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Démocratie délibérative et postnationale

Démocratie patriotique, non délibérative

Charles Blattberg

Résumés

Puisque la conception patriotique et la conception délibérative de la démocratie nous enjoignent de réaliser le bien commun, les deux peuvent se proclamer les héritières du républicanisme classique. Toutefois, ces perspectives modernes de la politique diffèrent. Pour le prouver et pour montrer la supériorité du patriotisme sur la démocratie délibérative, l’auteur avance quatre critiques de cette dernière : sa conception de la conversation fondée sur une théorie, sur un ensemble systématique de procédures ne correspond guère à la pratique de celle-ci ; elle est idéologiquement biaisée ; sa distinction entre la conversation et la négociation est exagérée ; sa conception de la communauté politique, plus particulièrement des relations entre l’État et la société civile, est pauvre. En conclusion, il soutient que le débat en philosophie politique entre les patriotes et les tenants de la démocratie délibérative constitue lui-même un exemple d’une conversation patriotique, plutôt que délibérative.

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Notes de la rédaction

Traduit de l’anglais par Magdalena Dembinska et Irène Salenson

Notes de l’auteur

Ce texte a connu une version antérieure intitulée « Patriotic, Not Deliberative, Democracy » et publiée dans Critical Review of International Social and Political Philosophy, vol. 6, no 1, printemps 2003, p. 155-174.

L’auteur souhaite remercier Kai Nielsen et Alain Noël pour leurs commentaires sur cet article.

Texte intégral

  • 1  Voir C. Blattberg, From Pluralist to Patriotic Politics : Putting Practice First, Oxford, Oxford U (...)
  • 2  Tel que le défendent, par exemple, Aristote, dans Les politiques, Paris, Flammarion, 1990, Machiav (...)
  • 3  Voir des philosophes tels que Isaiah Berlin (Éloge de la liberté, Paris, Calmann-Lévy, 1988) et St (...)

1Les défenseurs de ce que j’appelle la politique « patriotique » tout comme les partisans de la conception délibérative de la démocratie nous enjoignent de répondre aux conflits par la conversation plutôt que par une simple négociation ou un marchandage1. Contrairement à la négociation, qui mène au compromis, la conversation a pour finalité la réconciliation, la réalisation d’un bien commun. C’est pourquoi le patriotisme et la démocratie délibérative peuvent se proclamer les héritiers de l’idéologie prémoderne du républicanisme classique2. Selon le républicanisme classique, la négociation caractérise une politique dominée par des factions, fondamentalement corrompue. La politique prônée par les philosophes politiques pluralistes contemporains peut être interprétée de la même manière3. Bien que les patriotes modernes et les tenants de la démocratie délibérative ne s’avancent pas aussi loin, ils partagent la préoccupation principale du républicanisme classique, qui est la recherche du bien commun, et expriment leurs inquiétudes quant au recours systématique et excessif à la négociation.

2Cependant, la notion de conversation diffère chez le patriote et chez le démocrate délibératif. Les théories de la démocratie délibérative assignent un rôle central à une forme de dialogue, fondamentalement « non coercitif », qu’on appelle le plus souvent « délibération » ou « conversation », et qui s’oppose catégoriquement au « marchandage » et à la « négociation », intrinsèquement égoïstes et coercitifs. Au-delà de la simple différence terminologique, il est évident que cette théorie privilégie un dialogue où les interlocuteurs en conflit s’écoutent l’un l’autre en recherchant une véritable compréhension, et ne se contentent pas de s’accommoder de leurs différences réciproques. Jusque-là, le patriote ne dit pas autre chose. Toutefois, son attitude est différente : le patriotisme conçoit la conversation comme une sorte de dialogue quotidien, ordinaire, où les interlocuteurs suivent leur bon sens ; dans l’optique de la démocratie délibérative, en revanche, les interlocuteurs doivent se conformer aux procédures préétablies et aux règles systématiques d’une théorie de la conversation. Or, cette théorie de la conversation participe d’une conception particulière de la démocratie qui, selon le patriote, établit une relation inappropriée entre l’État et la société civile. Puisque je compte parmi ceux qui défendent le patriotisme, j’aimerais conforter ce point de vue en adressant quelques critiques à la démocratie délibérative.

I

  • 4  Voir J. Habermas, « Discourse Ethics : Notes on a Program of Philosophical Justification », Moral (...)

3La première critique concerne les règles de conversation que les démocrates délibératifs tendent à recommander. Jürgen Habermas offre trois ensembles de règles. Le premier relève de la logique et de la sémantique : pour que la délibération soit authentique, dit-il, les participants doivent s’efforcer de construire leurs prédicats de façon logique, et éviter les contradictions ou l’attribution de plusieurs significations à la même expression. Le second ensemble résulte de l’hypothèse que les interlocuteurs désirent sincèrement atteindre un accord : les participants doivent se contenter de défendre ce qu’ils pensent réellement être vrai, et ceux qui veulent débattre d’autres idées hors sujet doivent le justifier. Le troisième ensemble vise à assurer que le changement d’opinion résulte de la rencontre d’une meilleure argumentation : aucune personne compétente ne peut être exclue de la discussion, et chacun doit avoir la possibilité de contester l’autre et d’introduire des affirmations qui lui semblent valables4.

  • 5  Sammy Basu estime que « Habermas incarne peut-être le type même de discours dépourvu d’humour » (« (...)
  • 6  Comme « In Defence of Poetry » où Shelley déclare que « les poètes sont des législateurs non recon (...)
  • 7  Sur l’humour comme interprétation, voir mon article (plutôt dépourvu d’humour) « On the Global Min (...)

4Examinons chaque ensemble de règles. Même si l’on comprend le bien-fondé de la logique et de la sémantique inhérentes au premier ensemble, exiger que tous leurs principes soient respectés écarte d’autres voies qu’il est dommage d’exclure. L’humour, par exemple, à cause de ses jeux de mots5, de même que l’art6 seraient interdits. Certains tenants de la démocratie délibérative admettent ces pratiques lors des délibérations, mais aucun ne veut les inclure dans le concept même de celles-ci, c’est-à-dire les considérer comme des caractéristiques propres de la rationalité délibérative. Au mieux, on les tolère dans le processus, à titre d’exceptions. Pourtant l’humour, comme je l’ai expliqué ailleurs, est une forme d’interprétation. C’est pourquoi son emploi dans une discussion politique fait partie de la raison (pratique), et je crois qu’il en est de même des citations d’œuvres artistiques (mais on peut aussi adopter une approche non interprétative des œuvres d’art)7.

  • 8  Pour une étude sur l’utilité sociale du mensonge, intéressante et en même temps sensible aux abus (...)
  • 9  M. de Cervantes, L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, Paris, Gallimard, 1949, p. 678.
  • 10  Shakespeare, La tragédie du roi Lear, I.IV.1-4, trad. Jules Derocquigny, Paris, Les Belles Lettres (...)

