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Éthiques et politiques de l'aménagement de la diversité culturelle et religieuse

La gestion de la diversité nationale au Canada, en Espagne et en Grande-Bretagne

Montserrat Guibernau

Résumés

Cet article se penche sur l’impact que la dévolution a sur les identités nationales en posant deux questions importantes. Premièrement, il cherche à savoir si la dévolution favorise l’émergence d’identités doubles – régionale et nationale – à l’intérieur d’un État et, deuxièmement, si la dévolution encourage la sécession ou si, au contraire, il s’agit d’une stratégie permettant d’accommoder la diversité nationale contenue à l’intérieur d’un État. Pour répondre à ces questions, l’auteur compare trois démocraties occidentales de tendance libérale – le Canada, l’Espagne et la Grande-Bretagne – qui comprennent toutes des minorités nationales territorialement définies – parmi lesquelles le Québec, la Catalogne et l’Écosse – dotées d’une identité très forte fondée sur leur croyance en une origine ethnique et historique propre.

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Notes de la rédaction

Texte traduit par Jean-François Caron.

Texte intégral

1Au cours des dernières années, la prolifération de mouvements nationalistes sans État, comme la Catalogne, l’Écosse, la Flandre, le pays de Galles, le Pays basque et le Québec, a forcé les analystes à se demander si la dévolution est ou non une menace pour l’unité nationale de l’État qui englobe ces minorités.

2Cet article se penche sur l’impact que la dévolution a sur ces identités nationales en posant deux questions. Premièrement, il cherche à savoir si la dévolution favorise l’émergence d’identités doubles – régionale et nationale – à l’intérieur d’un État et, deuxièmement, si elle prépare le terrain à la sécession ou si, au contraire, il s’agit d’une stratégie permettant d’aménager la diversité nationale contenue à l’intérieur d’un État.

3Cet article compare trois démocraties occidentales de tendance libérale – le Canada, l’Espagne et la Grande-Bretagne – qui comprennent toutes des minorités nationales territorialement définies – parmi lesquelles le Québec, la Catalogne et l’Écosse – dotées d’une identité très forte fondée sur la croyance en une origine ethnique et historique propre. La réponse à la diversité, dans ces trois cas, a été chaque fois différente : le Canada a opté pour une structure fédérale, l’Espagne a mis en place une dévolution symétrique et la Grande-Bretagne – le seul de ces États à avoir reconnu sa composition multinationale – a instauré une dévolution asymétrique.

Le Canada : le nationalisme québécois en tant que phénomène récurrent

4Dans les années 1960, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau (1968-1979 et 1980-1984), a mis en marche un processus de nation building canadien dont l’objectif consistait à contrer le nationalisme québécois en faisant la promotion de l’idée d’une égalité entre les provinces. Ses politiques eurent un certain succès au Québec jusqu’en 1982, année où le gouvernement fédéral a, sans le consentement du Québec, rapatrié la constitution canadienne tout en y incorporant une nouvelle charte des droits et libertés. Les tentatives subséquentes pour satisfaire le Québec en le reconnaissant comme « société distincte » ont toutes échoué.

  • 1  Le gouvernement Lévesque a formulé ses propositions dans le document : « Quebec-Canada : A New Dea (...)
  • 2  Bureau du directeur général des élections du Québec, Rapport préliminaire des résultats du dépouil (...)
  • 3  Pour une série de propositions sur la réconciliation entre le Québec et le Canada, voir R. Gibbins (...)

5Le référendum du 30 octobre 1995 sur la souveraineté du Québec et sur le maintien d’un partenariat avec le reste du Canada (rest of Canada ou ROC)1 ne fut perdu par les tenants du « oui » que par 54 288 voix permettant ainsi au camp du « non » de l’emporter par une majorité de 1,16 pour cent2. Ce résultat serré donna lieu à deux réactions dans le ROC: d’une part, une incompréhension des causes ayant mené à un pourcentage des voix aussi élevé en faveur du « oui » et, d’autre part, à un sentiment de colère face à ce quasi-éclatement du Canada. Le résultat du référendum contribua également à jeter une ombre sur la possibilité pour le Québec de se développer et d’évoluer à l’intérieur de la conception trudeauiste d’un Canada bilingue et multiculturel3.

  • 4  A. C. Cairns, « Looking Back from the Future », dans J. E. Trent et al. (dir.), Quebec-Canada : Wh (...)
  • 5  J. Dion, « Un bureau d’information vantera les vertus de Canada », Le Devoir, 10 juillet 1996.

6Les élites politiques et intellectuelles à l’extérieur du Québec4 envisagèrent deux réponses possibles à la quasi-victoire du « oui ». La première, le « plan A », cherchait à satisfaire aux exigences du Québec, mais cette ouverture initiale cessa brusquement en 1996 lorsque le gouvernement Chrétien se tourna plutôt vers une attitude de tendance trudeauiste. Celle-ci passait par la création du bureau d’information du Canada avec un budget de vingt millions de dollars et dont l’objectif consistait à faire la promotion de l’unité et de l’identité canadiennes5.

  • 6  F. Rocher et N. Verrelli, « Constitutional Democracy in Canada : From the Canadian Supreme Court R (...)

7La deuxième réponse, le « plan B », précisait également la manière dont le gouvernement canadien devrait réagir à une éventuelle majorité en faveur de la souveraineté du Québec lors d’un futur référendum. Afin de faire face à une multitude de critiques à son endroit, le gouvernement fédéral adressa, en 1996, trois questions à la Cour suprême du Canada concernant la capacité du Québec de procéder à sa sécession unilatérale, en regard du droit constitutionnel canadien6. La cour rendit sa décision en 1998 : le Québec ne pouvait agir de la sorte.

  • 7  Ibid., p. 209.
  • 8  A. Noël, « Without Quebec : Collaborative Federalism with a Footnote », Policy Matters, vol. 1, no (...)
  • 9  A. Lajoie, « The Clarity Act in Its Context », dans A.-G. Gagnon (dir.), Quebec : State and Societ (...)

8L’analyse détaillée de la décision de la cour indiquait que le projet sécessionniste était légitime seulement s’il était appuyé par une majorité claire de Québécois qui répondraient à une question claire : « Pour être considérés comme l’expression de la volonté démocratique, les résultats d’un référendum doivent être dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l’appui reçu. » Le tribunal ajouta que la légitimité démocratique de ce projet impliquait l’obligation constitutionnelle du reste du pays de négocier dans la mesure où l’« ordre constitutionnel canadien existant ne pourrait demeurer indifférent devant l’expression claire d’une majorité claire de Québécois de leur désir de ne plus faire partie du Canada7 ». Cette obligation reposait sur quatre principes fondamentaux : le fédéralisme8, la démocratie, le constitutionnalisme ainsi que la règle de droit et la protection des minorités. En outre, conformément à la Loi sur la clarté (C-20), le gouvernement canadien devenait le seul juge de ce qui constitue une question « claire » et une majorité « claire »9.

  • 10  M. Seymour, « Quebec Nationalism and Canadian Federalism », dans http://pages.infinit.net/mseymour (...)

