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Éthiques et politiques de l'aménagement de la diversité culturelle et religieuse

Démocratie, solidarité et mondialisation

Geneviève Nootens

Résumés

Ce texte soutient que les enjeux relatifs à la redistribution de la richesse à l’échelle internationale sont des enjeux de démocratie. On y examine la thèse de Kymlicka suivant laquelle le forum démocratique par excellence est la communauté politique nationale linguistique-territoriale. Cette thèse s’oppose aux arguments cosmopolitiques suivant lesquels on peut et doit élargir la sphère de participation, de délibération et de responsabilité à des échelles plus vastes, du moins pour certains enjeux et domaines de la vie sociale.

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Texte intégral

1Les mécanismes de redistribution de la richesse mis au point en Occident dans la seconde partie du vingtième siècle sont aujourd’hui remis en cause, à divers degrés, pour diverses raisons. Certains s’y attaquent pour des motifs idéologiques ; c’est le cas par exemple du courant illustré par les politiques néolibérales adoptées par les gouvernements Reagan et Thatcher. Pour d’autres, il n’est plus possible, dans un contexte caractérisé notamment par une mobilité accrue du capital et les menaces permanentes de délocalisation, de maintenir les mêmes mécanismes de protection sociale, sous peine de voir fuir les capitaux et les investissements. Pour d’autres encore, ce sont le pluralisme culturel et les politiques de multiculturalisme qui saperaient les fondements de la redistribution de la richesse dans les États.

  • 1  D. Held, « The Transformation of Political Community : Rethinking Democracy in the Context of Glob (...)

2Les politiques et mécanismes de redistribution de la richesse incarnés par l’État providence s’inscrivaient dans la « constellation nationale ». On supposait dans ce cadre une relative correspondance entre systèmes fonctionnels (l’économie, notamment), identité culturelle, institutions de participation et de représentation. On présumait également que la liberté, l’égalité politique et la solidarité « pouvaient être implantées dans et par l’État-nation1 ». Enfin, la nation était vue comme jouant un rôle fondamental en tant que vecteur de mobilisation sociale et culturelle, et inversement, les mécanismes de redistribution comme renforçant la solidarité nationale.

  • 2  K. Banting et W. Kymlicka « Multiculturalism and Welfare », Dissent, automne 2003, p. 59-66 ; K. B (...)
  • 3  K. Banting, « Is a Multicultural Welfare State a Contradiction in Terms ?», art. cité.

3Or, ce portrait est doublement remis en cause, actuellement, du point de vue de la justice et de l’équité. À l’échelle étatique et infra-étatique, il se heurte au défi de la reconnaissance des nations minoritaires et de certains droits pour les minorités culturelles. On tendait à penser que les formes keynésiennes de redistribution de la richesse reposaient sur des liens de solidarité fondés sur l’appartenance à une même nation (autrement dit, qu’une identité nationale commune constituait le ressort fondamental de la solidarité sociale). Il semble par conséquent naturel de s’interroger sur la pérennité de ce type de solidarité dans les États polyethniques et, à plus forte raison, dans ceux de ces États qui traduisent la reconnaissance du multiculturalisme dans des politiques institutionnelles d’intégration et d’accommodement. Il faut souligner cependant, à cet égard, que les travaux récents de K. Banting et W. Kymlicka permettent de penser qu’il n’y a pas de corrélation nécessaire entre les politiques de multiculturalisme et l’appui à l’État-providence2. Dans le cas du Canada, par exemple, s’il semble y avoir notamment une tension entre la diversité ethnique caractérisant le voisinage d’un individu et le niveau de confiance qu’il entretient envers ses voisins, il n’y a pas pour autant de relation significative entre l’ethnicité et la composition ethnique du voisinage, d’une part, et l’appui aux programmes sociaux, d’autre part3. Par contre, on ne peut ignorer ni les tendances à associer le multiculturalisme à un effritement du « capital social » ni l’attitude de repli sur soi et de fermeture à l’autre qui caractérise le comportement de certains groupes (qu’on trouve, par exemple, dans des mouvements comme le Front national). Un tel repli menace la coexistence entre différentes communautés, allochtones, issues de l’immigration et des premières nations.

  • 4  Il faudrait aussi s’interroger sur la répartition de la richesse à l’intérieur des démocraties lib (...)
  • 5  D. Heater, World Citizenship. Cosmopolitan Thinking and Its Opponents, Londres et New York, Contin (...)

4Le « portrait » de la démocratie libérale institutionnalisée dans l’État national est aussi remis en cause, par ailleurs, par une conscience plus aiguë de l’interdépendance planétaire et des grands défis qu’elle pose, et du grand dénuement de la majorité des êtres humains comparativement au niveau de vie dans les démocraties libérales industrialisées4. Heater rappelle ainsi que si, en 1960, les 20 % plus riches à l’échelle de la planète avaient un revenu qui correspondait à trente fois celui des 20 % plus pauvres, en 1997 cette proportion était passée à soixante-quatorze fois5. Se pose donc également, de manière urgente, la question de la redistribution de la richesse à l’échelle internationale de manière à assurer une certaine justice, et une égalité relative.

  • 6  L’idée centrale du cosmopolitisme est que tous les êtres humains sont égaux en tant que personnes (...)

5C’est à ce second aspect de la remise en cause de la « constellation nationale » que ce texte s’intéresse. Le point de vue présenté ici procède en deux temps. Dans un premier temps, je soutiendrai que les enjeux relatifs à la redistribution de la richesse à l’échelle internationale sont des enjeux de démocratie. Dans un deuxième temps, j’examinerai la thèse de Kymlicka suivant laquelle le forum démocratique par excellence est la communauté politique nationale linguistique-territoriale. Cette thèse s’oppose aux convictions cosmopolitiques6 selon lesquelles on peut (et on doit) élargir la sphère de participation, de délibération et de responsabilité à des échelles plus vastes, du moins pour certains enjeux et domaines de la vie sociale. La thèse de Kymlicka présente cependant des faiblesses importantes : elle néglige la dynamique historique conflictuelle qui a donné naissance à l’équilibre précaire qui caractérise la démocratie libérale en matière de participation et de justice redistributive, ce qui l’empêche de rendre compte des mouvements actuels de démocratisation. À la lumière de cette conclusion, il semble approprié de demeurer optimiste quant à la possibilité d’élargir, d’étendre, les sphères démocratiques au-delà de l’État.

Démocratie, justice, redistribution

  • 7  R. Bellamy et D. Castiglione, « The Uses of Democracy : Reflections on the European Democratic Def (...)
  • 8  L’étendue de ce principe est cependant sujette à débats. Il faut y inclure les droits individuels (...)

6La démocratie n’est pas qu’une procédure de prise de décision. De manière générale, on peut la définir comme une forme de régime politique qui autorise, prévoit, permet, institutionnalise un contrôle réel du peuple sur l’exercice du pouvoir politique. Plus précisément, et suivant la définition proposée par Bellamy et Castiglione, c’est une forme de gouvernement caractérisée par des institutions, des pratiques, des droits destinés à donner aux individus un droit de parole sur la manière dont sont menées les affaires de la communauté politique. Le terme se réfère aussi à des valeurs sous-jacentes, notamment la liberté et l’égalité, qui en font un schème équitable de coopération entre gens formellement égaux (qui ont les mêmes droits et responsabilités). Enfin, le terme renvoie à un processus de prise de décision souvent identifié à la règle de la majorité ; cependant, le principe fondamental qui guide la démocratie n’est pas la règle de la majorité mais bien l’égalité politique7. Ainsi, un régime qui violerait systématiquement les droits des minorités, permettant directement ou indirectement de reproduire dans la sphère publique des inégalités découlant de l’appartenance à certaines catégories, ne pourrait être qualifié de démocratique8. C’est pourquoi les chartes et les tribunaux jouent un rôle fondamental dans un régime démocratique.