5Quant au second ensemble, l’exigence de vérité de la part des interlocuteurs (telle que Habermas la conçoit) signifie qu’on bannit la rhétorique, l’exagération, la flatterie, les mensonges « blancs », etc., qui peuvent pourtant contribuer, et ce de façon significative, à la réconciliation8. On peut même ici approuver Don Quichotte pour qui « on ne peut ni ne doit appeler tromperie… les choses qui ont pour but une fin vertueuse9 », ou encore le déguisé mais « honnête » Kent du Roi Lear lorsqu’il déclare : « Si seulement j’arrive à masquer ma parole/ Sous un parler d’emprunt, mon dessein charitable/ Pourra s’acheminer jusqu’au plein résultat/ Pourquoi j’ai altéré mes traits10. » La contribution possible du mensonge à la vérité est évidemment une question difficile et complexe. On établit ici une distinction, certes discutable, entre ce qu’on peut appeler d’un côté la vérité « simple » et de l’autre la vérité « morale ». Or cette dernière se solde parfois par une déception. Sans entrer dans l’analyse approfondie de cette question, je dirais simplement que la conception habermassienne de la conversation vraie n’est pas suffisamment flexible pour tenir compte de cette complexité. En effet, demander aux interlocuteurs d’une discussion politique de défendre uniquement ce qu’ils croient réellement être vrai semble non seulement une idée peu judicieuse mais irréaliste et contraire à la nature même de la pratique politique. La politique est une manière de résoudre les conflits, et en réalité il arrive à certains moments que la vérité pure alimente le conflit.

6On peut aussi accuser Habermas d’utopisme dans son troisième ensemble de règles, qui exige que toute personne compétente puisse participer à la discussion. On peut alors se demander si les procédures législatives, qui limitent généralement le droit de participation aux représentants élus, sont acceptables, voire même si la moindre restriction concernant la participation des citoyens est acceptable. Après tout ces derniers ne sont-ils pas ceux qui devront vivre avec les lois qui résultent de la délibération ? Cela ne signifie pas que la contribution des non-citoyens n’est pas bienvenue, mais lorsqu’il est temps de prendre des décisions, selon le patriote, la responsabilité devrait reposer sur la communauté des citoyens. Or les règles de Habermas appellent un cosmopolitanisme qui se révèle incompatible avec cette idée.

  • 11  J. Habermas, « A Reply to My Critics », dans J. B. Thompson et D. Held (dir.), Habermas : Critical (...)
  • 12  Voir, par exemple, H.-G. Gadamer, Truth and Method, New York, Crossroad, 1989 (2e éd.), p. 19-30.
  • 13  Voir S. G. Clarke et E. Simpson (dir.), Anti-Theory in Ethics and Moral Conservatism, Albany, suny (...)

7Outre les difficultés liées au contenu des règles, la démocratie délibérative pose un problème d’ordre plus général : ces règles découlent, nous dit-on, d’une théorie, c’est-à-dire qu’elles sont détachées d’un contexte pratique quelconque. Habermas écrit que « les discours sont des îles dans un océan de pratiques11 ». Pourtant, ce n’est que dans un contexte concret qu’on peut juger ce qui est – et ce qui n’est pas – approprié dans une conversation donnée. Cela requiert non pas l’application d’une théorie mais plutôt une sensibilité qui vient de l’exercice du bon sens. Or, le sens commun est une forme interprétative du jugement qui doit être distinguée de la raison théorique car il est incompatible avec l’application d’un tout systématique, formulé d’avance12. Il évite ainsi les simplifications, et de même les déformations, qui sont inévitables dans une démarche théorique13.

  • 14  Pour une revue des textes sur la conversation, voir l’historien des cultures P. Burke, « The Art o (...)
  • 15  Voir G. Ryle, The Concept of Mind, Londres, Hutchinson & Co., 1949, chap. 2.
  • 16  G. Pic de La Mirandole, « Letter to Ermolao Barbaro », dans A. B. Fallico et H. Shapiro (dir.), Re (...)
  • 17  Voir D. Bogen, Order Without Rules : Critical Theory and the Logic of Conversation, Albany, suny P (...)

8La conversation patriotique permet justement cette forme de jugement pratique parce qu’elle est herméneutique. Selon le patriote, même si le recours à quelques maximes à propos des pratiques de la conversation, relatives à une culture donnée, peut s’avérer utile14, toute théorie de la conversation finira par nuire au processus. En effet, le patriote considère la capacité de converser comme une aptitude, un « savoir comment » et non un « savoir quoi15 ». Or aucune aptitude ne saurait se conformer précisément aux prescriptions de la théorie. La théorie de la conversation occulte en outre le processus même de la conversation, le but d’une théorie étant, tel que l’a formulé jadis Pic de La Mirandole, « de présenter les choses tellement bien analysées qu’il n’y ait plus de place pour le doute, et argumentées de façon tellement solide qu’il n’y ait plus besoin de discuter davantage16 ». Pour le patriote toutefois, il est normal que les politiques de conversation entraînent des discussions autour de la conversation elle-même. Ainsi, s’il y a des règles à suivre, elles devraient être non pas celles d’une théorie mais celles du moment présent17.

II

  • 18  Voir, par exemple, S. Chambers, Reasonable Democracy : Jürgen Habermas and the Politics of Discour (...)
  • 19  L’« idéologie » n’a pas simplement un sens péjoratif ici. Selon moi, toute doctrine qui fournit de (...)
  • 20  J. Fishkin, par exemple, donne son appui aux « sondages d’opinion délibératifs » (Democracy and De (...)
  • 21  K. Marx, « Critique de la philosophie politique de Hegel », dans Œuvres. Philosophie, vol. 3, Pari (...)

9La référence à la théorie pose à la démocratie délibérative un problème supplémentaire : sa partialité. Les partisans de la démocratie délibérative soutiennent souvent que leurs théories ne sont « que formelles18 », mais trois assertions idéologiques au moins dérivent directement de celles-ci19. Premièrement, les délibérations doivent être effectuées dans la société civile, plus précisément dans sa sphère publique. Ce n’est qu’une fois ces délibérations terminées que leurs conclusions sont transmises ou imposées à l’État. La création de l’« opinion publique », la formulation de la volonté du demos dans la société civile, se réalise de façon autonome et indépendante de l’État. Cette conception privilégie les mécanismes démocratiques tels que les élections et les référendums, qui sont bien ancrés dans les systèmes politiques républicains comme ceux de l’Allemagne ou des États-Unis, mais pas dans les régimes parlementaires du Canada ou de la Grande-Bretagne20. Le postulat de base du parlementarisme est que le pouvoir de gouverner trouve son origine non pas dans le « Peuple », mais dans la « Couronne » qui repose entre les mains du Parlement. C’est la raison pour laquelle on ne verra jamais à l’entrée d’un parlement l’enseigne affichée sur le fronton du Reichstag allemand : « Au peuple allemand ». Comme l’a dit Karl Marx, « dans la démocratie, la constitution, la loi, l’État lui-même, pour autant qu’il est constitution politique, est uniquement une manière du peuple de se déterminer lui-même, et il est un contenu particulier du peuple21 ». Dans le parlementarisme, le pouvoir politique se situe ailleurs : du côté des représentants des citoyens au Parlement, donc dans la sphère de l’État, plutôt que dans celle de la société civile – le foyer du peuple.

