre entreprise serait autorisée à adopter des pratiques bien pires pour autant qu’elle s’installe dans un État non repris dans la liste noire ? Même des États parfaitement démocratiques sont parfois incapables, par simple faiblesse de moyens, d’empêcher des entreprises d’opérer sur leur territoire en infraction aux règles qu’ils ont édictées. Notons d’ailleurs que, pour que le système soit praticable, il faut que la liste noire soit relativement courte. Or plus elle l’est, plus l’on s’expose au risque d’avoir des entreprises opérant hors de ces États et qui violeraient les critères concernés. Il importe donc que la clause s’applique aux entreprises quel que soit le type de pays dans lequel elles opèrent.

24D’autre part, s’il est légitime de condamner une entreprise dont les pratiques sont inacceptables, la notion de complicité est délicate à manier. Imaginons que la Birmanie, par exemple, soit sur la liste noire et qu’un entrepreneur birman estime qu’il est de son devoir de développer une activité économique dans son propre pays. Il est clair qu’à travers la taxation ou d’éventuelles extorsions forcées de la part de certains fonctionnaires, cet entrepreneur contribuera à soutenir le régime en place. Pourtant, cela a-t-il un sens de le considérer comme complice, plus que n’importe autre citoyen birman ou, plus largement, n’importe lequel d’entre nous ? Imaginons que nous répondions par la négative. Question suivante : le cas d’une multinationale s’installant en Birmanie est-il nécessairement différent de celui d’un petit investisseur local ? C’est ce point crucial qu’il nous importe de clarifier.

25Laissons de côté le cas d’une entreprise multinationale installée en Birmanie et recourant directement au travail forcé. Il est clair que la clause éthique doit s’y appliquer. Qu’en est-il néanmoins si, ne recourant pas elle-même au travail forcé, elle y participe simplement en finançant à travers l’impôt les autorités en place ? Présentons le dilemme de cette multinationale comme suit. N’ayant pas une prise suffisante sur les autorités birmanes, elle a le choix entre investir en Birmanie (et immanquablement apporter un soutien financier au régime), ou renoncer à effectuer des investissements. L’abstention semble être l’option la plus morale. Mais est-ce vraiment le cas ? Au moins deux considérations sont pertinentes à cet égard.

26D’une part, il se peut très bien que, tout en contribuant financièrement au régime, l’amélioration du niveau de vie de mes travailleurs et de ceux qui en dépendent, l’effet de la culture d’entreprise sur les mentalités, le sponsoring d’activités locales… contribuent à saper le régime en place. Peu probable dans le cas de la Birmanie, cette prédiction pourrait très bien se révéler plausible dans d’autres cas21.

  • 22 Sur cet argument, J. Glover, « “It Makes No Difference Whether I Do it or Not” », dans P. Singer (d (...)

27D’autre part, il convient de prendre au sérieux l’objection : « Si ce n’est pas moi qui y investis, une autre entreprise viendra nécessairement à ma place22. » La possibilité de rejeter cette objection dépendra d’éléments de fait. Si l’on parvient, par exemple, à orchestrer une campagne boycottant toutes les entreprises qui envisageraient d’investir dans le pays de la liste noire, l’objection tombera. Il est clair à cet égard qu’une multinationale prenant part à cette campagne ne sera crédible que si elle n’investit pas elle-même dans le pays concerné. Par contre, s’il est improbable qu’un effort de coordination puisse aboutir, par exemple en raison du nombre élevé d’investisseurs potentiels ou d’une absence d’intérêt du public, alors investir soi-même en essayant de procurer aux travailleurs locaux les meilleures conditions possibles et en essayant de faire pression au maximum sur les autorités illégitimes en place peut constituer la meilleure solution. Que la présomption de complicité soit à tout le moins réfragable est donc essentiel.

Clause universelle, condition d’exécution et contraintes juridiques

28Terminons par l’examen d’une difficulté juridique bien réelle qui a un lien clair avec des questions éthiques. Lorsque l’on envisage l’introduction d’une « clause » éthique en matière de marchés publics, il importe d’en définir non seulement le contenu mais aussi le champ d’application. Prenons le cas d’une clause refusant des produits issus du travail forcé. Il est possible d’exiger que les fournitures, travaux ou services particuliers faisant l’objet de l’appel d’offre ne soient pas le résultat de travail forcé. Il s’agit en ce cas d’une clause restreinte.

