Navigation – Plan du site

AccueilNuméros5Traduction« Transport rapide »

Traduction

« Transport rapide »

« Rapid Transit », Wanda Coleman, Heavy Daughter Blues, Poems and Stories 1968-1986, Boston, Massachusetts, USA, Black Sparrow Press, 1987, p. 73-77
Wanda Coleman
Traduction de Lily Barker, Lise Garond, Maël Gay-Bellile, Catherine Fleury, Jocelyne Le Brun, Marie-Gabrielle Moiseau et Chahine Yalla
p. 140-146

Notes de la rédaction

Traducteurs : Lily Barker, Lise Garond, Maël Gay-Bellile, Catherine Fleury, Jocelyne Le Brun, Marie-Gabrielle Moiseau, Chahine Yalla, étudiants de M2 Pro Traduction littéraire et métiers du livre, promotion 2014, sous la direction de leur professeure Nicole Ollier, qui dirige le collectif de traduction « Passages » au sein de l’équipe CLIMAS.
Chaque doctorant(e), enseignant(e), amoureux(se) de la langue ou de la traduction, peut rejoindre « Passages » pour le temps qu’il(elle) peut passer, le plus passionnant étant de participer régulièrement aux travaux de longue haleine : la dernière publication en date, Olive Senior, Un Pipiri m’a dit / A Little Bird Told Me, Bègles, Castor Astral, 2014, donne lieu à une résidence à Bordeaux en février et mars 2014, comprenant des séances de travail avec les « Passagers(ères) » et des lectures en Aquitaine par l’auteure jamaïcaine : elles aussi, ouvertes à toutes et à tous.

Texte intégral

1Wanda Coleman, née Wanda Evans, nous a quittés le 22 novembre 2013 à Los Angeles, où elle était née exactement soixante-sept ans plus tôt (le 13 novembre 1946). Elle avait grandi dans le quartier Watts, connu pour ses émeutes en août 1965, et pour la renaissance culturelle locale qu’elles engendrèrent et qui se déploya dans divers espaces artistiques : elle y participa avidement. Elle était considérée comme une force de la nature, la conscience de la scène littéraire angelina, la femme poète lauréate non officielle de Los Angeles, ville avec laquelle elle entretenait une relation ambiguë et qui devint dans son œuvre le microcosme de l’Amérique. Elle souffrit de la discrimination raciale tout au long de sa vie, y compris de la part de sa propre communauté : ce qui la blessa le plus cruellement, à l’instant où elle mit le pied dans une classe, ce fut le regard que posèrent ses camarades afro-américains sur ses cheveux crépus et sa peau noire.

2Grande admiratrice du militant noir W.E.B. Du Bois, historien et sociologue, elle adopta son concept de double conscience et se réclamait d'une double culture, blanche et noire. Victime selon elle d'une quadruple exclusion due à la couleur de sa peau, son sexe, sa ville et son métier, elle transforma cette exclusion en matériau pour nourrir son œuvre. Militante depuis sa jeunesse, elle ne cessa de dénoncer le racisme, la pauvreté, la violence, la haine, l’aliénation, dans une langue plastique, usant de références éclectiques. Révolutionnaire toute sa vie, son écriture était son arme ; ses mots, ses munitions. Il est recommandé de l’entendre sur youtube manier toutes les nuances de l'élocution, du murmure au cri, et de voir son geste magnifique. On pourra écouter aussi la chanson « Blues in the Night » interprétée par Cab Calloway et dont les paroles sont fredonnées par le poivrot de la nouvelle qui suit.

3Les étudiant.e.s de M2 Pro traduction littéraire et métiers du livre se sont appliqué.es à rendre cette voix, la voix intérieure de l’héroïne, le parler des marginaux de la nuit qu’aimait peindre Coleman ; à décliner toutes les nuances de couleur de la peau — du miel ou de l’ambre au noir de charbon ou de jais en passant par le chocolat — qui traduisent l’obsession de la jeune femme et les critères de hiérarchie sociale du milieu dans lequel elle évolue. Son trajet en bus de ville (ils étaient régis par la RTD, ou SCRTD, compagnie Southern California Rapid Transit District, créée en 1964, et qui donne le titre, ironique, de la nouvelle), direction sud-nord, devient un véritable parcours initiatique, symbolisant la frustration et la colère ressenties par une femme noire et pauvre aux États-Unis lorsqu’elle souhaite simplement avancer, arriver quelque part, connaître quelques instants de bonheur. Savoir que cette nouvelle est d’inspiration autobiographique permet de mieux saisir sa charge d’émotion contenue.

