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Rencontres

Projets de gestion environnementale et paysagère associés à la conservation et à la valorisation de races anciennes et locales : les exemples de la vache Marine d’Aquitaine et de la brebis Basque Sasi Ardia

Rencontre avec Régis Ribéreau-Gayon, Jean Lassalle et Lucile Callède

Environmental and landscape management projects associated with the conservation and development of old and local breeds: the examples of the Marine d'Aquitaine cow and the Sasi Ardia Basque ewe
Meeting with Régis Ribéreau-Gayon, Jean Lassalle and Lucile Callède
p. 199-204

Notes de la rédaction

Cette rencontre a eu lieu dans le cadre de leur participation au séminaire des 14 et 15 mai 2019.

Texte intégral

1Régis Ribéreau-Gayon est Président du Conservatoire des Races d’Aquitaine, dont font également partie Jean Lassalle, Président de l’Association Sasi Ardia et éleveur, et Lucile Callède, chargée de mission.

Le Conservatoire des Races d’Aquitaine, association Loi 1901 créée en 1990 pour faire face à la disparition de la diversité biologique et culturelle associée aux races d’animaux d’élevage, œuvre activement à associer conservation des races locales et gestion environnementale et paysagère. Régis Ribéreau-Gayon, quels retours d’expériences proposez-vous afin d’illustrer ces actions ?

Nous avons fait le choix de présenter deux projets de sauvegarde de races, parmi la vingtaine que comprennent les programmes de la région anciennement Aquitaine (et maintenant une trentaine sur région Nouvelle Aquitaine). Pour toutes les races sur lesquelles nous travaillons, nous recherchons un lien entre la territorialité, les ressources locales et les acteurs, éleveurs ou utilisateurs. La spécificité du Conservatoire, c’est de se situer là où peu de structures sont présentes, c’est-à-dire d’initier les actions de terrain très en amont d’un programme de conservation, en tant qu’acteur, intervenant et coordonnateur de programme et de continuer à accompagner l’ensemble des étapes de valorisation économique, écosystémiques ou écologiques, pour pouvoir ensuite soutenir les étapes d’une valorisation plus approfondie et d’une mise en réseau des acteurs.

Par la présentation de deux races, une ovine, la Sashi Ardi du Pays Basque, et une bovine, la Marine Landaise, nous souhaitons illustrer ici le parcours inhérent à la conservation de ces ressources génétiques, issues de populations locales méconnues, totalement inconnues des experts, des autorités voire des professionnels agricoles. Les deux races sont à très petits effectifs, issues de programmes de conservation portés par des réseaux dynamiques, l’un d’éleveurs et l’autre de structures environnementales et écologiques.

La race Vache marine landaise est un bon exemple de projet de conservation d’une race associé à un projet de gestion environnementale par éco-pâturage. Pouvez-vous nous la présenter, ainsi qu’un petit historique des actions menées par le Conservatoire ?

La vache Marine Landaise vient d’une population bovine locale peu connue, très insérée dans le territoire des Landes de Gascogne ; mais, n’ayant pas survécu au développement des pratiques agricoles de la seconde partie du siècle dernier. Elles sont sorties des mémoires. Autrefois, sur le littoral aquitain, vivait le bétail des dunes, toute une série d’animaux, bovins et chevaux, dans un système intermédiaire entre le monde sauvage et le monde domestique, avec des pratiques particulières de pastoralisme, de prélèvements, captures et marquages des animaux. Certaines d’entre elles donnaient lieu à des jeux de poursuite qui sont à l’origine des courses landaises. Nous avons retracé l’histoire de ces animaux jusqu’à la disparition des derniers bovins de la côte des Landes de Gascogne, qui vivaient en liberté ou totalement sauvages, dans les dunes et forêts de ces territoires et qui ont disparu dans les années 1930 à Hourtin et La Teste, ou vers 1960 à Biscarosse (les derniers bovins sauvages du littoral se sont maintenus dans les vastes forêts des terrains militaires sur plusieurs milliers d’hectares). C’est à partir de cette dernière localisation que l’on a pu retrouver, dans les années 1980, une petite population de vaches marines qui vivait en limite des forêts, des lacs et des marais. Ce fut le début d’un long travail de sauvetage des derniers animaux puis de préservation génétique et de conservation patrimoniale. A une époque où on découvrait tout juste de la notion biodiversité des ressources naturelles, il était alors un peu présomptueux de parler de la diversité génétique de races domestiques et d’élevage. Nous avons tenu bon : le sauvetage de la dernière population de vaches marines était une opération inédite en France. Nous avons fait ce programme de conservation puis bien d’autres ont suivi, avec le souhait que les animaux restent attachés à leurs territoires traditionnels de vie ou d’élevage : le littoral, la lande et la forêt littorale.

