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Éthiques et politiques de l'aménagement de la diversité culturelle et religieuse

Le fédéralisme comme mode de gestion de la diversité : le cas du Canada et de l’Espagne

André Lecours et François Rocher

Résumés

Ce texte examine ce couple notionnel inhérent au fédéralisme de l’unité et de la diversité en considérant les cas du Canada et de l’Espagne. L’objectif est d’offrir une lecture des systèmes fédéraux canadien et espagnol dans leur approche politique et normative de la diversité territoriale et des revendications nationalistes qui en ont découlé. Le texte est divisé en trois sections principales. On discute d’abord des fondements normatifs du fédéralisme, en insistant sur leurs aspects dualistes, plus particulièrement l’unité et la diversité. Puis, on traite du cas canadien en analysant les normes, et rapports de pouvoir, sous-tendant les différents arrangements historiques d’accommodement de la société canadienne-française et du Québec. Enfin, un travail similaire est fait pour l’Espagne où les auteurs examinent l’approche historique et contemporaine de l’État espagnol vis-à-vis de la Catalogne et du Pays basque.

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Texte intégral

1Pouvoir et normes sont deux notions constituantes des institutions politiques, qui en effet incarnent habituellement à la fois les rapports de force qui prévalent lors de leur création et les valeurs que leurs créateurs ont voulu donner à un système politique. Les changements institutionnels ultérieurs peuvent donc être compris comme résultant de transformations dans ces rapports de force ou dans ces valeurs et normes dominantes. Le fédéralisme, qui implique un ensemble d’institutions politiques qui structurent la division territoriale du pouvoir et de la décision politique, ne peut être compris qu’en remontant à ses fondements politiques et normatifs. La prise en considération des normes et des valeurs est particulièrement importante lorsque le fédéralisme est examiné dans un contexte de multinationalisme, c’est-à-dire dans sa capacité à gérer la diversité culturelle territoriale tout en préservant l’unité de la société politique.

  • 1  L’Espagne ne se définit pas comme fédération, ni constitutionnellement ni politiquement. Pourtant, (...)

2Notre réflexion porte ici sur ce couple inhérent au fédéralisme qu’est celui de l’unité et de la diversité tel qu’il se donne à voir au Canada et en Espagne, sans perdre de vue les considérations de pouvoir qui structurent aussi les arrangements fédéraux. Notre objectif est donc de proposer une lecture des systèmes fédéraux canadien et espagnol dans leur approche politique et normative de la diversité territoriale et des revendications nationalistes qui en ont découlé. L’Espagne est un cas qui se compare bien au Canada : son fédéralisme est issu d’une constitution dont un des principaux objectifs était d’assurer à des territoires une suffisante autonomie politique dans le but de préserver l’intégrité de l’État et de la nation qu’il projette1.

3Le texte est divisé en trois sections. La première est une discussion théorique sur les fondements normatifs du fédéralisme, qui insiste sur leurs aspects dualistes, plus particulièrement l’unité et la diversité. Dans la deuxième, nous discutons du cas canadien en analysant les normes et rapports de pouvoir qui sous-tendent les différents arrangements historiques d’accommodement de la société canadienne-française et du Québec. Nous effectuons ensuite un travail similaire pour l’Espagne où nous examinons l’approche historique et contemporaine de l’État espagnol vis-à-vis de la Catalogne et du Pays basque.

Fédéralisme et diversité : pour une éthique téléologique

4Rares sont les études sur le fédéralisme qui n’insistent pas sur le fait qu’il s’agit d’un mode d’organisation politique qui vise à concilier les principes d’unité et de diversité au sein d’un espace partagé. Ainsi, il favoriserait tout aussi bien la cohésion sociale que le respect des différences, l’autonomie des entités fédérées que l’interdépendance dans la quête de solutions à des problèmes communs, le respect des choix sociaux singuliers que la solidarité intercommunautaire, etc. Comme mode de gestion de la diversité, le fédéralisme fait appel au compromis et au consensus, tout comme à l’équilibre et aux contrepoids. En somme, il tâche de concilier des principes qui semblent pourtant contradictoires. Voilà pourquoi évaluer le fédéralisme sous l’angle de l’éthique n’est pas chose facile. D’une part, parce qu’il n’existe pas de définition simple de l’éthique, d’autre part, parce que le fédéralisme, dans ses fondements normatifs, renvoie à l’univers de la vertu. Se pose aussi le problème de savoir qui, dans l’espace public, est le mieux à même d’affirmer que l’équilibre atteint est juste et acceptable. Il n’en demeure pas moins que le fédéralisme peut être appréhendé de manière à mettre l’accent non seulement sur ses dimensions institutionnelles (constitution, partage des pouvoirs, mécanismes de coordination, etc.), mais aussi sur les principes, les valeurs, les normes qu’il tente d’incarner (autonomie, hétérogénéité, interdépendance, solidarité). À cet égard, il est possible d’aborder l’éthique du fédéralisme dans une perspective téléologique qui insiste davantage sur les buts et les finalités (les conséquences pratiques des choix effectués) que sur les fondements des normes elles-mêmes.

  • 2  M. Lamontagne, Le fédéralisme canadien : évolution et problèmes, Québec, Presses universitaires La (...)
  • 3  B. Théret, « Du principe fédéral à une typologie des fédérations : quelques propositions », dans J (...)
  • 4  Ibid., p. 128.

5Cette perspective n’est toutefois pas partagée par tous. La plupart des travaux sur le fédéralisme, et a fortiori ceux qui adoptent une démarche comparative, s’intéressent surtout aux mécanismes institutionnels mis en place au sein des fédérations et n’accordent qu’une importance marginale aux dimensions normatives qui les alimentent. Si, comme le soutenait Maurice Lamontagne dans son ouvrage publié en 1954, le fédéralisme résulte toujours d’un mariage de raison et doit être analysé en fonction d’une rationalité instrumentale, une réflexion sur l’éthique de l’aménagement de la diversité n’est pas nécessaire pour évaluer l’expérience fédérale. Il ajoutait : « À l’intérieur d’une fédération, il n’existe pas de principes absolus mais uniquement des méthodes différentes qui doivent être utilisées ou écartées selon leurs caractéristiques et les exigences des fonctions à exercer2. » Plus récemment, Bruno Théret refusait de reconnaître l’existence d’un modèle normatif du fédéralisme. À son avis, il existe plutôt une idée ou un phénomène fédéral qui se décline sous plusieurs formes. Cela dit, dans ce cas, il s’agissait moins d’écarter la nécessité d’une réflexion sur le principe fédéral que de critiquer la tendance dominante à hypostasier la forme américaine au point de nier la diversité du phénomène fédéral3. Car Théret ajoutait, en effet, qu’un système fédéral doit être défini « comme celui dans lequel est institué un mécanisme d’autoconservation du principe fédéral qui régule en permanence sa contradiction constitutive entre unité et diversité : si l’unité l’emporte sur la diversité, ou si, à l’inverse, c’est la diversité qui triomphe aux dépens de l’unité, on ne peut guère parler de fédéralisme », réintroduisant ainsi une dimension normative dans l’évaluation des pratiques fédérales4. Évidemment, ces remarques générales ne nous sont que d’une faible utilité pour évaluer le degré de centralisation ou de décentralisation nécessaire au bon fonctionnement du régime politique. Si l’équilibre souhaité résulte toujours de l’évaluation que font de la réalité les forces sociales et politiques, il n’en demeure pas moins que si le principe d’unité l’emporte démesurément, si l’État central envahit les compétences des entités fédérées, il serait plus juste de parler d’État unitaire décentralisé (Théret emploie le terme d’empire) plutôt que de fédération.