4Merci à notre collègue Sophie Rachmuhl qui nous a fait connaître cette écrivaine et nous a éclairés sur son environnement pour cette présentation : dans le cadre d’une recherche doctorale à Los Angeles, elle a rencontré, interviewé, filmé Wanda Coleman et s’apprêtait à l’inviter à Bordeaux. Merci à Jeffrey Swartwood, Californien du Sud, d’avoir répondu à nos questions avant de mettre sous presse. Nous aurions aimé que l’auteure sache notre intérêt pour son œuvre, qui lui survit, et partager avec elle ce travail : nous le lui offrons in memoriam. Merci à Essais de nous donner l’occasion d’élargir cet hommage à la communauté des chercheurs de Bordeaux-Montaigne sous forme d’une traduction, sans doute la première en langue française pour cette œuvre.

Transport rapide

« Rapid Transit », Wanda Coleman, Heavy Daughter Blues, Poems and Stories 1968-1986, Boston, Massachusetts, USA, Black Sparrow Press, 1987, p. 73-77

5Raylene prenait le bus. Elle n’avait plus les moyens pour une voiture. Elle enfila de longues rues sombres et étroites qui menaient à la large étendue lumineuse de l’avenue.

Adieu les années passées, à moi, cet instant.

Les bus circulaient souvent à plusieurs heures d’intervalle, même sur les boulevards les plus fréquentés. Ce matin, son horoscope lui conseillait : « Ne manquez pas de faire signe à vos amis car ils ont hâte de vous revoir. » Aussi avait-elle passé le plus clair de sa journée à s’efforcer de suivre ces recommandations, sans jamais y parvenir.

La fraîcheur du bassin de Los Angeles la fit légèrement frissonner. Sous son caban de velours côtelé bleu-gris trois fois trop grand pour elle, elle portait une robe de cocktail en coton satiné imprimé de roses sur un soutien-gorge pigeonnant et une petite culotte légère : pas de quoi lui tenir chaud en dessous du haut de la cuisse.

6Un poivrot à la peau noire comme du charbon se dirigea vers le banc de l’arrêt de bus, à l’étroit dans un costume d’occasion trop petit pour lui. Même à cinq mètres de distance, elle était assaillie par la puanteur de la vinasse. Ce spectacle la remplissait de honte (que l’un des siens puisse à ce point manquer de respect envers lui-même) et de dégoût. L’homme titubait, secoué de spasmes.

— Ma môman, elle m’a dit… quand j’étais gosse, en culottes courtes, yeah…

L’homme crachait, éructait, toussait un vieil air de blues. Lorsqu’il atteignit le banc, il en agrippa l’extrémité, cherchant un appui. Raylene se recroquevilla de son côté. Il lui adressa un sourire tout en dents et vomit un flot nauséabond de mots.

— Dieu du ciel ! Qu’est-ce que c’est que ça que je vois ? Jeune fille, t’es un rayon de soleil pour mes pôv’ z’yeux.

Un frémissement de dégoût dansa sur sa peau. Raylene se leva, s’efforça d’ignorer l’homme et scruta l’horizon en quête du moindre signe de bus.

— T’as l’air drôlement pressée ce soir ! fit-il d’une voix pâteuse.

Elle continua de l’ignorer. Il se mit à glisser de façon lente et calculée vers son côté du banc. Avec la même lenteur, elle s’en éloigna, sa proximité l’effrayait. Il émit un glapissement moqueur sonore.