  • 9  T. Pogge, « Creating Supra-National Institutions Democratically : Reflections on the European Unio (...)

7La démocratie comporte donc un engagement fondamental envers l’égalité des individus. C’est pourquoi j’emprunte ici la formulation de Thomas Pogge, pour qui l’idée centrale de la démocratie est « l’impératif moral selon lequel les institutions politiques doivent maximiser et égaliser la capacité des citoyens de modeler le contexte social dans lequel ils vivent9 ». Cela justifie l’idée que les droits civiques et politiques des individus doivent être accompagnés de principes de justice visant à instaurer des conditions socioéconomiques permettant un contrôle réel des individus sur le contexte social dans lequel ils vivent, et donc, à donner un sens à leur liberté et à leur égalité.

  • 10  M. Zürn, « Global Governance and Legitimacy Problems », Government and Opposition, vol. 39, no 2, (...)
  • 11  Ibid., p. 268-269 ; J. G. Ruggie, « Reconstituting the Global Public Domain. Issues, Actors, and P (...)

8Pourquoi devrait-on défendre l’extension de la démocratie ainsi entendue à certains domaines de la vie internationale ? Principalement parce qu’il existe de facto des rapports d’autorité et de domination qui font de la communauté internationale une communauté politique. Il existe, à l’échelle internationale, des institutions et des régimes qui exercent une autorité publique sur les individus. Pensons par exemple à l’impact des politiques d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI), ou encore à la portée des principes et décisions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). À cet égard, il faut rappeler qu’il existe des différences importantes entre les accords du GATT et l’OMC. Les premiers concernaient les États et constituaient une forme d’interface de gestion. La seconde ne se contente plus de gérer les interfaces entre les États (par exemple, les tarifs douaniers) ; elle adopte des règles qui s’appliquent aussi à la structure et à l’organisation de la production à l’intérieur des États (par exemple, tout ce qui peut fournir un avantage déloyal, telles les subventions)10. De plus, les régimes internationaux actuels tendent à s’adresser aussi aux acteurs sociaux, et visent la résolution de problèmes très complexes11.

  • 12  Voir notamment M. Keating, The New Regionalism in Western Europe. Territorial Restructuring and Po (...)
  • 13  K. D. Wolf, « The New Raison d’État as a Problem for Democracy in World Society », European Journa (...)

9Il n’y a dès lors pas lieu de se surprendre du constat d’un écart croissant entre le système de représentation et la prise de décision12. Certains objecteront à cette dénonciation d’un « déficit démocratique » que le type de décision visé, par exemple en matière économique, doit relever de la prise de décision technocratique plutôt que démocratique ; ou encore, que la légitimité démocratique indirecte (résultant du fait que ce sont les États qui mettent sur pied ces régimes) suffit. Je ne veux pas m’attarder ici sur ces objections, sauf pour mentionner deux choses. D’abord, le raisonnement en faveur du caractère technocratique des décisions prises par exemple en matière de commerce repose sur un présupposé idéologique qui isole artificiellement l’économie des autres sphères de la vie sociale. Or, le fait de qualifier d’objectives certaines convictions économiques les soustrait a priori à la prise de décision démocratique (si elles sont objectives, de quoi peut-on débattre ?). Quant au point de vue selon lequel la participation des États aux négociations sur de telles règles suffit à garantir une légitimité démocratique, il n’est guère plus convaincant, puisqu’il présuppose que l’État reflète parfaitement la volonté populaire. Or, les États sont des organisations complexes, animées par des groupes et des élites qui défendent leur propre vision du bien commun (quand ce ne sont leurs propres intérêts) ; cette vision ne concorde pas forcément avec la diversité des représentations du bien commun ni avec ce qu’exige réellement le bien commun. La position des gouvernements conservateurs du Canada et d’Australie sur le protocole de Kyoto en constitue un exemple éloquent. Il ne faut pas non plus négliger l’existence de ce que Wolf appelle la « nouvelle raison d’État » : la volonté des gouvernements de se lier par des accords dans des structures de gouvernance intergouvernementale constitue dans certaines circonstances une réponse stratégique aux pressions qu’ils subissent de la part des marchés et de leur population. Les structures de gouvernance intergouvernementale peuvent accroître le degré d’autonomie des gouvernements étatiques, par exemple en permettant de faire porter la responsabilité d’un certain désengagement de l’État sur ces régimes internationaux. Par conséquent, ces arrangements peuvent menacer la gouvernance démocratique en soustrayant certains enjeux au débat social et à la révision13. Enfin, il ne faut pas oublier la nature très artificielle de l’égalité de principe des États. Tous les États sont inscrits dans un enchevêtrement complexe de réseaux de pouvoir ne correspondant pas nécessairement à une différenciation territoriale ; mais certains demeurent tout de même plus puissants. Cette inégalité constitue une raison supplémentaire de refuser le postulat de l’adéquation entre la présence des États dans les négociations internationales et la légitimité démocratique.

  • 14  R. Chung, « Domination à l’ère de la mondialisation », dans G. Nootens (dir.), « Diversité, mondia (...)
  • 15  Ibid., p. 19-20.

10La formulation la plus intéressante de la manière dont la présence de rapports d’autorité et de domination à l’échelle internationale affecte la réalisation des principes de justice me semble être celle qui est proposée par Ryoa Chung. Pour Chung, on peut affirmer que la mondialisation économique a créé un schème de coopération sociale à l’échelle globale, pour trois raisons : « 1) il existe une structure d’interdépendance entre États ; 2) ce schème de coopération sociale repose sur une logique de coûts et bénéfices mutuels – ce qui n’implique pas, toutefois, que l’interdépendance structurelle repose sur une répartition équitable des coûts et des bénéfices pour toutes les parties ; 3) la participation à ce schème de coopération sociale est obligatoire14 ». Ce troisième aspect renvoie au fait qu’il n’existe, en pratique, pas d’option de sortie : il serait pratiquement impossible pour un État de se couper entièrement des rapports internationaux actuels pour vivre en autarcie complète. L’inégalité n’est pas toujours conceptualisée comme une forme d’asservissement, mais « n’en demeure pas moins un état de fait qui est publiquement reconnu […]. [D]ans le contexte de la mondialisation néolibérale, nous acceptons comme un fait public la fameuse règle d’or […] telle qu’interprétée par Richard A. Cash selon qui “who gets the gold, makes the rule”15

  • 16  Des formes injustes de domination sont « des formes d’interférence et de coercition qui sont insid (...)
  • 17  Ibid., p. 16. « Selon Pettit, une relation de domination se forme lorsque quelqu’un a la capacité (...)

11L’existence de ces rapports de domination impose, selon Chung, d’étendre la sphère de nos obligations politiques à l’ensemble de l’espèce humaine. En effet, si les conditions structurelles de la mondialisation économique correspondent bel et bien à des formes injustes de domination16, alors on peut affirmer que la communauté internationale « partage […] une responsabilité causale dans la genèse et la perpétuation des inégalités injustes entre les hommes, justifiant dès lors des obligations internationales de justice globale en vue de redresser ou de compenser les torts17 ». En termes kantiens, la redistribution de la richesse à l’échelle internationale ne doit pas demeurer un devoir de vertu, relevant de la charité ; elle doit relever d’un devoir de droit, imposant des responsabilités aux agents.