29Mais une autre possibilité consiste à exiger que ces biens particuliers soient produits par une entreprise qui ne recourt sur aucun de ses sites, et pour aucun de ses produits, au travail forcé. Il s’agit alors d’une clause universelle (tous sites, tous produits). Pour un consommateur ou un État qui souhaite décourager les entreprises de recourir au travail forcé, une clause universelle est susceptible d’être bien plus efficace qu’une clause restreinte en ce qu’elle évite que des progrès apparents ne fassent en réalité que masquer de simples déplacements.

30Arrêtons-nous en effet un instant à une analogie avec les banques éthiques. Le consommateur qui décide d’imposer des contraintes éthiques à ses investissements fait-il mieux d’investir dans une banque spécialisée dont l’ensemble des placements répondent à des critères éthiques, ou dans un compte éthique d’une banque généraliste ? En réalité, toutes choses étant égales par ailleurs, l’effet est plus radical si l’on investit dans la banque « spécialiste ». La banque généraliste peut en effet se limiter à sélectionner parmi ses avoirs existants ceux qui répondent déjà aux critères éthiques concernés, et les affecter aux comptes éthiques auxquels ses clients auraient souscrit, sans rien modifier de ses autres investissements. Investir dans une telle banque généraliste n’a donc pour effet que de lui imposer un certain quota d’investissements éthiques, tout en la laissant par ailleurs investir comme avant dans une série de secteurs qui ne satisferaient en rien les exigences concernées. Le risque consiste donc à draper le statu quo d’une légitimité éthique.

  • 23 Notons que si le recours à une clause restreinte s’expose à l’écueil d’effets de déplacements, l’ad (...)

31Revenons alors au cas des clauses éthiques dans les marchés publics. Exiger d’une entreprise qu’elle ne recoure pas au travail forcé pour les seuls produits concernés par le marché concerné lui permettrait de continuer à y recourir sur d’autres sites de production, et ainsi de rester compétitive en se garantissant des marges bénéficiaires importantes sur les autres sites, tout en rabotant celles à pratiquer pour le marché qui fait l’objet d’une clause éthique où le recours au travail forcé ne serait pas possible. En bref, si l’on dispose d’un critère éthique solidement justifié, il importe de l’insérer sous forme de clause universelle pour que son efficacité soit réelle23.

32S’il existe ainsi un argument d’efficacité en faveur de clauses universelles, les obstacles juridiques posés par les régimes de libre-échange à de telles clauses sont cependant réels. En effet, si une certaine marge de manœuvre semble être disponible en matière de clauses restreintes, il n’en va pas de même en ce qui concerne des clauses universelles. Prenons le cas de la Belgique. Sa marge de manœuvre est définie à la fois par le régime juridique applicable dans la zone régionale de libre-échange où elle se situe (l’Union européenne) et par le droit de l’Organisation mondiale du commerce. Pour comprendre le problème, il importe de rappeler une distinction propre au droit des marchés publics entre critères de sélection, critères d’attribution et conditions d’exécution. Les critères de sélection ont trait aux caractéristiques de l’entreprise soumissionnaire elle-même. Ainsi, le non-paiement d’impôts par cette dernière pourra-t-il être pris comme l’indice d’un manque de fiabilité. Les critères d’attribution, quant à eux, sont ceux qui vont permettre de départager les offres concernées, habituellement sur base du prix proposé ou du critère de l’offre dite « économiquement la plus avantageuse ». Les conditions d’exécution concernent, enfin, les caractéristiques de l’objet du marché définies par le maître d’œuvre (en l’occurrence l’État).

  • 24 Pour une liste détaillée des directives applicables en matière de marchés publics, voir communicati (...)
  • 25 Voir la communication « Marchés publics et environnement », section II, 3.
  • 26 Cour de justice des communautés européennes, Arrêt du 26 septembre 2000, Aff. 225/98, Commission c. (...)
  • 27 Voir la communication « Marchés publics et environnement », section I.