7Elle reprit son chemin jusqu’au prochain arrêt de bus, deux rues plus au nord. Ses sandales fines claquaient furieusement tandis qu’elle remontait en pressant le pas ; de temps à autre, elle jetait derrière elle un coup d’œil impatient, espérant voir poindre un bus. Elle ramena son caban contre elle pour se protéger du petit vent âpre qui fraîchissait rapidement, fouettait feuilles et détritus et les poussait sur son passage.

Les étoiles brillaient, mais les lumières de la rue étaient si intenses qu’elle ne les remarquait pas.

8Soudain, des aboiements féroces la paralysèrent. Était-ce un chien enragé prêt à attaquer, la gueule dégoulinant de bave ? Elle n’avait rien pour se défendre si ce n’est une pochette souple ornée de perles qui contenait un dollar et de la menue monnaie, des chewing-gums, sa clé de maison, sa carte d’identité et un mouchoir ou deux.

Elle se raidit pour affronter la bête furieuse. Rien. Pas de chien en vue. Les aboiements restaient confinés derrière un mur de briques à quelques dizaines de mètres de là dans une ruelle adjacente. Une bizarrerie acoustique avait créé l’illusion de la proximité. Soulagée, elle reprit sa marche.

Mais son soulagement, passager, se mua aussitôt en désarroi. Un bus arrivait en trombe dans l’avenue en direction du nord. Il la dépassa. Elle se mit à courir en criant et en agitant les bras. Il ne s’arrêta pas. Elle cessa de courir, furibonde, aspira de grandes goulées d’air et le regarda disparaître.

9À l’arrêt de bus, elle se laissa tomber sur les planches vertes hideuses qui, boulonnées à des supports de ciment épais, faisaient office de banc. Appliqué au pochoir sur le vert délavé par les intempéries, un rectangle d’un jaune criard : une publicité pour une entreprise locale de pompes funèbres. Pourquoi est-ce qu’ils les mettent toujours là ?

Dépitée, elle bouillonnait sur son banc. Tous les commerces du quartier étaient fermés à l’exception d’une boîte de nuit de l’autre côté de la rue et d’un magasin d’alcools un peu plus loin. Le tapage de fêtards se mêlait au flot de musique qui se déversait du club. Elle regarda les gens rire, jurer et parler fort tandis que, planté à côté de la porte, un vigile en uniforme, arme et munitions à la ceinture, percevait les entrées.

Elle sentait venir les questions. Mais elle se déroba à ces regards comme elle l’avait fait avec le poivrot, et elle se blottit bien au chaud dans sa parka. Le spectacle de tous ces gens qui s’amusaient l’agaçait. Il y avait peu de place pour les distractions dans sa vie, qu’elle passait à essayer d’avancer. Elle concentra son attention sur le défilé des voitures. Peut-être que quelqu’un lui proposerait de monter ?

10Comme pour exaucer son vœu, une Cadillac El Dorado d’un noir de jais, aux finitions chromées s’arrêta le long du trottoir à sa hauteur. Sa beauté droit sortie d’un salon d’exposition l’émoustilla. La vitre côté passager s’abaissa dans un ronronnement électrique, laissant filtrer un suave air de jazz. Le conducteur entourait le volant de son bras gauche. Un homme à la peau d’ébène, proche de la soixantaine, à la calvitie naissante et à l’élégance tapageuse se pencha vers elle. Ses yeux chassieux avaient un reflet lubrique.

— Tu vas où, ma jolie ? On peut y aller ensemble, toi et moi.

La tentation de monter était si forte qu’elle vacilla vers lui, comme hypnotisée. N’y va pas. N’y va pas ! fit une petite voix dans sa tête. Cet homme ne fait pas ça par charité.

— Merci… non, merci ! dit-elle d’un ton cassant et désagréable.

Le sourire éclatant de l’homme se réduisit à un rictus narquois et la vitre remonta sans bruit. Il disparut en expulsant dans son sillage de luxueux gaz d’échappement.

Elle resta assise encore une demi-heure. Elle eut des regrets. Tu aurais pu négocier pour ne pas lui donner ce qu’il voulait. Tu aurais pu ruser ! Pourquoi tu n’y as pas pensé… idiote, mais quelle idiote !