12Par conséquent, dans la mesure où on accepte la définition de la démocratie proposée plus haut et où on reconnaît qu’il existe des rapports d’autorité et de domination qui imbriquent l’ensemble de l’espèce humaine dans une communauté politique de fait, on doit conclure à la nécessité d’étendre les sphères de la démocratie. Ajoutons, pour être bien clair, qu’il ne s’agit pas de prôner la mise sur pied d’un État mondial ; il faut plutôt penser cet élargissement comme une complexification de la démocratie dans un schème institutionnel à plusieurs paliers, à « géométrie variable », et dont les différenciations sont susceptibles d’être aussi fonctionnelles (selon les enjeux, les domaines) plutôt que simplement territoriales. Précisons aussi qu’il s’agit de contribuer à une réflexion sur la démocratisation (les mécanismes, mouvements et processus susceptibles de contribuer à accroître et renouveler la démocratie), plutôt que sur un état achevé et statique qui correspondrait à une Idée de la démocratie.

  • 18  Voir G. Nootens, Désenclaver la démocratie. Des huguenots à la paix des Braves, Montréal, Québec A (...)

13Plusieurs objections se présentent immédiatement, qui relèvent soit de la faisabilité, soit de la désirabilité d’une telle complexification des pratiques démocratiques. Ne doit-on pas voir dans les organisations internationales de simples instruments des États (auquel cas il n’est même pas pertinent de poser la question de leur démocratisation) ? Les difficultés techniques et pratiques relatives au fait de vouloir calquer le modèle de la démocratie libérale à l’échelle globale ne sont-elles pas insurmontables ? Certains en effet insistent particulièrement sur les conditions sociales et culturelles qui sous-tendent le fonctionnement de la démocratie dans l’État national, et sur l’impossibilité de reproduire ces conditions à une échelle plus vaste. C’est le cas des nationalistes libéraux18. Mais c’est aussi, paradoxalement, le cas de Will Kymlicka, qui a pourtant largement contribué à dénoncer le mythe de la neutralité ethnoculturelle des démocraties libérales et à établir le paradigme de l’État multinational.

Sur le caractère national-étatique de la démocratie libérale

  • 19  W. Kymlicka et C. Straehle, « Cosmopolitanism, Nation-States and Minority Nationalism : A Critical (...)

14Kymlicka fait preuve de scepticisme à l’endroit des raisonnements favorables au développement de la démocratie au niveau international. Il doute notamment de la capacité de solidarités ponctuelles ou sectorielles, construites par les acteurs de la société civile, à soutenir des exigences plus contraignantes de coopération et de redistribution. Il utilise l’exemple des actions de Greenpeace, dans un passage que je me permets de citer longuement : « L’émergence d’identités transnationales autour d’enjeux spécifiques peut expliquer pourquoi les membres de Greenpeace sont prêts à consentir à des sacrifices en faveur de l’environnement à travers le monde, mais elle n’explique pas pourquoi les membres de Greenpeace sont prêts à faire des sacrifices en faveur, par exemple, des minorités ethnoculturelles de la planète, particulièrement de celles qui défendraient des pratiques dommageables pour l’environnement. La démocratie exige de trancher entre des intérêts conflictuels, et par conséquent elle fonctionne mieux quand il y a une sorte d’identité commune qui transcende ces intérêts conflictuels. Dans les États-nations, en principe, une identité nationale commune transcende les divergences entre groupes favorables au développement et groupes favorables à l’environnement, et rend possible un certain niveau de confiance et de solidarité entre ces groupes. On voit difficilement ce qui pourrait jouer ce rôle au niveau transnational19

  • 20  W. Kymlicka, « Citizenship in an Era of Globalization : Commentary on Held », dans I. Shapiro et C (...)

15La démocratie est un système de délibération et de légitimation collective. Les décisions issues de cette délibération sont légitimes « dans la mesure où elles reflètent la volonté pesée et le bien commun du peuple comme un tout […]. On peut soutenir que ces formes de délibération et de légitimation exigent un certain degré de similitude entre citoyens. La délibération politique collective n’est possible que si les participants se comprennent et se font confiance, et il y a de bonnes raisons de penser qu’une telle confiance et une telle compréhension mutuelle exigent des similitudes sous-jacentes. Un certain sens d’une similitude ou d’une identité partagée pourrait bien être nécessaire pour soutenir une démocratie délibérative et participative20

  • 21  Ibid., p. 122.
  • 22  W. Thaa défend une thèse similaire : les mécanismes majoritaires sur lesquels repose une partie im (...)

16De ce point de vue, ce ne sont pas les forces auxquelles les individus sont soumis qui définissent une communauté de destin : c’est l’identification des individus à un certain type de collectivité. C’est pourquoi la communauté politique linguistique nationale-territoriale demeure le forum premier de la démocratie dans le monde moderne : « La politique démocratique est la politique dans la langue vernaculaire21. » Cela conduit Kymlicka à conclure qu’il ne peut y avoir de forum important de délibération démocratique et de formation de la volonté collective au-delà de l’État22.

17Cela ne signifie absolument pas que Kymlicka s’oppose à une redistribution plus équitable de la richesse à l’échelle mondiale, ni qu’il néglige l’importance de la coopération internationale dans la résolution d’enjeux globaux. Ce dont il doute, c’est de la possibilité de mettre au point des mécanismes véritablement démocratiques à une autre échelle que celle de l’État national. Il insiste sur la nécessité de certaines conditions sous-jacentes à la délibération démocratique ; ainsi, la confiance reposerait sur le sentiment de partager des caractéristiques communes, éventuellement une identité.

18Si Kymlicka a raison, mais qu’on admet aussi l’argument selon lequel il faut étendre et complexifier les sphères de la démocratie, alors on se trouve devant un dilemme. La situation actuelle justifierait d’œuvrer à la démocratisation de certains domaines à l’échelle globale ; mais par ailleurs, le caractère par essence vernaculaire de la démocratie constituerait un obstacle insurmontable à cette entreprise de démocratisation. Je ne tiendrai pas compte ici de l’objection, à laquelle j’ai brièvement répondu plus haut, affirmant que les États introduisent un élément suffisant de légitimité démocratique (indirecte) dans le fonctionnement du système international. Il en est cependant une autre dont je n’ai pas encore tenu compte : celle selon laquelle on doive miser sur l’implication volontaire des organisations non gouvernementales (ONG) et des diverses associations de la société civile, ainsi que sur les pressions que peuvent exercer les citoyens à l’intérieur des États, quand ceux-ci sont démocratiques, pour réaliser des gains en matière de justice. Cette remarque dévoile des mécanismes importants du développement de solidarités élargies ; cependant, les efforts à ce niveau, s’ils sont fondamentaux et absolument nécessaires, ne suffisent pas. Notamment, si on n’institutionnalise pas la participation de certaines ONG, leur participation à la consultation et à la prise de décision dans les lieux où se prennent les décisions, la démocratisation dépendra toujours du bon vouloir de ceux qui contrôlent ces arènes.