  • 5  R. L. Watts, Comparaison  des régimes fédéraux, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Pr (...)
  • 6  D. M. Weinstock, « Vers une théorie normative du fédéralisme », texte présenté à la conférence int (...)

6La rationalité instrumentale qui semble dominer la réflexion ne doit pas faire oublier, comme le faisait pertinemment remarquer R. L. Watts, que le fédéralisme comporte aussi une nature normative : « Il désigne la promotion d’un gouvernement à plusieurs niveaux regroupant des éléments de partage des pouvoirs et de l’autonomie régionale. Il se fonde sur l’utilité et la validité présumées d’allier l’unité et concilier, protéger et promouvoir des identités distinctes au sein d’une union politique plus grande5.» À cet égard, le fédéralisme ne peut être analysé uniquement sous l’angle de l’organisation du pouvoir, mais impose un détour par le chemin des idées, des représentations, des valeurs et idéaux. C’est ce que le philosophe Daniel Weinstock appelle la justification normative du fédéralisme qui, différente d’une justification instrumentale, consiste à en fonder la désirabilité sur les valeurs que ce système de gouvernement permet de réaliser6.

  • 7  F. Delmartino et K. Deschouwer, « Les fondements du fédéralisme », dans A. Alen et al. (dir.), Le (...)

7Au-delà de la tension constitutive entre le principe d’unité et celui de diversité, d’autonomie et de participation, il importe de rappeler la dimension intrinsèquement contractuelle à la base du fédéralisme. En effet, si étymologiquement le concept de feodus fait référence aux notions de pacte, d’alliance, de covenant et d’accord volontaire, cette association se rapporte, comme le soulignent Delmartino et Deschouwer, aux fondements de l’agencement social7. Il s’agit d’un contrat social qui lie les citoyens entre eux et non le souverain (et sa représentation moderne qu’est l’État) et ses sujets. En ce sens, ses aspects institutionnels précisent les sphères d’influence et les champs de compétence des États fédérés, mais aussi les formes et les droits de participation des citoyens au sein de l’espace politique fédéral.

8Le corollaire du partage des compétences et de la présence de plusieurs ordres de gouvernement est dès lors qu’aucun de ces derniers ne peut prétendre parler au nom de tous les citoyens et encore moins de l’ensemble de la communauté politique. De même, pas plus l’État fédéral que les États constituants ne peuvent se croire autorisés de parler de leur communauté de manière exclusive ni d’être seuls à la représenter. À la division des pouvoirs correspond la nécessité d’une double loyauté. Il n’y a donc pas de rapports de concurrence mais plutôt de complémentarité entre les ordres de gouvernement. En d’autres termes, pour prendre en considération la totalité des besoins des individus et des communautés fédérées, doivent être mis au point des mécanismes permettant de fédérer, c’est-à-dire d’agréger, de concilier et de réunir les points de vue de l’ensemble des participants.

  • 8  D. M. Weinstock, art. cité, p. 6.

9C’est donc moins une identité commune qui est recherchée qu’une identité partagée. Pour y arriver, l’accent doit porter moins sur la cohésion sociale et politique que sur la confiance qui doit régner entre les différentes entités présentes dans l’espace politique fédéral. Comme le faisait remarquer Daniel Weinstock, « la confiance suppose simplement que les membres des divers groupes ne perçoivent pas les citoyens membres des groupes différents comme représentant des menaces aux intérêts qui les distinguent en tant que membres de groupes particuliers8 ». Même si la confiance minimale dont il est ici question peut donner naissance à une identité politique commune qui ferait contrepoids aux identités communautaires (nationales ou ethniques), l’identité commune n’est ni un préalable ni l’objectif de la fédération. Il importe de souligner cette dissociation entre confiance mutuelle et identité politique commune et de noter à cet égard que la confiance se développera d’autant plus que l’État fédéral accordera des pouvoirs aux entités fédérées et fera des intérêts des groupes minoritaires l’objectif de l’État central.

  • 9  H. Brugmans, Panorama de la pensée fédéraliste, Paris, La Colombe, 1956, p. 135.
  • 10  H. Brugmans, La pensée politique du fédéralisme, Leyde, A. W. Sijthoff, 1969, p. 31-32.
  • 11  Ibid., p. 30.
  • 12  W. S. Livingston, « Canada, Australia and the United States : Variations on a Theme », dans V. Ear (...)

10Les remarques qui précèdent renvoient toutes à un aspect souvent négligé, à savoir une attitude ou une culture fédérale. Déjà au milieu des années 1950, Henri Brugmans, fédéraliste néerlandais et partisan de l’union européenne des peuples, avait fait remarquer que le point de départ de l’acte fédéral devait être que les communautés différentes reconnaissent à la fois leur diversité et leur solidarité d’intérêt et qu’il n’était ni souhaitable ni possible de rechercher l’assimilation juridique et administrative9. Il ajoutait plus tard que les fédéralistes ne peuvent que trouver normal que les collectivités soient différentes à la fois de tempérament, de style de vie, de langue et de philosophie et que cette pleine reconnaissance fournissait la mesure de la justice intercommunautaire10. Ainsi, l’attitude ou la culture fédérale, selon Burgmans, « pourrait se définir le moins inadéquatement peut-être par quatre préoccupations : celle de l’efficacité, celle de la solidarité, celle de la responsabilité civique, celle de la diversité11 ». Dans le même esprit, bien que provenant d’une autre tradition intellectuelle, le politologue américain William S. Livingston a déjà souligné que « les discussions sur le gouvernement fédéral négligent un aspect important dans la mesure où elles tendent à se concentrer sur les pouvoirs, les compétences, les équilibres et les autres dimensions juridiques ; mais les exigences fondamentales du fédéralisme sont la diversité entre les peuples au sein de la nation ainsi que la multiplicité des valeurs de ces peuples au sein de la société. Conséquemment, on trouve un ensemble de valeurs psychosociologiques dans chaque société qui détermine la forme et le caractère des institutions politiques et gouvernementales. Le fédéralisme, non moins que les autres formes de gouvernements, est une réponse aux valeurs de la société12

  • 13  R. Blindenbacher et R. L. Watts, « Federalism in a Changing World : A Conceptual Framework for the (...)