Comment s’est déroulée l’opération de sauvegarde de la population et du pool génétique ?

L’adaptation des animaux aux milieux est très largement prise en compte dans la gestion de la population et les orientations génétique. Il y a une discussion permanente entre les détenteurs d’animaux, les naturalistes et responsables des sites avec les spécialistes de la génétique animale pour préserver à la fois la diversité génétique de la population et une bonne adaptation aux exigences du territoire. Cela s’illustre par un suivi génétique très fin, au cas par cas à l’échelle de chaque animal et chaque reproduction, tout en surveillant de façon très globale l’équilibre de la population. Cette opération de conservation implique un nombre important d’acteurs et permet une évolution significative des effectifs.

Malgré son ancienneté établie dans la région, la population marine ne faisait pas partie des races françaises officielles. 25 ans le début du sauvetage et au vu de la réussite de cette opération, nous avons fait le choix de passer par une démarche de reconnaissance officielle. Si la reconnaissance n’était pas nécessaire pour engager et réussir la conservation initiale d’une population en danger, elle peut être utile pour conforter l’évolution et la valorisation en tant que race. C’est donc en 2019, que l’une des dernières populations bovines locales, ancienne de plusieurs siècles, a était reconnue par arrêté Ministériel, sur avis de la Commission Nationale d’Amélioration Génétique, comme « race locale menacée d’abandon pour l’agriculture », sous le nom officiel de « race Marine Landaise ».

Pouvez-vous nous présenter un exemple de gestion éco-pastorale par la marine landaise d’un espace naturel ?

La Réserve Naturelle Nationale de l’étang du Cousseau à Lacanau est un excellent exemple, une expérience fondatrice. La présence de la race marine landaise a accompagné le projet de gestion de cette réserve, qui est gérée par une association de protection de la nature, la SEPANSO, en partenariat avec le Conservatoire des races d’Aquitaine, sur des parcelles appartenant au département de la Gironde et au Conservatoire du Littoral. Depuis 1990, une grande partie de ce site a été progressivement ouverte à la gestion écopastorale sur 600 hectares environ pour un territoire de 875 hectares de zones humides, dunes et forêts. C’est un système particulier qui permet aux animaux (25-35 bovins) de circuler dans un grand espace clôturé selon un cycle annuel : les animaux gagnent les zones basses de marais pour pâturer puis l’inondation hivernale les pousse à se déplacer vers la zone forestière et les dunes boisées. Les bovins se nourrissent sur des ressources naturelles ; ils sont adaptés à l’alternance alimentaire des sous-bois et petits ligneux en forêt l’hiver ou de rares graminées, molinie, et herbacées en zones humides.

Pour la gestion, il y a eu des expérimentations d’écobuage pour tester l’exportation de matière organique qui était très importante, mais aujourd’hui c’est le travail des animaux qui est pratiquement exclusif sur ces zones-là, avec un peu d’intervention mécanique complémentaire. La végétation des zones humides se diversifie et s’enrichie d’année en année grâce à la présence des animaux.

Ces objectifs sont-ils compatibles avec des territoires péri-urbains ?