19Au-delà de cette réserve, cependant, je voudrais insister ici sur trois raisons de nuancer la thèse avancée par Kymlicka du caractère national-étatique de la démocratie, trois raisons qui permettent d’être un peu plus optimiste quant à la possibilité de mettre au point des mécanismes élargis de solidarité sociale, de coopération et d’engagement démocratique. La thèse du caractère national-étatique de la démocratie, telle que la formule Kymlicka, se heurte en effet à trois obstacles : 1) elle se heurte à l’analyse des processus historiques de développement des solidarités étatiques nationales ; 2) elle se heurte aussi à la possibilité de configurations identitaires concomitantes (concurrentes ou complémentaires) ; 3) elle se heurte enfin au rôle joué par les institutions dans le développement et l’entretien de la confiance mutuelle. Examinons ces trois aspects successivement.

  • 23  A. Lecours et G. Nootens, « Le nationalisme majoritaire : un état des lieux », dans A. G. Gagnon, (...)

20La thèse de l’essence nationale-étatique de la démocratie ne tient pas compte de la dynamique historique concrète de construction des solidarités sociales, quand vient le moment d’analyser des mécanismes alternatifs ou complémentaires à ceux qui ont été développés dans l’État national. Deux choses sont particulièrement frappantes. D’abord, la réalité institutionnelle actuelle (par exemple, les mécanismes de redistribution incarnés par l’État providence) est présentée comme le résultat de la solidarité nationale-étatique. Or, en réalité, cette solidarité, qui s’incarne par exemple dans l’acceptation des mécanismes majoritaires et d’une certaine redistribution de la richesse, résulte historiquement de processus matériels (discursifs, notamment) de construction des identités. Ce sont bien souvent les rapports de force, leur stabilisation, leur inscription dans une normativité juridique, qui déterminent qui appartient au peuple. L’identification résulte notamment de processus de socialisation (par exemple, à l’école ou dans l’armée) qui jouent un rôle primordial dans le développement des mémoires nationales et du sentiment d’un destin partagé. Les processus de construction des identités nationales-étatiques comportent également, à des degrés divers, la répression ou l’occultation des minorités nationales (par exemple, par l’interdiction des langues régionales dans la France post-révolutionnaire), le développement de symboles et de narration (le nationalisme espagnol par exemple se réclame du processus de reconquête de la péninsule ibérique par les monarques catholiques aux dépens des populations maures), des mythes intégrateurs (par exemple, le mythe de la mobilité sociale dans la société étasunienne), et, éventuellement, l’État providence (qui imbrique l’identité nationale dans de nouvelles pratiques redistributives liées à l’idéal d’égalité)23. Dans un premier temps, donc, il faut rappeler le rôle des processus concrets, matériels, de construction des identités dont dépend la solidarité nationale.

  • 24  C. Tilly, Contention and Democracy in Europe, 1650-2000, Cambridge, Cambridge University Press, 20 (...)
  • 25  B. Jenkins et S. A. Sofos, « Nation and Nationalism in Contemporary Europe : A Theoretical Perspec (...)
  • 26  D. Archibuggi, « Cosmopolitan Democracy and its Critics : A Review », European Journal of Internat (...)

21D’autre part, le cadre institutionnel qui soutient actuellement les mécanismes de redistribution et de solidarité dans les démocraties libérales résulte de luttes sociales parfois acharnées pour la démocratisation du système politique et un partage plus équitable de la richesse. Il ne faut surtout pas négliger l’importance du rôle joué par ces luttes dans la démocratisation. Comme l’a montré C. Tilly, presque tous les mécanismes cruciaux pour la démocratisation (par exemple, l’ouverture de la participation politique, l’obtention du vote secret, le démantèlement du clientélisme, le développement de pratiques et structures uniformes entre autres au niveau de la taxation) comportent la contestation populaire (c’est-à-dire la présentation de revendications collectives par des acteurs politiquement constitués) comme causes, corrélats et effets24. Les élites ont volontiers utilisé l’identification à la nation et le « sentiment » national pour intégrer les classes populaires à l’ordre établi, par exemple en Europe entre 1870 et 191425. Mais elles n’ont offert ni l’extension des droits politiques, ni l’État providence sur un plateau d’argent. Archibuggi le rappelle fort bien, lorsqu’il écrit que « l’État providence ne s’est pas développé comme résultat de la compassion des élites, mais comme la conséquence de luttes sociales qui ont permis d’imposer la reconnaissance des droits politiques égaux des individus. C’est seulement lorsque les ouvriers eurent acquis des droits politiques qu’ils ont pu négocier des droits sociaux et économiques. Aujourd’hui, un enjeu similaire s’impose sur la scène internationale – établir la responsabilité des pays plus riches (et démocratiques) envers les pays plus pauvres (souvent non démocratiques) signifie identifier des canaux institutionnels (éventuellement démocratiques) permettant de relier les deux groupes (constituencies)26. » Ce qu’on a coutume d’appeler le « désengagement de l’État » illustre bien le fait que les acquis sociaux des classes populaires dépendent toujours d’un équilibre relatif dans le rapport de force.

  • 27  L’expression « paradigme westphalien » désigne la manière de penser le politique centré sur le mod (...)

22Pourquoi rappeler ce qui peut sembler si évident ? Parce que la thèse du caractère national-étatique de la démocratie ne rend pas compte de l’importance des luttes pour la démocratisation. Elle ne permet pas non plus, par conséquent, d’utiliser un « grand angle » pour évaluer le potentiel, la signification, les impacts des luttes et mobilisation qui se déroulent actuellement à l’échelle mondiale. Pensons par exemple au rôle fondamental joué par les ONG de défense des droits des femmes. Il n’y a pas effectivement un espace public global, doté de règles encadrant la prise de parole et assurant que les délibérations visent le bien commun. Les luttes se font autour d’enjeux spécifiques, sectoriels. Peut-on pour autant refuser de considérer les luttes menées par ces ONG comme une contribution à la démocratisation ? J’en doute fort. La thèse du caractère national-étatique de la démocratie empêche de voir en quoi les luttes à des échelles plus larges constituent des éléments de démocratisation de la vie internationale. Pour cela, il faut les évaluer à la lumière d’une analyse sociologique de la démocratisation (par exemple, celle effectuée par C. Tilly), plutôt que de les mesurer à l’aune du paradigme westphalien27. Il semble donc légitime de penser que la démocratie ne se réduit pas à la politique en langue vernaculaire, et que le partage de caractéristiques nationales communes ne résume pas la catégorie des potentiels de solidarité élargie.

23La thèse de l’essence nationale-étatique de la démocratie évacue a priori la possibilité d’identités concomitantes comme ressorts de démocratie et de solidarité. Selon Kymlicka, la confiance nécessaire à la délibération démocratique dépendrait en bonne partie du sentiment de partager des caractéristiques communes, éventuellement une identité. Il est exact que l’identité nationale continue de posséder un puissant potentiel de mobilisation. Elle demeure également au rang des attachements les plus significatifs pour nombre d’individus. Par contre, dans des contextes précis, où les désaccords entre États ne sont pas exacerbés et peuvent être résolus pacifiquement, il semble possible que les identités nationales s’inscrivent dans un « portrait » beaucoup plus complexe d’identifications et d’allégeances qui ne sont pas mutuellement exclusives et qui sont même complémentaires. La question des identités appelle donc d’une part un certain nombre de remarques théoriques sur la notion même d’identité, et d’autre part la mise en perspective du portrait monolithique de l’identité publique véhiculé par le modèle de l’État national, l’identité nationale. Ces remarques permettent de nuancer l’idée que la démocratie exige pour fonctionner une identité commune, et d’insister davantage sur le rôle des institutions et de l’espace public dans l’appui aux pratiques de coopération et de solidarité.

  • 28  R. Handler, « Is “Identity” a Useful Cross-Cultural Concept ? », dans J. R. Gillis (dir.), Commemo (...)
  • 29  M. B. Brewer, « The Many Faces of Social Identity : Implications for Political Psychology », Polit (...)