  • 22  Voir J. Habermas, Between Facts and Norms : Contributions to a Discourse Theory of Law and Democra (...)

10Dans une démocratie parlementaire, le rôle des partis politiques est, en principe, plus important que le rôle accordé aux élections et aux référendums, car les partis siègent directement au Parlement et se trouvent proches du lieu où s’exerce le pouvoir. De plus, le parlementarisme n’adhère pas à la conception d’un demos distinct de l’État qui utiliserait ce dernier comme un instrument. Par l’intermédiaire de ses membres, le parti est considéré comme une institution capable de relier le Parlement, donc l’État, et la société civile. En revanche, les démocrates délibératifs, même s’ils envisagent la possibilité de délibération au sein des institutions de l’État, préfèrent la qualité du discours émis dans la sphère publique. Ils affirment invariablement l’indépendance et non le lien entre la société civile et l’État. Lorsqu’ils préconisent la tenue d’assemblées délibératives de citoyens, celles-ci ne comptent jamais de politiciens. Il n’est pas surprenant alors que, pour eux, l’État et la société civile détiennent, la plupart du temps, des formes de pouvoir qualitativement différentes : une forme « communicative » qui repose sur l’efficience des délibérations dans la sphère publique de la société civile et une forme « administrative » associée aux fonctions de l’État22.

  • 23  Certains écrits donnent plus d’importance à la démocratie dans cet équilibre, par exemple : J. Hab (...)

11Il s’ensuit que, indépendamment du poids qu’ils attribuent à chacun des deux éléments dans cette fameuse combinaison « démocratique libérale23 », les démocrates délibératifs pensent tous que la recherche d’un équilibre est indispensable. Chaque ensemble de principes, le libéral et le démocratique, est perçu comme indépendant, issu de deux sphères distinctes : l’État pour le premier ensemble et la sphère publique pour le second. Ils imaginent donc que la meilleure issue possible de la dynamique entre les deux éléments est un jeu à somme nulle. Cette séparation corrobore bien leur préférence pour les élections et les référendums, plutôt que pour les partis politiques, mais cela révèle aussi leur insensibilité à la diversité de cultures politiques démocratiques qui existent dans le monde. Or, une prise en compte efficace de la conversation en politique ne consiste pas en soi à définir des institutions ou des pratiques spécifiques, elle doit refléter non pas une théorie abstraite mais les traditions de la culture politique dont elle est issue.

  • 24  J. Cohen et J. Rogers, « Power and Reason », dans A. Fung et E. Olin Wright (dir.), Deepening Demo (...)
  • 25  Voir M. Buber, I and Thou, New York, Charles Scribner’s Sons, 1970 ; et « Dialogue », dans Between (...)

12Il va sans dire que le choix de certains démocrates délibératifs de soutenir la démocratie libérale provient d’un autre préjugé idéologique de leur part. Ce choix se fonde sur une des conditions du discours établies par leur théorie : le respect de l’égale liberté des individus. Mais, l’égalité est-elle réellement une condition préalable pour obtenir une véritable conversation ? Je ne le pense pas. Il est vrai que ceux qui délibèrent doivent accepter de parler et écouter à tour de rôle s’ils espèrent arriver à une réconciliation, c’est-à-dire qu’ils doivent s’efforcer d’articuler ensemble les vérités qu’ils partagent. Cependant, ils ne doivent pas nécessairement être égaux pour atteindre ce but. Au contraire, des interlocuteurs qui sont radicalement inégaux en termes de richesse, de statut, de pouvoir, d’aptitude à la communication, etc., peuvent faire preuve de la volonté nécessaire à la conversation. D’ailleurs, je pense que dans la démocratie délibérative elle-même il n’existe pas de réelle égalité entre les interlocuteurs. Pour ses partisans, le « cas idéal » est celui où « l’unique pouvoir en jeu est la force du meilleur argument » (Habermas), or ce pouvoir n’est pas « une force également disponible à tous24 », simplement parce que certaines personnes sont moins intelligentes que d’autres. Plutôt que de chercher l’égalité, il serait préférable de suivre Martin Buber, selon lequel une vraie conversation requiert seulement une sorte de « symétrie » entre les interlocuteurs, une symétrie basée sur leur volonté de participer à un échange réel où l’on parle avec tact tout en écoutant sincèrement25.

  • 26  Voir, par exemple, C. Santiago Nino, The Constitution of Deliberative Democracy, New Haven, Yale U (...)

13De plus, les théories de la démocratie délibérative imposent le principe d’égale liberté de manière antipolitique dans la mesure où celui-ci ne peut être soumis à la discussion. Il faudrait lui accorder une protection spéciale lorsqu’il est en conflit avec d’autres valeurs ; voire même, comme le prônent les démocrates délibératifs les plus libéraux, inscrire les droits émanant de ce principe dans une constitution ayant priorité sur toute autre loi (justiciable constitution)26. Ces droits ne pourraient alors plus être soumis à la conversation ou à la négociation, mais uniquement à des plaidoyers qui nécessitent des procédures judiciaires. Bien que je sois moi-même un libéral (au sens canadien du terme), je reste stupéfait devant un tel postulat : chaque citoyen dans une démocratie devrait adhérer non seulement à cette idéologie mais aussi à sa forme « neutraliste » qui rend une constitution suprême (justiciable, opposable) pratiquement inévitable. Or, en raison de la diversité idéologique au sein des sociétés occidentales, les citoyens se trouvent fréquemment confrontés à des conflits qui mettent en jeu l’égale liberté des individus. Ils ne peuvent répondre de façon dialogique, c’est-à-dire politique, à ces conflits, s’ils attribuent d’emblée un statut privilégié à ce principe.

14Cela s’applique d’ailleurs à toutes les règles de la démocratie délibérative. On peut se demander pourquoi les démocrates délibératifs libéraux se limitent au principe de l’égale liberté. Pourquoi ne pas créer des lois, constitutionnelles ou non, qui énonceraient toutes les règles supposées essentielles à une délibération réussie ? Pourquoi par exemple ne pas interdire formellement aux participants de mentir lors d’une discussion politique ? Évidemment, peu de démocrates délibératifs, voire aucun, réclameraient une telle loi mais cela ne me paraît pas logique si on s’en tient à leurs présuppositions. Pourquoi distingueraient-ils cela d’autres lois exprimant les règles émises dans leur théorie ? C’est la raison pour laquelle je préconise, une fois de plus, une approche qui s’appuie non pas sur une théorie mais sur les pratiques constitutives de la culture politique de chaque pays.