9Au Québec, les débats entourant les conséquences et la signification du jugement de la Cour suprême furent accompagnés d’une opposition encore plus grande aux politiques de nation building mises en place par Ottawa, considérées par plusieurs Québécois comme contraires à l’esprit du fédéralisme. Parmi ces mesures, pensons à l’entente-cadre sur l’Union sociale (1999), les fonds sur l’innovation et les bourses d’étude du millénaire10.

Les Canadiens : en faveur du fédéralisme malgré l’insatisfaction à l’égard du gouvernement

  • 11  Opinion Canada, vol. 5, no 17, 8 mai 2003, http://www.cric.ca, consulté le 5 mars 2004.

10Même s’il n’existe aucun mouvement important remettant en question la structure fédérale du Canada dans le ROC, le Portraits of Canada Survey11 démontre que les citoyens dans sept des dix provinces canadiennes se sentent injustement traités par le gouvernement fédéral, avec une insatisfaction record de 84 % à Terre-Neuve-et-Labrador et de 55 % au Québec. Par ailleurs, 83 % des citoyens du ROC et 80 % des Québécois considèrent que le gouvernement fédéral est « trop lent » pour mettre en place les changements nécessaires.

  • 12  Opinion Canada, vol. 5, no 39, 6 novembre 2003, http://www.cric.ca, consulté le 5 mars 2004.

11Selon Federation Watch12, 75 % des Québécois sont favorables à ce que leur gouvernement provincial joue un rôle actif afin que la fédération canadienne réussisse à fonctionner plus efficacement, alors que 19 % s’y opposent. Il est encore plus significatif de constater que 61 % des Québécois croient que le fédéralisme peut satisfaire à la fois le Québec et le ROC, un pourcentage qui est demeuré inchangé depuis 1998. Tout aussi inchangé fut, sur la période 1998-2003, le pourcentage des Québécois (49 %) en accord avec le fait que « le fédéralisme canadien offre plus d’avantages que de désavantages pour le Québec ». Interrogés au sujet de leurs préférences, 41 % des Québécois souhaitaient un renouvellement du fédéralisme et 30 % se déclaraient en faveur d’une « souveraineté-partenariat » avec le Canada. Ceux qui se montraient favorables au statu quo représentaient 16 % de la population québécoise et seulement 8 % se déclaraient en faveur de l’indépendance pure et simple. Si un référendum portant sur la souveraineté et le partenariat avait été tenu en septembre 2003, 47 % des Québécois auraient vote « oui » et 53 % « non ». À la question de savoir de quelle manière ils voteraient si le référendum ne faisait aucune mention de partenariat mais portait uniquement sur la souveraineté du Québec, 38 % auraient opté pour le « oui », 54 % pour le « non » (8 % étaient indécis).

12Ces données s’opposent brutalement à celles contenues dans Portraits of Canada 2004. Selon ces dernières, les intentions de vote en faveur de la souveraineté-partenariat avec le ROC étaient de 49 %, c’est-à-dire son niveau le plus élevé depuis le début du recensement de ces données par l’organisme en 1998. Au moment d’écrire ces lignes, un nouveau sondage CROP-La Presse de juillet 2005 démontrait que 55 % des Québécois auraient voté « oui » si un référendum portant sur la souveraineté-partenariat avait été tenu, ce qui correspondait à une hausse historique depuis le référendum de 1995.

13Les données étudiées ici tendent à démontrer un appui au fédéralisme canadien, malgré une attitude critique des citoyens à l’endroit du gouvernement fédéral. Elles illustrent également un appui très important au Québec à l’égard du fédéralisme tout en étant associé à une hausse record de l’appui à la souveraineté-partenariat en 2004 et 2005. Il importe cependant de noter que la souveraineté et le partenariat ne signifient nullement l’indépendance totale du Québec. Cet appui signifie plutôt ce que j’appellerais une « indépendance limitée » qui implique la souveraineté associée à un partenariat politique et économique avec le Canada.

L’Espagne : transition vers la démocratie et dévolution symétrique

  • 13  B. de Riquer et J. B. Culla, El Franquisme i la Transició Democràtica (1939-1988), vol. vii de P. (...)
  • 14  Voir P. Preston, The Triumph of Democracy in Spain, Londres, Routledge, 1986 ; P. Preston, Juan Ca (...)

14Après quarante ans de dictature, la constitution de 1978 a fourni un nouveau cadre politique à l’intérieur duquel les Espagnols peuvent organiser leur vie. L’un des principaux problèmes qu’a dû affronter le nouveau régime a été la question nationale, particulièrement vive en Catalogne et au Pays basque13. La nouvelle constitution transformait radicalement les structures centralisées et non démocratiques du régime franquiste et rendait possible la création d’un système de communautés autonomes fondé sur la dévolution symétrique. L’absence de violence lors de la transition démocratique, l’acceptation presque immédiate de l’Espagne à l’intérieur de l’OTAN et de la Communauté européenne (maintenant l’Union européenne), ainsi que la rapide croissance économique engendrée par la nouvelle dynamique sociopolitique ont formé un contraste saisissant avec l’Espagne arriérée et conservatrice des années Franco14.

  • 15  E. Fossas, « Asimetría y Plurinacionalidad en el Estado Autonómico », dans E. Fossas et F. Requejo (...)
  • 16  M. Guibernau, Catalan Nationalism : Francoism, Transition and Democracy, Londres, Routledge, 2004, (...)

15Les rédacteurs de la constitution ont opté pour un modèle reposant sur la dévolution symétrique, ce qu’on a traduit dans la formule du « café pour tous » (café para todos)15. Plutôt que de répondre aux revendications particulières de la Catalogne et du Pays basque – ces régions étaient des nations qui avaient été en mesure de jouir de leurs propres lois et institutions jusqu’au dix-huitième siècle et elles avaient depuis maintenu leur identité culturelle et linguistique –, on a plutôt décidé de diviser l’Espagne en dix-sept communautés autonomes16. Certaines d’entre elles étaient historiquement et culturellement distinctes – la Catalogne, le Pays basque et la Galice –, mais les autres étaient ainsi créées artificiellement sans qu’aucune identité distincte ne leur soit rattachée – La Rioja et Madrid. Alors que la Catalogne, le Pays basque et la Galice purent ainsi mettre en branle immédiatement le processus menant à leur autonomie, les autres régions devaient attendre cinq ans « d’autonomie restreinte » avant de pouvoir profiter d’une autonomie identique à celle des trois autres. Une fois l’autonomie pleinement réalisée, la constitution ne faisait aucune distinction entre les différentes communautés.

  • 17  F. Requejo, « Democràcia, Partits i Escenaris de Futur », Idées, no 6, avril-juin 2000, p. 108-114 (...)
  • 18  M. Keating, « Asymmetrical Government : Multinational States in an Integrating Europe », Publius : (...)