24Précisons d’abord ce qu’il faut entendre par « identité ». Le concept est complexe. Il est souvent utilisé sans beaucoup de précisions de sens ; et il a largement été associé, ces dernières années, à la reconnaissance de la multiplicité des groupes culturels présents dans les démocraties libérales. Comme le souligne Handler, le terme fait généralement référence à trois aspects de l’expérience humaine, soit les personnes comme individus, les collectivités/groupes que l’on présume individués un peu comme les personnes les unes par rapport aux autres, et les relations entre ces deux aspects (c’est-à-dire entre identités individuelles et identités de groupe). Parler de l’identité d’une personne ou d’un groupe c’est, communément, se référer à ces caractéristiques qui en font une entité unique28. Le concept d’identité sociale sert en fait à lier la psychologie individuelle (la représentation de soi) à la structure et aux fonctions des groupes sociaux dans lesquels l’individu s’inscrit29.

  • 30  Handler, art. cité, p. 29-30.

25L’une des difficultés de la notion d’identité vient du fait que les analyses contemporaines des identités collectives sont traversées par une tension entre une vision « essentialiste » de l’identité (suivant laquelle l’identité serait héritée, naturelle, immuable), d’une part, et l’idée que les identités sont construites et reconstruites par l’action historique, d’autre part. On a par exemple ce débat dans la littérature sur les nations et le nationalisme, entre ceux qu’on désigne comme les « pérennialistes » et ceux qu’on appelle les « modernistes ». En général, cependant, les cultures ne sont plus aujourd’hui considérées comme des entités individuées existant comme des objets naturels, dotés de frontières temporelles et spatiales claires. Les identités collectives sont plutôt perçues comme le résultat de processus symboliques qui émergent et se dissolvent dans des contextes particuliers, notamment par le biais de processus communicatifs30. J’ai brièvement mentionné plus haut en quoi les processus de socialisation, par exemple, contribuent à façonner les identités collectives, telle l’identité nationale.

  • 31  M. Kohli, « The Battelgrounds of European Identity », European Societies, vol. 2, no 2, 2000, p. 1 (...)
  • 32  Ibid.
  • 33  Ibid.

26En ce qui concerne plus précisément la question de savoir si la démocratie requiert une identité commune, Kohli rappelle que la sociologie est divisée sur la question de savoir si une communauté, politique ou sociale, exige nécessairement le sens répandu d’une identité collective31. Si les sociétés « tiennent » strictement par les résultats des échanges stratégiques basés sur des préférences individuelles ou des traits systémiques qui ne dépendent pas de l’action individuelle, alors un sens de l’attachement n’est pas nécessaire pour l’intégration sociale ; mais si les sociétés sont « intégrées » par la culture, alors « l’identité est un préalable fondamental pour que la société existe en tant que telle32 ». Concrètement, la vérité se situe quelque part entre ces deux réponses : l’identité et l’intérêt se renforcent mutuellement, en tant que motivations soutenant l’intégration sociale ; ils ne sont pas mutuellement exclusifs. Ainsi, les communautés politiques n’ont pas toujours besoin du potentiel de mobilisation attribué à la culture et à l’identité politique (d’autant plus que dans les démocraties modernes, les citoyens peuvent concevoir leurs loyautés comme le produit de la réflexion, plutôt que comme « naturelles »). Et les institutions jouent un rôle dans la construction des identités (c’est manifeste dans le cas des nations), bien que leur mise sur pied soit facilitée par l’existence préalable d’un certain sens de la communauté33. Ces remarques sont importantes pour le raisonnement avancé ici, puisqu’on ne peut pas compter sur la présence préalable d’un équi-valent de l’identité nationale à l’échelle globale pour constituer le fondement de pratiques de coopération élargies.

  • 34  M. Keating, The New Regionalism in Western Europe, op. cit. ; M. Keating, Plurinational Democracy. (...)
  • 35  Y. Soysal, « Locating European Identity in Education », dans A. Nóvoa et M. Lawn (dir.), Fabricati (...)
  • 36  M. Kohli, art. cité, p. 126.

27Deux catégories de travaux permettent d’étayer ces quelques remarques concernant la remise en cause du portrait monolithique de l’identité politique des individus (l’identité nationale-étatique comme précondition de la démocratie). D’une part, un certain nombre de chercheurs insistent sur les processus actuels de reterritorialisation (c’est-à-dire de redéploiement à des échelles territoriales diverses) des fonctions, de l’identité et de la vie sociale, ainsi que sur l’émergence de nouveaux systèmes de régulation territoriale et d’action collective. Ils insistent aussi sur la présence de cultures et d’identités nouvelles ou réémergentes, sur la pluralité des voies vers la modernité, sur la reconnaissance des identités multiples. C’est le cas notamment de Keating, de Loughlin et de Deschouwer34. D’autre part, Yasemin Soysal a montré, à partir d’une analyse des cursus et manuels scolaires de certains pays européens, que dans le cadre de la construction de l’Europe comme espace politique, l’identité européenne ne se substituait pas à la nation35. On tend plutôt à réinterpréter la nation comme le dépositaire des mêmes principes et idéaux que ceux qui sont associés à l’identité européenne (la démocratie, le progrès, l’égalité et les droits humains). Soysal signale trois processus importants à cet égard. Elle note d’abord la relativisation du caractère dramatique des narrations nationales ; ce processus a notamment comme corollaire que les tribus ancestrales sont présentées dans une perspective culturelle plutôt qu’héroïque (on insiste par exemple sur les réalisations artistiques et les rencontres entre cultures). Elle signale également la « domestication » des héros et des mythes, qui sont traités avec plus de détachement. Enfin, elle constate que les spécificités régionales apparaissent désormais comme des identités possibles dans une Europe des régions. On objectera certes que les eurobaromètres montrent que l’identité européenne n’a pas surclassé l’attachement au pays36.

  • 37  L. Hooghe et G. Marks, Multi-Level Governance and European Integration, Oxford, Rowman and Littlef (...)
  • 38  A. Follesdal, « Union Citizenship : Unpacking the Beast of Burden », Law and Philosophy, vol. 20, (...)

28Cependant, les mêmes eurobaromètres montrent aussi, d’une part, que les attachements territoriaux n’entrent pas en concurrence dans un jeu à somme nulle37 et, d’autre part, une croissance du degré de confiance entre individus des États membres de l’Union, entre 1976 et 1990 (bien que ce degré de confiance demeure moins élevé qu’entre citoyens d’un même État)38.

  • 39  Ibid., p. 317. Ce type de réciprocité n’est pas axé sur des personnes ou institutions précises, ni (...)