III

15Un autre problème apparaît chez les démocrates délibératifs : ils recommandent en général un niveau de participation politique plus élevé que celui qui existe actuellement dans les sociétés occidentales. Ils se rapprochent ici des républicains classiques, même si, pour diverses raisons, peu d’entre eux, voire aucun, reprennent la formule classique qui affirme que la vie politique représente un bien intrinsèque doté de son propre droit. Leur vœu de participation accrue provient plutôt de la règle théorique exigeant que toute personne compétente pour délibérer y soit autorisée. Selon le patriote moderne, un tel appel abstrait et général au renforcement de la culture politique participative est inapproprié. Non pas que davantage de participation serait une mauvaise chose – le patriote comme le républicain classique est convaincu que la liberté politique est un bien intrinsèque. Le patriote ajoute, toutefois, qu’il s’agit d’un bien parmi tant d’autres et qu’à l’instar de ceux-ci il mérite une attention variable puisque, par définition, il s’exprime dans des contextes et des cultures politiques différents. Selon le patriotisme, le niveau requis de participation en politique est un enjeu idéologique plus que philosophique, car il est relatif à une culture politique donnée. Aucune réflexion philosophique sur la conversation ne prétend déterminer le nombre de personnes qui doivent y participer, car il revient précisément aux compatriotes de débattre de cette question dans le cadre de leur conversation.

  • 27  La formulation la plus claire là-dessus est en même temps une des premières d’Habermas (voir Legit (...)
  • 28  Voir, par exemple, A. Gutmann et D. Thompson, Democracy and Disagreement, Cambridge (Mass.), Harva (...)

16Sur un plan plus général, les démocrates délibératifs établissent une distinction trop rigide entre, d’un côté, la délibération ou la conversation juste et rationnelle et, de l’autre, la négociation ou le marchandage intéressé et coercitif. Selon eux, la délibération consiste en l’exposé de raisons valables, et non d’émotions ou d’intérêts, qui relèvent du marchandage. Les arguments ne doivent pas se référer à des personnes ou à des groupes particuliers mais plutôt exprimer des revendications générales et non partisanes qui concernent tout le monde27. Certains démocrates délibératifs vont encore plus loin et proposent que ces revendications soient « réciproques », c’est-à-dire qu’on parte du principe que ceux qui ne partagent pas notre point de vue seront néanmoins prêts à l’accepter28. Dans tous les cas, le postulat de départ est que les arguments valables ne sont pas partisans, comme le requièrent la majorité des théories modernes.

17Je soutiens, à l’inverse, que l’absence de parti pris n’est nullement nécessaire pour déterminer le bien commun, elle constitue même un obstacle. Pour saisir cela, il faut d’abord comprendre que le « bien commun » renvoie nécessairement à quelque chose de partagé par une communauté particulière dans un contexte historique particulier. Chaque membre de la communauté y trouve sa place à condition de rester fidèle à sa propre particularité. Les républicains classiques n’ont ainsi jamais envisagé que les citoyens pussent prendre des décisions non partisanes, comme le préconisent aujourd’hui les démocrates délibératifs. Partageant ce point de vue, les patriotes modernes rejettent le raisonnement pratique du non-engagement. Cet aspect nous paraît fondamental pour élaborer une réflexion plausible sur ce que signifie réaliser le bien commun en politique.

  • 29  Voir H.-G. Gadamer, op. cit., p. 309.
  • 30  Bien évidemment, cela doit être soutenu par des arguments dont deux sont présentés dans mon articl (...)

18Ce point de vue affirme tout d’abord que, dans une conversation publique ou privée, les interlocuteurs doivent posséder une conscience aiguë de leurs particularités et de leur pleine identité, afin de comprendre comment les transformer pour arriver à une réconciliation. La réalisation du bien commun ne signifie pas qu’il faut transcender les différences ou arriver à un consensus en restant neutre. Il s’agit plutôt de concilier des éléments constitutifs de l’identité des personnes impliquées. La réconciliation est donc compatible avec le respect de la différence, puisque comprendre, comme l’herméneutique nous l’enseigne, suppose toujours comprendre différemment29. Cela dit, pour que la réconciliation soit possible, il doit déjà exister quelque chose de commun, de conciliable, entre les parties en conflit. Cela s’applique non seulement aux membres d’une communauté donnée, mais aussi entre les communautés et même potentiellement à un niveau global. C’est la seule voie possible pour une diplomatie qui pratique la conversation et non pas seulement la négociation30.

  • 31  Pour en savoir davantage sur la conversation patriotique, voir S. Bickford, The Dissonance of Demo (...)

19La validité de la conversation patriotique ne peut qu’être renforcée par la comparaison entre ses présupposés et ceux de la démocratie délibérative. L’un de ces derniers demande que les interlocuteurs fassent preuve d’une sorte d’esprit altruiste afin que le bien commun puisse être réalisé. Cela donne une image un peu naïve de la conversation en politique, car on s’attend plutôt à ce que les interlocuteurs en conflit provoquent toutes sortes d’inégalités dans l’arène politique. À l’inverse, le patriote, en exagérant à peine, décrirait les participants d’une conversation comme des « égoïstes », puisqu’ils cherchent à éviter les concessions inévitables lors d’une négociation, en transformant progressivement leur conception du bien, au lieu de le compromettre par une concession. Chaque interlocuteur écoute les explications qui justifient la position de l’autre partie dans l’espoir d’apprendre quelque chose et donc d’améliorer sa propre opinion. Ce n’est pas précisément de l’altruisme, mais plutôt ce qui peut être perçu comme la forme non instrumentale d’un égoïsme éclairé31.

  • 32  Voir C. Blattberg, op. cit.; et S. Chambers, op. cit., p. 160.

20Le patriotisme adhère, insistons sur ce point, à une conception substantielle plutôt que procédurale de l’éthique, une conception qui rejette la dichotomie égoïsme-altruisme sous-tendue par cette dernière. Cela lui permet d’éviter une difficulté qui tourmente le démocrate délibératif, ou qui le tourmenterait s’il la reconnaissait. Tout comme le patriote, le démocrate délibératif admet qu’il est parfois légitime pour les citoyens de renoncer à la réconciliation, qu’il y a des moments où la conversation rompt inévitablement32. Mais seul le patriote pense qu’envisager ces ruptures participe de cette forme de raison pratique qu’on a associée plus haut au bon sens et qu’on peut préciser ici en la rapprochant de la notion de phronesis, ou sagesse pratique, chez Aristote. De plus, le passage à la négociation qui, on l’espère, succède à l’abandon de la conversation n’est pas perçu comme un mouvement intentionnel de l’éthique vers l’égoïsme, ou d’une rationalité formelle vers une rationalité instrumentale.

  • 33  Voir J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 166-167.

21Au contraire, le patriote rejoint ici le pluraliste pour lequel les négociations de « bonne foi » sont fondées sur la volonté de tolérer l’autre partie, de faire quelques concessions sans y être forcé. Une telle négociation ne peut se conformer à une conception de la raison pratique qui réclame soit le respect de certaines contraintes déontologiques abstraites soit le recours à des calculs froids issus d’un choix rationnel. Certes, le démocrate délibératif établit une distinction entre une négociation juste et une négociation injuste : la négociation « juste » consiste à adopter des procédures qui permettent aux deux parties d’exercer à égalité des pressions l’une sur l’autre33. Cependant il persiste à penser que les actions des parties obéissent à une forme de rationalité strictement instrumentale. Il n’y a alors aucune place pour le type de concessions nécessaires dans une négociation de bonne foi. De plus, le recours à la force, parfois légitime, qui se produit éventuellement lorsque la négociation a échoué, ne peut pas être considéré comme rationnel selon la définition des démocrates délibératifs, car il requiert, pour être légitime, une forme de jugement qui est liée au et non indépendante du contexte. En somme, bien que les démocrates délibératifs prétendent détenir la bonne théorie sur la manière de délibérer démocratiquement, cette théorie ne mentionne pas à quel moment il est acceptable de suspendre la délibération. On peut dire que le démocrate délibératif ne sait tout simplement pas quand s’arrêter.