16Actuellement, les Catalans et les Basques ne sont pas tout à fait satisfaits avec cette dévolution symétrique et manifestent le désir d’être reconnus en tant que nations à l’intérieur de l’Espagne17. Ils demandent une plus grande autonomie et se montrent peu enthousiastes à l’égard de la logique du « café pour tous »18. Les pressions en vue de modifier la nature de la dévolution ainsi que les arrangements financiers qui y sont associés se font de plus en plus fortes dans les communautés autonomes, parmi lesquelles la Catalogne, le Pays basque, l’Andalousie et les îles Baléares.

  • 19  Ce projet a été lancé le 27 septembre 2002 par José María Ibarretxe, lehendakari ou président du g (...)

17En Catalogne, l’insatisfaction concernant le fonctionnement actuel de la dévolution a mené à l’élaboration d’un nouveau statut d’autonomie sanctionné en juin 2006. Pour sa part, le gouvernement basque a mis en place le plan Ibarretxe qui a déjà reçu l’appui du parlement basque mais qui a été rejeté par le gouvernement espagnol. Ce plan proposait que le Pays basque devienne un « État libre » associé avec l’Espagne, c’est-à-dire un projet qui n’allait pas jusqu’à reconnaître son indépendance à l’intérieur des frontières de l’Union européenne19 et qui se rapprochait du projet québécois de souveraineté-partenariat. Un nombre important de Catalans et de Basques se montrent favorables à un projet politique reposant sur la dévolution asymétrique, ce qui impliquerait la reconnaissance du statut distinct des nationalités historiques – la Catalogne, le Pays basque et la Galice. À leur sens, un tel arrangement aurait pour avantage de refléter la nature multinationale, multiculturelle et multilinguistique de l’Espagne d’une manière beaucoup plus proche de sa réalité.

Les Espagnols en faveur de la dévolution

18Un sondage d’opinion (2003) indique qu’une majorité d’Espagnols sont en désaccords avec un modèle d’État unitaire. La communauté autonome qui se montre la plus favorable à cette idée est la Murcie où une proportion de 19 % de ses citoyens se disent en faveur d’un seul gouvernement central en Espagne. Les taux les plus bas ont été enregistrés en Navarre et au Pays basque (2 %), en La Rioja (5 %), en Andalousie (6 %) de même qu’en Catalogne et en Galice (7 %). Ces données démontrent que les nationalités historiques sont fortement opposées à l’idée d’un État espagnol unitaire. Curieusement, une nouvelle communauté comme celle de la Rioja partage également une telle position tout comme l’Andalousie, une région où l’on voit tranquillement apparaître un sentiment identitaire distinct.

19Une majorité d’Espagnols appuient le modèle actuel de dévolution. Encore une fois, c’est dans la nouvelle communauté de La Rioja que l’on atteint le taux le plus élevé d’acceptation du statu quo (66 %). À Madrid, qui est également une nouvelle communauté, les chiffres sont de 60 %. C’est en Catalogne (28 %) que l’on retrouve l’adhésion la moins élevée à la dévolution actuelle et dans le Pays basque (30 %).

20Cependant, un pourcentage assez significatif d’Espagnols se montrent en faveur d’une plus grande dévolution vers les communautés autonomes. C’est en Catalogne que l’on retrouve l’appui le plus important à cet égard (42 %), et le plus faible à Madrid (13 %).

21À l’inverse, c’est dans le Pays basque (23 %) et en Catalogne (17 %) que l’on fait le meilleur accueil à un modèle étatique qui reconnaîtrait le droit à ses communautés autonomes de devenir des nations indépendantes. L’appui le plus faible à cette idée est en Mucie (0 %), puis en La Rioja, en Extrémadure, en Castille-La Mancha, dans les Asturies, en Aragon (1 %), et en Andalousie et en Castille-Léon (2 %). Quant à Madrid, 4 % des individus interrogés s’y montrent favorables.

  • 20  J. R. Resina, « Post-National Spain ? Post-Spanish Spain ? », Nations and Nationalism, vol. 8, no  (...)

22Pour résumer, une majorité d’Espagnols appuient la système actuel de dévolution. En Espagne, la dévolution n’a pas eu pour conséquence de renforcer le séparatisme, mais a nourri le désir d’une plus grande autonomie en Catalogne et dans le Pays basque. Il serait toutefois simpliste d’établir une corrélation directe entre les deux et d’ignorer l’importance de la frustration que les nationalités historiques – en particulier la Catalogne et le Pays basque – ressentent face au contenu, à la vitesse et aux arrangements financiers provenant du processus de dévolution mis en place à la fin des années 1970 et au début des années 1980. De plus, les politiques néoconservatrices et néocentralisatrices ainsi que l’attitude du gouvernement Aznar ont sans aucun doute contribué à radicaliser le nationalisme régional en Espagnol et à nourrir indirectement le séparatisme20.

  • 21  En 2003, le ERC a réussi à doubler ses résultats de 1999. Il a ainsi obtenu un nombre record de 23 (...)

23C’est sous le gouvernement Aznar que le plan Ibarretxe d’un État basque associé à l’Espagne a été élaboré. En Catalogne, la montée spectaculaire des appuis au seul parti catalan favorable à l’indépendance, le Esquerra Republicana de Catalunya (la Gauche républicaine de Catalogne ou ERC), s’est également produite sous le gouvernement Aznar. Ce mouvement pour l’indépendance est demeuré fort et le ERC représente toujours la troisième force politique au parlement catalan aux élections du 1er novembre 2006. Il importe de noter que le ERC prône l’indépendance de la Catalogne à l’intérieur de l’Union européenne21. Dans les deux cas, l’attitude et les politiques du gouvernement Aznar ont grandement contribué à exacerber les sentiments nationalistes. Notons toutefois que d’autres facteurs, tant nationaux qu’internationaux, ont également eu une influence sur ce phénomène. L’analyse d’une telle question ne relève cependant pas des objectifs de cet article.

Grande-Bretagne : le gouvernement travailliste et la dévolution asymétrique

24À son arrivée au pouvoir (1997), le Parti travailliste a décidé de mettre en place un modèle de dévolution asymétrique permettant des degrés différents d’autonomie à l’Écosse, au pays de Galles et à l’Irlande du Nord. Ce faisant, le gouvernement tentait de répondre aux différentes demandes de dévolutions fondées sur les identités nationales particulières de la Grande-Bretagne.

  • 22  J. Osmond, « A Constitutional Convention by Other Means : The First Year of the National Assembly (...)

25Le modèle britannique diffère beaucoup des dévolutions symétriques mises en place en Allemagne après la seconde guerre mondiale où tous les Länder bénéficiaient de compétences similaires, ou en Espagne où les dix-sept communautés autonomes devraient toutes avoir les mêmes pouvoirs une fois le processus de dévolution complété. Jusqu’ici, la dévolution britannique est demeurée confinée au pays de Galles, à l’Écosse et à l’Irlande du Nord, laissant ainsi de côté 85 % de la population britannique vivant en Angleterre, ce qui pourrait être résolu si des assemblées régionales y étaient créées. Certains estiment que c’est dans cette omission que se trouve l’instabilité inhérente à cette dévolution, et ce indépendamment des différents arrangements actuellement en place22.