29La thèse de l’essence nationale-étatique de la démocratie néglige le rôle joué par les institutions dans le développement et l’entretien de la confiance mutuelle. J’ai déjà mentionné, en ce qui concerne la question des identités, le rôle joué par les institutions. Il faut élargir cette observation au rôle joué par les institutions dans le soutien de la confiance entre individus, dans une communauté politique. Des institutions appropriées peuvent contribuer à accroître la confiance mutuelle en socialisant les individus à des normes fondées sur la coopération inconditionnelle. En réalité, dans les États démocratiques libéraux, les contraintes institutionnelles ont joué, et continuent de jouer, un rôle fondamental dans la création et le maintien de la confiance mutuelle et de pratiques de solidarité. On voit mal pourquoi ce ne pourrait pas être le cas à d’autres échelles, surtout une fois qu’on adopte une vision nuancée des identités et de la variation de leur potentiel mobilisateur en fonction des contextes (on pourrait évidemment écarter certaines formes comme non réalisables ou non désirables, mais c’est une autre question). Il faut par conséquent rappeler que les institutions et les pratiques sociales jouent un rôle important dans l’élaboration de mécanismes susceptibles de soutenir la confiance mutuelle. Des lignes d’autorité claire, des mécanismes de surveillance et de sanction, réduisent généralement la tentation de resquiller ou de se soustraire à ses engagements. Une fois des cadres stables de coopération établis, la socialisation joue un rôle important dans la stabilité ; les institutions peuvent contribuer à accroître la confiance mutuelle en socialisant les individus à des normes fondées sur la coopération inconditionnelle. Elles peuvent ainsi soutenir non seulement la réciprocité générale (je suis prêt à faire quelque chose pour quelqu’un en sachant que plus tard cette même personne fera quelque chose pour moi), mais aussi une réciprocité de type impersonnel (A sait que s’il fait quelque chose pour B, un individu X agira aussi pour lui éventuellement)39.

30Il apparaît par conséquent prématuré de conclure à l’impossibilité de tels mécanismes de réciprocité et de confiance à une autre échelle que celle de l’État national en l’absence d’institutions aptes à les soutenir et à les développer. Prenons l’exemple des dons individuels à l’échelle internationale, par exemple à des organismes comme OXFAM ou la Croix-Rouge. Est-il approprié de dire que le fait que les individus paient leurs impôts mais donnent somme toute assez peu à ce type d’organismes s’explique par la présence de forts sentiments de solidarité et d’identification à leurs concitoyens dans l’État national ? J’ai plutôt le sentiment que la principale raison pour laquelle au Canada, par exemple, la plupart des individus paient leurs impôts est qu’ils sont obligés de le faire. Même les citoyens qui se sentent une obligation morale de le faire parce qu’ils croient par exemple à l’importance de systèmes publics et gratuits de santé et d’éducation ne répartiraient peut-être pas leur contribution de la même manière sans cette obligation. Il est par conséquent illusoire de penser qu’une redistribution plus équitable de la richesse à l’échelle internationale peut résulter strictement de l’action et de la motivation individuelles.

  • 40  W. Kymlicka, « Being Canadian », Government and Opposition, vol. 38, no 3, 2003, p. 379.
  • 41  Ibid., p. 381-382.

31Des textes plus récents de Kymlicka laissent penser qu’il a adopté une position plus nuancée sur le rôle de l’identité dans la confiance mutuelle entre citoyens, du moins pour ce qui est du Canada. Il constate en effet, dans un texte de 2003, intitulé « Être canadien », que l’importance accordée par un certain nombre de théories à la question des sources d’une identité pancanadienne est peut-être exagérée, et que la « capacité du Canada de fonctionner en tant que pays ne dépend peut-être pas d’une telle identité40 ». Une identité canadienne forte ne serait donc peut-être pas une condition indispensable à la coopération entre Canadiens dans des institutions communes. La confiance dépendrait bien plutôt du fait que les gens ont le sentiment que ces institutions sont dignes de leur confiance : « Le succès des institutions politiques à l’époque moderne dépend en bonne partie de la coopération active et volontaire des citoyens. Les commentateurs ont généralement tenu pour acquis que cette coopération active et volontaire ne se développe que si les citoyens s’identifient fortement à leur pays. Mais ce postulat est peut-être erroné. Peut-être que les citoyens coopèrent pour autant qu’ils considèrent que les institutions politiques sont dignes de confiance (c’est-à-dire qu’elles traitent les individus et les groupes de manière équitable) et efficaces (c’est-à-dire quelles fournissent de bons services). La force de l’identification au pays n’est peut-être pas la variable cruciale41. » À ma connaissance cependant, ce constat (qui s’imposait manifestement, dans le cas d’un pays comme le Canada) n’a pas amené Kymlicka à modifier explicitement ses réserves quant à la possibilité d’élargir les sphères de la démocratie à l’échelle internationale.

Conclusion

32La thèse du caractère national-étatique (ou essentiellement vernaculaire) de la démocratie souffre donc de lacunes importantes. Elle néglige la dynamique historique conflictuelle qui a donné naissance à l’équilibre précaire qui caractérise la démocratie libérale en matière de participation et de principes de justice. En fait, on peut penser qu’elle idéalise l’État national démocratique libéral des Trente Glorieuses. De plus, elle permet difficilement de rendre compte des mouvements actuels de démocratisation : elle présume que pour démocratiser la communauté globale, il faudrait que celle-ci présente des similitudes fortes avec ce que sont maintenant les États démocratiques libéraux au terme de deux ou trois siècles de luttes pour la démocratisation, d’une part, et de construction de la nation, d’autre part. S’il avait fallu tenir un raisonnement similaire aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, on aurait dès le départ renoncé à lutter pour démocratiser la vie politique et sociale des États libéraux.

33Les luttes pour la participation au pouvoir et la mise sur pied de mesures de redistribution font partie du mouvement de démocratisation, que ce soit à l’échelle étatique ou à d’autres échelles. Les revendications transnationales (par exemple, en matière de droits humains, de droits des femmes ou de protection de l’environnement) visent à prendre pied dans un espace public qui est aussi à construire, un espace public où (pour reprendre les critères de Tilly) la contestation serait ouverte et protégée, où les inégalités catégorielles ne constitueraient pas un obstacle à la participation, où les répertoires d’action seraient non pas locaux mais universels. Les luttes historiques pour la démocratisation montrent en effet qu’au-delà d’une présumée communauté de destin, ce sont bel et bien les forces auxquelles ils font face, et sur lesquelles ils veulent exercer un contrôle collectif pour maîtriser leur destin, qui rassemblent les individus dans leur contestation du pouvoir et de ses modalités d’exercice.

  • 42  Du point de vue de la théorie politique, c’est à la nation (comme demos) que les doctrines moderne (...)

34Les théories démocratiques modernes ont pris l’habitude de penser la démocratie sur la base de l’État territorial souverain, dans le cadre duquel elle s’est développée. D’où le curieux paradoxe d’une œuvre comme celle de Kymlicka, construite pour défendre l’État multinational et qui réaffirme pourtant que « la politique démocratique est la politique dans la langue vernaculaire ». Seule une présomption en faveur de l’État central, consolidé, peut expliquer cette ambiguïté. Ici, en effet, la question des frontières de la communauté des citoyens est aisément résolue par sa coïncidence avec les frontières territoriales ; c’est le peuple habitant à l’intérieur de ces frontières qui constitue la seule source légitime de l’autorité politique42.

  • 43  A. Franceschet, « Popular Sovereignty or Cosmopolitan Democracy ? Liberalism, Kant and Internation (...)
  • 44  « Puisqu’existe le devoir de modifier ces frontières pour les amener à correspondre graduellement (...)

35Les théoriciens de la démocratie cosmopolitique utilisent plutôt la mondialisation comme moyen de définir la communauté politique pertinente, pour éviter l’indétermination à laquelle ouvre la porte la simple stipulation du principe voulant que ce soient les individus concernés qui doivent décider. Cette posture ne règle pas nécessairement la question, ni ne permet d’écarter les nombreux enjeux liés à sa résolution (notamment, pour ceux dont le pouvoir est menacé par la possibilité d’un contrôle démocratique). Cependant, le cosmopolitisme a l’avantage d’associer la démocratie « à l’extension de la citoyenneté pour inclure les secteurs marginalisés de la société, et à la promotion de l’égalité des chances43 ». Les théoriciens du cosmopolitisme insistent sur le fait que la réalisation de l’autonomie dans les États est en dernier lieu dépendante des forces internationales, et de ce fait, vulnérable. En fait, ils rappellent vigoureusement que les principes matériels de justice doivent être pris en compte lorsqu’on détermine les frontières de la communauté politique44.