IV

  • 34  Il faut mentionner que certains démocrates délibératifs sont plus explicites là-dessus que d’autre (...)
  • 35  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 308.

22La dernière difficulté que j’aimerais soulever ici est à mon avis la plus importante. J’ai décrit ci-dessus la démocratie délibérative comme recherchant l’expression du bien commun en politique34, tout comme le républicanisme classique et le patriotisme moderne, et contrairement au pluralisme. Toutefois, le moyen d’atteindre cet idéal pour le démocrate délibératif diffère considérablement des processus prônés par les deux autres théories, puisque, comme nous le soulignions plus haut, la délibération doit formuler des intérêts généralisables qui requièrent des individus une prise de distance, au moins partielle, vis-à-vis de leur identité particulière. Seule une forme très restreinte de solidarité entre les citoyens est donc possible, essentiellement une « solidarité entre étrangers35 », alors que le patriote et le républicain classique sont favorables à une sorte d’amitié entre les citoyens, amitié qu’ils jugent essentielle s’il est question de véritables compatriotes. Nous avons également mentionné la façon particulière dont la théorie délibérative appréhende les « frontières » entre l’« État » et la « société » : elle conçoit ces deux entités comme séparées l’une de l’autre, et insiste sur l’autonomie de la sphère publique au sein de la société civile.

  • 36  Voir, par exemple, ibid., p. 168-176, 373-374, et J. Dryzek, op. cit., p. 50-51.
  • 37  Voir, par exemple, J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 296.

23Mais cette séparation, ainsi que l’idée qui l’accompagne parfois d’une pluralité voire d’une fragmentation des discours au sein de la sphère publique36, n’accorde aucune place à une conception du bien commun plus large que celle partagée par le demos, ni à une conception de l’État qui peut, au moins par moments, représenter une « communauté éthique »37, c’est-à-dire une communauté civique ou politique incluant tous les citoyens, y compris ceux qui passent plus de temps dans la sphère étatique ou économique que dans la sphère publique. Ne pas reconnaître les besoins de cette communauté est une grave lacune.

  • 38  A. Przeworski, « Deliberation and Ideological Domination », dans J. Elster (dir.), op. cit., p. 14 (...)

24On peut évoquer deux raisons. La première concerne le fondement fonctionnaliste sur lequel le démocrate délibératif s’appuie pour établir l’indépendance des domaines de l’État et de la société civile. Dans la démocratie délibérative, l’État ne peut pas entreprendre d’action communicative, il ne peut donc pas constituer le lieu d’une véritable conversation-débat, car les agents de l’État, contrairement aux acteurs de la sphère publique, doivent se plier à certains impératifs afin d’assurer la longévité et la stabilité de l’État. Par exemple, ils doivent par moments prendre une décision rapide et ne peuvent s’accorder le luxe de délibérer ad vitam æternam. Il est intéressant de constater que certains défenseurs du libre choix social qui s’opposent à la démocratie délibérative émettent la même critique à propos des délibérations dans la sphère publique : « Les théoriciens de la délibération […] omettent un fait très banal : dans une démocratie, la délibération se conclut toujours par un vote […]. La délibération peut mener à une décision raisonnée, elle peut expliquer les raisons pour lesquelles cette décision est prise et celles pour lesquelles il ne faut pas la prendre. Plus encore, ces raisons peuvent guider l’application de la décision, les actions du gouvernement. Mais l’autorisation de ces actions, y compris la coercition, a son origine dans le vote, dans le calcul des mains levées, et non dans la discussion38

  • 39  J. Dryzek, op. cit., p. 78-79.
  • 40  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 300 ; voir aussi, p. 361-362, et J. Bohman, op. (...)
  • 41  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 307.

25Les démocrates délibératifs ont répondu à cette critique en mettant l’accent, une fois de plus, sur le rôle distinct de l’État, et en rappelant que le gouvernement n’est pas responsable uniquement de l’« application » des décisions puisque, la plupart du temps, c’est dans son domaine et non dans celui de la sphère publique que les décisions sont prises. Les acteurs de la sphère publique ne connaissent pas de pression les sommant d’aboutir à une décision, une conclusion, ils disposent d’un luxe inaccessible aux agents de l’État, celui de pouvoir discuter et élaborer de longs argumentaires susceptibles d’influer sur les décisions. Comme l’écrit John Dryzek, « la vie démocratique n’est pas seulement un jeu de discours sans fin. Des actions collectives décisives doivent être entreprises, or dans les sociétés contemporaines cette capacité est principalement (mais pas uniquement) entre les mains de l’État. Les discours et leurs contestations ne s’arrêtent pas aux bornes de la sphère publique, ils peuvent aussi imprégner les opinions des acteurs de l’État. Il est important de maintenir l’autonomie de la sphère publique vis-à-vis de l’État, car le jeu discursif au sein de la sphère publique est toujours moins restreint qu’au sein de l’État. C’est dans la sphère publique que les discours et identités contestataires peuvent émerger39. » Dans le même sens, Habermas écrit : « Seul le système politique peut “agir”. Il constitue un sous-système spécialisé dans la prise de décisions collectives, tandis que les structures communicatives de la sphère publique forment un réseau étendu de détecteurs qui réagissent aux pressions et problèmes de la société et qui stimulent les opinions influentes. L’opinion publique qui s’est formée à travers des procédures démocratiques en un pouvoir communicatif ne peut pas “gouverner”, mais peut orienter le pouvoir administratif dans des directions spécifiques40. » Dans la démocratie délibérative, la voix du peuple est davantage entendue dans le « contexte de découverte41 » qui succède aux délibérations de la sphère publique plutôt que par le vote, et cela est rendu possible justement parce que ses interlocuteurs, contrairement aux agents de l’État, ne subissent pas de pression leur enjoignant de prendre une décision.

  • 42  Un habermasien dirait ici que l’on doit distinguer les « discours de justification » des « discour (...)
  • 43  P. Ricœur, « L’acte de juger », Le juste, vol. 1, Paris, Esprit, 1995, p. 187.
  • 44  H.-G. Gadamer, « Epilogue to “Who Am I and Who Are You?” », dans Gadamer on Celan : “Who Am I and (...)
  • 45  J. Maclure, Récits identitaires. Le Québec à l’épreuve du pluralisme, Montréal, Québec Amérique, 2 (...)