11C’est donc dans cette perspective qu’il est possible de considérer comment le fédéralisme, comme mode de gestion de la diversité, s’est comporté. Il s’agit moins de présenter les arrangements institutionnels particuliers dans toute leur complexité que de voir dans quelle mesure, une fois mis en place, ils ont permis de canaliser et d’influer sur l’articulation entre unité et diversité au sein de communautés politiques fédérales13.

Le fédéralisme canadien : des tensions irrésolues

12Parler de l’évolution politique du Canada, c’est faire référence à l’histoire des modalités institutionnelles qui ont présidé aux rapports entre les communautés nationales constitutives et donc des rapports entre le groupe majoritaire et les groupes minoritaires. Ces relations ont pris plusieurs formes marquées tour à tour par le sceau du colonialisme, de l’impérialisme postcolonial et par l’indépendance politique du Canada à la suite de l’adoption du statut de Westminster en 1931. La modernisation politique qui suivit la seconde guerre mondiale a profondément influencé la constitution et la consolidation d’une nouvelle identité canadienne qui a dû composer avec la pérennité d’un nationalisme minoritaire qui a continué à alimenter la représentation que les Québécois se font d’eux-mêmes.

  • 14  G. F. G. Stanley, New France : The Last Phase, 1744-1760, Toronto, McClelland and Stewart, 1968 ; (...)

13La conquête du Canada par les forces britanniques en 1760 a marqué la fin du régime colonial de la Nouvelle-France le long de la vallée du Saint-Laurent. Le traité de paix, signé en 1763, mieux connu sous le nom de Proclamation royale, visait notamment à imposer sur le nouveau territoire les lois et les institutions anglaises. L’importance numérique des « Canadiens », la faiblesse de l’immigration anglophone et l’instabilité du nouveau régime conduisirent le Parlement britannique, pour des raisons pragmatiques, à concéder un certain nombre de droits et privilèges au peuple nouvellement conquis. L’Acte de Québec de 1774 confirmait l’usage du Code civil, le régime seigneurial, les privilèges de l’Église catholique tout en ouvrant la porte de la fonction publique aux catholiques et rétablissait un système de gouvernement semblable à celui qu’avait connu la Nouvelle-France14.

14L’arrivée de loyalistes fuyant la révolution américaine contribua à remettre en question ces arrangements dans la mesure où cette nouvelle population réclamait les droits reconnus aux sujets britanniques. L’Acte constitutionnel de 1791 qui partagea le territoire en deux provinces, le Haut-et le Bas-Canada, répondait aux désirs exprimés par les loyalistes. Le gouverneur général continua à être nommé par Londres pour maintenir le contrôle de la métropole sur les revenus générés par les terres de la couronne. Les lois civiles françaises furent préservées dans le Bas-Canada bien que le code criminel anglais, commun aux deux provinces, s’y appliqua. La nouvelle constitution dota les provinces d’une assemblée législative élue, à laquelle s’ajoutent un conseil législatif et un conseil exécutif nommé par le gouverneur général. De vives tensions entre le pouvoir exécutif, représentant le pouvoir britannique, et la volonté exprimée par l’assemblée élue contribuèrent à exacerber celles entre le pouvoir colonial et la volonté exprimée par les députés et les élites locales.

15À la suite des rébellions de 1837-1838 à la fois dans le Haut-et le Bas-Canada, l’Acte d’union fut proclamé en 1840, suivant la plupart des recommandations formulées par Lord Durham, gouverneur du Bas-Canada et signataire d’un rapport exposant les causes des troubles. Reconnaissant qu’une partie des problèmes venait de l’absence de gouvernement responsable, mais réfractaire à l’idée de confier le contrôle politique aux Canadiens français, l’Acte d’union imposa la fusion des deux Canada en une assemblée législative unique composée d’un nombre égal de députés provenant des deux anciennes provinces (en dépit de la supériorité démographique de la population canadienne-française), faisant perdre du coup le statut de majorité au groupe canadien-français. Les alliances politiques, conclues par nécessité encore une fois, ne permirent pas au pouvoir de mener à terme le souhait de Lord Durham de voir les Canadiens français abandonner leur projet d’autonomie nationale et de s’intégrer au « génie » et à la population britannique. Pour des raisons de stabilité politique, des compromis entre les élites politiques furent conclues pour permettre la mise en place, dans les faits, de deux administrations séparées en dépit de l’union législative. La croissance démographique dans ce qui avait été le Haut-Canada amena les Canadiens anglais à trouver inique une institution au sein de laquelle les deux territoires comptaient un nombre égal de sièges. D’autres facteurs économiques, politiques et militaires (abolition du Traité de réciprocité avec les États-Unis, défense du territoire, construction d’un chemin de fer transcontinental) amenèrent les élites politiques à envisager une nouvelle forme de gouvernement.

16L’impossibilité pratique  d’assimiler les Canadiens français et la nécessité d’assurer leur loyauté et leur fidélité à l’empire britannique expliquent en grande partie l’origine des privilèges qui leur furent accordés. Les rapports établis entre la majorité d’origine anglaise et la minorité française ont été teintés de méfiance dépassée uniquement par la capacité de certains membres de l’élite politique de conclure des alliances indispensables au maintien d’une certaine stabilité politique. La diversité sociale et culturelle a, en quelque sorte, dû être aménagée en fonction d’impératifs pratiques. La rhétorique de légitimation qui a tant insisté sur le fait que l’identité canadienne s’est construite à travers le respect de sa diversité constitutive ne saurait camoufler le fait que dès que les rapports de force se sont modifiés en faveur du nouveau groupe majoritaire et politiquement dominant, les concessions consenties sont rapidement devenues trop lourdes à préserver. Ainsi, l’arrivée des loyalistes a été à la source de la division du territoire et de la constitution du Haut-Canada, la volonté d’assimiler graduellement les Canadiens français a conditionné l’adoption de l’Acte d’union et la mise en place d’une assemblée législative composée d’un nombre égal de députés en dépit de la supériorité démographique des Canadiens français. La croissance rapide de la population du Haut-Canada allait rendre cet arrangement problématique et alimenter un mouvement réclamant, pour des raisons de justice et d’équité, une représentation proportionnelle à la population. Les concessions pratiques sous l’Union qui ont conduit au maintien de deux systèmes administratifs parallèles allaient faciliter l’adoption d’une solution rétablissant la province du Bas-Canada qui deviendra le Québec.

  • 15  J. Ajzenstat, P. Romney, I. Gentles et W. D. Garidner, Débats sur la fondation du Canada, Québec, (...)