33La situation en droit européen des marchés publics relative aux clauses « éthiques » peut être synthétisée comme suit24. D’abord, il n’y a pas de place pour l’introduction de clauses éthiques comme critères de sélection, a fortiori lorsqu’il s’agit de critères universels. Cependant, il y en a déjà un peu plus au niveau des critères d’attribution25. La Cour de justice des communautés européenne a ainsi admis dans un arrêt dit « Nord-Pas-de-Calais » l’introduction, comme critère d’attribution, de l’exigence d’un certain quota d’employés devant être d’anciens chômeurs de longue durée26. Notons qu’il ne s’agissait en l’espèce que d’une clause restreinte. Enfin, au niveau des conditions d’exécution du marché, la marge de manœuvre semble réelle, en particulier dans le domaine des marchés de travaux27.

  • 28 En ce sens, J. Noël, « Étude relative à la possibilité d’introduire par la voie légale, réglementai (...)

34C’est d’ailleurs ainsi qu’est conçue la proposition Van den Bossche. Pourtant, il y a quelque difficulté à concevoir comme condition d’exécution, c’est-à-dire comme caractéristique de l’objet du marché concerné, le fait que l’entreprise soumissionnaire respecte telle ou telle contrainte sur l’ensemble de ses sites concernés. Une clause universelle se conçoit dès lors mieux comme critère d’attribution, ou éventuellement comme critère de sélection28, que comme condition d’exécution d’un marché. Mais la situation actuelle du droit européen ne semble pas admettre de clause universelle à ce niveau.

  • 29 Pour une analyse du droit de l’OMC en la matière : C. McCrudden, art. cité.
  • 30 Voir la décision de l’organe d’appel de l’OMC du 6 novembre 1998 dans l’affaire 58 (crevettes-tortu (...)

35En outre, le droit de l’OMC contient des prescriptions qui apparaissent au moins aussi strictes29. Notons néanmoins qu’il a été admis en droit de l’OMC que des biens produits dans certaines conditions (ici, des crevettes pêchées avec des filets qui menacent les tortues marines) puissent se voir interdire l’accès au marché d’un État30. A fortiori, il devrait pouvoir en être de même pour un refus d’achat par un État pour les mêmes raisons. Mais ce que le panel de l’OMC a admis n’est pas nécessairement une clause universelle en la matière. Il s’agissait en l’espèce d’une clause restreinte.

36Il importe donc de souligner qu’en l’état actuel du droit communautaire et du droit de l’OMC, la possibilité d’introduire une clause éthique universelle (telle que définie plus haut) est compromise. Cela se comprend somme toute par le fait que les risques de protectionnisme engendrés par une clause universelle sont bien plus grands que ceux d’une clause restreinte. Pourtant, s’il existe un argument éthique solide en faveur d’une clause, il conviendrait qu’elle soit universelle afin d’en assurer une efficacité réelle. On le voit, la marge de manœuvre des États soumis à de tels régimes juridiques de libre-échange est réduite. Pourtant, une fois assigné comme objectif clef au libre-échange l’amélioration du sort des plus défavorisés et une fois reconnue la nécessité de contraintes qui priment de tels objectifs (le respect de certaines libertés fondamentales), il apparaîtra rapidement qu’une telle marge de manœuvre puisse et doive être élargie.

Conclusion

  • 31 Voir M. Lundberg et L. Squire, 1999. « The Simultaneous Evolution of Growth and Inequality », 1999 (...)

37Quelles conclusions tirer de cette analyse ? D’abord, la proposition Van den Bossche soulève des questions quant au statut de l’État consommateur dans le cadre d’un régime de libre-échange – qui, soulignons-le, n’existe pas sous une forme pure. En fonction des objectifs d’un tel régime, il sera justifié tantôt de traiter l’État consommateur sur le même pied que le consommateur privé, tantôt sur le même pied que l’État douanier. Une analyse complète de cette question nécessiterait bien sûr de plus amples développements, sur deux points en particulier. Primo, en dehors d’un cadre de libre-échange, quelles sont les (bonnes) raisons pour lesquelles l’État consommateur ou l’État actionnaire devrait être tenu à des règles différentes qu’un acteur privé. Secundo, si l’on considère que l’État consomateur mais aussi son homologue privé doivent se voir imposer des règles antiprotectionnistes, sur base du postulat selon lequel le libre-échange bénéficierait au plus défavorisé, deux questions sont ouvertes : d’une part, existe-t-il des études empiriques accréditant ce dernier postulat et, d’autre part, comment atteindre l’objectif antiprotectionniste dans le cas des consommateurs privés ? Sur la première question, nous commençons à disposer d’études à la fois sur l’évolution des inégalités et sur celle du sort des plus défavorisés sur le plan mondial, même si les liens éventuels avec une libéralisation plus ou moins grande des échanges restent délicats à établir31. Quant à la seconde question, nous sommes encore loin d’avoir développé contre les comportements privés de préférence nationale les mêmes outils que ceux mis en œuvre contre les discriminations raciales ou sexuelles.

