« Et route par ailleurs... » : d’un usage philosophique de Montaigne
Résumés
L’article soutient la thèse qu’une approche philosophique ne peut se faire qu’en utilisant des concepts et des problèmes qui sont donnés par l’histoire de la philosophie – pas forcément par l’objet d’étude lui-même. Il présente les deux « usages philosophiques » que j’ai fait des Essais – la quête du statut de la subjectivité et de la portée de l’éthique – et discute deux défis qui se posent à ces « usages » : le problème de l’anachronisme et la possibilité d’une morale sceptique.
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- 1 Pierre Aubenque, « Oui et non », in Nos grecs et leurs modernes. Les stratégies contemporaines d’ap (...)
La question la plus unilatérale et la plus extérieure à l’esprit du texte est toujours utile, susceptible d’ouvrir une dimension ou une possibilité. Je crois surtout que ce type de questionnement proprement « anachronique », parce qu’il s’appuie sur des « principes » qui ne sont ceux de l’auteur, mais lui sont rétroactivement imposés, est inévitable. Je plaide simplement pour que l’anachronisme soit conscient. Un anachronisme avoué est à moitié pardonné. Contrôlé, il peut devenir fécond.
Pierre Aubenque1
Quelques aveux problématiques
1Parler de soi : c’est ce à quoi ce numéro nous invite. Qu’il s’agisse d’une entreprise très difficile à réussir, tous les lecteurs des Essais en sont avertis. On se trompe plus facilement à propos de soi-même qu’à propos des autres, personne ne se défie de son bon sens et on ne juge pas bien son propre travail. Et même si la connaissance de soi est l’occupation majeure d’un être humain, on ne connait rien si on ne se connait pas soi-même. Il faut donc accepter l’invitation et suivre ce chemin très montaignien et très philosophique et essayer de répondre à la question : quel usage est-ce que je fais de Montaigne ? Je voudrais que ce soit un usage philosophique. C’est à mon lecteur d’en juger.
- 2 Tous les références aux Essais sont données dans l’édition de Pierre Villey, Paris, Presses Univers (...)
2Dans la multiplicité des philosophies et des démarches philosophiques, il me semble qu’un grand philosophe est celui qui a inauguré un espace où les choses peuvent apparaître sous une nouvelle lumière. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il a eu des idées « originales », mais qu’il a rendu possible une nouvelle expérience ou instauré un champ d’investigation inattendu. Si, comme l’écrit Montaigne, dans l’enquête philosophique « il y a toujours place pour un suivant [...] et route par ailleurs », un philosophe est celui qui fait de la place, pour soi et pour les autres, car « nul esprit généreux ne s’arrête en soi » (III, 13, 1068)2.
- 3 Telma Birchal, O eu nos Ensaios de Montaigne, Belo Horizonte, Editora da UFMG, 2007.
3Comme plusieurs interprètes de Montaigne, mon approche des Essais se fait en donnant une place d’honneur à la catégorie philosophique de la « subjectivité ». Montaigne m’a attirée parce qu’il parlait à la première personne, parce qu’il revenait toujours à lui, parce que la singularité se montre partout – et d’une manière intrigante. Il ne s’élève pas à l’abstraction d’un sujet universel, qui exigerait trop de notre imagination, ni se perd dans le non-pertinent, car dans son texte le singulier gagne de l’étoffe. Des possibilités ouvertes sur le thème du « moi » ou du « sujet » : c’est la route que j’ai trouvée dans Les Essais et que je me suis proposé de suivre, premièrement sur les traces de Montaigne, mais aussi « par ailleurs ». C’était mon premier usage critique développé il y a presque dix ans dans mon livre Le moi dans les Essais de Montaigne3 – où je cherchais à comprendre la « figure de la subjectivité » qui se dégage des Essais : la singularité individuelle (mais pas de l’individualisme), l’autoconstitution de l’identité (mais pas le solipsisme), la reconnaissance de l’altérité et de soi-même comme un autre (sans tomber dans l’indistinction entre le sujet et l’objet du regard).
4Cette première route en a ouvert une autre, car la façon ou la manière par laquelle ce sujet était présent indiquait la constitution d’une « visée » éthique qui demandait de l’attention, si on s’intéresse à la philosophie morale. Chez Montaigne, la question philosophique classique « qu’est-ce qu’être humain ? » – à la fois descriptive et normative – s’éloigne de son champ de naissance dans la théologie ou la métaphysique et s’enracine dans l’expérience d’être un « soi » à la première personne. Néanmoins, comment placer ou comprendre cette expérience irréductible – avoir des sentiments et des passions, croire à ceci ou à cela, éprouver l’inévitabilité de l’affaiblissement du corps, mais aussi sa puissance d’agir –, bref, comment placer cette expérience, je le répète, premièrement devant Dieu ou du moins l’image que nous avons de lui, mais aussi devant les autres, les exigences et les désirs des autres, et dans un monde infini de croyances et de coutumes ? Le « moi », en se plaçant dans ce réseau de relations ou de rapports, se formule comme question éthique et constitue donc mon deuxième « usage » de Montaigne.