L’appui à la dévolution23

  • 23  Pour une analyse de l’appui à la dévolution en Écosse, voir D. McCrone et L. Paterson, « The Conun (...)
  • 24  SN 4766. ESRC Devolution and Constitutional Change, UK Data Archive, 2001, p. 42, www.data-archive (...)

26Parmi les Anglais, 57 % se montrent en faveur du modèle actuel de gouvernement pour l’Angleterre, 22 % appuient l’idée que les régions anglaises devraient avoir leurs propres assemblées, et 16 % considèrent que l’Angleterre devrait avoir son propre parlement24. Lorsque interrogés sur leurs préférences en ce qui a trait au modèle étatique de la Grande-Bretagne, 53 % des Écossais, 25 % des Gallois et 12 % des citoyens d’Irlande du Nord se disent favorables au système actuel de dévolution. De plus, 37 % des Gallois et 31,4 % des Irlandais du Nord considèrent que leur assemblée ou parlement devrait bénéficier du pouvoir de lever des impôts et seulement 5,6 % des Écossais pensent que leur parlement ne devrait pas avoir le droit de jouir d’une telle compétence (alors qu’il la possède déjà). Par ailleurs, 18,6 % des Écossais, 7,2 % des Irlandais du Nord et 6,5 % des Gallois sont favorables à l’idée de l’indépendance de leur région à l’intérieur de l’Union européenne. C’est en Écosse que l’on trouve l’appui le plus élevé au statu quo, alors que le pays de Galles et l’Irlande du Nord appellent tous les deux à une plus grande dévolution.

  • 25  Ibid., p. 39-41.

27Étonnamment, interrogés sur l’avenir de l’Irlande du Nord (demeurer à l’intérieur de la Grande-Bretagne, s’unir avec le reste de l’Irlande ou devenir un État indépendant), 25,3 % des Anglais et 51 % des Irlandais du Nord souhaitent le statu quo. Il est également frappant de noter que 55,4 % des Anglais et seulement 25,8 % des citoyens de l’Irlande du Nord estiment qu’elle devrait s’unir avec l’Éire. Seulement 0,65 % des Anglais et 6,4 % des Irlandais du Nord se montrent favorables à l’indépendance25.

28Le pourcentage des citoyens britanniques non anglais en faveur d’un État unitaire sans dévolution est plus grand en Grande-Bretagne qu’en Espagne (22,5 % au pays de Galles, 13,3 % en Irlande du Nord et 9 % en Écosse)26. En Espagne, l’opposition la plus forte à la dévolution se retrouve en Murcie (19 %), puis dans les régions de l’Aragon (14 %) et de Madrid (10 %)27.

29Selon ces données, la dévolution survenue en Grande-Bretagne n’a pas entraîné l’éclosion de sentiments séparatistes. Toutefois, le modèle asymétrique qui y a été adopté a contribué à accroître le désir d’une plus grande autonomie dans le pays de Galles et en Irlande du Nord, plus précisément afin que ces régions obtiennent les mêmes pouvoirs que le parlement écossais. Le fait que le modèle de dévolution britannique n’ait pas encore permis à un parti nationaliste d’obtenir une majorité de sièges en Écosse, au pays de Galles et en Irlande du Nord constitue une autre caractéristique qui lui est inhérente comparativement aux situations canadienne et espagnole. Ce sont plutôt les partis panbritanniques qui ont contrôlé les institutions écossaises et galloises depuis leur rétablissement au milieu des années 1990. À l’inverse, des gouvernements nationalistes sont actuellement ou ont déjà été au pouvoir au Québec, en Catalogne et au Pays basque.

Une ou plusieurs identités ?

30La dévolution a favorisé le renforcement des identités régionales en Espagne, en Grande-Bretagne et au Canada et, dans ces trois cas, elle a contribué à promouvoir l’émergence ou la consolidation d’identités dualistes – régionale et nationale. Je suis persuadée que d’autres types d’identités, qu’elles soient locales ou transnationales, existent et qu’elles sont souvent très fortes, mais nous n’en tiendrons pas compte étant donné qu’elles n’entrent pas dans le cadre de ce texte.

  • 28  Opinion Canada, vol. 5, no 17, op. cit.
  • 29  Ibid.

31Au Canada, les loyautés régionales sont très développées : 97 % des citoyens de Terre-Neuve-et-Labrador se sentent liés à leur province, 88 % en Colombie-Britannique, 91 % en Alberta. Le taux est légèrement moins fort au Québec où il s’élève à 85 % (cette donnée comprend tant les Québécois francophones que les Québécois anglophones et les allophones). En ce qui a trait à l’attachement qu’ont les Canadiens à leur pays, ce sentiment est de 96 % en Colombie-Britannique, de 95 % en Alberta, de 92 % à Terre-Neuve-et-Labrador et de 79 % au Québec28. Un tel sentiment d’appartenance est donc très répandu, même si la population de sept des dix provinces affirme être traitée de manière insatisfaisante par le gouvernement fédéral. C’est à Terre-Neuve-et-Labrador que l’on trouve à cet égard le pourcentage le plus élevé qui se situe à 84 %, alors que seulement 16 % des Terre-Neuviens ont affirmé que leur province était bien traitée par le gouvernement fédéral. Les données atteignent 55 % au Québec et 42 % en Alberta29.

32Globalement, les Canadiens ont tendance à manifester des identités dualistes très fortes, c’est-à-dire tant provinciales que fédérales, bien qu’ils aient aussi tendance à être extrêmement critiques à l’endroit du gouvernement fédéral. L’identité nationale comprise comme l’identification au Canada y est beaucoup plus développée que dans les cas espagnol et britannique.

  • 30  Datos de Opinión, op. cit.
  • 31  D’autres données collectées par l’Institut de Ciències Polítiques i Socials (ICPS) varient légèrem (...)

33En Espagne30, le pourcentage le plus élevé d’individus qui affirment n’avoir qu’une seule identité, en l’occurrence espagnole, s’élève à 30 % et se trouve dans la communauté autonome de Madrid. À l’inverse, seulement 12 % des Catalans et 5 % des Basques affichent un tel sentiment identitaire unique. De plus, 8 % des Catalans et 3 % des Basques affirment se sentir « plus Espagnols que Catalans ou Basques31 ». Le pourcentage des citoyens qui s’identifient uniquement à leur communauté autonome est de 25 % au Pays basque, 16 % en Catalogne, 7 % en Galice et 15 % dans les îles Canaries. Le niveau des individus qui confient avoir un sentiment d’appartenance plus élevé à l’égard de leur communauté autonome que par rapport à l’Espagne (se sentent plus Catalans, Galiciens, Basques… qu’Espagnols) atteint des sommets en Catalogne (24 %), en Galice (25 %) et dans le Pays basque (19 %). Cela démontre clairement qu’un pourcentage significatif de la population en Catalogne (40 %), dans le Pays basque (44 %) et en Galice (32 %) s’identifie davantage à sa région qu’à l’État espagnol.