17Les tractations politiques qui conduisirent à l’adoption d’un État fédéral au Canada démontrent que cette idée n’était pas acquise. Bien que certains leaders politiques, dont celui qui sera le premier premier ministre au Canada, John A. Macdonald, auraient préféré une union législative et la constitution d’un nouvel État unitaire, les pressions exercées par les élites canadiennes-françaises forcèrent l’adoption d’un régime politique qui se rapproche du fédéralisme. La mise en place de deux ordres de gouvernement et la division des pouvoirs qui s’y rattache s’explique en partie par l’insistance des élites canadiennes-françaises sur la nécessité de contrôler les matières jugées essentielles à la préservation de leur identité culturelle, linguistique et religieuse. Mais l’interprétation du projet fédératif n’était pas univoque, comme en font foi les débats tenus dans les différentes assemblées législatives portant sur sa signification et ses enjeux15. Les critiques à l’endroit du caractère impérial du processus ayant mené à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (dans la foulée des pressions exercées par le Colonial Office de Londres), de l’absence de consultation des assemblées législatives, de ce que les négociations aient été tenues secrètes, du caractère impérial du nouveau régime politique n’ont pas manqué. Non seulement une très faible majorité de délégués de l’ancien Bas-Canada appuyèrent la résolution confédérale, mais le caractère fortement centralisateur du nouvel État était consacré par la distribution des pouvoirs et la faible capacité financière des nouvelles provinces créées et la possibilité laissée au pouvoir central de désavouer les législations provinciales. Néanmoins, au Bas-Canada, les tenants du projet fédéral ont surtout mis l’accent sur la question de l’autonomie provinciale et l’adéquation entre le Canada français et ce qui allait devenir la province de Québec. Mais il demeure qu’au cœur de l’arrangement politique négocié se trouvait la question centrale de l’aménagement politique des rapports conflictuels entre minorités et majorités : entre la minorité de langue française et la majorité de langue anglaise dans l’ensemble canadien ; entre la minorité anglophone et la majorité francophone au Québec ; entre les minorités catholiques et la majorité protestante hors Québec ; entre les peuples autochtones et la majorité blanche dans tout le Canada.

  • 16  Gouvernement du Québec, Rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionne (...)

18Ce détour n’est pas inutile car il souligne à double trait le fait que les intentions des pères de la confédération de 1867 ont été interprétées de manière fort différente au Canada. Cette ambiguïté foncière a profondément marqué la manière dont l’évolution du fédéralisme canadien a été interprétée par la suite. Au Québec, l’interprétation qui s’est imposée en souligne le caractère centralisateur et souhaite la réhabilitation de l’idée fédérative. Ressort de cette interprétation le fait que les pratiques fédérales n’ont pas respecté l’esprit de l’entente en subordonnant les provinces au gouvernement central. Ce dernier n’a pas cherché à respecter le principe de l’autonomie des provinces, pas plus qu’il n’a favorisé leur participation aux décisions prises par le gouvernement fédéral. L’esprit de la fédération est celui d’une reconnaissance implicite du traitement égal des deux peuples nationaux présentés comme associés, partenaires, ayant chacun des droits quant à la survivance de leur groupe au sein de l’union canadienne. Dans cette perspective, la question de l’autonomie provinciale est vitale dans la mesure où le Québec est la seule province qui compte une majorité française ayant besoin de ses cadres juridiques et politiques pour se défendre et se maintenir dans un Canada dominé par une majorité anglophone. En d’autres mots, le Québec se présente comme une société distincte et son statut minoritaire au Canada exige le respect de son autonomie et des pouvoirs qui lui ont été reconnus constitutionnellement (pouvoirs qu’il peut décider d’exercer ou non, là n’est pas véritablement la question). La fédération politique se double donc d’une fédération nationale. Il y a plus de cinquante ans, la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels écrivait : « Une fédération de ce genre n’a de chances de bien fonctionner qu’à la condition que, à tous les degrés de l’ordre politique, y règne le véritable esprit fédéraliste, c’est-à-dire l’esprit d’association, de collaboration, de respect de la variété et de la complexité de la vie sociale. Cet esprit est encore plus nécessaire lorsqu’un groupe majoritaire se trouve en mesure de contrôler pratiquement l’appareil gouvernemental et de le faire servir à l’avantage presque exclusif des siens. La tentation devient grande alors d’utiliser le pouvoir étatique, non seulement comme un agent d’union entre tous les groupes – ce qu’il doit être –, mais comme un instrument d’unification et d’assimilation, et peut-être même de domination et d’oppression16

19Que ce soit dans une perspective autonomiste à la Duplessis ou sous une forme moderne, qui met l’accent sur des arrangements de type asymétrique, les préoccupations du Québec ont toujours été marquées par cette façon d’appréhender le rôle que devrait jouer le gouvernement du Québec au sein du régime fédéral. Dans le discours public et gouvernemental, la centralisation du régime est jugée à l’aune des empiètements fort nombreux du gouvernement fédéral dans les sphères de compétences établies en 1867. Le non-respect de la division initiale des pouvoirs couplée à un interventionnisme de plus en plus marqué du gouvernement fédéral s’est traduit par la mise en place d’un régime politique inspiré par une approche désignée comme unitaire, sinon impériale.

  • 17  M. Chevrier, Le fédéralisme canadien et l’autonomie du Québec : perspective historique, Québec, mi (...)

20Les gouvernements qui se sont succédé à Québec se sont tous attribué la responsabilité de représenter cette communauté (définie comme la nation québécoise) au sein de l’espace politique canadien17. Ils ont cherché à obtenir la reconnaissance non seulement de l’existence de la nation québécoise, mais surtout du fait qu’elle est légitimement représentée par son gouvernement provincial (l’État du Québec), qui est seul en mesure d’en comprendre les aspirations, de satisfaire à ses besoins et d’en définir l’avenir.

21Découle de cette reconnaissance le besoin de voir le gouvernement fédéral respecter les compétences provinciales. Depuis la fin des années 1960, le gouvernement du Québec a constamment exigé une refonte de la constitution et cherché à obtenir les pouvoirs jugés indispensables à son affirmation identitaire dans toutes les sphères d’activité (économique, sociale, politique et culturelle). Le rôle étendu que l’État québécois entend jouer est à la base de l’argument en faveur de l’obtention d’un statut particulier ou d’un fédéralisme asymétrique.

22La dynamique Québec-Canada se décline en plusieurs termes : attachement au principe de l’autonomie, respect et élargissement des compétences provinciales, obtention d’un statut particulier et fédéralisme asymétrique. La position des gouvernements québécois qui se sont succédé n’est pas celle d’un repli sur le Québec. Il s’agit plutôt de la construction d’un espace politique « national » et de sa légitimation, qui correspond aux particularités du Québec qui se définit comme une « société globale ».

  • 18  R. Simeon, Political Science and Federalism : Seven Decades of Scholarly Engagement, Kingston, Ins (...)