- 4 Comme l’a bien remarqué Vincent Carraud dans L’invention du moi, Paris, Presses Universitaires de F (...)
5Tout cela est facile à dire mais moins à faire. Il faut relever au moins deux défis qui se posent à ces « usages ». La question de l’anachronisme se pose par rapport à l’emploi de la catégorie « subjectivité », car c’est une idée tout à fait moderne (le mot ne se trouve pas chez Montaigne – tout comme le « moi », ou la « peinture de soi4 »). Pour ce qui touche au « Montaigne moraliste », il faut surtout faire face au problème de la possibilité même d’une morale sceptique. En suivant la voie de Montaigne, saurait-on surpasser le relativisme, ou peut-il nous offrir une morale « suffisante » ? Dans ce qui suit, je propose de faire un résumé de mes propres « essais » pour répondre à ces questions.
Le « moi » dans les Essais et la question de l’anachronisme
6Je propose ici un « usage critique » dont la question s’applique à la « portée philosophique » du texte de Montaigne – et qui refuse d’avance l’opposition entre « la philosophie » et « l’histoire de la philosophie ». L’approche philosophique d’une œuvre ne peut se faire qu’en utilisant des concepts, au sens fort du terme, qui dirigent la lecture de l’interprète, et qui sont donnés par le contexte ample de l’histoire de la philosophie et des problèmes philosophiques – pas forcément par l’objet d’étude lui-même. Est-ce faire violence au texte ? Cela dépend.
- 5 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 ; et Charles Taylor, The Sources of the Se (...)
7Dès mes premières lectures, il m’a semblé qu’on pouvait trouver, dans les Essais, une formulation très riche du statut de la subjectivité, c’est-à-dire une alternative pour répondre à la question posée par notre temps : que faire du « sujet » après les critiques qui lui ont été dirigées de Hume aux postmodernes ? On trouve dans la philosophie contemporaine, par exemple dans les œuvres de Paul Ricœur et de Charles Taylor, une critique de la figure principale de la modernité, c’est-à-dire du « sujet cartésien5 » qui refuse aussi l’idée de la « mort » ou « déconstruction » du sujet, annoncé par la postmodernité. En proposant une philosophie de l’action, mais par des voies différentes, ils veulent affirmer que le sujet dans sa finitude est soumis à toutes les conditions – temporelles, corporelles, relationnelles – qui le constituent. Je lisais ces auteurs avec beaucoup d’intérêt dans les années 90, ainsi que Descartes, et, par conséquent, Montaigne. La pensée de Montaigne m’a semblé présenter une « figure de la subjectivité » qui, au lieu d’annoncer l’« ego » cartésien, s’approchait beaucoup plus de « l’ipséité » de Paul Ricœur ou du concept d’« identité narrative » développé par des philosophes contemporains.
- 6 Voir Telma Birchal, O eu nos Ensaios de Montaigne, op. cit. Voir également mon « Regard sur soi, l’ (...)
8L’expression « figure de la subjectivité » est appropriée à l’idée d’une histoire de la philosophie qui donne lieu à plusieurs figures possibles du sujet ou du « moi » – pas seulement à celle de Descartes. Le « moi » de Montaigne s’annonçait comme une figure de la subjectivité qui – avant la lettre – ne tomberait pas sous la critique postmoderne de la substantialisation du sujet parce qu’il ne se pose pas comme une substance mais, au contraire, comme le lieu irréductible d’une perspective sur le monde. Cela veut aussi dire que les Essais pourraient offrir des éléments pour une philosophie de l’identité personnelle, la responsabilité, les relations avec l’autre. À partir de cette première impression, il me fallait vraiment lire Montaigne et ses interprètes – et mettre mon hypothèse à l’épreuve – ce que j’ai commencé à faire pendant mon doctorat à São Paulo. Après plus que dix ans de recherches, j’ai pu la raffiner et l’exposer dans mon livre et ensuite dans quelques articles6.
- 7 Antoine Compagnon, Chat en Poche. Montaigne et l’allégorie, Paris, Seuil, 1993. p. 46-47.
- 8 J’ai pris ces exemples chez Antoine Compagnon, ibid.
- 9 Je ne peux que rappeler ici Jules Brody et son plaidoyer en faveur des interprétations des Essais c (...)
