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AccueilNumérosvol. 4, n° 1Présentation

Texte intégral

1La question éthique est de plus en plus présente dans les administrations publiques en Amérique du Nord. Au cours des dernières années, des gouvernements ont créé des postes de commissaire en éthique. Les vérificateurs généraux, les protecteurs du citoyen et autres membres de l’administration publique occupant des postes similaires comportent maintenant un volet d’évaluation de l’intégration de l’éthique dans la fonction publique. Au sein de plusieurs ministères, des employés agissent comme personnes-ressources en ce qui concerne les conflits d’intérêts. Certains ont mis sur pied des sessions de formation sur l’éthique, les conflits d’intérêts et l’intégrité. Les valeurs et l’éthique sont au cœur même de la formation du personnel et de la réflexion d’organismes gouvernementaux canadiens.

2Bien que l’éthique n’y connaisse pas une professionnalisation comparable, on peut observer en Europe des processus relativement semblables. Alors que, jusque-là, au sein de la fonction publique, les questions éthiques se ramenaient essentiellement à des considérations déontologiques, aujourd’hui elles dépassent ce cadre traditionnel. Il est toutefois difficile de cerner de manière claire les voies par lesquelles ces nouvelles préoccupations pénètrent la fonction publique, tant elles sont souvent imbriquées dans des cadres dont l’éthique ne constitue pas le thème principal. Ainsi, dans certains pays, la prise en compte des exigences éthiques s’est faite essentiellement dans un cadre pénal ou disciplinaire. Il en est de même des projets de modernisation de la fonction publique qui incluent certaines dimensions éthiques au sein de préoccupations dont la nature est fondamentalement organisationnelle ou managériale et dont les modèles sont tirés du secteur privé.

3Il reste toutefois qu’on assiste incontestablement, depuis quelque temps, à l’émergence de nouveaux métiers, en particulier les médiateurs, ou de nouveaux dispositifs, comme les commissions consultatives, les commissariats et les observatoires, dont le travail consiste notamment à suivre l’action publique au regard de valeurs jugées essentielles par les décideurs politiques. On voit d’ailleurs se multiplier les « chartes » de la fonction publique et les ententes de type contractuel sollicitant de la part des fonctionnaires des engagements spécifiquement éthiques qui cherchent à dépasser le cadre habituel des réserves déontologiques. Enfin, bien que cela demeure souvent le fait d’initiatives volontaristes, il semble également qu’un besoin de formation éthique commence à se faire sentir dans certains pans, particulièrement sensibles, de la fonction publique européenne, notamment les appareils de police.

4Malgré ces développements, l’éthique de l’administration et du service public demeure encore souvent réduite à son volet sur les conflits d’intérêts et la corruption, ce qui a pour effet d’en restreindre la portée. Et il est vrai que de telles questions se posent aujourd’hui avec acuité. Ainsi, des employés sont déchirés par les dilemmes éthiques où leurs principes, leurs valeurs personnelles et professionnelles sont confrontés aux valeurs et principes de leur rôle dans la fonction publique. D’autres également, comme les analystes politiques, se sentent dépourvus et sans ressources ne sachant comment intégrer l’éthique dans leur processus décisionnel. D’autres, enfin, sont un peu désorientés devant la pluralité des systèmes de valeurs découlant de la mondialisation des activités, de la prédominance de l’économie ainsi que des avancées scientifiques et technologiques.

5On peut toutefois se demander pourquoi aujourd’hui l’éthique apparaît comme le savoir par lequel tous les maux semblent pouvoir être résolus. Et la question se pose plus particulièrement lorsque la montée en puissance de l’éthique est mise en parallèle avec celle de la pensée managériale qui gagne actuellement une administration en déficit de légitimation. Dans ce contexte dominé par le modèle de la nouvelle gestion publique, l’éthique ne se trouve-t-elle pas tout simplement instrumentalisée ? N’en appelle-t-on pas à elle pour couvrir le déclin des valeurs publiques, la crise de « vocation » des fonctionnaires, ou encore la suspicion qui affecte en réalité l’exercice du pouvoir politique bien plus que les pratiques administratives ? La référence à l’éthique porte-t-elle plus que de nouveaux besoins de régulation ? Bref, les questions abordées sous l’angle éthique ne détournent-elles pas alors cette dernière vers des fins qui ne sont pas les siennes ? Comme on peut le constater, le sujet est vaste et les défis nombreux et complexes.

6Ce numéro propose donc une cartographie de la place qu’occupent actuellement l’éthique et ses différents modes d’application dans la fonction publique et l’administration – françaises, belges, suisses, canadiennes et québécoises. On y trouvera la description d’un modèle international d’infrastructure de l’éthique qui sert d’étalon à plusieurs pays où la fonction publique fait actuellement l’objet d’une modernisation. À cette description du terrain si nécessaire à une réflexion éthique solidement fondée, s’ajoutent des analyses sur les raisons qui ont conduit les administrations publiques à procéder à un déplacement du modèle traditionnel vers la nouvelle gestion publique, sur les origines, les forces et les faiblesses éthiques de ce modèle ainsi que sur les questions éthiques qu’il engendre. Ce sera également l’occasion de s’interroger sur la place de l’éthique au sein des nouvelles formes de régulation politique et de proposer des pistes permettant de penser pour l’administration publique une éthique qui puisse être à la hauteur des nouvelles exigences démocratiques portées par les mutations culturelles que nous connaissons aujourd’hui.

7Pour terminer, nous voudrions remercier tous les collaborateurs de ce numéro. À n’en pas douter, leur contribution alimentera la réflexion sur la place et le rôle de l’éthique dans l’administration et la fonction publique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Michel Bergeron et Jean-Louis Genard, « Présentation »Éthique publique [En ligne], vol. 4, n° 1 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2016, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/2475 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.2475

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Auteurs

Michel Bergeron

Michel Bergeron est professeur à l’université de Montréal.

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Jean-Louis Genard

Jean-Louis Genard est professeur à l’université libre de Bruxelles.

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Droits d’auteur

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