26Mais l’opposition implicite entre délibération et décision est exagérée. La décision est envisagée comme un fait qui se produit seulement lorsque le débat est achevé, marquant un « moment » d’interruption dans le flot du dialogue. Or, dans la réalité, le temps ne s’arrête pas lorsqu’une décision est prise, c’est pourquoi une décision n’est jamais définitive. D’ailleurs, l’application même de la décision suscite souvent des débats42. Paul Ricœur écrit que « tout jugement appelle au-delà de lui-même un “mais”43 ». Après tout, que sont les décisions raisonnées sinon des interprétations de ce qui doit être fait ? Ne peut-on dire, suivant Hans-Georg Gadamer, que « les interprétations concluantes n’existent tout simplement pas44 » ? Par conséquent, je pense qu’il faut être conscient des différentes possibilités : dans le meilleur des cas (selon la voie patriotique), la décision est prise grâce à une conversation réussie, elle exprime donc une réconciliation et perd son caractère controversé qui disparaît peu à peu. Mais dans la plupart des cas, les décisions sont prises soit par une négociation qui implique des concessions, soit par un vote, ou encore par l’État qui l’impose même si une minorité (voire la majorité) est en désaccord. Dans tous ces cas, il est nécessaire de parler de coercition, à des degrés variés, et pas seulement de dialogue. Tel que Jocelyn Maclure l’a observé : « Il n’est pas question de se fermer les yeux devant l’autre moment du politique : le moment de la décision et de l’institutionnalisation (le premier étant celui de la délibération). Il s’agit là du moment – tragique mais incontournable – où sont commises les injustices et où sont brimées les libertés. Tôt ou tard, et dans des circonstances toujours imparfaites, une décision doit être prise45.» La vision négative de Maclure – « tragique mais incontournable » – fait écho au pluralisme, mais il partage avec les démocrates délibératifs l’idée d’une séparation nette entre le moment de la décision et celui du dialogue. Une fois de plus, cette interprétation est erronée. En effet, le débat ne continue-t-il pas une fois la décision prise, quand les perdants jurent de ne pas abandonner la cause ? La poursuite de la discussion influe certainement sur l’application de la décision, ainsi que les débats qu’elle suscite, débats eux-mêmes influencés par la discussion précédente qui est en principe terminée. Il semble alors artificiel d’isoler le « moment » de la décision et d’y voir une césure nette entre le dialogue d’un côté et, de l’autre, une application des décisions coercitives et absolument non dialogiques.

  • 46  Voir C. Blattberg, op. cit., chap. 5.

27C’est pourquoi je propose d’atténuer la distinction que les démocrates délibératifs établissent entre l’État et la société civile. Certes, la seconde comporte plus de délibérations et le premier prend plus de décisions, mais lorsqu’on comprend que ces deux activités ne sont pas si exclusives l’une de l’autre, la ligne de séparation entre les deux domaines passe du « continu » au « pointillé ». Comment interpréter alors les interstices, si ce n’est comme le lieu du partage au sein d’une communauté qui accueille à la fois l’État et la société, c’est-à-dire une communauté civique ou politique46 ?

  • 47  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 486-487.
  • 48  Voir J. Dryzek, op. cit., chap. 4.
  • 49  Ibid., p. 52.
  • 50  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 162.
  • 51  J. Bohman, op. cit., p. 175.

28On peut aboutir à la même conclusion en examinant une autre distinction effectuée par les démocrates délibératifs entre l’État et la société, en ce qui concerne le rôle de la sphère publique. Celle-ci doit « transmettre » ses délibérations à l’État. Quelle que soit la forme de cette transmission, elle ne correspond pas à la pure délibération visant le bien commun qui est censée se dérouler dans la sphère publique selon les démocrates délibératifs. Habermas écrit, par exemple, que le pouvoir communicatif produit dans la sphère publique doit être « exercé à la manière d’un siège47 » sur l’État. Dryzek, quant à lui, déplore que l’approche d’Habermas ne soit pas plus combative, il évoque une menace de « récupération » des mouvements sociaux par l’État. Cela l’amène à recommander aux acteurs de la sphère publique d’adopter une attitude insurrectionnelle vis-à-vis de l’État48. En outre, bien qu’il reconnaisse la qualité discursive de la sphère publique, qui permet de modifier les termes du débat politique au sein de l’État, il précise néanmoins qu’il faut lire « discursive » dans le sens où l’entend Foucault, c’est-à-dire celui d’une non-communication49. À l’inverse, Habermas, comme nous l’avons noté plus haut, pense que la sphère publique est un contexte propice à la découverte d’idées nouvelles qui peuvent influer de façon significative sur les débats au sein de l’État. Il affirme que « lorsque l’opinion et la volonté se structurent de manière discursive, la création des lois est indissociable de la formation du pouvoir communicatif50 ». Dans ce cas, alors, la transmission des délibérations de la société civile vers l’État est constituée d’un mélange de discours communicatif et d’autres types de discours qui ne visent pas forcément la vérité. C’est ce que soutient James Bohman lorsqu’il dit que « le propre du débat est de mélanger argumentation, compromis et même marchandage51 ».

  • 52  Sur la distinction, voir C. Blattberg, « Opponents vs. Adversaries in Plato’s Phaedo », History of (...)

29Mais cette conception pose un problème de taille : en pratique un tel mélange est tout simplement impossible. La conversation est un mode de dialogue extrêmement fragile, elle représente une réponse viable au conflit seulement si tous les participants désirent sincèrement s’engager dans un échange courtois et attentif. On pourrait dire que dans une conversation les interlocuteurs, tout en étant en désaccord, doivent constamment faire preuve d’efforts mutuels pour atteindre le bien commun et que ces efforts de chaque partie soient reconnus par l’autre52. La moindre indication d’une prise de position trop adverse par un des opposants place son interlocuteur sur la défensive, ce qui mine sa capacité d’écouter, et provoque la rupture de la conversation. C’est la raison pour laquelle la conversation ne peut pas être mélangée à la négociation ou à tout autre mode de dialogue compétitif. Toutefois, il arrive que des interlocuteurs adverses apprennent de façon indirecte quelque chose durant leurs discussions, il serait donc erroné de prétendre qu’aucune réconciliation, aucun rapprochement, ne peut jamais émerger de leur rencontre. Mais il ne peut être question ici d’une véritable conversation. Le « mélange » n’est tout simplement pas adéquat au mécanisme de transmission chez les démocrates délibératifs.

30Il n’est pas surprenant de constater que, dans une démocratie délibérative, aucune réconciliation réelle entre l’État et la société n’est possible, et encore moins encouragée. Les citoyens ne peuvent donc pas aspirer à la réalisation d’une communauté civique, politique, dans son ensemble. Cela ne gêne pas les démocrates délibératifs, mais le patriote lance inévitablement une objection. Ne peut-on jamais aspirer à une réconciliation entre l’État et la société civile ? Seule fait obstacle l’idée (injustifiée) d’une frontière imperméable entre les deux, alors que la conversation requiert, comme on l’a vu, au moins quelques espacements sur la ligne qui les démarque. En reconnaissant l’existence de ces espacements, on s’aperçoit que les conversations entre l’État et la société civile, en fonction des sujets débattus, ont le potentiel de réaliser beaucoup plus que la simple « démocratie » dans son sens strict. Ainsi, le patriote considère que la démocratie ne représente qu’une part de la bonne gouvernance, un élément d’un tout plus grand – « la politique » –, élément distinct mais lié aux autres parts. Lors des conversations et des réflexions sur la politique patriotique, nous devons nous préoccuper non seulement du peuple, mais aussi du respect de l’individu, du bien-être économique, de la protection de l’environnement, et d’autres sujets également importants.

