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Comptes rendus

Thèses d’État et mémoire universitaire

Rémi Mathis
p. 64-67
Référence(s) :

Véronique Meyer, Pour la plus grande gloire du roi. Louis XIV en thèses, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, 370 pages. ISBN 9782753554641

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Index géographique :

France

Index chronologique :

17e siècle
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Texte intégral

  • 1 Nota. Signalement de conflit d’intérêt : Véronique Meyer est membre du comité de rédaction des Nouv (...)

1Véronique Meyer, professeur d’histoire de l’art à l’université de Poitiers, fait partie des rares universitaires qui se seront spécialisés dans l’étude de l’estampe ancienne, auront considérablement fait avancer les recherches, et formé des générations d’étudiants – dirigeant une bonne partie des thèses qui se soutiennent sur le sujet. Cela tombe très bien car les thèses constituent précisément une des spécialités de Véronique Meyer. Elle avait elle-même dédié son travail de doctorat au graveur Gilles Rousselet (1610-1686), soutenu en 1984 (université Paris 4), et publié le catalogue de cet artiste en 2004 grâce à la Commission des travaux historiques de la Ville de Paris. Rousselet constituant une excellente entrée en matières pour se rendre compte de l’importance du phénomène des thèses dans la production gravée de l’époque, Véronique Meyer a creusé ce sujet, et publié de nombreuses études spécialisées – dont, déjà un ouvrage, en 20021.

2Qu’entend-on par « thèse » ? Eh bien, plus ou moins la même chose qu’aujourd’hui, dans un cadre scolaire : un texte qui sera soutenu devant un jury, dans l’une des quatre facultés (arts, théologie, médecine et droit) pour obtenir un grade universitaire. Ces diplômes sont importants car nécessaires pour obtenir certaines charges ou exercer certains métiers. Mais les soutenances sont également des événements mondains – surtout quand l’impétrant appartient à une grande famille. Dans ce cadre, des estampes de grande taille sont souvent commandées – parfois auprès d’excellents graveurs – qui donnent les « positions » (un résumé des propositions soutenues) de la thèse, avec une iconographie, soit symbolique, soit relevant du genre du portrait. En effet, ces thèses étaient généralement dédiées à un patron, dont on attendait ensuite protection et emploi. Les thèses constituent donc des œuvres à part entières – parfois parmi les plus belles estampes du temps (les portraits de Robert de Nanteuil ont largement été réalisés pour cet usage) – et des documents de premier ordre pour l’histoire de l’université et, plus largement, une histoire sociale des xviie et xviiie siècles, à Paris et en province. Placardées à la porte des collèges et dans la salle de soutenance, les thèses sont également distribuées au public et aux personnalités que l’on souhaite honorer. Le phénomène connaît son acmé à la fin du xviie et au début du xviiie siècle : les dédicaces se font alors extrêmement spectaculaires, et concernent les plus hauts personnages du royaume… jusqu’au roi lui-même !

Ill. 1. Gilles Rousselet d’après Charles Le Brun, Thèse de Charles d’Orléans, comte de Saint-Pol, dédiée à Louis XIV, 1664, burin, BnF, Estampes, AA-6 (Rousselet, Gilles)

Ill. 1. Gilles Rousselet d’après Charles Le Brun, Thèse de Charles d’Orléans, comte de Saint-Pol, dédiée à Louis XIV, 1664, burin, BnF, Estampes, AA-6 (Rousselet, Gilles)

3C’est cette présence du roi dans les thèses que l’ouvrage vient analyser. Pour cela, le texte suit un plan très clair, qui permet de faire entrer le lecteur dans les arcanes de ces matières peu connues… bien qu’elles aient pour partie déjà été traitées dans les publications de l’auteur, et, en particulier, dans L’Illustration des thèses dans la seconde moitié du xviie siècle. Peintres, graveurs, éditeurs (Paris, Commission des travaux historiques de la Ville de Paris, 2002, 338 p.). La première partie sur la thèse (université, candidat, dédicataire) n’apporte ainsi pas forcément beaucoup de nouveau à qui connaît le sujet, mais est nécessaire pour introduire la suite, et constitue une synthèse heureuse et bienvenue.

4La seconde partie (« élaboration, diffusion, réception ») vient expliciter la réalisation d’un tel document : qui choisit et réalise l’iconographie, qui grave (non seulement les images mais aussi la lettre, extrêmement abondante et souvent superbement réalisée)… et qui paye, qui organise le travail. C’est ainsi tout un monde qui se reconstitue sous nos yeux – comme souvent dans le monde de l’estampe, celui-ci n’est pas autonome mais forcément relié à d’autres acteurs et communautés, en amont et en aval : financeurs, peintres, imprimeurs, éditeurs, marchands et fournisseurs de matières premières… Les thèses sont le résultat d’une culture qui appartient à la société tout entière et est traité en tant que tel, bien au-delà des questions de gravure.

5Enfin, la troisième partie se concentre sur le sujet central de ces thèses, c’est-à-dire le roi Louis XIV, de la naissance en 1638 à son décès au terme d’un règne long et dense. L’auteur y analyse la présence du sujet dans les thèses selon le lieu et l’époque, sa représentation, les allégories utilisées, vertus, attributs et symboles.