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Notes

1  D. Held, « The Transformation of Political Community : Rethinking Democracy in the Context of Globalization », dans I. Shapiro et C. Hacker-Cordon (dir.), Democracy’s Edges, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 90.

2  K. Banting et W. Kymlicka « Multiculturalism and Welfare », Dissent, automne 2003, p. 59-66 ; K. Banting, « Is a Multicultural Welfare State a Contradiction in Terms ? Master Narratives, Counter Narratives and the Politics of Diversity », présenté à l’International Sociological Association, Chicago, 8-10 septembre 2005.

3  K. Banting, « Is a Multicultural Welfare State a Contradiction in Terms ?», art. cité.

4  Il faudrait aussi s’interroger sur la répartition de la richesse à l’intérieur des démocraties libérales. L’ONU vient de rappeler la persistance, au Canada, des problèmes de pauvreté, de faim et de logement. Or, ce pays figure pourtant parmi les meilleurs lorsqu’on considère l’indice de développement humain. Le rapport du comité des droits économiques, sociaux et culturels insiste notamment sur les lacunes en matière de salaire minimum, de prestations d’aide sociale, de protection de l’assurance emploi et d’accès aux logements sociaux. Voir « L’onu sermonne le Canada pour sa mollesse dans la lutte contre la pauvreté », Le Devoir, mardi 23 mai 2006, p. A3. C’est sans compter les conditions de vie difficiles de nombreuses populations autochtones.

5  D. Heater, World Citizenship. Cosmopolitan Thinking and Its Opponents, Londres et New York, Continuum, 2002, p. 113.

6  L’idée centrale du cosmopolitisme est que tous les êtres humains sont égaux en tant que personnes morales et que les devoirs moraux ne sont pas limités par les frontières. Voir par exemple D. Heater, op. cit., p. 6, et A. Carter, The Political Theory of Global Citizenship, Londres, Routledge, 2001, p. 155. Il existe cependant différentes versions du cosmopolitisme ; Pogge distingue par exemple le cosmopolitisme moral du cosmopolitisme juridique (T. Pogge, « Cosmopolitanism and Sovereignty », Ethics, vol. 103, no 1, 1992, p. 49). Les travaux bien connus de David Held se situent dans l’optique d’un cosmopolitisme institutionnel, qui mise sur l’enchâssement d’un droit public cosmopolite et l’imbrication des États dans une démocratie à plusieurs niveaux pour réaliser l’idéal d’autonomie individuelle (voir par exemple D. Held, Democracy and the Global Order. From the Modern State to Cosmopolitan Governance, Stanford, Stanford University Press, 1995).

7  R. Bellamy et D. Castiglione, « The Uses of Democracy : Reflections on the European Democratic Deficit », dans E. O. Eriksen et J. E. Fossum (dir.), Democracy in the European Union. Integration through Deliberation, Londres et New York, Routledge, 2000, p. 70.

8  L’étendue de ce principe est cependant sujette à débats. Il faut y inclure les droits individuels fondamentaux reconnus par la tradition libérale, telles la liberté de conscience, de religion, d’association, etc., droits qui n’imposent pas nécessairement de devoir positif à l’État (quoique la rectification de certaines inégalités systémiques puisse exiger des pratiques de discrimination positive). L’argument de Kymlicka sur l’importance de la culture dans le développement de l’autonomie individuelle, de pair avec la dénonciation du mythe de la neutralité ethnoculturelle des démocraties libérales, constitue un argument libéral permettant de justifier l’attribution de droits particuliers à des individus membres de certaines minorités culturelles. Les catégories précises de droits et la forme qu’ils prennent ne peuvent cependant être en dernier lieu déterminées que par l’argumentation sur des cas particuliers. Précisons que je ne considère pas que la reconnaissance des « identités » condamne à une posture relativiste. La reconnaissance de droits est en effet intimement liée aux raisons justifiant l’existence d’un tel droit, ce qui exclut d’autoriser n’importe quoi. Les limites de la liberté d’expression en constituent un excellent exemple.

9  T. Pogge, « Creating Supra-National Institutions Democratically : Reflections on the European Union’s “Democratic Deficit” », The Journal of Political Philosophy, vol. 5, no 2, 1997, p. 179.

10  M. Zürn, « Global Governance and Legitimacy Problems », Government and Opposition, vol. 39, no 2, 2004, p. 260-287.

11  Ibid., p. 268-269 ; J. G. Ruggie, « Reconstituting the Global Public Domain. Issues, Actors, and Practices », European Journal of International Relations, vol. 10, no 4, 2004, p. 499-531.

12  Voir notamment M. Keating, The New Regionalism in Western Europe. Territorial Restructuring and Political Change, Cheltenham/Northampton, Edward Elgard, 1998, p. 75. Held insiste plus spécifiquement sur quatre difficultés qui expliquent qu’on ait du mal à régler les problèmes à l’échelle globale : l’absence de division claire du travail entre les agences gouvernementales internationales ; l’inertie/incapacité de ces agences à trouver des solutions collectives ; le déficit d’imputabilité dû au déséquilibre du pouvoir 1) entre États, 2) entre États et acteurs non étatiques ; la présence d’enjeux transétatiques de plus en plus nombreux. Ces difficultés indiquent, suivant ses termes, une rupture de la congruence entre ceux qui prennent les décisions et ceux qui s’y conforment, ou encore une rupture du principe d’équivalence. Ce dernier veut que « la portée des coûts et bénéfices d’un bien corresponde à l’étendue de la juridiction à l’intérieur de laquelle les décisions qui concernent ce bien sont prises. Dans sa plus simple expression, le principe suggère que ceux qui sont touchés de manière significative par un bien ou un mal global devraient être consultés relativement à son pouvoir » (D. Held, « Democratic Accountability and Political Effectiveness from a Cosmopolitan Perspective », Government and Opposition, vol. 32, no 2, 2004, p. 371).

13  K. D. Wolf, « The New Raison d’État as a Problem for Democracy in World Society », European Journal of International Relations, vol. 5, no 3, 1999, p. 333-363.

14  R. Chung, « Domination à l’ère de la mondialisation », dans G. Nootens (dir.), « Diversité, mondialisation, justice. La philosophie politique devant les grands enjeux contemporains », Bulletin d’histoire politique, vol. 12, no 3, 2004, p. 17.

15  Ibid., p. 19-20.

16  Des formes injustes de domination sont « des formes d’interférence et de coercition qui sont insidieuses et arbitraires dans le cadre de relations inégales de pouvoir » (ibid., p. 18).

17  Ibid., p. 16. « Selon Pettit, une relation de domination se forme lorsque quelqu’un a la capacité d’interférer dans la liberté d’action d’autrui, de telle sorte que la gamme des options disponibles, les gains, les coûts et les conséquences liés à chacune de ces options sont conditionnés à l’avantage de celui qui exerce de manière arbitraire le pouvoir de déterminer les contextes de choix et de décision. Ce pouvoir de domination consiste en des formes sournoises ou manifestes, mais toujours coercitives, d’interférence arbitraire. On entend par là que l’agent ne tient aucunement compte des intérêts propres de celui qui sera asservi et s’en remet à sa propre justification de son emprise et de son empire. […] Les relations de domination reposent donc fondamentalement sur l’inégalité des pouvoirs de négociation, inégalité engendrée par l’inégalité des ressources de domination » (ibid., p. 19).