9Cela dit, je dois faire face au plus grand problème de cet « usage » : l’anachronisme. Je commence par une affirmation d’Antoine Compagnon qui identifie l’allégorie et l’anachronisme : « L’anachronisme est une interprétation allégorique du passé en fonction du présent ou du futur, une lecture de l’ancien sur le modèle du nouveau. [...] L’allégorie est un instrument tout-puissant pour induire un sens nouveau dans un texte ancien7 ». La lecture allégorisante projette dans un texte ce qui n’est pas là : et voilà que dans les Essais Lévi-Strauss trouve un Montaigne ethnologue, Schaefer un Montaigne libéral, Toulmin un Montaigne postmoderne8. Et que dire des interprètes qui font de Montaigne le père de la subjectivité, de la conscience intime, de l’individu ou même de l’autonomie ? Ces interprètes – y compris moi-même – occupent tous les terrains de la modernité9.
10Aux antipodes des « lectures allégoriques », Compagnon évoque la « lecture philologique » et nous en offre des descriptions inspirées :
- 10 Antoine Compagnon, Chat en Poche. Montaigne et l’allégorie, op. cit., p. 9. Il continue ainsi : « C (...)
Au contraire de l’allégorie, la philologie entend ramener le texte à son sens : le sens de l’auteur, le sens de la langue, le sens de l’histoire. [...] la philologie donne lieu à des travaux souvent ennuyeux mais qui ont la vie dure ; l’allégorie à des petits monstres parfois charmants, mais qui cèdent vite la place aux suivants. On les contemple avec mélancolie comme les embryons dans les bocaux des vieilles pharmacies. L’histoire de l’allégorie est une tératologie.10
11Et me voilà à enfanter des monstres. Mais est-il exact de l’affirmer ? Pour mener un plaidoyer pour mon usage philosophique, je voudrais mettre l’accent sur la non-identité entre l’allégorie et l’anachronisme – ce qui fait que l’anachronisme est non seulement inévitable (même chez les « philologues »), mais constitutif de toute lecture philosophique.
12En s’approchant d’un texte en qualité de philosophe, l’interprète doit avoir l’intention de ne pas allégoriser, et cela veut dire ne pas mettre dans le texte ce qui n’est pas là. Cependant, une lecture philosophique ne peut être qu’anachronique, car s’il se pose la question de la portée philosophique d’un texte, et surtout d’un texte comme celui des Essais – qui ne se présente pas d’avance comme une œuvre philosophique –, il faut que l’interprète apporte au texte sa visée et ses questions. Il faut être anachronique, car on ne peut lire un texte philosophiquement qu’à partir de soi-même. Les études philologiques aident la démarche philosophique à ne pas allégoriser, en signalant les sens interdits, mais la démarche philosophique commence toujours à partir de soi-même ; c’est-à-dire, d’un concept philosophique qui a déjà une longue histoire réfractée par la compréhension du temps de l’interprète.
- 11 Philippe Desan, Montaigne. Une biographie politique, Paris, Odile Jacob, 2014. On pourrait dire qu’ (...)
- 12 Ibid., p. 587.
13Revenons à Montaigne et à ses usages critiques. Je commence en reprenant la monumentale et indispensable lecture « socio-philologique » de Philippe Desan11. À la fin de son livre, l’auteur nous donne un riche cadre de la variation de l’anachronisme dans la réception des Essais dont je souligne le reproche dirigé aux lecteurs du XVIIIe siècle : « Pour réinventer Montaigne en philosophe, il fallait se débarrasser de l’histoire et regrouper ses pensées dans le cadre défini par la raison12 ». Ceci pourrait s’appliquer à toute approche philosophique en général quand l’interprète soumet le texte à une idée contemporaine tout à fait questionnable et risque ainsi de perdre son objet – l’idée de « progrès » qui place Montaigne dans une histoire du libéralisme est un exemple. Au contraire, l’usage « philologique », en remettant Montaigne dans son contexte montre
- 13 Ibid., p. 594. C’est moi qui souligne.
que le « cas Montaigne » n’est pas un cas isolé et que sa conduite publique correspond fréquemment à des réactions typiques des groupes ou de partis politiques. [...] L’opposition entre honneur et utilité, thème principal du premier chapitre du troisième livre des Essais, pose par exemple le problème du déclin des idéaux nobiliaires et de la montée des valeurs marchandes dans la société de la fin du XVIe siècle. Tous ces éléments, qu’on pourrait définir comme une sociologie des Essais, nous semblent indispensables pour comprendre le rapport de Montaigne à ses écrits ; ils doivent en conséquence être pris en compte avant toute réification du texte en objet littéraire ou philosophique.13
- 14 Ibid. C’est moi qui souligne.
- 15 Jules Brody, op. cit., p. 7.