34La dévolution a contribué à consolider ce sentiment identitaire dualiste en Espagne. Les niveaux d’identification les plus élevés concernant l’identification nationale et régionale similaire (ceux qui se sentent « autant Espagnols que Catalans, Basques, Andalousiens, etc. ») se trouvent en Extrémadure (75 %), en Aragon (73 %) et en Andalousie (70 %). À l’inverse, ces sentiments identitaires les plus faibles se trouvent en Catalogne (37 %) et dans le Pays basque (34 %), alors que le niveau se situe à 58 % en Galice. Ces données reflètent le sentiment identitaire distinct manifesté par les Catalans et les Basques comparativement à celui qu’on trouve en Galice, dont les citoyens forment également une nationalité historique, mais qui ont tendance à manifester une identité beaucoup plus dualiste.

35Dans le Pays basque, lorsque nous combinons les pourcentages de ceux qui se sentent « uniquement Espagnols » à ceux qui se sentent « plus Espagnols que Basques » et à ceux qui se considèrent « autant Espagnols que Basques », nous voyons que moins de la moitié de la population (42 %) manifeste une identité espagnole quelconque. Ces données tendent à illustrer que le Pays basque est la communauté autonome où les citoyens ont le sentiment identitaire le plus faible à l’égard de l’Espagne, dans la mesure où ceux qui se déclarent « uniquement Espagnols » ou qui accordent une priorité à cette identité sur celle manifestée à l’égard de leur communauté ne représentent que 8 % de la population. Le pourcentage de ceux qui affirment avoir un sentiment identitaire partagé dans le Pays basque est de 56 %, et de 69 % en Catalogne.

36En Espagne, la dévolution n’a pas engendré un affaiblissement de l’identité espagnole. Au contraire, la reconfiguration de l’identité espagnole post-franquiste de nature démocratique, pro-européenne, laïque, moderne, industrialisée et ouverte à la décentralisation a favorisé le développement d’une identité dualiste pour une large part de la population. Par exemple, cela a rendu possible le fait que plusieurs Catalans et Basques, tout comme pour les autres Espagnols, se sentent maintenant liés à l’État espagnol, ce qui aurait été inconcevable dans les années de la dictature franquiste où l’État espagnol était perçu comme étant un État oppresseur et étranger.

  • 32  SN 4766. ESRC Devolution and Constitutional Change, op. cit.
  • 33  On trouve des données similaires au sujet de l’Écosse dans D. McCrone, « National Identity in Scot (...)

37En Grande-Bretagne32, 17,7 % des Anglais, 36 % des Écossais et 23 % des Gallois ont un sentiment identitaire qui se limite exclusivement à leur nation, ce qui signifie qu’ils se sentent Anglais, Écossais ou Gallois et non pas Britanniques. De plus, 13 % des Anglais, 30,5 % des Écossais et 22 % des Gallois affirment se sentir davantage liés à leur nation qu’à la Grande-Bretagne. À l’inverse, le taux de ceux qui affirment se sentir « plus Britanniques qu’Anglais, Écossais ou Gallois » s’élève à 9 % en Angleterre, 3 % en Écosse et à 11 % au pays de Galles. Les données illustrent des taux très faibles d’individus qui affirment se sentir « uniquement Britanniques », soit 11 % en Angleterre, 4 % en Écosse et 11 % au pays de Galles33.

38Il y a 41 % des Anglais, 23 % des Écossais et 29 % des Gallois qui affirment se sentir liés de manière égale à leur nation et à la Grande-Bretagne, ce qui est beaucoup plus bas qu’en Espagne. Ceux qui affirment avoir un sentiment identitaire double quelconque s’élève à 63 % en Angleterre, 56,5 % en Écosse (un pourcentage similaire à celui que l’on trouve dans le Pays basque) et 63 % au pays de Galles. Curieusement, selon ces données, l’identité double des Catalans est plus forte que celle des Anglais, des Écossais et des Gallois.

39Globalement, le sentiment identitaire que l’on trouve dans les régions (le terme « régions » correspond aux « nations » en Grande-Bretagne et aux « communautés autonomes » en Espagne) est beaucoup plus élevé en Grande-Bretagne qu’en Espagne, exception faite du Pays basque et de la Catalogne. À mon avis, cela peut s’expliquer par la longue tradition de reconnaissance des nations galloise, écossaise et anglaise en tant que groupes constitutifs de la Grande-Bretagne et du fait que l’identité anglaise ait historiquement été assimilée à l’identité britannique. Pendant longtemps, les Écossais et, dans une moindre mesure, les Gallois ont eu la possibilité de cultiver leur propre identité nationale et d’avoir une grande influence dans le vaste empire britannique. En Espagne, les tentatives infructueuses d’assimilation des Basques et des Catalans sont plutôt liées à une longue histoire d’oppression marquée par des efforts visant à annihiler leur culture spécifique, leur langue et leur identité par le démembrement de leurs institutions autonomes. Les souvenirs encore récents d’exclusion et de répression dirigées contre la Catalogne comme dernier bastion, avec Madrid, de la résistance aux troupes franquistes et, par-dessus tout, contre les demandes nationales des Catalans et des Basques ont contribué à nourrir chez eux un fort sentiment identitaire qu’on ne rencontre pas dans les autres communautés autonomes.

40On atteint des pourcentages similaires d’individus s’identifiant « uniquement » à leur État (la Grande-Bretagne et l’Espagne) et d’individus qui s’identifient à leur État avant leur région. Ce sont les Anglais qui manifestent le sentiment identitaire dualiste le plus prononcé, une situation qui s’explique par le lien historique entre l’Angleterre et la Grande-Bretagne.

41En d’autres termes, je soutiens que la dévolution tend à renforcer les identités régionales préexistantes et favorise l’émergence de nouvelles identités qui n’existaient pas auparavant. Elle fait également la promotion du développement d’identités doubles – régionale et nationale – évoquées dans ce texte. Dans les cas espagnol et britannique, il existe aussi une autre couche identitaire formée par l’appartenance à l’Union européenne qui n’a cependant pas été prise en compte dans ce texte.

La dévolution favorise-t-elle la séparation ?

  • 34  M. Keating, « Asymmetrical Government : Multi-National States in an Integrating Europe », Publius  (...)

42La plupart des États occidentaux ont mis en place une forme ou une autre de dévolution. Cela dit, le raisonnement derrière cet arrangement institutionnel varie selon le cas et son application est également propre à chaque pays. Des considérations géographiques, économiques, administratives, culturelles et historiques entrent en ligne de compte lorsque les États décident de procéder de la sorte34.

  • 35  M. Keating, Les défis du nationalisme moderne : Québec, Catalogne, Écosse, Montréal et Bruxelles, (...)
  • 36  Ibid., p. 132.