6Les documents sont ainsi envisagés sous tous les angles, de manière limpide, faisant peu à peu apparaître des enjeux nouveaux qui se surajoutent aux précédents. L’auteur a fait un énorme travail de choix des sources et convoque à la fois les estampes elles-mêmes, des sources d’archives – souvent inédites – et de la bibliographie récente permettant de remettre l’ensemble en contexte. La méthode est traditionnelle et/mais solide.

7Permettons-nous quelques critiques, toutefois. Certains passages tentent de faire des statistiques et énumèrent certaines caractéristiques et les listes de thèses qui y répondent (discipline, lieu de soutenance, type de thèse…) : peut-être serait-il souvent plus efficace de présenter ces renseignements sous formes de tableaux ou de graphiques. Cela éviterait de longues énumérations d’exemples, avec de lourdes répétitions du mot thèse… Un travail supplémentaire sous la forme d’une base de données traitée dans un logiciel de visualisation (type Gephi) permettrait d’ailleurs sans doute de faire apparaître certains rapprochements difficilement visibles à l’œil nu (ne serait-ce que les liens de famille entre dédicateurs, souvent issus de familles de haute noblesse apparentées entre elles). Enfin, comme c’est presque toujours le cas chez les littéraires et encore trop souvent chez les historiens, les éditions de textes n’en sont pas. Il serait bon que les documents cités soient édités (normes de l’École des chartes) et non recopiés de manière diplomatique – la lettre de l’estampe étant de toute façon recopiée pour le catalogue joint au texte principal.

8Le livre est complété d’un catalogue de ces thèses dédiées au roi, qui ne pouvaient se trouver directement dans l’ouvrage papier, pour des raisons de manque de place (c’est-à-dire de coût, c’est-à-dire de politique éditoriale). C’est un véritable second ouvrage qui est proposé là – sous la forme d’un pdf mis en page et téléchargeable. Ce choix éditorial est à la fois pertinent (on peut au moins conserver ce document, qui ne sera pas perdu au prochain changement de politique – ou simplement de serveur informatique – de l’éditeur) et problématique. Il est extrêmement dommage que ce catalogue paraisse sous une forme linéaire rédigée, ne permettant pas de hiérarchisation des informations et encore moins des recherches fines. Il nous aurait semblé souhaitable que ce travail prenne la forme d’une base de données, permettant à d’autres auteurs de prolonger les recherches de Mme Meyer et d’utiliser son travail de recensement dans d’autres contextes. Les images sont également reproduites dans une qualité minimale qui ne permet hélas pas d’en apprécier les finesses, mais même pas de voir certains détails ni d’en lire la lettre – alors que publier en ligne permet normalement le grand avantage, par rapport au papier, de proposer un zoom.

9Malgré ces quelques considérations, l’ouvrage est remarquable, notamment car il traite d’enjeux qui se situent à la jonction de différentes thématiques… dont les spécialistes ne se parlent pas toujours. L’approche transdisciplinaire qui en résulte, entre histoire de l’éducation, histoire des élites, histoire de l’art et de l’estampe est très riche et apportera du nouveau pour nourrir la réflexion de chercheurs issus de disciplines et de spécialités différentes, ouvrant des pistes de travail nouvelles pour de nombreux historiens et historiens de l’art.

Ill. 2. Stéphane Gantrel (portrait) et Pierre Lepautre (vignettes et encadrement), Thèses soutenues au collège jésuite de Rouen, 1687, burin, BnF, Estampes, N-5 (Louis XIV, roi de France)

Ill. 2. Stéphane Gantrel (portrait) et Pierre Lepautre (vignettes et encadrement), Thèses soutenues au collège jésuite de Rouen, 1687, burin, BnF, Estampes, N-5 (Louis XIV, roi de France)
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Notes

1 Nota. Signalement de conflit d’intérêt : Véronique Meyer est membre du comité de rédaction des Nouvelles de l’estampe. L’auteur du compte rendu avait déjà été revieweur de l’ouvrage à la demande des Presses universitaires de Rennes.

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Table des illustrations

Titre Ill. 1. Gilles Rousselet d’après Charles Le Brun, Thèse de Charles d’Orléans, comte de Saint-Pol, dédiée à Louis XIV, 1664, burin, BnF, Estampes, AA-6 (Rousselet, Gilles)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/estampe/docannexe/image/343/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 704k
Titre Ill. 2. Stéphane Gantrel (portrait) et Pierre Lepautre (vignettes et encadrement), Thèses soutenues au collège jésuite de Rouen, 1687, burin, BnF, Estampes, N-5 (Louis XIV, roi de France)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/estampe/docannexe/image/343/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 594k
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Pour citer cet article

Référence papier

Rémi Mathis, « Thèses d’État et mémoire universitaire »Nouvelles de l’estampe, 260 | 2017, 64-67.

Référence électronique

Rémi Mathis, « Thèses d’État et mémoire universitaire »Nouvelles de l’estampe [En ligne], 260 | 2017, mis en ligne le 15 octobre 2019, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/estampe/343 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/estampe.343

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Auteur

Rémi Mathis

Archiviste paléographe, conservateur chargé des estampes du xviie siècle au département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France, rédacteur en chef des Nouvelles de l’estampe

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