14Pourtant, selon l’auteur, la distinction des « usages » ne signifie pas nécessairement leur opposition ou exclusion mutuelle, car il suggère, ci-dessus, que la recherche historique ou sociologique doit venir avant les conceptualisations philosophiques. Mais il continue : « Notre démarche n’a nullement l’intention de faire disparaître la conscience singulière de Montaigne mais de souligner que celle-ci doit se comprendre à partir des faits sociaux et politiques...14 ». Et alors, la conscience singulière de Montaigne, ce phénomène qui étonne ses lecteurs, la « tyrannie de la Présence » comme la décrit Jules Brody15, doit être comprise à partir de son contexte – pour qu’on ne confonde pas Montaigne avec Descartes ou John Stuart-Mill. Mais serait-ce bien le cas quand il s’agit d’une approche philosophique ?
15À mes yeux, l’une des propositions de Desan est compatible avec le travail du philosophe – mais ce n’est pas le cas de l’autre. Il est certain que le philosophe doit considérer les données contextuelles avant de mettre ses concepts en place – ce qui lui permettra d’éviter les allégorisations, mais l’idée qu’on doive comprendre Montaigne à partir des données contextuelles ne mènera pas forcément à la philosophie car, au contraire, le philosophe apporte nécessairement des concepts non contextuels pour comprendre « la conscience singulière » de Montaigne. L’interprétation philosophique doit venir après la contextualisation historique parce qu’il faut contrôler la production de monstres mais aussi et surtout parce qu’il reste toujours quelque chose après le discours philologique – soit-il sociologique ou issu de l’histoire des idées. C’est dans ce reste que l’enquête philosophique s’installe, à l’aide de ses concepts anachroniques, dont on espère que la fécondité a été au moins réglée par l’investigation philologique.
- 16 François Roussel, Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne, n° 60-61, 2014-2015, (...)
- 17 Tzvetan Todorov, Montaigne ou la découverte de l’individu, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001.
16Cela veut dire, comme le remarque François Roussel dans son compte rendu détaillé de l’ouvrage de Desan, que Les Essais sont un objet de recherches – philosophiques, sociologiques ou littéraires – parce qu’ils ont surpassé leur temps16. Ce qui fait l’exceptionnalité des Essais vis-à-vis des autres écrits de l’époque de Montaigne, eux aussi motivés par des prétentions politiques, ne s’explique pas par ces prétentions. Il faut, pour la comprendre ou au moins pour en parler, avoir recours au monde réifié, anachronique, voire achronique des concepts. Quand Todorov attribue à Montaigne « la découverte de l’individu17 », tout anachronique que soit le titre de son ouvrage, il me semble à propos, et surtout parce qu’il montre bien que l’image de l’individu dans les Essais est autre que celle de l’individualisme moderne, et que le profond respect à « l’homme commun » qui se trouve dans ses pages n’est pas le même que l’affirmation de la « dignité de la personne » chez Kant ou l’affirmation des « droits de l’homme et de l’individu ». Todorov enracine le concept d’« individu » dans le texte (et le temps) de Montaigne.
17Si on pense à une autre importante lecture sociologique – Le Dieu Caché de Lucien Goldmann –, on peut dire qu’elle montre que les Pensées doivent être lues à la lumière de leur contexte, soit, comme un ouvrage qui reflète la perte de l’insertion dans le monde politique d’une couche sociale (la noblesse de robe). Le tragique de Pascal fait partie d’un sentiment plus répandu et partagé par d’autres gens de son siècle. Par cet exemple singulier, Goldmann nous amène à comprendre la profonde insertion des idées de Pascal dans son temps. Cela dit, le tragique de Pascal reste là, comme une expérience qui pose encore des problèmes et qui pourrait être effectivement partagée par des chrétiens ou même des athées d’autres époques, y compris la nôtre.
18C’est bien ici que se place le commencement de la tâche du philosophe, qui se demande : mais qu’est-ce que c’est ce « moi » ou cette « subjectivité » qu’on perçoit chez Montaigne ? Cette recherche doit considérer le langage de Montaigne – mais elle ne peut qu’utiliser des concepts anachroniques (« subjectivité », « le moi » ou « altérité ») comme des outils pour essayer d’identifier ce qui se passe chez Montaigne ; elle doit comparer différentes façons d’être « subjectiviste » ; elle doit à la limite mettre en œuvre une notion provisoire qui se veut achronique de subjectivité ou du « moi » : mais ces concepts doivent être des outils de travail, pas des projections du lecteur dans le texte. Cela fait la différence entre une lecture allégorique et une démarche « anachronique contrôlée », pour revenir à un texte déjà classique de Pierre Aubenque, que je me permets ici de reprendre en partie.