11Elle se remit en marche, scrutant la vitrine des magasins fermés pour éviter de penser. Peine perdue. Elle observa l’avenue en descendant du trottoir. Pas de bus. Comme elle se tournait dans la direction opposée, un bus qui allait vers le sud fila le long de l’avenue à toute allure, immédiatement suivi par un deuxième. Je dois me tromper de sens.

Pour rompre la monotonie, elle remonta l’avenue à reculons et de biais, tout en jetant régulièrement un coup d’œil de côté pour voir si le bus arrivait. Cette fois, elle ne le manquerait pas.

Dans le prisme d’une vitrine, un joli visage couleur cacao se fragmenta, se reconstitua, puis se fragmenta de nouveau. Il lui renvoya le regard sombre et humide de ses grands yeux en amande. Un petit nez plat perché au-dessus de lèvres pulpeuses en forme de cœur se fronça. Ses cheveux noirs sculptés formaient un épais halo autour de sa tête, lui cachant les oreilles, sauf le lobe orné d’une boucle en or sertie de diamant. Satisfaite de sa beauté, elle sourit, révélant des dents irrégulières couleur ivoire. Elle écarta les pans de son manteau pour contempler son corps aminci par la faim. Mmm, belle poupée.

12Elle se retourna, cherchant à apercevoir le bus. Toujours rien. Elle pressa le pas, lorgnant des choses qu’elle aurait aimé posséder mais qu’elle ne pouvait s’offrir. Si seulement elle avait l’audace de voler !

Les sandalettes marron commençaient à lui blesser les pieds. Elle ne pouvait avancer sans douleur. Elle boitilla jusqu’au prochain arrêt. L’idée qu’après tout ce chemin, elle pourrait devoir rentrer sans jamais avoir atteint son but la glaça. Elle se figea, guetta le bus, une fois de plus. Le voilà qui arrivait, trois rues plus bas. Elle plongea la main dans son sac, saisit cinquante cents et fut submergée par une vague d’impatience. Elle allait finir par y arriver !

Le bus s’arrêta à un feu rouge. Il sembla mettre une éternité pour traverser le carrefour avant de s’immobiliser enfin devant elle. Elle grimpa les trois marches et glissa sa monnaie dans la boîte.

— Un billet deux zones, s’il vous plaît !

Elle rangea avec précaution le ticket de correspondance dans la poche de son manteau, parcourut des yeux l’allée centrale, à la recherche d’une place. Elle choisit un siège vide sur la droite. Elle préférait ce côté, vers le fond. Elle pouvait observer le visage des gens qui montaient. Elle prenait plaisir à les déchiffrer.

13De sa place, Raylene avait une vue d’ensemble sur les passagers. Trois blanchisseuses d’un âge avancé, à la peau couleur chocolat, étaient assises côte à côte, hébétées de fatigue après une longue journée de labeur. Elles débordaient de partout, menton, poitrine, hanches et cuisses. Un jeune homme à la peau ambrée était assis à l’arrière, une fourche de cheveux noire dépassait de son épaisse chevelure brune à la coupe afro. Oublieux de son entourage, il ondulait au son du rhythm and blues qui sortait de sa radio portative. Deux femmes à la peau cuivrée étaient assises l’une contre l’autre en silence, le regard plongé dans la nuit. Leur ressemblance était frappante, avec la différence évidente d’une génération : la mère et la fille, même expression et même perruque de cheveux raides et lisses. Un vieil homme à la peau olivâtre et à l’allure aimable, traits européens, yeux gris pétillants, arborait un air suffisant. Il riait, parlait fort avec un compère à la peau plus foncée, faisant une performance théâtrale de son histoire de chien qui avait arraché le pantalon d’un homme avec ses crocs. Après avoir passé en revue les autres passagers, Raylene laissa errer ses pensées. Elle avait sommeil. Elle arrivait tout juste à rester éveillée. Elle ne voulait pas manquer sa correspondance.

14Ouah ! fit-elle un peu trop fort, attirant l’attention des autres passagers. Elle s’était assoupie malgré elle. Elle se secoua pour reprendre ses esprits, chercha dans sa pochette un bâton de chewing-gum, le glissa dans sa bouche et se mit à mâcher rageusement.