43À mon sens, le Canada, l’Espagne et la Grande-Bretagne partagent quatre caractérisques principales. Premièrement, ces pays ont opté pour différents modèles de dévolution allant du fédéralisme aux dévolutions symétrique et asymétrique. Deuxièmement, ces modèles ont évolué avec le temps. Troisièmement, il y a, dans les trois cas, une ou plusieurs identités nationales minoritaires, dotées d’une identité fondée sur une histoire et une culture, qui se sont développées en mouvements nationalistes qui exigent le droit de s’autodéterminer, que ce soit par le biais d’une plus grande autonomie à l’intérieur d’un autre État ou par la sécession. Quatrièmement, jusqu’ici, aucun de ces groupes n’a acquis suffisamment de force pour réaliser son indépendance. Malgré un appui important recueilli par le nationalisme québécois, catalan, basque et écossais, ces mouvements semblent avoir été contraints par le système de dévolution qui a, jusqu’à présent, empêché la sécession et même contribué à affaiblir les revendications en faveur de l’indépendance. Il est vrai que les principaux partis nationalistes de ces pays ne revendiquent pas l’indépendance totale, mais réclament plutôt – et cela peut mener à questionner la nature de leur nationalisme – une plus grande dévolution ou une forme quelconque « d’indépendance limitée » comme le modèle de souveraineté-partenariat défendu par certains Québécois. Comme Keating le souligne, « l’autonomie n’a plus le même sens. Il ne s’agit désormais ni de créer un État ni de viser l’autarcie. Il s’agit plutôt de formuler un projet national/régional, de rassembler la population autour de ce projet et d’acquérir la capacité de formuler des politiques adaptées à un monde complexe et interdépendant35. » Un Québec entièrement souverain serait tout de même dépendant du reste de l’Amérique du Nord. Il devrait négocier une place dans l’ALENA et, « [f]ace au Canada et aux États-Unis, il devrait subir plutôt qu’imposer36 ».

44Devrait-on pour autant en conclure que la dévolution est un antidote efficace au désir de sécession ? Le cas échéant, pourquoi en serait-il ainsi ? La sécession signifie l’autodétermination nationale et la souveraineté. Il s’agit d’un concept permettant à un peuple de décider librement de son avenir politique en ayant la capacité de faire ses propres lois grâce au contrôle de ses institutions politiques et de son identité nationale. Cependant, la reconnaissance de ce nouveau statut par la communauté internationale est une condition incontournable pour que le nouvel État puisse exercer ses fonctions. Or, les États occidentaux ont tendance à se montrer réfractaires à l’émergence de nouveaux États issus de l’éclatement de leur territoire.

45Ces États se sentent menacés par la sécession et sont fortement opposés à voir modifier leurs frontières nationales. Ils sont également conscients que la création d’un nouvel État par un groupe sécessionniste pourrait avoir pour conséquence de créer un effet domino en favorisant d’autres mouvements de la sorte, comme ce fut le cas après l’éclatement de l’URSS. Devrait-on inférer que l’hostilité de ces États à la sécession les aurait amenés à favoriser la dévolution en tant que solution stratégique dans le but d’atténuer les demandes nationalistes de leurs minorités nationales ? Une réponse nuancée convient à cet égard, afin de tenir compte des particularités de chacun des cas étudiés. Ainsi, alors que les Catalans, les Basques et les Écossais font porter leurs revendications sur l’idée de l’autodétermination, les Québécois se montrent plutôt favorables à une plus grande dévolution et à l’idée de la souveraineté-partenariat. Au pays de Galles, la dévolution fut rejetée lors du référendum de 1979 et ne fut appuyée que par une très faible majorité des voix en 1997. Malgré tout, je crois qu’il est juste d’affirmer que les données présentées dans ce texte au sujet du Canada, de l’Espagne et de la Grande-Bretagne confirment que les différents modèles de dévolution mis en place dans ces pays ont contribué à atténuer l’attrait de la sécession.

46Les mouvements pro-indépendantistes en Catalogne et dans le Pays basque se montrent favorables au maintien d’une certaine forme de partenariat avec l’Espagne et l’Union européenne. Au Québec, ces mêmes mouvements prônent l’idée d’une souveraineté-partenariat avec le reste du Canada. En Écosse et au pays de Galles, les partis politiques prônant une plus grande autonomie obtiennent beaucoup plus d’appuis que ceux qui favorisent l’indépendance complète. On retrouve cependant une situation très différente en Irlande du Nord où deux dissolutions successives de l’assemblée régionale sont survenues depuis son rétablissement en 1997, ce qui révèle à quel point il est difficile de mettre en place un partage des pouvoirs dans une société marquée par des années de haine, de discrimination et de violence.

47Les cas étudiés confirment que la dévolution n’arrive pas à satisfaire pleinement les demandes liées à l’autodétermination, mais contribue toutefois à les affaiblir. Ce modèle tend à intégrer les mouvements régionaux et les partis politiques à l’intérieur d’une dynamique qui implique une tension presque permanente avec l’État central qui s’explique par leurs demandes pour une plus grande autonomie ou pour une plus grande reconnaissance de leurs différences. Par contre, la dévolution permet également à des minorités nationales de jouir de plusieurs compétences très substantielles. Voici quelques-unes des conséquences associées à la dévolution qui permettent, me semble-t-il, de contrer efficacement les demandes sécessionnistes.

48Premièrement, la création d’institutions faisant suite à une dévolution – parlements, assemblées, gouvernements provinciaux, etc. – contribue à dynamiser la société civile, et ce pour deux raisons principales. D’une part, elle nécessite la réaffectation des ressources afin de faciliter l’organisation budgétaire régionale. Ce processus tend à revitaliser la société civile en encourageant les initiatives locales et régionales dans des domaines touchant la culture, l’économie ou les projets sociaux. D’autre part, la dévolution favorise le développement des entreprises régionales, la restauration et la préservation de l’héritage régional ainsi que la création de réseaux culturels liant les universités, les musées et les bibliothèques. Comme on l’a vu, rien dans cela ne s’oppose à la présence d’une identité nationale englobante.

49Deuxièmement, la dévolution favorise l’émergence d’une identité régionale qui n’existait pas auparavant – comme dans le cas des communautés autonomes espagnoles qui n’étaient pas associées aux nationalités historiques. Là où un sentiment identitaire existait déjà au moment de la dévolution, la décentralisation a eu pour effet de le renforcer en faisant la promotion de la culture, de la langue, de l’art et d’autres éléments importants associés à la région en question. Cependant, tandis que certains de ces aspects sont liés à la culture locale, d’autres relèvent plutôt d’une perspective plus récente. Qu’elle soit hybride ou inventée, vieille ou nouvelle, la spécificité culturelle engendre ou rétablit les identités collectives régionales.

  • 37  M. Weber, Economy and Society, vol. 1, Berkeley, University of California Press, 1978 [1968], p. 3 (...)

50Souvent, ces cultures tendent à remettre en question certains symboles nationaux qui sont perçus comme des éléments de dissension. Je crois donc que la dévolution – combinée à la création d’institutions régionales correspondant à des communautés ayant ou non une identité historique ou culturelle préexistante – mène à l’émergence et au renforcement d’identités régionales séparées. Une telle situation est particulièrement apparente à l’intérieur de communautés où il existe un lien clair entre les expériences passées et présentes d’autodétermination, des lois et une identité culturelle ou politique ainsi qu’une langue qui sont aux fondements de leur sentiment nationaliste. La Catalogne, le Pays basque, l’Écosse et le Québec sont des cas particulièrement éclairants à cet égard. En ce sens, comme Max Weber l’a écrit, « les souvenirs politiques partagés sont essentiels dans la construction d’une identité nationale et ethnique commune, lesquels ont plus de chances de perdurer après que les communautés ont perdu leur indépendance politique37 ».