19Dans ce texte, Aubenque propose une réponse à la question : « L’histoire de la philosophie est-elle ou non philosophique ? », une question dont la discussion centrale est la prétendue « vraie » approche d’une philosophie du passé, ou, en d’autres termes, la portée de la connaissance dans l’histoire de la philosophie :
- 18 Pierre Aubenque, « Oui et non », art. cit., p. 34-35.
Contrairement à ce que présuppose, je crois, la manière « analytique » de faire de l’histoire de la philosophie, il n’y a pas en philosophie d’énigme, de puzzle, dont la solution encore inconnue serait inscrite quelque part, dans un univers des essences ou dans l’intention à jamais cachée de l’auteur. L’inachèvement de fait de toute œuvre philosophique, toujours abrégée par la mort, traduit une inachevabilité plus profonde, celle du questionnement lui-même. Cet inachèvement suscite l’interprétation. L’interprète prolonge l’œuvre dans une direction possible (il y a évidemment des extrapolations impossibles), sans qu’il puisse garantir que cette direction est la seule que l’œuvre annonçait ou appelait.18
- 19 Les lectures « philologiques » ne le sont pas moins, mais peut-être faut-il reconnaître quelque dif (...)
20La lecture philosophique est nécessairement anachronique19, mais il faut donc distinguer les possibles « prolongements » d’une philosophe dans ses interprétations des « extrapolations impossibles » ou, dans les termes de Compagnon, des lectures « allégoriques ». Je continue avec Aubenque :
- 20 Ibid., p. 35.
La possibilité réelle que l’œuvre n’impose pas, mais autorise, et qui se situe manifestement entre deux zones d’impossibilité (la répétition et l’invention), détermine ce que j’appellerai la « plausibilité » de l’interprétation. [...] J’appelle plausible une interprétation qui, sans être imposée par aucune assertion explicite de l’auteur, n’est pas contredite par aucune. [...] Il y a des interprétations impossibles, mais il y a, s’agissant d’une œuvre grande, c’est-à-dire riche en potentialités, plusieurs interprétations possibles.20
- 21 Pierre Aubenque présente une « expérience de la pensée » en proposant que l’on peut imaginer Platon (...)
Voilà que le grand monstre, le « sujet », peut sembler moins aff eux si on l’appelle « prolongement21 », ou « routes par ailleurs ». Montaigne, beaucoup plus que d’autres philosophes, est prolongeable dans notre temps – parce qu’il s’agit de lui, et parce qu’il s’agit de nous.
Éthique, relativisme et relations
- 22 Hugo Friedrich, Montaigne, trad. Robert Rovini, Paris, Gallimard, 1968, p. 13.
21Mon deuxième usage philosophique consiste à lire Montaigne « en moraliste » – et cela aussi je le partage avec beaucoup d’interprètes. La plupart des lecteurs de Montaigne se sont éloignés de la perspective de Friedrich – pour qui les Essais se proposent d’être, à la façon de la science moderne, une attentive description des hommes, mais jamais leur guide22. Mais on doit encore distinguer entre les diff entes interprétations qui y trouvent une dimension éthique ou prescriptive. On peut donner une place d’honneur au scepticisme et mettre l’accent sur les limites de la suspension du jugement ; on peut commencer avec la présence de la philosophie hellénistique et insister sur les règlements des passions ou les usages du plaisir ; d’autres démarches seraient aussi possibles et fécondes.
- 23 Telma Birchal, « O amor e suas regras em ‘Sobre versos de Virgílio’ », Kriterion. Revista de Filoso (...)
- 24 Telma Birchal, « Vitieusement et lâchement : faute morale et condition humaine », Bulletin de la So (...)
- 25 Telma Birchal, « Montaigne et le Nouveau Monde. En relisant Lévi-Strauss », Bulletin de la Société (...)
22Tout récemment je me suis occupée des paramètres normatifs qui peuvent être dégagés des diff ents chapitres des Essais en posant les questions suivantes : « comment vivre la sexualité ?23 », « y a-t-il des gradations entre les vices ?24 », ou encore : « que faire des diff ences entre nous ?25 ». Dans toutes ces situations, la notion de « relation » se dégage comme un chemin d’analyse privilégié. S’il y a bien, comme nous le proposons, une place centrale réservée au sujet dans les Essais – car il se pose à chaque page, infatigablement, comme le lieu d’énonciation de ses discours – et aussi si la finitude et la singularité du moi est incompréhensible en dehors des multiples relations qui le constituent, le statut « relationnel » du moi semble être un bon point de départ pour la compréhension des caractéristiques et des possibilités d’un prétendu discours moral montaignien.
- 26 André Tournon, « Le grammarien, le jurisconsulte et l’“humaine condition” », Bulletin de la Société (...)