31Je considère que le présent texte constitue lui-même une contribution à une telle conversation. Mon désaccord avec la démocratie délibérative n’est pas une opposition adversaire dans la mesure où je pense que nous partageons le souci de vérité à propos de l’objet qui nous intéresse ici. Autrement dit, la volonté de mieux comprendre le rôle de la conversation dans les politiques démocratiques est un bien que nous avons en commun. De plus, même si cette conversation particulière est limitée aux bornes de la société civile (puisque, sauf erreur, peu de politiciens, voire aucun d’entre eux, y ont prêté attention), je doute que ses participants veuillent imposer leurs conclusions à l’État de manière offensive, en cherchant à persuader nos représentants politiques par la force plutôt qu’à les convaincre.

  • 53  Je fais ici référence, bien sûr, à ce qu’on connaît sous le nom de « l’affaire Sokal ». Voir The S (...)

32Par ailleurs, il est important de souligner que les conversations philosophiques comme celle-ci ne respectent aucunement les règles de la théorie délibérative. D’une part, elles ne sont pas ouvertes à tous les participants « compétents » : les articles de revues scientifiques et les ouvrages sont soigneusement examinés avant d’être publiés, et toutes les propositions de communication ne sont pas acceptées dans les colloques. D’autre part, il existe aujourd’hui une école de philosophie politique – les postmodernistes – dont les contributions consistent souvent en des jeux de mots ironiques, en des affirmations sciemment contradictoires ; or les universitaires qui sont en désaccord avec les positions des postmodernistes ne demandent pas pour autant de les bannir de la discussion en vertu des règles théoriques de délibération. Nombreux parmi ceux qui désapprouvent cette approche seraient amusés d’apprendre qu’elle a été parodiée de façon tout à fait intéressante dans un article soumis frauduleusement à une revue spécialisée qui s’est fait duper et l’a publié. Ils devraient alors admettre que le mensonge constitue, parfois, un chemin vers la vérité53.

33Il va de soi que les participants à ce débat théorique ont des convictions idéologiques diverses. En philosophie politique, le libéralisme est de nos jours celui qui remporte le plus de succès, mais les autres mouvements idéologiques, conservatisme, socialisme, féminisme, écologisme, nationalisme, etc., peuvent également s’exprimer dans le débat. Au lieu de défendre systématiquement leurs idéologies respectives, il est à espérer qu’ils vont entamer, comme certains l’ont déjà fait, une conversation dans un esprit vraiment ouvert. Même si certains pensent que la conversation tend vers une théorie, le chemin n’est pas du tout structuré de manière théorique. Je pense d’ailleurs que cela emprunte la plupart du temps une perspective patriotique. Et cela est une bonne chose.

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Notes

1  Voir C. Blattberg, From Pluralist to Patriotic Politics : Putting Practice First, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; J. Bohman et W. Rehg (dir.), Deliberative Democracy : Essays on Reason and Politics, Cambridge (Mass.), mit Press, 1997 ; J. Elster (dir.), Deliberative Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

2  Tel que le défendent, par exemple, Aristote, dans Les politiques, Paris, Flammarion, 1990, Machiavel, dans Discours sur la première décade de Tite-Live, Paris, Flammarion, 1985, et Hannah Arendt, dans Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961.

3  Voir des philosophes tels que Isaiah Berlin (Éloge de la liberté, Paris, Calmann-Lévy, 1988) et Stuart Hampshire (Justice Is Conflict, Princeton, Princeton University Press, 2000).

4  Voir J. Habermas, « Discourse Ethics : Notes on a Program of Philosophical Justification », Moral Consciousness and Communicative Action, Cambridge, mit Press, 1990, p. 87-89.

5  Sammy Basu estime que « Habermas incarne peut-être le type même de discours dépourvu d’humour » (« Dialogical Ethics and the Virtue of Humour », Journal of Political Philosophy, vol. 7, no 4, 1999, p. 380).

6  Comme « In Defence of Poetry » où Shelley déclare que « les poètes sont des législateurs non reconnus du monde », dans D. H. Reiman et S. B. Powers (dir.), Shelley’s Poetry and Prose, New York, W. W. Norton, 1977. Pour une critique de Habermas et de sa compréhension restreinte de l’art qu’il réduit à la seule subjectivité de son créateur, sorte de « production esthétique subjective », voir P. Duvenage, Habermas and Aesthetics : The Limits of Communicative Reason, Cambridge, Polity Press, 2003, chap. 5.

7  Sur l’humour comme interprétation, voir mon article (plutôt dépourvu d’humour) « On the Global Minimal Moral Code », dans Patriotic Elaborations : Essays in Practical Political Philosophy ; et pour une étude sur l’humour en politique, voir A. Rose, « When Politics is a Laughing Matter », Policy Review, no 110, décembre 2001-janvier 2002, p. 59-71. Pour un exemple de la place de l’art dans la politique, voir l’étude très intéressante de Y. Grenier, From Art to Politics : Octavio Paz and the Pursuit of Freedom, Lanham (MD), Rowman & Littlefield, 2001.

8  Pour une étude sur l’utilité sociale du mensonge, intéressante et en même temps sensible aux abus potentiels, voir J. Campbell, The Liar’s Tale : A History of Falsehood, New York, W. W. Norton, 2001.

9  M. de Cervantes, L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, Paris, Gallimard, 1949, p. 678.

10  Shakespeare, La tragédie du roi Lear, I.IV.1-4, trad. Jules Derocquigny, Paris, Les Belles Lettres, 1931.

11  J. Habermas, « A Reply to My Critics », dans J. B. Thompson et D. Held (dir.), Habermas : Critical Debates, Cambridge, mit Press, 1982, p. 235.

12  Voir, par exemple, H.-G. Gadamer, Truth and Method, New York, Crossroad, 1989 (2e éd.), p. 19-30.

13  Voir S. G. Clarke et E. Simpson (dir.), Anti-Theory in Ethics and Moral Conservatism, Albany, suny Press, 1989 ; D. Furrow, Against Theory : Continental and Analytical Challenges in Moral Philosophy, New York, Routledge, 1995, chap. 1 ; P. Levine, Living Without Philosophy : On Narrative, Rhetoric, and Morality, Albany, suny Press, 1998 ; C. Blattberg, op. cit., chap. 1 ; et B. Flyvbjerg, Making Social Science Matter : Why Social Inquiry Fails and How It Can Succeed Again, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

14  Pour une revue des textes sur la conversation, voir l’historien des cultures P. Burke, « The Art of Conversation in Early Modern Europe », dans The Art of Conversation, Ithaca, Cornell University Press, 1993.

15  Voir G. Ryle, The Concept of Mind, Londres, Hutchinson & Co., 1949, chap. 2.

16  G. Pic de La Mirandole, « Letter to Ermolao Barbaro », dans A. B. Fallico et H. Shapiro (dir.), Renaissance Philosophy, vol. 1, The Italian Philosophers, New York, Random House, 1967, p. 110.