51Troisièmement, la dévolution entraîne généralement l’émergence d’identités doubles, c’est-à-dire régionale et nationale. Comme je l’ai montré précédemment, une telle situation est compatible avec le maintien d’une identité nationale plus englobante.

52Quatrièmement, la dévolution renforce le sentiment qu’ont les individus de former une communauté à l’échelle régionale. Elle permet aux citoyens de participer à la prise de décisions qui concernent leur avenir politique et a également tendance à les amener à se sentir mieux représentés par leurs dirigeants régionaux. De plus, les projets visant à faire la promotion de la culture, de l’économie et du vivre ensemble de la région encouragent les individus à faire preuve d’initiative à l’échelle locale. On ne peut cependant ignorer la déception que certains peuvent éprouver lorsqu’ils sont confrontés à un manque de subsides dû aux arrangements institutionnels liés à la dévolution, aux politiciens calculateurs, à la corruption occasionnelle ainsi qu’à une plus grande bureaucratie.

  • 38  M.Guibernau, « Nationalism and Intellectuals in Nations without States : The Catalan Case », Polit (...)

53Cinquièmement, la dévolution entraîne l’émergence et la consolidation d’une élite politique régionale jouissant d’un degré appréciable de pouvoir et de prestige. Cette dernière tire profit de certains privilèges et a un statut distinct à l’intérieur d’un cercle régional38. Généralement, il n’y a qu’un nombre restreint de ses membres qui sont en mesure de jouer un rôle significatif à l’échelle de l’État. Leur statut dépendra de la perception qu’ont les gens de leur capacité à être des acteurs puissants et influents à l’échelle politique, économique et culturelle.

54Un degré important de dévolution accompagné de ressources suffisantes – ou à tout le moins minimalement généreuses – contribuera à rehausser le prestige des élites politiques régionales, c’est-à-dire des membres du gouvernement de cette région, des personnages clés de la bourgeoisie locale – s’il en existe une – et des individus appartenant à l’élite intellectuelle. À cette liste, il convient d’ajouter les autres dirigeants politiques représentant différentes tendances à l’intérieur de la communauté.

55Les membres de l’élite politique régionale sont très souvent engagés dans une lutte de pouvoir avec le gouvernement central. Ils sont prêts à maintenir, intensifier et quelquefois à réduire cette tension politique, mais ils sont rarement prêts à tourner le dos au statu quo et à enclencher un mouvement radical vers l’indépendance qui pourrait mener à des conséquences imprévisibles. La dévolution contribue de la sorte, à mon avis, à réduire au minimum cette menace de sécession en permettant aux élites appartenant à cette tendance de bénéficier d’un pouvoir et d’un prestige associés à leur rang. La dévolution est donc réconfortante à cet égard, puisqu’elle contribue à réorienter les revendications sécessionnistes vers des demandes associées à la décentralisation d’un plus grand nombre de pouvoirs et à une plus grande reconnaissance de leur statut.

56Enfin, la dévolution contribue à renforcer la démocratie dans la mesure où elle rapproche les gens des instances décisionnelles. Les problèmes sont définis, analysés et résolus là où ils prennent naissance. Les politiciens régionaux ont souvent une meilleure connaissance des besoins et des aspirations de leurs citoyens.

57Considérant les éléments présentés dans ce texte, je voudrais conclure, d’une part, que la dévolution, lorsqu’elle est accompagnée d’un transfert substantiel de pouvoirs, de la création d’institutions régionales et d’un accès à des ressources suffisantes – comme c’est le cas au Canada, en Espagne et en Grande-Bretagne –, contribue à l’émergence d’identités régionales qui n’affaiblissent nullement l’identité nationale plus englobante ; d’autre part, que la dévolution ne favorise pas l’idée de la sécession et ne mène pas à la remise en question de l’intégrité territoriale des frontières de l’État. Les éléments pris en considération dans ce texte confirment que la dévolution réduit la menace sécessionniste en accordant des pouvoirs et des ressources significatifs aux minorités nationales que l’État cherche à satisfaire et en donnant aux élites politiques régionales le pouvoir, le prestige ainsi que les avantages qui y sont associés.

58En somme, lorsque la dévolution est établie sur un respect mutuel, une reconnaissance et des arrangements financiers convenables, elle se trouve à être une stratégie efficace d’accommodement pour les minorités nationales intégrées dans des démocraties libérales. Cependant, tout porte à croire qu’une tension entre les institutions centrales et régionales va perdurer, puisqu’elles visent par nature des objectifs opposés. Le désir qu’a l’État de protéger son intégrité territoriale et de faire la promotion d’une identité nationale unitaire chez ses citoyens entre en confrontation directe avec la volonté des minorités nationales (ou les nations sans État) d’être reconnues comme étant un demos distinct ayant le droit de décider de leur avenir politique et de promouvoir leur identité particulière.

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Notes

1  Le gouvernement Lévesque a formulé ses propositions dans le document : « Quebec-Canada : A New Deal : The Government’s Proposal for a New Partnership between Equals : Sovereignty Association », Québec, Éditeur officiel, 1979.

2  Bureau du directeur général des élections du Québec, Rapport préliminaire des résultats du dépouillement des votes le soir du scrutin : Référendum du 30 octobre 1995, Québec, Bibliothèque nationale du Québec, 1995.

3  Pour une série de propositions sur la réconciliation entre le Québec et le Canada, voir R. Gibbins et G. Laforest, Beyond the Impasse : Toward Reconciliation, Montréal, IRPP, 1998.

4  A. C. Cairns, « Looking Back from the Future », dans J. E. Trent et al. (dir.), Quebec-Canada : What is the Path Ahead ? Nouveaux sentiers vers l’avenir, Ottawa, Presses de l’université d’Ottawa, 1996, p. 77-80 ; R. Whitaker, « Quebec’s Self-Determination and Aboriginal Self-Government », dans J. H. Carens (dir.), Is Quebec Nationalism Just ? Perspectives from Anglophone Canada, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1995, p. 193-220.

5  J. Dion, « Un bureau d’information vantera les vertus de Canada », Le Devoir, 10 juillet 1996.

6  F. Rocher et N. Verrelli, « Constitutional Democracy in Canada : From the Canadian Supreme Court Reference on Quebec Secession to the Clarity Act », dans A.-G. Gagnon, M. Guibernau et F. Rocher, The Conditions of Diversity in Multinational Democracies, Montréal, IRPP, 2003, p. 208.

7  Ibid., p. 209.

8  A. Noël, « Without Quebec : Collaborative Federalism with a Footnote », Policy Matters, vol. 1, no 2, mars 2000, p. 1-26.

9  A. Lajoie, « The Clarity Act in Its Context », dans A.-G. Gagnon (dir.), Quebec : State and Society, Toronto, Broadview, 2004 (3e éd.), p. 151-164.