23Il faut revenir à la notion très montaignienne de « condition humaine » et, comme l’a bien montré André Tournon, il est bien plus convaincant de la comprendre au sens juridique qu’au sens métaphysique, bref, elle ne doit pas être assimilée à n’importe quelle « essence universelle », mais comprise à la manière de la position d’un individu dans l’ordre social (l’homme libre ou le serf, par exemple)26. Penser la « condition », c’est réfléchir sur les possibilités ouvertes à l’homme, sa contingence et aussi sa finitude. Je voudrais pousser cette idée jusqu’à dire que la « condition » est ce qui situe l’individu (ou les êtres humains) « en relation » à quelque chose.
24Donc l’homme fini est, toujours, en relation. Premièrement, et en négatif, avec Dieu, puisque la « conclusion si religieuse d’un homme païen » (II, 12, 603) nous apprend non seulement la finitude de l’homme, mais s’exprime aussi comme une différence radicale vis-à-vis de Dieu. La fin du chapitre sur l’« Apologie de Raimond Sebond » et sa déclaration « [n]ous n’avons aucune communication à l’être » parlent d’une « non-relation » qui est centrale pour placer l’homme dans un réseau d’autres relations possibles, et donc pour configurer tout le reste. C’est à cause du fait qu’il n’a pas de relation avec Dieu ou l’absolu que l’homme a une « condition », qu’il est conditionné ou aff par tout ce qui est temporel et spatial. Chez Montaigne, cette « situation » dans la sphère du relatif et du contingent – qui pourrait amener à la démission de tout discours éthique – est bien son fondement. Les Essais contiennent donc une réflexion sur la façon de vivre et d’agir appropriée à un être radicalement fini et contingent.
25L’identification de cette relation impossible (sauf qu’elle part de Dieu, mais cela surpasse la condition de l’homme) délimite la sphère des relations possibles (ou des « commerces ») ainsi que les multiples figures de l’altérité qui leur correspondent (les livres, les animaux, les indiens, les femmes, les lois et les costumes, sans oublier le corps et ses passions, et soi-même comme un autre) et devant lesquels les questions morales se posent. Cela veut dire que le discours éthique de Montaigne doit être analysé « par le menu », en considérant séparément ces figures et le genre de relation spécifique chacune d’entre elles a avec le sujet du discours. Néanmoins, le lecteur qui procède au cas par cas, pourra identifier qu’il y a des relations qui configurent une espèce de « centre de gravité », ou des « figures de l’altérité » plus présentes que d’autres et qui finissent par commander la configuration d’une morale. Je pense qu’on peut détacher deux relations privilégiées : celle du sujet avec les lois et les coutumes et celle avec soi-même.
26Le thème de la coutume (une altérité aussi tyrannique qu’indispensable) est central et on le retrouve partout – de la politique au social, en passant par la psychologie –, il s’affirme comme une des questions les plus paradoxales des Essais. Montaigne recommande qu’on prenne un détachement critique mais affirme aussi que la coutume nous enlève toute capacité critique. Par exemple, le chapitre « Sur des vers de Virgile » est non seulement un essai où il est question des rapports aux femmes ou à la poésie, mais il possède aussi pour la cible les « règles » ou les « coutumes » qui gouvernent les relations amoureuses : Montaigne y montre leur bêtise, mais aussi leur sagesse, et la sagesse qu’il y a parfois de les transgresser. Un autre exemple de l’importance des coutumes se trouve dans « Des cannibales ». Ce chapitre se présente comme un essai sur les Indiens et le défi posé à la pensée par la découverte d’un peuple inconnu et étrange. Comme on le voit, il s’agit encore des lois et des coutumes, de leur portée et de leur valeur, qui commandent la compréhension du texte : « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » (I, 31, 205). La forme de la relation de chacun envers d’autres peuples est configurée par son rapport à ses propres coutumes.
- 27 Voir note 24.
27Pour ce qui est de la relation avec soi-même, je ne dirais rien de nouveau en proposant qu’elle est un rapport structurant l’éthique chez Montaigne. Pour tout dire, et avec Socrate, la connaissance de la finitude de notre condition est le début de toute sagesse. Cette connaissance, chez Montaigne en premier, exige une vision détachée de soi-même pour qu’on puisse se voir « comme un voisin, comme un arbre » (III, 8, 942), pour ne pas être aveugle par rapport à ses propres fautes. À cet égard, j’ai présenté une interprétation des diff ents sens de « faute morale » en prenant appui sur la distinction faite au chapitre « De la punition de la couardise » entre « fautes de malice » et « faute de faiblesse »27. Je conclus qu’une relation honnête avec soi-même fait toute la différence entre « faiblesse » et « malice », entre l’humain et sa perversion.
- 28 « Si par expérience nous touchons à la main que la forme de notre être dépend de l’air, du climat e (...)