23Au Canada anglais, en revanche, la question des origines est secondaire dans l’évaluation que l’on fait de la manière dont le fédéralisme a évolué. On insiste davantage sur le fait que les arrangements et les compromis conclus en 1867 s’inscrivaient dans une logique pragmatique pour répondre aux besoins et nécessités de l’époque. L’interprétation de l’évolution du régime fédéral qui s’est donc imposée met l’accent sur le passage d’un système hautement centralisé, puisque le gouvernement fédéral pouvait intervenir dans les compétences exclusives provinciales en utilisant ses pouvoirs déclaratoires, de réserve et de désaveu, à l’un des systèmes fédéraux les plus décentralisés au monde18. En fin de compte, la croissance de l’État canadien a rendu obsolète le modèle fédératif cloisonné et l’impératif du respect du principe de l’autonomie provinciale. Cela s’est traduit par une réinterprétation des fins du régime fédéral qui visait moins à satisfaire les communautés constitutives qu’à favoriser une approche « pragmatique » du partage des compétences. Le développement de l’interventionnisme étatique a fait en sorte que les gouvernements sont entrés dans des rapports de concurrence pour entre autres s’assurer de la loyauté des citoyens. Le fédéralisme d’après-guerre se caractérise donc par un plus grand chevauchement de juridictions, une interdépendance des politiques et un niveau plus élevé de concurrence intergouvernementale. Se sont donc mis en place des mécanismes de « collaboration intergouvernementale » pour gérer ces multiples chevauchements sous la forme d’un fédéralisme exécutif de plus en plus actif. Le fédéralisme canadien est maintenant jugé à l’aune de la justice sociale, de l’égalité et, bien accessoirement, de l’accommodement des communautés constitutives.

24C’est ce processus de « nation building » que Pierre Elliott Trudeau est venu parachever en 1982 par le rapatriement de la Constitution et l’enchâssement d’une Charte canadienne des droits et libertés. Dans ce contexte, la consolidation de l’identité canadienne reposait sur le rejet de la conception binationale, pourtant au centre de la compréhension qu’en avaient les Canadiens français au moment de l’entente de 1867, au profit d’une vision unitaire et multiculturelle de la nation canadienne, de la banalisation du statut du Québec, de l’atomisation des rapports politiques, de la consécration du principe de l’égalité des individus et des provinces et de la réduction des compétences législatives provinciales par le processus d’envahissement des sphères d’autonomie. Au début des années 1980, le Canada procède à une refondation des principes sur lesquels il repose. Au centre de celle-ci se trouve la Charte, qui non seulement définit les « valeurs canadiennes » mais est à la base du contrat qui lie les citoyens à l’État.

  • 19  A. Burelle, Pierre Elliott Trudeau. L’intellectuel et le politique, Montréal, Fides, 2005, p. 459- (...)

25Comme le rappelle André Burelle, la fédération de 1982 repose sur un unitarisme républicain qui obéit aux principes d’un libéralisme individualiste anti-communautarien. Ainsi, les individus sont fondus dans une seule nation « civique » dont la souveraineté s’exerce dans sa totalité au sein du gouvernement central19. Celui-ci peut confier aux gouvernements provinciaux certains pouvoirs qu’ils sont mieux en mesure d’exercer, non pas à travers une décentralisation formelle des pouvoirs, mais plutôt par la voie de la déconcentration. Ce mode d’appréhension de la fédération canadienne accepte la hiérarchisation des ordres de gouvernement et contribue à légitimer l’absence de frontières et de limites dans la capacité d’agir du gouvernement « central » au nom de la nécessaire flexibilité et de la complexité des problèmes auxquels l’État doit faire face.

  • 20  R. Simeon, « Canada : Federalism, Language, and Regional Conflict », dans U. M. Amoretti et N. Ber (...)
  • 21  A. Noël, « Canada : Love It or Don’t Leave It! », Policy Options, vol. 34, no 21, p. 34.

26Le jugement sur le régime fédéral canadien dépend évidemment du point de vue adopté par les analystes et les acteurs politiques. Le fait que le Québec soit en mesure de prendre en main son « destin » grâce à un gouvernement provincial jugé fort et disposant de ressources lui permettant de mener à bien ses politiques économiques, sociales et culturelles de manière autocentrée, le bilinguisme des institutions fédérales, les mécanismes institutionnels qui facilitent la collaboration fédérale-provinciale ouverte aux changements et adaptations, l’asymétrie de facto qui s’est développée dans l’administration des programmes fédéraux, la représentation des intérêts « régionaux » au sein du Parlement canadien à travers la politique partisane, tout cela peut conduire à penser que le fédéralisme canadien a su répondre adéquatement à sa diversité constitutive20. Pour d’autres, le Québec est maintenant « enfermé » dans le Canada qui évolue sans devoir en tenir compte. Le politologue Alain Noël soutient que « le Québec, dans cette perspective, n’est pas libre au Canada parce que des amendements constitutionnels peuvent être adoptés sans son consentement, parce qu’il ne peut pas, en pratique, rechercher une reconnaissance constitutionnelle, et parce qu’il serait lié, à la suite d’un référendum, à des règles constitutionnelles qu’il n’a pas approuvées. Les peuples autochtones partagent une situation semblable, peut-être même plus difficile. Le choix est brutal : vous prenez le Canada tel qu’il est et apprenez à l’aimer (plan A) ou vous acceptez le fait que vous ne pouvez pas le quitter (plan B). Il ne s’agit pas d’une simple question symbolique ou constitutionnelle abstraite. Comme le fait remarquer Tully, les discussions au sujet de la reconnaissance définissent également des relations de pouvoir dans une société. Sur une série de questions concrètes, le Canada va de l’avant comme si le Québec n’existait pas ou comme si cela n’importait guère21

  • 22  K. McRoberts, Misconceiving Canada : The Struggle for Unity, Toronto, Oxford University Press, 199 (...)

27Par-delà les arrangements institutionnels et leur évolution dans le temps, ce sont plutôt la culture ou l’attitude fédérale qui se sont émoussées au fur et à mesure que la communauté politique canadienne s’est consolidée autour des principes de la Charte. Selon les nouveaux principes qui ont présidé à la refondation du Canada, dont la primauté des droits individuels et l’égalité formelle des provinces telle que constitutionnalisée par la formule d’amendement de 1982, les demandes formulées par les élites politiques « fédéralistes » du Québec se sont longtemps avérées incompatibles avec cette représentation de la nation civique pancanadienne. Cependant, en décembre 2006, le Parlement canadien a adopté une motion reconnaissant que « les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni ». Cette reconnaissance, bien qu’elle ne soit pas constitutionnelle, montre  que  la  « vision Trudeau22 » du Canada n’est plus la seule ayant voix au chapitre, du moins dans la classe politique, et marque peut-être une complexification de la représentation canadienne de la nation et du fédéralisme.

Le cas espagnol : un délicat équilibre entre unité et diversité

28L’Espagne a connu plusieurs styles de gouverne de sa diversité. De sa formation en 1472 jusqu’au dix-neuvième siècle, l’État espagnol n’a été en vérité qu’un assemblage de territoires jouissant d’une autonomie variable. Les provinces basques, par exemple, virent leurs fueros reconnus par une succession de monarques. Ce style de gouverne a fait place à un élan centralisateur sous une monarchie libérale, ponctuée d’un court régime républicain libéral en 1873. La réaction de la bourgeoisie catalane et des traditionalistes basques face à cette menace contre l’autonomie de leurs régions et provinces fut vive mais inutile. Lorsque le régime monarchique s’effondra, il fut remplacé par la dictature militaire du général Primo de Rivera. Ce changement eut de grandes conséquences pour les nationalismes minoritaires de l’Espagne qui, surtout vers la fin du nouveau régime, virent leurs revendications ignorées. La deuxième république (1931-1936) offrit la possibilité de combiner démocratie et décentralisation. De façon plus précise, la Catalogne, le Pays basque et la Galice, s’assurèrent de statuts d’autonomie qui, pourtant, ne survécurent pas à la guerre civile (1936-1939). L’établissement de la dictature franquiste donna naissance à une nouvelle approche des nationalismes minoritaires : la répression brutale de l’expression des cultures et identités minoritaires au nom d’une nation espagnole une, indivisible et éternelle. Ces politiques de répression furent appliquées, bien qu’avec une vigueur décroissante, jusqu’à la mort de Franco en décembre 1975.