Tout à fait. Une autre réserve naturelle, en périphérie de Bordeaux, bénéficie de cet écopâturage : celle des marais de Bruges, non pas littoraux mais alluviaux, situés en bordure de Garonne. Des herbivores y ont été introduits sur environ 130-150 hectares de marais pour un ensemble qui en compte 350, dont une quinzaine de bovins de race Marine Landaise et quelques chevaux d’une race régionale, les poneys Landais. Ces expériences puis beaucoup d’autres sur toute la région, ont permis de constituer un groupe de travail et de réflexion sur l’utilisation de cette population de race Marine Landaise en écopastoralisme. C’est une démarche collective des acteurs qui, ensemble, définissent les caractéristiques de la race, les modalités de gestion et les bonnes pratiques d’écopastoralisme. L’idée étant de ne pas créer un système de sélection artificielle fondé sur un standard mais d’impulser une dynamique de la population qui préserve son originalité génétique et son potentiel d’adaptation aux territoires typiques des Landes de Gascogne. Cette population bovine très locale qui a toujours vécu en marge de l’élevage conventionnel, a paradoxalement fait l’objet d’abondantes publications et citations depuis le XIXe siècle mettant en avant ce mode de vie particulier. Ce corpus est constitué d’iconographies depuis 1850 et de nombreux écrits et témoignages locaux qui nous ont permis de constituer les profils des animaux et leurs fonctions : au-delà du simple phénotype, l’adaptation de la race au milieu est un critère central de son mode de vie. Notre approche a toujours été pragmatique et in situ : elle prend en compte la capacité d’adaptation des animaux qui sont vivent en continue dans des forêts et zones humides, milieux que l’on peut trouver en territoires périurbains. Afin de limiter tout impact néfaste sur les milieux naturels des sites à haute valeur environnementale, un travail est fait sur le parasitisme et les bonnes pratiques avec l’absence de traitement antiparasitaire et la surveillance assidue de l’état sanitaire des animaux. Le Conservatoire des Races d’Aquitaine et ses partenaires développent cette pratique de gestion écopastorale des milieux et aujourd’hui plus d’une vingtaine de sites aquitains accueillent des vaches marines. Cette petite population, la plus menacée de France, est l’un des mieux adaptées à la gestion écopastorale des milieux naturels.

Comment associer conservation d’une race, gestion environnementale et paysagère et valorisation économique ?

C’est la suite de l’affaire, continué à progresser, proposer une évolution et développer son utilisation avec le soutien d’un réseau d’acteurs institutionnels et associatifs. La valorisation première de cette race est clairement environnementale en rendant des services écologiques à la société et à la nature. Actuellement, 2 500 hectares de terrains sont gérés avec la race Marine Landaise, en gestion écologique mais avec également des pistes de valorisation économique des produits issus de l’élevage : consommation locale des particuliers, vente en restauration ou collectivité. Des actions sont ne cours et des modèles sont à construire.

La gestion écopastorale des sites naturels et périurbains est également assurée par d’autres races locales rustiques. Les moutons de race Landaise par exemple sont présents sur un grand nombre de sites dans la région ainsi que les petits chevaux landais ou les chèvres des Pyrénées.

Jean Lassalle, qu’en est-il de la seconde race, la brebis Sasi Ardi ? Quelle est son histoire ?

La Sasi Ardi, du basque sasi, « la brousaille », et ardi, « animaux des broussailles », était courante dans les fermes du Pays Basque jusque dans les années 1925-1940. À cette époque les fermes fonctionnaient en auto production-consommation, et ces brebis et mâles castrés fournissaient la viande avec les agneaux, un peu de lait, et de la laine pour la maison. En 1925, le département de l’Aveyron a reçu son AOC pour le fromage Roquefort mais il ne produisait pas assez de lait avec ses brebis Lacaunes pour suivre la cadence ; le Pays Basque allait lui fournir le lait manquant. Dès lors dans les années 1940, les fabriques de Roquefort sont venues chercher le lait au Pays Basque : une ferme par village dans laquelle les bergers amenaient leur brebis pour collecter le lait qui serait transformé ensuite dans des usines. Le lait était alors bien payé, et représentait un attrait. Dans les années 1950-1960, dans tous les chefs-lieux de cantons, il y avait une laiterie Roquefort avec des collecteurs locaux, où le fromage était fabriqué et ensuite envoyé à affiner 15 jours, pas plus, à Roquefort. A ce moment-là, la brebis Sasi petite et peu laitière, ne faisait pas le poids face à ses concurrentes espagnoles, plus grosses et plus productives. La Sasi a donc très vite été oubliée et mise à l’écart. Il faut attendre l’année 1993, lorsqu’un éleveur inquiet de la disparition des petites brebis basques, contacte le Conservatoire des Races d’Aquitaine, qui s’est déplacé dans les élevages restants et a organisé la conservation de la race qui a cette époque n’était pas reconnue officiellement. En 2014, nous avons monté l’association Sasi artalde avec 7 éleveurs, pour défendre et promouvoir cette brebis. En 2016, elle a été reconnue par le Ministère de l’agriculture soit 20 ans après le lancement du programme de conservation. Les éleveurs sont passés de 7 élevages avec 600 brebis à 18 élevages avec 1 250 brebis Sasi qui correspondent bien aux standards de la race, et 600 brebis apparentées (déclassées pour des question de couleur de robe, ce qui n’a rien à voir avec la qualité de viande).