28La constatation de la diversité des coutumes et des lois, des diff entes manières d’être humain28 et de l’impossibilité de la « connaissance du bien », indique que le relativisme reste toujours présent dans les Essais ; il est l’affirmation de ce caractère relationnel de l’homme, toujours situé dans les conditions qui le précèdent. Mais il n’est pas nécessaire de surpasser ce genre de relativisme pour penser de manière normative, parce qu’il est non seulement compatible avec une forme d’éthique mais l’exige. L’éthique de Montaigne ne peut pas être formulée à partir des relations avec les choses, toujours inconnues, mais elle se forme à partir des rapports à soi-même. Bref, il y a des manières d’agir qui sont adéquates ou appropriées à un être faillible et fini. La pensée normative de Montaigne est une éthique de l’adéquation à sa propre condition, et à la condition humaine qui est celle de la diversité et de la variété. C’est la raison pour laquelle il ne fournit pas de règles générales – sauf celle de la connaissance de soi – et qu’il laisse aux autres la tâche de « former » les hommes.
29La question « qu’est-ce que vivre comme un être humain ? » prend donc une portée normative toujours réfractée par l’expérience personnelle, comme l’affirme Desan quand il critique les lectures qui font de Montaigne un « moralisateur » à la façon du XIXe siècle :
- 29 Philippe Desan, Montaigne. Une biographie politique, op. cit., p. 588-589.
Car ne l’oublions pas, Montaigne joue sans cesse avec les contradictions et refuse toujours d’objectiver et d’enfermer son moi dans les maximes et aphorismes. [...] Le monde n’acquiert un sens que par le regard du sujet : un regard toujours particulier (et donc subjectif) inscrit dans le temps et dans l’espace. Il est difficile de transformer les Essais en un texte moralisateur.29
- 30 Je remercie infiniment Philippe Desan et Véronique Ferrer pour cette opportunité de réfléchir à l’u (...)
30Il faut donc refuser le Montaigne moralisateur, mais pas le moraliste. À l’horizon de l’explicitation d’une éthique chez Montaigne, on pourrait trouver le commencement d’une autre route. Ma conviction est que les Essais fournissent des paramètres éthiques qui peuvent être un point de départ fécond en philosophie morale. Il y a aujourd’hui, en éthique, de nouveaux disciples de Hume, de nouveaux aristotéliciens, de nouveaux kantiens... Montaigne ne ferait pas mauvaise figure si on se proposait de le relire à la lumière de nos propres questions éthiques30.
Notes
1 Pierre Aubenque, « Oui et non », in Nos grecs et leurs modernes. Les stratégies contemporaines d’appropriation de l’Antiquité, éd. B. Cassin, Paris, Seuil, 1992, p. 25.
2 Tous les références aux Essais sont données dans l’édition de Pierre Villey, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, en modernisant l’orthographe : « Ce n’est rien que faiblesse particulière qui nous fait contenter de ce que d’autres ou que nous-mêmes avons trouvé en cette chasse de connaissance ; un plus habile ne s’en contentera pas. Il y a toujours place pour un suivant, oui et pour nous-mêmes, et route par ailleurs. Il n’y a point de fin en nos inquisitions ; notre fin est en l’autre monde. C’est signe de raccourcissement d’esprit quand il se contente, ou de lasseté. Nul esprit généreux ne s’arrête en soi : il prétend toujours et va outre ses forces » (III, 13, 1068).
3 Telma Birchal, O eu nos Ensaios de Montaigne, Belo Horizonte, Editora da UFMG, 2007.
4 Comme l’a bien remarqué Vincent Carraud dans L’invention du moi, Paris, Presses Universitaires de France, 2010.
5 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 ; et Charles Taylor, The Sources of the Self. The Making of Modern Identity, Cambridge, Harvard University Press, 1989. Le « sujet cartésien » est aussi appelé « le moi désancré » par le premier et « disengaged self » par le second. Évidemment, pour une autre discussion, il faudrait distinguer ce qu’on dit de Descartes de ce que Descartes a dit lui-même. Il s’agit ici seulement du « sujet cartésien » interprété par sa réception. Voir à ce propos Denis Kambouchner, Descartes n’a pas dit [...], Paris. Les Belles Lettres, 2015.
6 Voir Telma Birchal, O eu nos Ensaios de Montaigne, op. cit. Voir également mon « Regard sur soi, l’esprit qui connaît : figures de la subjectivité chez Montaigne et Descartes », Montaigne Studies, vol. XXV, 2013, p. 31-38 ; et « Montaigne impénitent : la question du moi dans “Du repentir” », Montaigne Studies, vol. XXIII, 2011, p. 205-224. Je suis très reconnaissante envers Sérgio Cardoso et José Raimundo Maia Neto pour leurs précieux commentaires et critiques de mon travail.