À l’arrêt suivant, le chauffeur se leva pour contrôler les tickets. Il passa sans hâte, jetant à peine un coup d’œil sur le ticket qu’elle tenait tout prêt dans la main gauche. Il va jamais finir. Il sait pas que j’suis censée aller quelque part ?

Quand il eut terminé, le chauffeur regagna son siège en prenant tout son temps, et n’ayant rien de mieux à faire que de se prélasser au volant, il conduisit plus lentement que jamais, si toutefois c’était possible, se dit Raylene.

15Elle mâcha le chewing-gum avec un tel acharnement qu’il se déchiqueta dans sa bouche. Elle cracha les fils usés dans un morceau de mouchoir en papier, en fit une petite boule serrée, qu’elle jeta par terre.

Pourquoi cet enfoiré va pas plus vite ?

Elle leva les yeux, s’efforça de croiser le regard du chauffeur par le biais du rétroviseur intérieur. Il n’était pas laid, près de la trentaine, la peau et les yeux couleur miel.

Désolé — ni ce soir ni un autre.

Son regard dériva vers les rues. Il ne restait que trois arrêts avant la correspondance. Quelqu’un appuya sur le bouton et le bus se rangea doucement sur le côté.

16À l’endroit de la correspondance, le bus que voulait Raylene était déjà arrivé. Pile à temps ! Elle vit qu’il était déjà plein, même aussi tard le soir. Les autres passagers descendirent rapidement. Raylene bondit, sauta les trois marches d’un coup et s’élança dans la rue, ignorant le feu rouge pour piétons, juste au moment où le bus s’écartait du trottoir. Elle eut vaguement conscience de la présence du vieil homme à la peau olivâtre dans son dos, tout aussi pressé qu’elle.

— Le fils de pute va partir sans nous ! s’écria-t-il.

Elle fonça sur l’avenue au beau milieu de la circulation, bravant le crissement des freins, les coups de klaxon et les insultes des conducteurs furieux. Elle courut à côté du bus, en hurlant et agitant les bras. Elle martela des poings la porte fermée, sa pochette calée sous son aisselle gauche. Sidéré par ses simagrées, le chauffeur secoua la tête, refusant d’ouvrir la porte. Hurlant à tue-tête, elle se rua sur la voie du bus qui s’éloignait.

— Attendez, laissez-nous monter. Il faut que je monte. Il faut que j’y aille ! Laissez-moi monter, laissez-moi...

Le chauffeur esquissa un faible sourire. Capitulant, il ramena le bus vers le trottoir. Le vieil homme rattrapa Raylene et l’étreignit brièvement pour saluer leur victoire. Ensemble, ils coururent vers le bus et la porte qui s’ouvrait.

17Comme elle levait la jambe pour embarquer, la porte se referma violemment, manquant de lui coincer le pied. Le bus accéléra d’un coup et les dépassa en vrombissant pour s’enfoncer dans la nuit vers le nord, tandis qu’elle lançait d’autres injures dans son sillage.

Le vieil homme lui tapota gentiment le dos : « Au moins, vous aurez essayé. »

Elle sourit, dépitée, luttant pour refouler ses larmes. Dans le froid de cette soirée bien avancée, elle perdait tous ses repères. Des années passées et de l’instant présent. Il n’y avait pas d’horloge. Elle ne pouvait se payer une montre et le vieil homme n’en avait pas non plus.

— J’espère qu’un autre bus va arriver, dit-il d’une voix atone au milieu de leur morosité.

— J’espèèèère.

Le gémissement de la jeune femme se perdit dans les bourrasques maussades d’air froid mêlées à l’odeur âcre de gasoil. Résignée à son sort, Raylene descendit du trottoir pour voir si un autre bus se profilait dans ce noir panorama. Mais il n’y avait rien... que l’éclat moqueur des phares de voitures qui passaient.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Wanda Coleman, « « Transport rapide » »Essais, 5 | 2014, 140-146.

Référence électronique

Wanda Coleman, « « Transport rapide » »Essais [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 13 avril 2021, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/8293 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.8293

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search