Comment associez-vous la conservation de cette race, la valorisation des productions et gestion environnementale et paysagère ?

Nos productions principales sont l’agneau, le Bildots, et le Zikiro, production phare qui est un mâle castré de 28 mois. En extensif, 28 mois est la durée qui correspond à l’achèvement de la croissance ; c’est à partir de là qu’ils peuvent avoir un bon état d’engraissement sans être forcés, en respectant un cycle normal. Ces mâles castrés sont vendus toute l’année. Depuis l’année dernière, nous avons déposé une marque commerciale, Sasiko, qui nous appartient, avec un cahier des charges très strict qui nous permet de tout contrôler ; on travaille avec un seul abattoir, celui de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui nous aide un peu avec la classification des carcasses ; et on fait mâturer nos viandes 10 jours en chambre froide, c’est strict. La vente se fait surtout sur Paris pour quelques restaurants, à des restaurants locaux et à une boucherie spécialisée. L’importance de cette race, c’est son rôle dans l’entretien des coteaux et de la moyenne montagne. En Pays Basque, vous avez la haute montagne, où beaucoup d’animaux transhument, avec des brebis Manech tête rousse ou tête noire, des vache etc. ; ensuite la plaine, où est fait le lait de brebis pour l’AOC Ossau Iraty ; et vous avez la zone intermédiaire de coteaux et moyenne montagne avec des conditions difficile qui peuvent être très sèches en été. Les Sasi s’accommodent très bien de ces conditions. La contrepartie c’est qu’en automne vous avez des châtaigneraies et des chênaies qui produisent des fruits, compléments alimentaires de choix pour les bêtes. Les brebis qui maigrissent un peu durant l’été, vont reprendre un engraissement à cette période et entrer en chaleurs.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ces deux exemples ?

Le Conservatoire des Races d’Aquitaine a sauvé et développé de nombreuses races locales menacées ou en voie d’extinction. La démarche de conservation qui est appliquée à chaque fois démarre avec des recherches et enquêtes de terrain, une évaluation sur site des ressources génétiques afin de les qualifier, une définition de la territorialité de la race. Ensuite il s’agit d’enclencher une dynamique avec un maximum d’acteurs et d’éleveurs impliqués dans la race et sa conservation. Il faut souvent 15 à 20 ans de travail pour faire émerger une race oubliée. Ce temps est délicat à gérer, car en attendant, il faut s’assurer que la conservation soit effective et que la race ne disparaisse pas, avec une valorisation à la clé loin d’être immédiate. Il faut pouvoir s’appuyer sur un collectif d’éleveurs qui acceptent de prendre en charge les animaux et de collaborer aux objectifs de conservation. Il ne faut pas forcément chercher à forcer une valorisation qui n’a pas fait ses preuves, il faut savoir trouver le bon moment, le bon créneau, les bons acteurs qui vont porter le projet dans une démarche territoriale (débouchés, groupes d’acteur, demande économique). Certaines exemples sont emblématiques des efforts nécessaires pour sauver une race, comme la race de mouton Landais, utilisée en pastoralisme ; la race de vache Bordelaise qui permet de relancer une production laitière et fromagère locale, ou la vache Béarnaise et la chèvre des Pyrénées qui sont à nouveau présentes dans les pâturages de montagne.

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Pour citer cet article

Référence papier

« Projets de gestion environnementale et paysagère associés à la conservation et à la valorisation de races anciennes et locales : les exemples de la vache Marine d’Aquitaine et de la brebis Basque Sasi Ardia »Essais, Hors-série 6 | 2021, 199-204.

Référence électronique

« Projets de gestion environnementale et paysagère associés à la conservation et à la valorisation de races anciennes et locales : les exemples de la vache Marine d’Aquitaine et de la brebis Basque Sasi Ardia »Essais [En ligne], Hors-série 6 | 2021, mis en ligne le 16 mars 2021, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/7971 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.7971

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