7 Antoine Compagnon, Chat en Poche. Montaigne et l’allégorie, Paris, Seuil, 1993. p. 46-47.
8 J’ai pris ces exemples chez Antoine Compagnon, ibid.
9 Je ne peux que rappeler ici Jules Brody et son plaidoyer en faveur des interprétations des Essais comme une « aventure spirituelle personnelle » : « S’il fallait inventer une œuvre qui pût justifier à elle seule le biais de la critique bio-historique, on inventerait sans doute les Essais de Montaigne », Nouvelles Lectures de Montaigne, Paris, H. Champion, 1994, p. 7.
10 Antoine Compagnon, Chat en Poche. Montaigne et l’allégorie, op. cit., p. 9. Il continue ainsi : « Cela dit, n’oublions pas que c’est à travers les anachronismes et leur renouvelants qu’une œuvre survit. L’allégorie donne peut-être lieu à une tératologie. Elle produit une collection de monstres éphémères – mais la philologie tend à enterrer les livres comme des petits cercueils dans un vaste cimetière de lettres. Une œuvre qu’on cesse d’allégoriser est une œuvre morte. L’histoire de la réception d’une œuvre littéraire est une suite de va-et-vient entre l’allégorie et la philologie, entre l’allégorie qui tire le texte à nous, révèle son actualité, ce qu’il a encore à nous dire, et la philologie qui le remet à sa place, le tient à la distance, le reconduit à l’intention de son auteur. Allégorie et philologie sont inséparables et tracent le cercle herméneutique de la critique littéraire, affaire à la proximité et d’éloignement à la fois, de participation et de méfiance. Montaigne n’y échappe pas » (p. 140).
11 Philippe Desan, Montaigne. Une biographie politique, Paris, Odile Jacob, 2014. On pourrait dire qu’il s’agit surtout d’une sociologie des Essais (voir p. 594).
12 Ibid., p. 587.
13 Ibid., p. 594. C’est moi qui souligne.
14 Ibid. C’est moi qui souligne.
15 Jules Brody, op. cit., p. 7.
16 François Roussel, Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne, n° 60-61, 2014-2015, p. 103-118.
17 Tzvetan Todorov, Montaigne ou la découverte de l’individu, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001.
18 Pierre Aubenque, « Oui et non », art. cit., p. 34-35.
19 Les lectures « philologiques » ne le sont pas moins, mais peut-être faut-il reconnaître quelque différence entre un anachronisme de « méthode » et un anachronisme de « substance ». Voir Aubenque, art. cit.
20 Ibid., p. 35.
21 Pierre Aubenque présente une « expérience de la pensée » en proposant que l’on peut imaginer Platon reconnaissant rétrospectivement le néo-platonisme comme un possible prolongement de sa propre philosophie (p. 34). C’est dans ce sens que je pense que Montaigne pourrait reconnaître un air de famille entre son « moi » et « l’ipseité » de Paul Ricœur.
22 Hugo Friedrich, Montaigne, trad. Robert Rovini, Paris, Gallimard, 1968, p. 13.
23 Telma Birchal, « O amor e suas regras em ‘Sobre versos de Virgílio’ », Kriterion. Revista de Filosofia, vol. 53, 2012. p. 435-447.
24 Telma Birchal, « Vitieusement et lâchement : faute morale et condition humaine », Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne, n° 62, 2015, p. 149-158.
25 Telma Birchal, « Montaigne et le Nouveau Monde. En relisant Lévi-Strauss », Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne, à paraître.
26 André Tournon, « Le grammarien, le jurisconsulte et l’“humaine condition” », Bulletin de la Société des Amis de Montaigne, no 21-22, 1990, p. 107-118.
27 Voir note 24.
28 « Si par expérience nous touchons à la main que la forme de notre être dépend de l’air, du climat et du terroir où nous naissons... » (II, 12, 575).
29 Philippe Desan, Montaigne. Une biographie politique, op. cit., p. 588-589.
30 Je remercie infiniment Philippe Desan et Véronique Ferrer pour cette opportunité de réfléchir à l’usage que je fais de Montaigne. Je remercie aussi mes compagnons d’études montaigniens, au Brésil et ailleurs, pour leurs aimables désaccords qui m’ont toujours fait réfléchir et instruit. Ce travail a été rendu possible grâce à une bourse de recherche du CNPq.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Telma de Souza Birchal, « « Et route par ailleurs... » : d’un usage philosophique de Montaigne », Essais, Hors-série 3 | 2016, 100-111.
Référence électronique
Telma de Souza Birchal, « « Et route par ailleurs... » : d’un usage philosophique de Montaigne », Essais [En ligne], Hors-série 3 | 2016, mis en ligne le 26 février 2021, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/6910 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.6910
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