38La proposition Van den Bossche porte sur seulement trois préventions. Faut-il en étendre le contenu à des préoccupations d’environnement ou à tout travail infantile ? Si ces derniers objectifs peuvent dans certaines conditions être parfaitement justifiés, leur poursuite à travers une politique de marchés publiques n’est probablement pas la méthode la plus appropriée, comme nous l’avons montré. Il nous semble en outre qu’une clause éthique devrait d’abord se focaliser sur l’activité de l’entreprise elle-même, plutôt que sur sa complicité avec le régime en place. Et si cette notion de complicité n’est malgré tout pas dénuée de sens, elle reste malgré tout trop imprécise pour permettre de déterminer si le comportement d’une entreprise ayant des activités sur le territoire d’un des États concernés est nécessairement moins défendable sur le plan éthique que celui d’une autre entreprise préférant se retirer d’un tel pays.

39Nous nous sommes enfin intéressés aux différences entre critères de sélection, critères d’attribution et conditions d’exécution. En articulant ces catégories avec un argument en faveur de clauses dites « universelles », nous avons conclu que le droit des marchés publics tel qu’il est inscrit dans les contraintes du libre-échange, tant au niveau européen que selon l’OMC, ne permettait pas la mise en place de clauses éthiques appropriées. En particulier, la tentative belge de proposer une clause universelle conçue comme condition d’exécution apparaît particulièrement contre nature. Elle résulte néanmoins d’une tentative de prendre en compte les différences de régime juridique entre sélection, attribution et exécution. Des réformes du droit des marchés publics européen et de l’OMC sont donc nécessaires sur ce point, même pour ceux qui pensent que le libre-échange profite aux plus défavorisés. L’amélioration du sort de ces derniers ne saurait en effet s’effectuer à n’importe quel prix. Même si elle engendre des risques de protectionnisme, l’imposition par une « clause » éthique de règles telles que l’interdiction du travail forcé apparaît à cet égard tout à fait justifiée. C’est en tout cas la position que devrait prendre quelqu’un préconisant une priorité de liberté de disposer de soi-même (sauf exceptions) sur l’exigence d’amélioration du sort du plus défavorisé. De toute façon, en pratique, l’on voit difficilement comment le travail forcé pourrait constituer une condition nécessaire à l’amélioration du sort du plus défavorisé. Ce sera en général à ce dernier qu’il sera imposé.

40La proposition Van den Bossche présente donc deux difficultés centrales, l’une, technique, liée aux règles supra-nationales applicables aux marchés publics, et l’autre, éthique, liée à son utilisation d’une liste noire d’États et à une focalisation sur la notion de complicité. De manière plus générale, une telle proposition illustre la difficulté qu’il y a à poursuivre un objectif éthique dans le contexte de régimes de libre-échange qui se réfugient trop souvent derrière les risques (souvent avérés) de protectionnisme pour renoncer à ouvrir un débat de fond sur l’étendue des exceptions que la justice exigerait. Cette frilosité n’est pas probablement sans rapport avec le vide théorique face auquel on se retrouve lorsque l’on s’interroge sur la justification principale du libre-échange lui-même, et ce à partir d’une théorie de la justice.

Haut de page

Notes

1 Commission des communautés européennes, communication interprétative sur le droit communautaire applicable aux marchés publics et les possibilités d’intégrer des considérations environnementales dans lesdits marchés, COM (2001) 274 final, du 4 juillet 2001 (ci-après, communication « Marchés publics et environnement »), p. 5. Voir également la communication interprétative de la commission sur le même point mais cette fois pour ce qui concerne les considérations sociales : COM (2001) 566 final, du 15 octobre 2001.