17  Voir D. Bogen, Order Without Rules : Critical Theory and the Logic of Conversation, Albany, suny Press, 1999.

18  Voir, par exemple, S. Chambers, Reasonable Democracy : Jürgen Habermas and the Politics of Discourse, Ithaca, Cornell University Press, 1996, p. 164 et 172.

19  L’« idéologie » n’a pas simplement un sens péjoratif ici. Selon moi, toute doctrine qui fournit des directives sur la façon de répondre aux conflits politiques particuliers, qu’elles soient institutionnelles ou qu’elles concernent les processus politiques de tous les jours, est une idéologie. Voir C. Blattberg, « Political Philosophies and Political Ideologies », Public Affairs Quarterly, vol. 15, no 3, juillet 2001, p. 193-217.

20  J. Fishkin, par exemple, donne son appui aux « sondages d’opinion délibératifs » (Democracy and Deliberation, New Haven, Yale University Press, 1991). Joshua Cohen est un des rares représentants de la démocratie délibérative qui affirme le rôle bénéfique des partis, mais pas pour les mêmes raisons que je donne ici (voir J. Cohen, « Deliberation and Democratic Legitimacy », dans J. Bohman et W. Rehg (dir.), op. cit., p. 85-86). John Uhr, quant à lui, met l’accent tant sur les partis que sur les référendums, mais mise à part son interprétation « procéduraliste » d’Aristote, il ne devrait pas être considéré comme un démocrate délibératif. Les bases du parlementarisme australien de son approche ne sont pas surprenantes (voir J. Uhr, Deliberative Democracy in Australia : The Changing Place of Parliament, Cambridge, Cambridge University Press, 1998).

21  K. Marx, « Critique de la philosophie politique de Hegel », dans Œuvres. Philosophie, vol. 3, Paris, Gallimard, 1982, p. 903.

22  Voir J. Habermas, Between Facts and Norms : Contributions to a Discourse Theory of Law and Democracy, Cambridge (Mass.), mit Press, 1996, p. 486-487.

23  Certains écrits donnent plus d’importance à la démocratie dans cet équilibre, par exemple : J. Habermas, Legitimation Crisis, Londres, Heinemann, 1976 ; N. Fraser, « Rethinking the Public Sphere : A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy », dans C. Calhoun (dir.), Habermas and the Public Sphere, Cambridge (Mass.), mit Press, 1992 ; J. Bohman, Public Deliberation : Pluralism, Complexity, and Democracy, Cambridge (Mass.), mit Press, 1996, surtout le chap. 4 ; et J. S. Dryzek, Deliberative Democracy and Beyond : Liberals, Critics, Contestations, Oxford, Oxford University Press, 2000. Tandis que les institutions libérales sont favorites dans les travaux tels que : J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., et J. Bohman, « The Coming of Age of Deliberative Democracy », Journal of Political Philosophy, no 6, 1998, p. 399-423.

24  J. Cohen et J. Rogers, « Power and Reason », dans A. Fung et E. Olin Wright (dir.), Deepening Democracy : Institutional Innovations in Empowered Participatory Governance, New York, Verso, 2003, p. 242.

25  Voir M. Buber, I and Thou, New York, Charles Scribner’s Sons, 1970 ; et « Dialogue », dans Between Man and Man, Boston, Beacon Press, 1947.

26  Voir, par exemple, C. Santiago Nino, The Constitution of Deliberative Democracy, New Haven, Yale University Press, 1996, surtout le chap. 7.

27  La formulation la plus claire là-dessus est en même temps une des premières d’Habermas (voir Legitimation Crisis, op. cit., p. 109).

28  Voir, par exemple, A. Gutmann et D. Thompson, Democracy and Disagreement, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1996, chap. 2.

29  Voir H.-G. Gadamer, op. cit., p. 309.

30  Bien évidemment, cela doit être soutenu par des arguments dont deux sont présentés dans mon article « On the Global Minimal Moral Code », art. cité.

31  Pour en savoir davantage sur la conversation patriotique, voir S. Bickford, The Dissonance of Democracy : Listening, Conflict, Citizenship, Ithaca, Cornell University Press, 1996, et C. Blattberg, op. cit., chap. 3.

32  Voir C. Blattberg, op. cit.; et S. Chambers, op. cit., p. 160.

33  Voir J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 166-167.

34  Il faut mentionner que certains démocrates délibératifs sont plus explicites là-dessus que d’autres, tels que, par exemple, Samuel Freeman dans « Deliberative Democracy : A Sympathetic Comment », Philosophy and Public Affairs, vol. 29, no 4, 2000, p. 372-373.

35  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 308.

36  Voir, par exemple, ibid., p. 168-176, 373-374, et J. Dryzek, op. cit., p. 50-51.

37  Voir, par exemple, J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 296.

38  A. Przeworski, « Deliberation and Ideological Domination », dans J. Elster (dir.), op. cit., p. 141-142.

39  J. Dryzek, op. cit., p. 78-79.

40  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 300 ; voir aussi, p. 361-362, et J. Bohman, op. cit., p. 179.

41  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 307.

42  Un habermasien dirait ici que l’on doit distinguer les « discours de justification » des « discours d’application » (voir ibid., p. 162), une autre distinction exagérée, selon moi.

43  P. Ricœur, « L’acte de juger », Le juste, vol. 1, Paris, Esprit, 1995, p. 187.

44  H.-G. Gadamer, « Epilogue to “Who Am I and Who Are You?” », dans Gadamer on Celan : “Who Am I and Who Are You?” and Other Essays, Albany, Suny Press, 1997, p. 146. Ou encore : « L’idée même d’une interprétation définitive semble intrinsèquement contradictoire. L’interprétation est toujours “en route” » (« Hermeneutics as Practical Philosophy », Reason in the Age of Science, Cambridge (Mass.), mit Press, 1981, p. 105).

45  J. Maclure, Récits identitaires. Le Québec à l’épreuve du pluralisme, Montréal, Québec Amérique, 2000, p. 214.

46  Voir C. Blattberg, op. cit., chap. 5.

47  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 486-487.

48  Voir J. Dryzek, op. cit., chap. 4.

49  Ibid., p. 52.

50  J. Habermas, Between Facts and Norms, op. cit., p. 162.

51  J. Bohman, op. cit., p. 175.

52  Sur la distinction, voir C. Blattberg, « Opponents vs. Adversaries in Plato’s Phaedo », History of Philosophy Quarterly, vol. 22, no 2, avril 2005, p. 109-127.

53  Je fais ici référence, bien sûr, à ce qu’on connaît sous le nom de « l’affaire Sokal ». Voir The Sokal Hoax : The Sham that Shook the Academy, Lincoln, University of Nebraska Press, 2000.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Charles Blattberg, « Démocratie patriotique, non délibérative »Éthique publique [En ligne], vol. 7, n° 1 | 2005, mis en ligne le 13 novembre 2015, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/1999 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.1999

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Auteur

Charles Blattberg

Charles Blattberg est professeur agrégé du département de science politique de l’université de Montréal.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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