29L’État espagnol a donc emprunté au moins quatre voies pour gérer sa diversité avant l’avènement de la démocratie en 1978 : un modèle, prémoderne, qui se donnait une allure confédérale et reposait sur le respect de la diversité historico-politique ; l’État du dix-neuvième siècle, centralisateur et libéral aux fondations universalistes ; la configuration décentralisée du deuxième régime républicain ; et la forme répressive et autoritaire des dictatures.

30Dans quelle mesure ces méthodes ont-elles équilibré unité et diversité ? En d’autres termes, quelle a été leur efficacité à répondre aux positions basque, catalane et galicienne tout en suivant les impératifs de cohésion nationale et d’intégrité étatique issus du système interétatique européen ?

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31Le modèle presque confédéral de l’Espagne prémoderne, souvent critiqué pour avoir empêché un processus « d’intégration nationale »23, constituait en fait une position moyenne intéressante entre unité et diversité. Ce modèle était en partie une nécessité – puisque l’État espagnol d’avant le dix-neuvième siècle était, du moins dans ses manifestations internes, plutôt faible car il investissait une très grande part de ses ressources dans son empire colonial –, mais il était aussi le produit d’un choix reflétant une philosophie de gouverne, celle des Habsbourg, fondée sur l’autonomie politique des territoires. Le respect des différences de toutes sortes (culturelles, linguistiques, historiques et politiques) faisait que cet arrangement satisfaisait largement les élites basques, catalanes, etc. Elles le considéraient juste, puisqu’en échange de cette liberté elles juraient fidélité au monarque espagnol. Cet arrangement a soutenu avec succès une société espagnole des plus diverses pendant plusieurs siècles, si bien que plusieurs populations s’identifiaient d’abord avec des pouvoirs locaux et régionaux tout en maintenant une loyauté, souvent implicite, à l’Espagne. Il assurait donc une certaine cohésion et stabilité. L’approche s’est en revanche heurtée à l’idée qu’elle contribuait à la perte de vitesse de l’Espagne. Elle aurait donc échoué à mener l’Espagne à la modernité et à la préparer dans sa lutte contre les grandes puissances européennes, ce qui a conduit à son rejet.

  • 24  L’Espagne n’était pas multinationale au milieu du dix-neuvième siècle dans la mesure où les nation (...)

32C’est dans ce contexte d’une quête de plus grande consolidation, modernité et puissance que le projet libéral centralisateur s’amorça. Ce projet privilégiait l’unité plutôt que la diversité ou, plutôt, supposait, contrairement à l’Espagne des Habsbourg, que la diversité minait l’unité. En fait, il impliquait que la concrétisation d’une certaine forme de justice (libérale, caractérisée par la protection des droits individuels) allait entraîner une unité des sociétés modernes. Mais l’Espagne était alors encore une société sinon multinationale du moins multiethnique24, car l’assimilation des populations n’y avait jamais été véritablement tentée. Dans cette Espagne, les élites des provinces basques, par exemple, ne partageaient évidemment pas la préoccupation des libéraux de Madrid pour l’unité, du moins celle de la centralisation, préférant plutôt la tradition de l’autonomie et des privilèges territoriaux. La contestation de la centralisation libérale dans ces provinces et en Catalogne contribua à miner les assises du nouveau régime qui céda sa place à la dictature de Primo de Rivera.

33Après cette courte dictature, le régime républicain entendait répondre à la demande des groupes minoritaires de respecter la diversité à la fois à travers l’autonomie territoriale et l’institutionnalisation des valeurs libérales progressistes. Ce compromis posa cependant des problèmes qui ne purent être surmontés, car pour certaines élites politiques et militaires la décentralisation menaçait la cohésion nationale et la stabilité politique du pays.

34L’écrasement de la seconde république mena à la dictature franquiste. Ce régime était construit sur des impératifs d’unité, de cohésion nationale et d’intégrité territoriale. Il ignorait la notion de diversité, ce qui bien sûr souleva l’opposition des groupes minoritaires mais aussi des centralistes libéraux-démocrates. Ironiquement, l’obsession du régime franquiste pour l’unité de l’Espagne délégitima à la fois l’État espagnol et l’idée de nation espagnole aux yeux de plusieurs Basques et Catalans. La dictature provoqua naturellement de forts sentiments de colère et d’injustice à travers tout le pays mais, chez les groupes minoritaires, c’est l’Espagne même plutôt que simplement le régime qui a vu sa légitimité affectée.

35Suivant cette dynamique, les questions d’aménagement de la diversité ont été au centre de la transition démocratique. Pour la première fois dans l’histoire du pays, les dirigeants espagnols se trouvaient dans une position où ils devaient réconcilier la place, sinon la nature, de l’État espagnol avec des revendications autonomistes provenant du Pays basque, de la Catalogne et, dans une moindre mesure, de la Galice, dans un contexte libéral et démocratique. La constitution de 1978 résulte donc d’un compromis entre des demandes faites au nom de la diversité et une préoccupation pour l’unité et la cohérence de l’Espagne. Ce compromis constitutionnel est original et ingénieux. Il reconnaît, par exemple, l’existence de « nationalités historiques », mais les situe au sein de la nation espagnole. Il crée des communautés autonomes et leur donne des moyens d’assumer des responsabilités politiques, mais ne déclare pas que l’Espagne est une fédération.

36Ces compromis se sont révélés acceptables dans la plupart des régions d’Espagne. Au Pays basque, pourtant, les partis nationalistes se sont opposés à la constitution, qu’ils jugeaient trop timide à l’égard de la diversité en ce qu’elle ne reconnaissait pas aux Basques un droit d’autodétermination. Cette opposition a résulté en un taux de participation et d’appui lors du référendum sur la constitution beaucoup plus bas qu’ailleurs au pays. Cet appui modeste a été lourd de conséquences pour les relations entre le Pays basque et l’État espagnol puisqu’il a miné la légitimité de l’ordre constitutionnel aux yeux de plusieurs Basques. Il explique que le discours du nationalisme basque se soit beaucoup articulé autour de l’argument que l’État espagnol est un État étranger, voire envahisseur, qui impose sa volonté aux Basques.