2 Un exemple est constitué par les régimes spéciaux d’encouragement en droit européen (réduction de tarifs en échange du respect par les pays concernés de certaines normes de droit du travail), Règlement CE/1154/98 du conseil des ministres de l’Union européenne du 25 mai 1998, JOCE, L160, 4 juin 1998.

3 L. Van den Bossche, Introduction dans les cahiers spéciaux des charges d’une clause éthique comme condition d’exécution contractuelle du marché public (note non publiée au conseil des ministres fédéral belge), 6 mars 2001, ci-après : « Note Van den Bossche ». Voir aussi P. Regnier, « Les fournisseurs du pouvoir public devront être “éthiques” », Le Soir, suppl. économie, 10 mars 2001, p. 34. Pour une analyse juridique (critique) : J. Noël, « Implications de l’introduction de critères éthiques dans les marchés publics », Journal des tribunaux, 8 décembre 2001, p. 873-877.

4 Note Van den Bossche, point 2.

5 Note Van den Bossche, Annexe, §1(a).

6 Note Van den Bossche, Annexe, §2(b).

7 Voir C. McCrudden, « International Economic Law and the Pursuit of Human Rights : A Framework for Discussion of the Legality of “Selective Purchasing” Laws under the WTO Government Procurement Agreement », Journal of International Economic Law, 1999, p. 33.

8 Voir cependant, sur l’importance symbolique des comportements des États, B. O’Neill, Honor, Symbols and War, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2001.

9 La distinction entre domaine privé et domaine public pourrait être utile de ce point de vue. Notons d’ailleurs qu’un problème analogue à celui de l’État consommateur se présente lorsque l’on s’intéresse à la question de savoir dans quelle mesure l’État actionnaire d’une société peut se comporter comme n’importe quel actionnaire privé. De même, pourquoi un État autoriserait-il des centres de recherches privés à détruire des embryons tout en estimant que lui-même ne peut pas financer de telles activités ni, a fortiori, les pratiquer ?

10 Nous aurions pu en prendre d’autres. Ainsi, un exemple souvent discuté est celui d’une norme de salaire décent, cette norme n’étant d’ailleurs qu’un second best par rapport au respect de la liberté syndicale. Sur cette question, voir Report on The Living Wage Symposium, http://www.lafollette.wisc.edu/livingwage/Final_Report/report.htm.

11 Sur la situation au regard du droit européen : communication « Marchés publics et environnement », point II, 1.2.

12 La distinction entre marchés de fourniture et de travaux est tout aussi pertinente en matière de politique de l’emploi. S’il y a du sens à introduire des clauses d’emploi en matière de marchés de travaux, tel n’est pas le cas en matière de marchés de fourniture. En effet, s’il y a du sens à exiger qu’un chantier situé sur le territoire belge soit réalisé par un certain nombre de chômeurs de longue durée, cela a beaucoup moins de sens, dans le cas d’un marché de fourniture, d’exiger de l’adjudicataire, qui est susceptible d’opérer dans des pays où il n’existerait même pas de système de chômage, d’employer un certain pourcentage de chômeurs de longue durée.

13 Postulons ici que nous nous limitons à une clause restreinte, comme dans l’affaire « crevettes-tortues » (infra).

14 Sur le travail des enfants, voir B. White, Children, Work and “Child Labour” : Changing Responses to the Employment of Children, La Haye, Institute of Social Studies, 1994. Pour une approche critique de la proposition américaine de Child Labor Deterrence Act, H. Cullen, « The Limits of International Trade Mechanisms in Enforcing Human Rights : The Case of Child Labour », International Journal of Children’s Rights, vol. 7, 1999, p. 1-29.

15 Sur ce point, B. White, op. cit., p. 45.

16 Pour des données sur les Pays-Bas et les États-Unis, ibid., p. 23 et 43.

17 Pour une proposition ancienne en ce sens, ibid., p. 13.

18 Voir cependant les réserves de B. White, ibid., p. 8.

19 Pour un argument liberationniste, ibid., p. 45 et suiv.

20 Pour un autre exemple dans le cas du travail des enfants, H. Cullen, art. cité, p. 24.

21 Pour une intéressante initiative en ce qui concerne la Birmanie : www.globalunions.org/burma.

22 Sur cet argument, J. Glover, « “It Makes No Difference Whether I Do it or Not” », dans P. Singer (dir.), Applied Ethics, Oxford University Press, 1986, p. 125-144.