10  M. Seymour, « Quebec Nationalism and Canadian Federalism », dans http://pages.infinit.net/mseymour/apage/cambridge, 2005, p. 7, consulté le 14 janvier 2005.

11  Opinion Canada, vol. 5, no 17, 8 mai 2003, http://www.cric.ca, consulté le 5 mars 2004.

12  Opinion Canada, vol. 5, no 39, 6 novembre 2003, http://www.cric.ca, consulté le 5 mars 2004.

13  B. de Riquer et J. B. Culla, El Franquisme i la Transició Democràtica (1939-1988), vol. vii de P. Vilar (dir.), Història de Catalunya, Barcelona, Edicions 62, 1989 ; A. Balcells, Catalan Nationalism, Londres, Macmillan, 1996.

14  Voir P. Preston, The Triumph of Democracy in Spain, Londres, Routledge, 1986 ; P. Preston, Juan Carlos : Rey de un Pueblo, Barcelona, Plaza y Janés, 2003, et J. Solé Tura, Nacionalidades y Nacionalismos en Espana. Autonomías, Federalismo, Autodeterminación, Madrid, Alianza, 1985.

15  E. Fossas, « Asimetría y Plurinacionalidad en el Estado Autonómico », dans E. Fossas et F. Requejo, Asimetría Federal y Estado Plurinacional, Madrid, Trotta, 1999, p. 275-301.

16  M. Guibernau, Catalan Nationalism : Francoism, Transition and Democracy, Londres, Routledge, 2004, p. 70-84.

17  F. Requejo, « Democràcia, Partits i Escenaris de Futur », Idées, no 6, avril-juin 2000, p. 108-114. Voir aussi, F. Requejo (dir.), Democracy and National Pluralism, Londres, Routledge, 2001, et M. Keating, « The Minority Nations of Spain and European Integration : A New Framework for Autonomy », Journal of Spanish Cultural Studies, vol. 1, no 1, mars 2000, p. 29-42.

18  M. Keating, « Asymmetrical Government : Multinational States in an Integrating Europe », Publius : The Journal of Federalism, vol. 29, no 1, hiver 1999, p. 71-86.

19  Ce projet a été lancé le 27 septembre 2002 par José María Ibarretxe, lehendakari ou président du gouvernement autonome basque et a obtenu l’approbation du parlement basque.

20  J. R. Resina, « Post-National Spain ? Post-Spanish Spain ? », Nations and Nationalism, vol. 8, no 3, juillet 2002, p. 377-396.

21  En 2003, le ERC a réussi à doubler ses résultats de 1999. Il a ainsi obtenu un nombre record de 23 sièges représentant 16,47 % du vote et est devenu la troisième force politique de Catalogne avec la possibilité de jouer un rôle central dans la formation d’un gouvernement compte tenu que ni Convergence et Union (CIU) ni le Parti des socialistes de Catalogne (PSC) ne furent en mesure d’obtenir une majorité. Lors des élections du 1er novembre 2006, le ERC a obtenu 21 (-2) sièges correspondant à 14,06 % du vote et a été en mesure de demeurer un acteur important dans la formation d’une majorité gouvernementale en Catalogne. Tout comme en 2003, il a formé une coalition avec le PSC (PSC et Parti socialiste ouvrier espagnol, PSOE), qui avait obtenu 37 sièges et 26,81 % des voix, et avec l’Initiative pour la Catalogne Les Verts et la Gauche unie et alternative (ICV-EUIA), qui avaient fait élire 12 candidats et obtenu 9,56 % des voix. Le CIU avait remporté les élections grâce à l’élection de 48 de ses candidats et avec un soutien de 31,52 % des voix, mais a été dans l’incapacité de former une majorité gouvernementale.

22  J. Osmond, « A Constitutional Convention by Other Means : The First Year of the National Assembly for Wales », et J. Tomaney, « The Regional Governance of England », dans R. Hazell, The State and the Nations, Londres, The Constitution Unit-Imprint Academic, 2000, respectivement p. 37-77 et 117-122.

23  Pour une analyse de l’appui à la dévolution en Écosse, voir D. McCrone et L. Paterson, « The Conundrum of Scottish Independence », Scottish Affairs, no 40, été 2002, p. 54-75.

24  SN 4766. ESRC Devolution and Constitutional Change, UK Data Archive, 2001, p. 42, www.data-archive.ac.uk, consulté le 16 février 2004.

25  Ibid., p. 39-41.

26  Ibid., p. 59.

27  Datos de Opinión, no 31, « Instituciones y autonomías », avril 2003, http://www.cis.es/boletin/31/autonomias, consulté le 16 février 2004.

28  Opinion Canada, vol. 5, no 17, op. cit.

29  Ibid.

30  Datos de Opinión, op. cit.

31  D’autres données collectées par l’Institut de Ciències Polítiques i Socials (ICPS) varient légèrement par rapport à celles du Centro de Investigaciones Sociológicas, Datos de Opinión. Selon un sondage réalisé en 2003 par le ICPS, 9 % des Catalans se sentent « seulement Espagnols » ; 4 % se sentent « davantage Espagnols que Catalans » ; 41 % des individus interrogés ont déclaré se sentir « autant Espagnols que Catalans » ; 27 % ont affirmé se sentir « plus Catalans qu’Espagnols » ; tandis que 16 % ont affirmé se sentir « seulement Catalans » (Sondeig d’Opinió 2003, Barcelone, icps, 2004, p. 84).

32  SN 4766. ESRC Devolution and Constitutional Change, op. cit.

33  On trouve des données similaires au sujet de l’Écosse dans D. McCrone, « National Identity in Scotland », document de travail, Institute of Governance, université d’Édimbourg, 10 janvier 2002.

34  M. Keating, « Asymmetrical Government : Multi-National States in an Integrating Europe », Publius : The Journal of Federalism, vol. 29, no 1, hiver 1999, p. 71-86. Voir aussi M. Seymour, The Fate of the Nation State, Montréal et Kingston-London-Ithaca, McGill-Queen’s University Press, 2004.

35  M. Keating, Les défis du nationalisme moderne : Québec, Catalogne, Écosse, Montréal et Bruxelles, Presses de l’université de Montréal et Presses interuniversitaires européennes, 1997, p. 71.

36  Ibid., p. 132.

37  M. Weber, Economy and Society, vol. 1, Berkeley, University of California Press, 1978 [1968], p. 389.

38  M.Guibernau, « Nationalism and Intellectuals in Nations without States : The Catalan Case », Political Studies, vol. 48, no 5, décembre 2000, voir p. 1003-1004.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Montserrat Guibernau, « La gestion de la diversité nationale au Canada, en Espagne et en Grande-Bretagne »Éthique publique [En ligne], vol. 9, n° 1 | 2007, mis en ligne le 11 septembre 2015, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/1791 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.1791

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Auteur

Montserrat Guibernau

Montserrat Guibernau est professeur de science politique à Queen Mary College, université de Londres.

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Droits d’auteur

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