37Cette interprétation des institutions espagnoles comme manquant de légitimité a contribué à l’appui par une minorité de Basques à l’organisation terroriste ETA pendant au moins deux décennies après l’avènement de la démocratie en Espagne. La conviction selon laquelle l’ordre constitutionnel espagnol est injuste car il ne reconnaît pas le droit à l’autodétermination pour les Basques a été exposée de façon particulièrement forte par les nationalistes basques radicaux qui suggéraient que l’Espagne d’après 1978 n’avait en fait pas beaucoup changé par rapport à l’Espagne franquiste. La question de la légitimité représente le premier facteur permettant de comprendre la présence de violence dans un contexte libéral et démocratique. Plusieurs Basques étaient prêts à accepter l’ETA, même s’ils avaient des doutes sur le recours à la violence, parce qu’ils croyaient que l’organisation se battait pour une cause juste. En somme, bien qu’il soit probable que l’ETA aurait tout de même existé dans la démocratie espagnole même si les Basques avaient plus massivement approuvé la nouvelle constitution, le déficit de légitimité de celle-ci a favorisé l’essor d’un appui sociétal essentiel à la survie de l’organisation. Mentionnons, cela dit, qu’un deuxième référendum sur le statut d’autonomie basque a vu une grande majorité de Basques appuyer la structuration territoriale de l’Espagne démocratique.

38La violence au Pays basque ne devrait pas mener à un jugement trop sévère sur la constitution espagnole qui, comme on l’a dit, faisait place à un compromis plutôt satisfaisant entre revendications autonomistes au nom du respect de la différence et exigence de l’unité et de l’intégrité de l’Espagne. Pourtant, l’appui aux partis nationalistes en Catalogne, au Pays basque et, dans une moindre mesure, ailleurs (Galice, îles Canaris, etc.) montre qu’il existe, dans plusieurs régions, un important mécontentement à l’égard de l’Espagne.

39Comment expliquer ce mécontentement alors même que la constitution semble avoir atteint un compromis honnête ? La réponse à cette question réside dans le fait que la pratique politique des relations entre l’État et les communautés autonomes a privilégié, du moins jusqu’à tout récemment, l’aspect unité de la constitution espagnole plutôt que celui d’autonomie et de diversité. Au cours des années 1980, le gouvernement espagnol a ainsi tenté d’amoindrir l’exception basque, catalane et galicienne telle qu’exprimée dans la constitution en égalisant les pouvoirs des communautés autonomes. Les gouvernements subséquents ont aussi résisté au transfert de nombreux pouvoirs vers la Catalogne et le Pays basque pourtant indiqués dans les statut d’autonomie de ces deux communautés. Les gouvernements Aznar, en particulier le second (2000-2004), ont exprimé très explicitement l’idée d’une nation espagnole « une et indivisible » appuyée sur un État central fort, où les communautés autonomes réclamant plus de pouvoirs étaient des menaces pour le pays. Le désir d’affirmer l’identité espagnole des gouvernements Aznar s’est souvent traduit par la promotion de la culture dominante. Ces gouvernements ont, par exemple, poussé les gouvernements des communautés autonomes à réformer leur curriculum scolaire de manière à renforcer l’enseignement de la langue et de la culture castillane. S’ajoutait à ce type d’initiative un refus absolu de discuter d’une quelconque réforme du système d’autonomie espagnol, particulièrement entre 2000 et 2004 lorsque le Parti populaire disposait d’une majorité parlementaire. Aznar, par exemple, refusait même de répondre aux appels du lehendakari (président) basque sous prétexte qu’il n’avait rien à dire sur la question de l’« autodétermination ».

40Ces attitudes centralistes faisaient partie paradoxalement d’un discours de loyauté et de fidélité à une constitution qui, pourtant, est plus complexe que le gouvernement Aznar ne le laissait supposer. Néanmoins, cette attitude du gouvernement central a mené les dirigeants basques et catalans à conclure que l’ordre constitutionnel de 1978 n’était plus approprié car il servait d’appui à une approche politique jugée trop orientée vers l’unité aux dépens de la diversité et favorisant la cohérence, voire l’homogénéité, plutôt que l’autonomie et la différence. Le deuxième gouvernement Aznar, qui faisait de la stabilité et de l’unité du pays son cheval de bataille, a plutôt précipité des demandes de changement et exacerbé les sentiments indépendantistes.

  • 25  A. Lecours, Basque Nationalism and the Spanish State, Reno, University of Nevada Press, à paraître

41Faute d’interlocuteur intéressé à travailler pour le changement dans le cadre de la constitution de 1978 et des statuts d’autonomie qui en découlent, les dirigeants basques et catalans ont formulé des propositions de réforme (quasi)  constitutionnelles. L’élection en 2004 du Parti socialiste, plus ouvert au dialogue et au changement que le Parti populaire, a représenté une chance de transformer la gouverne de la diversité profonde en Espagne. En Catalogne, fort d’un appui élevé parmi les partis politiques, un nouveau statut d’autonomie fut soumis au gouvernement central qui l’accepta après quelques négociations. En plus d’accroître l’autonomie, en particulier financière, de la région, le nouveau statut présente une façon originale d’opérationnaliser la reconnaissance nationale : il prend acte que les institutions catalanes ont reconnu l’existence d’une nation catalane. Au Pays basque, la situation est plus complexe. Tout d’abord, le projet de réforme du gouvernement (le plan Ibarretxe) est plus ambitieux25, car il appelle à la configuration d’une nouvelle relation entre le Pays basque et l’Espagne, ce que le gouvernement espagnol rejette. Ensuite, ce projet n’est soutenu que par les partis nationalistes basques. Finalement, il n’y pas consensus au Pays basque même sur la nécessité d’un changement constitutionnel, voire sur la nature exacte d’un tel changement. Le cessez-le-feu permanent déclaré par l’ETA au printemps 2006, combiné à la présence d’un gouvernement socialiste à Madrid, ouvrait la porte à une possibilité de changement, mais la détonation d’une bombe à l’aéroport de Madrid en décembre 2006 par des membres présumés de l’organisation l’a refermée, du moins pour un temps.

42Comment évaluer la nouvelle situation espagnole en rapport à la diversité profonde du pays ? Il est difficile de savoir quel effet la réforme du statut d’autonomie de la Catalogne aura sur les revendications autonomistes et indépendantistes catalanes, et quel sera l’avenir du plan Ibarretxe. Mis à part l’imprévisibilité de l’impact des changements institutionnels sur les mouvements nationalistes, la récente histoire politique espagnole montre que c’est le politique plutôt que le droit constitutionnel qui décidera des dynamiques futures. Si le parti socialiste espagnol accepte de tenir compte de l’importance que la Catalogne et le Pays basque accordent à leur diversité, c’est-à-dire l’idée que ces communautés autonomes puissent se démarquer des autres par leur degré d’autonomie et l’affirmation de leur identité, tel n’est pas le cas pour le Parti populaire. Ce parti véhicule une vision différente de l’Espagne, plus centralisée et homogène, et une conception différente de la structure fédérale, fondée sur l’égalité et la symétrie entre les communautés autonomes, qui s’allient bien avec une véhémente insistance sur le caractère sacré de la nation espagnole et son intégrité territoriale. C’est dans l’existence de ces deux visions de l’Espagne qui conjuguent de manière différente unité et diversité que se situent à la fois des possibilités de changement (avec le Parti socialiste) et les résistances à la décentralisation (avec le Parti populaire).