23 Notons que si le recours à une clause restreinte s’expose à l’écueil d’effets de déplacements, l’adoption d’une clause universelle court quant à elle le risque que les entreprises adoptent une structure juridique leur permettant, en se divisant en sous-entités, de satisfaire la clause plus facilement. Mais en pratique, ce risque de « division juridique » semble bien moins important que celui des déplacements, du moins tant que les clauses éthiques ne se sont pas généralisées. En outre, la proposition Van den Bossche recourt à la notion d’entreprise liée, ce qui réduit le bénéfice d’une « division juridique ».

24 Pour une liste détaillée des directives applicables en matière de marchés publics, voir communication « Marchés publics et environnement », déjà cité.

25 Voir la communication « Marchés publics et environnement », section II, 3.

26 Cour de justice des communautés européennes, Arrêt du 26 septembre 2000, Aff. 225/98, Commission c. République française, Journal des tribunaux (Belgique), 2001, p. 564 et suiv. (en particulier le point 52), précédé d’une note critique de J. Noël, « À propos des clauses sociales dans les marchés publics de travaux. Un arrêt étonnant de la Cour de justice des Communautés européennes », p. 561-564. Pour une étude consacrée aux « clauses de femmes » en matière de marchés publics, avant l’arrêt « Nord-Pas-de-Calais », voit C. Tobler, « Encore : “Women’s Clauses” in Public Procurement under Community Law », European Law Review, vol. 25, 2000, p. 618-631. Voir enfin, en ce qui concerne l’intégration dans les critères d’attribution des exigences environnementales liées au produit, les conclusions de l’avocat général Jean Mischo du 13 décembre 2001 dans l’affaire c-513/99 dite des « bus finlandais » (points 74 et suiv.).

27 Voir la communication « Marchés publics et environnement », section I.

28 En ce sens, J. Noël, « Étude relative à la possibilité d’introduire par la voie légale, réglementaire ou administrative, une clause sociale dans les marchés publics des différents pouvoirs adjudicateurs en Belgique », Administration publique trimestriel, 2000, p. 23.

29 Pour une analyse du droit de l’OMC en la matière : C. McCrudden, art. cité.

30 Voir la décision de l’organe d’appel de l’OMC du 6 novembre 1998 dans l’affaire 58 (crevettes-tortues) (disponible sur www.wto.org). Pourquoi s’attache-t-on tant à distinguer le produit de la manière dont il a été produit ? Une raison réside dans la volonté d’éviter d’adopter des mesures à effet extra-territorial. Une fois que le produit est sur mon territoire, je peux adopter des mesures y relatives, mais une fois que je m’intéresse à son mode de production, je vais imposer des règles qui s’appliquent potentiellement à l’extérieur du territoire. Pourtant, imaginons que j’impose le respect de telle norme de produit : cela a clairement aussi des effets extraterritoriaux puisque je vais forcer les entreprises dans l’autre pays à adopter d’autres modes de production.

31 Voir M. Lundberg et L. Squire, 1999. « The Simultaneous Evolution of Growth and Inequality », 1999 (disponible sur www.worldbank.org) ; A. Melchior, K. Telle et H. Wijg, « Globalisation and Inequality. World Income Distribution and Living Standards, 1960-1998 », Royal Norwegian Ministry of Foreign Affairs. Studies on Foreign Policy Issues, Rapport 6B, 2000 (en particulier p. 32 et suiv.) ; P. Lindert et J. Williamson, « Does Globalization Make the World more Unequal ? », National Bureau of Economic Research (Cambridge, Mass.), Working Paper 8228, 2001 ; F. Bourguignon et C. Morrisson, « Inequality among World Citizens : 1820-1992 », à paraître dans l’American Economic Review.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Axel Gosseries, « Marchés publics, libre-échange et clause éthique. À propos d’une initiative belge »Éthique publique [En ligne], vol. 4, n° 1 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2016, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/2485 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.2485

Haut de page

Auteur

Axel Gosseries

Axel Gosseries est chargé de recherches (philosophie) du FNRS, rattaché à l’université catholique de Louvain.

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search