18  Voir G. Nootens, Désenclaver la démocratie. Des huguenots à la paix des Braves, Montréal, Québec Amérique, 2004.

19  W. Kymlicka et C. Straehle, « Cosmopolitanism, Nation-States and Minority Nationalism : A Critical Review of Recent Literature », European Journal of Philosophy, vol. 7, no 1, 1999, p. 83.

20  W. Kymlicka, « Citizenship in an Era of Globalization : Commentary on Held », dans I. Shapiro et C. Hacker-Cordon (dir.), Democracy’s Edges, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 119.

21  Ibid., p. 122.

22  W. Thaa défend une thèse similaire : les mécanismes majoritaires sur lesquels repose une partie importante de la prise de décision en démocratie seraient particulièrement dépendants de conditions cognitives et identitaires capables de soutenir les exigences de la redistribution et la réciprocité caractéristiques de la démocratie libérale contemporaine (W. Thaa, « “Lean Citizenship” : The Fading Away of the Political in Transnational Democracy », European Journal of International Relations, vol. 7, no 4, 2001, p. 503-523.). Soulignons qu’il y a déjà un glissement dans l’argument de Kymlicka lorsqu’on passe de l’affirmation du caractère vernaculaire de la démocratie à l’argument qu’il n’y a pas de lieu significatif de délibération et de formation de la volonté collective au-delà de l’État. Les deux affirmations ne sont pas équivalentes, à plus forte raison lorsqu’on a affaire à des États multinationaux, l’objet privilégié d’analyse de Kymlicka. À mon sens, cela s’explique par la présence d’un a priori en faveur de l’État consolidé ; voir G. Nootens, « Liberal Nationalism and the Sovereign Territorial Ideal », Nations and Nationalism, vol. 12, no 1, janvier 2006, p. 35-50. C’est pourquoi dans la suite de ce texte je parle de la thèse du caractère « national-étatique » de la démocratie, plutôt que de son caractère vernaculaire.

23  A. Lecours et G. Nootens, « Le nationalisme majoritaire : un état des lieux », dans A. G. Gagnon, A. Lecours et G. Nootens, Les nationalismes majoritaires contemporains, Montréal, Québec Amérique, 2007, p. 19-45.

24  C. Tilly, Contention and Democracy in Europe, 1650-2000, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 8.

25  B. Jenkins et S. A. Sofos, « Nation and Nationalism in Contemporary Europe : A Theoretical Perspective », dans B. Jenkins et S. A. Sofos (dir.), Nation and Identity in Contemporary Europe, Londres et New York, Routledge, 1996, p. 9-32.

26  D. Archibuggi, « Cosmopolitan Democracy and its Critics : A Review », European Journal of International Relations, vol. 10, no 3, 2004, p. 464.

27  L’expression « paradigme westphalien » désigne la manière de penser le politique centré sur le modèle de l’État territorial souverain, souveraineté à la fois externe et interne. Les traités de Westphalie (1648) instituent à la fois le principe cuius regio, eius religio (telle la religion du prince, telle celle du royaume) et la reconnaissance mutuelle de ce principe comme base du système d’États européen ; autrement dit, ils incarnent l’interdépendance entre l’affirmation de la souveraineté comme contrôle d’un territoire par un dirigeant, d’une part, et la reconnaissance de la souveraineté comme principe constitutif du système d’États, d’autre part. D’où l’adjectif « westphalien » pour désigner un système international qui est d’abord un système inter-étatique fondé sur cette reconnaissance, fût-elle de principe.

28  R. Handler, « Is “Identity” a Useful Cross-Cultural Concept ? », dans J. R. Gillis (dir.), Commemorations. The Politics of National Identity, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 28. Handler rappelle également que cette manière de comprendre l’identité est particulière à l’Occident moderne (p. 31).

29  M. B. Brewer, « The Many Faces of Social Identity : Implications for Political Psychology », Political Psychology, vol. 22, no 1, 2001, p. 115-125.

30  Handler, art. cité, p. 29-30.

31  M. Kohli, « The Battelgrounds of European Identity », European Societies, vol. 2, no 2, 2000, p. 118.

32  Ibid.

33  Ibid.

34  M. Keating, The New Regionalism in Western Europe, op. cit. ; M. Keating, Plurinational Democracy. Stateless Nations in a Post-Sovereignty Era, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; M. Keating, J. Loughlin et K. Deschouwer, Culture, Institutions and Economic Development. A Study of Eight European Regions, Cheltenham/Northampton, Edward Elgar, 2003.

35  Y. Soysal, « Locating European Identity in Education », dans A. Nóvoa et M. Lawn (dir.), Fabricating Europe. The Formation of an Education Space, Londres, Kluwer Academic Publishers, 2002, p. 55-66.

36  M. Kohli, art. cité, p. 126.

37  L. Hooghe et G. Marks, Multi-Level Governance and European Integration, Oxford, Rowman and Littlefield Publishers, 2001, p. 55.

38  A. Follesdal, « Union Citizenship : Unpacking the Beast of Burden », Law and Philosophy, vol. 20, 2001, p. 314.

39  Ibid., p. 317. Ce type de réciprocité n’est pas axé sur des personnes ou institutions précises, ni n’est une question de choix stratégique conscient.

40  W. Kymlicka, « Being Canadian », Government and Opposition, vol. 38, no 3, 2003, p. 379.

41  Ibid., p. 381-382.

42  Du point de vue de la théorie politique, c’est à la nation (comme demos) que les doctrines modernes de la souveraineté populaire vont identifier la communauté des citoyens. La nation permit de résoudre l’aporie découlant du fait que le peuple lui-même n’est pas défini démocratiquement : la démocratie présuppose que l’on ait déjà déterminé qui sont ceux qui participent à la prise de décision. Voir notamment à ce sujet : I. Hont, « The Permanent Crisis of a Divided Mankind : “Contemporary Crisis of the Nation State” in Historical Perspective », Political Studies, vol. 42, 1994, p. 166-231 ; S. Näsström, « What Globalization Overshadows », Political Theory, vol. 31, no 6, décembre 2003, p. 808-834 ; B. Yack, « Popular Sovereignty and Nationalism », Political Theory, vol. 29, no 4, 2001, p. 517-536. L’indétermination du constituant risque en effet d’ouvrir la porte à une régression infinie (qui détermine qui doit décider démocratiquement ?).

43  A. Franceschet, « Popular Sovereignty or Cosmopolitan Democracy ? Liberalism, Kant and International Reform », European Journal of International Relations, vol. 6, no 2, 2000, p. 289.

44  « Puisqu’existe le devoir de modifier ces frontières pour les amener à correspondre graduellement avec les buts inhérents à la dignité profonde de chaque membre de l’espèce humaine » (ibid., p. 297). De manière très générale, les principes matériels de justice spécifient les caractéristiques sur la base desquelles les individus doivent recevoir un traitement égal. Ils varient évidemment en fonction des théories de la justice adoptées.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Geneviève Nootens, « Démocratie, solidarité et mondialisation »Éthique publique [En ligne], vol. 9, n° 1 | 2007, mis en ligne le 11 septembre 2015, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/1793 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.1793

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Auteur

Geneviève Nootens

Geneviève Nootens est professeur de science politique à l’université du Québec à Chicoutimi et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la démocratie et la souveraineté.

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