43Au Canada comme en Espagne, il existe plusieurs visions du pays, de sa profonde diversité et des institutions qui doivent la gérer. Dans les deux cas, on trouve des partisans de la centralisation pour qui l’unité nationale requiert un gouvernement central actif dans plusieurs domaines de politique publique, et des partisans de la décentralisation pour qui cette unité est mieux servie par le renforcement des pouvoirs institutionnels des groupes minoritaires. Au sein de ce dernier groupe, certains ont une conception multinationale du pays, ce qui devrait s’accompagner à  leur  sens  de  l’explicite reconnaissance de la différence collective plutôt qu’une simple décentralisation fonctionnelle des pouvoirs.

44En 2006, les deux pays se sont aventurés sur le sentier balisé par une vision multinationaliste de la communauté politique. La reconnaissance de la nation québécoise par le parlement du Canada atténue la caractérisation du Québec au sein des institutions fédérales marquées depuis plusieurs décennies par une approche unitariste. Il reste bien sûr à voir dans quelle mesure ce geste symbolique structurera, en pratique, le fédéralisme canadien. En Espagne, le changement au Statut d’autonomie catalan reste un pas timide mais important dans la normalisation d’une vision de l’Espagne jusque-là peu acceptée. Ici aussi, il faudra voir si ce développement transformera les relations entre l’État et les communautés autonomes, la Catalogne en particulier. Contrairement au Canada, où la « condition fédérale » a toujours été présente, l’Espagne a cette particularité que le fédéralisme n’y est pas accepté en théorie, c’est-à-dire que sa classe politique refuse de considérer le pays comme une fédération. Il s’agit-là d’une culture politique qui ne facilitera pas des changements substantiels dans la pratique politique.

45Il n’en demeure pas moins que les cas canadien et espagnol démontrent que l’aménagement, toujours imparfait, de l’équilibre entre unité et diversité n’est possible que lorsque les institutions permettent aux groupes minoritaires de se mobiliser et de s’exprimer dans l’espace public. Les résultats, quant à eux, seront toujours jugés en fonction des aspirations définies par les groupes nationaux minoritaires et des compromis que le nationalisme majoritaire est disposé à faire. L’éthique ne peut que rejoindre et se conjuguer en fonction des impératifs politiques.

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Notes

1  L’Espagne ne se définit pas comme fédération, ni constitutionnellement ni politiquement. Pourtant, ses structures de division territoriale du pouvoir, définies dans la constitution, font en sorte qu’on peut voir le fédéralisme à l’œuvre dans le contexte espagnol. Voir, par exemple, L. Moreno, The Federalization of Spain, Londres, Frank Cass, 2001.

2  M. Lamontagne, Le fédéralisme canadien : évolution et problèmes, Québec, Presses universitaires Laval, 1954, p. 99.

3  B. Théret, « Du principe fédéral à une typologie des fédérations : quelques propositions », dans J.-F. Gaudreault-Desbiens et F. Gélinas (dir.), Le fédéralisme dans tous ses États. Gouvernance, identité et méthodologie – The States and Moods of Federalism. Governance, Identity and Methodology, Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 100.

4  Ibid., p. 128.

5  R. L. Watts, Comparaison  des régimes fédéraux, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2002, p. 7.

6  D. M. Weinstock, « Vers une théorie normative du fédéralisme », texte présenté à la conférence internationale sur le fédéralisme, Mont-Tremblant, octobre 1999.

7  F. Delmartino et K. Deschouwer, « Les fondements du fédéralisme », dans A. Alen et al. (dir.), Le fédéralisme. Approches politique, économique et juridique, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1994, p. 12.

8  D. M. Weinstock, art. cité, p. 6.

9  H. Brugmans, Panorama de la pensée fédéraliste, Paris, La Colombe, 1956, p. 135.

10  H. Brugmans, La pensée politique du fédéralisme, Leyde, A. W. Sijthoff, 1969, p. 31-32.

11  Ibid., p. 30.

12  W. S. Livingston, « Canada, Australia and the United States : Variations on a Theme », dans V. Earle (dir.), Federalism : Infinite Variety in Theory and Practice, Itasca (Ill.), F. E. Peacock, 1968, p. 138.

13  R. Blindenbacher et R. L. Watts, « Federalism in a Changing World : A Conceptual Framework for the Conference », dans R. Blindenbacher et A. Koller, Federalism in a Changing World : Learning from Each Other. Scientific Background, Proceedings and Plenary Speeches of the International Conference on Federalism 2002, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2002, p. 13.

14  G. F. G. Stanley, New France : The Last Phase, 1744-1760, Toronto, McClelland and Stewart, 1968 ; J. C. Nish, The French Canadians, 1759-1766, Vancouver, Copp Clark, 1966.

15  J. Ajzenstat, P. Romney, I. Gentles et W. D. Garidner, Débats sur la fondation du Canada, Québec, Presses de l’université Laval, 2004.

16  Gouvernement du Québec, Rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, vol. 2, Québec, 1956, p. 127-128.

17  M. Chevrier, Le fédéralisme canadien et l’autonomie du Québec : perspective historique, Québec, ministère des Relations internationales, 1996, p. 14.

18  R. Simeon, Political Science and Federalism : Seven Decades of Scholarly Engagement, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations, 2002.

19  A. Burelle, Pierre Elliott Trudeau. L’intellectuel et le politique, Montréal, Fides, 2005, p. 459-460.

20  R. Simeon, « Canada : Federalism, Language, and Regional Conflict », dans U. M. Amoretti et N. Bermeo (dir.), Federalism and Territorial Cleavages, Baltimore (Md.), Johns Hopkins University Press, 2004, p. 93-122.

21  A. Noël, « Canada : Love It or Don’t Leave It! », Policy Options, vol. 34, no 21, p. 34.

22  K. McRoberts, Misconceiving Canada : The Struggle for Unity, Toronto, Oxford University Press, 1997.

23  J. Ortega y Gasset, España invertebrada. Bosquejo de algunos pensamientos históricos, Madrid, Espasa Calpe, 1989 (9e éd.).

24  L’Espagne n’était pas multinationale au milieu du dix-neuvième siècle dans la mesure où les nationalismes basque et catalan ne s’étaient pas encore développés.

25  A. Lecours, Basque Nationalism and the Spanish State, Reno, University of Nevada Press, à paraître.

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Pour citer cet article

Référence électronique

André Lecours et François Rocher, « Le fédéralisme comme mode de gestion de la diversité : le cas du Canada et de l’Espagne »Éthique publique [En ligne], vol. 9, n° 1 | 2007, mis en ligne le 11 septembre 2015, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethiquepublique/1788 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ethiquepublique.1788

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Auteurs

André Lecours

André Lecours enseigne au département de science politique de l’université Concordia.

François Rocher

François Rocher enseigne à l’école d’études politiques de l’université d’Ottawa.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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