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Comptes rendus

Richard Maxwell, Jon Raundalen et Nina Lager Vestberg (dir.), Media and the Ecological Crisis, New York, Routledge, 2015

Baptiste Giraud
p. 159-163
Référence(s) :

Richard Maxwell, Jon Raundalen et Nina Lager Vestberg (dir.), Media and the Ecological Crisis, New York, Routledge, 2015, 214 p.

Texte intégral

1Qui parle d’écologie dans l’étude des médias ? Les tenants d’un courant anglo-saxon (Dewey, McLuhan, Postman) désigné par l’expression « écologie des médias » (media ecology). En quel sens celle-ci est-elle utilisée ? Pour étudier la production et la réception médiatiques sous la forme d’un « environnement », et illustrer l’idée selon laquelle les moyens de communication influencent l’organisation de la société. Toujours présente dans la recherche, cette métaphore biologique se retrouve également désormais dans le marketing : il y est question d’ «  écosystème », pour désigner soit l’ensemble des produits et services médiatiques présents sur le marché, soit les produits vendus par une marque en particulier (ex : « l’écosystème Apple »).

  • 1 Ecology, Environment, Culture Network – EECN ; groupe de chercheurs, praticiens et activistes, dont (...)
  • 2 Avertissement, p. ix
  • 3 Intro, p. xii. Ici comme dans le reste du texte, la traduction est assurée par nos soins.
  • 4 Comme l’ont montré Richard Maxwell et Toby Miller (Greening the Media, Oxford, Oxford University Pr (...)

2Cette analyse médiatique sert de point de départ à l’ouvrage, produit par les membres du Réseau « écologie, environnement et culture1 », et constitué de dix contributions-chapitres, un ouvrage qui entend « recenser, comprendre et répondre à la contribution complexe des médias à la crise écologique actuelle2 ». Car, pointent ses auteurs, « les processus écologiques ne sont pas analogues aux processus matériels d’où naissent les techniques d’information et de communication [TIC] ». La métaphore ne fonctionne donc pas. De plus, « plutôt que de former à elles seules des environnements anodins, ces techniques font partie intégrante de l’environnement3 », et leur impact environnemental ne peut être négligé4.

Une étude écologiste-critique des médias

  • 5 Maxwell et Miller, op. cit., p. 87.

3Selon les auteurs, l’utilisation métaphorique du lexique écologique dans l’étude des médias sans prise en compte de la réalité écologique des médias, contribue à invisibiliser cette dernière. L’ouvrage entend y remédier en adoptant une posture inverse : « En tant qu’universitaires critiques, nous ne pouvons rester en dehors de la réalité du déclin de la planète, en particulier quand certaines des technologies que nous admirons et étudions sont des contributrices significatives de cette crise5. »

4De ce point de vue, aucune des démarches scientifiques existantes n’est satisfaisante : l’étude des médias, marquée par les humanités, s’intéresse exclusivement aux contenus et ignore les contenants ; dans le même domaine, la communication environnementale (environmental communication) étudie uniquement comment la production culturelle influence la prise de conscience sur les questions environnementales ; quant à l’étude technique des médias, elle fait preuve de technophilie. Pour ces auteurs, il s’agit de prendre en compte à la fois les impacts matériels des TIC et l’étude classique des médias, afin d’ouvrir une réflexion sur la place et le rôle des médias dans la préservation de la planète, ainsi que sur la durabilité des cultures numériques.

  • 6 Voilà une question déterminante, à laquelle nous n’avons pas songé lors de notre propre réflexion ((...)
  • 7 Maxwell et Miller, op. cit., p. 90.

5Mais pourquoi vouloir absolument lier l’étude des contenus médiatiques (et notamment ceux qui traitent de l’environnement) à l’impact sur l’environnement de ces contenus et des techniques qui les portent6 ? En quoi serait-il préjudiciable de traiter séparément ces sujets ? Pour Maxwell et Miller, ne pas comprendre ce lien c’est « ignorer l’échelle du problème auquel la planète fait face et la manière dont les techniques que nous utilisons, étudions et enseignons y ont contribué matériellement, rhétoriquement et idéologiquement7 ».

6Leur démarche critique ne cherche donc pas qu’à réparer un manque (en décrivant les impacts environnementaux des TIC), mais également, armée de ces constats, à repérer, analyser et combattre la rhétorique et l’idéologie de l’utopie technique, selon laquelle les nouveaux médias seraient intrinsèquement de bons outils face à la crise écologique et plus globalement la voie du progrès humain.

7Les différentes contributions s’attachent ainsi, dans un premier temps, à démontrer la pertinence d’une démarche « matérialiste » dans l’étude des médias (c’est-à-dire fondée sur leur réalité et leur action matérielles), puis dans un second, à proposer des approches qui fassent preuve d’une réelle écologie, c’est-à-dire d’une appréhension globale des techniques et contenus médiatiques au sein de la biosphère. L’ensemble oscille ainsi entre des réflexions épistémologiques et des exemples de recherches qui permettent autant de justifier que de préciser la démarche.

Matérialisme : les médias ne sont pas que discours

  • 8 Introduction, p. xi.
  • 9 Énergie et matériaux nécessaires à leur fabrication, gestion des déchets électroniques.

8« Si nous voulons affirmer que les médias peuvent avoir un impact positif dans la lutte contre la crise écologique, alors nous devons commencer par les techniques médiatiques elles-mêmes en tant que problème environnemental », énonce l’introduction8. Dans la première contribution, Jennifer Gabrys décrit les techniques électroniques de type « compteur intelligent », qui calculent et donnent à voir les consommations d’eau ou d’électricité, ainsi que les discours qui en font un outil décisif dans la recherche de l’efficacité énergétique et donc la protection de l’environnement. Ces discours, qu’elle qualifie d’ » environnementalisme électronique » (electronic environmentalism), font fi de l’empreinte environnementale des techniques elles-mêmes9. De tels systèmes risquent donc de renforcer le problème qu’ils entendent résoudre. Pour Gabrys, donner à voir les consommations énergétiques est une chose essentielle, à condition de l’appliquer aussi aux techniques de représentation elles-mêmes. Elle en appelle ainsi à une « rematérialisation » de nos consommations énergétiques quotidiennes, et particulièrement celles de nos appareils électroniques et des réseaux qu’ils utilisent.

9L’étude matérialiste-écologiste des médias amène également à s’interroger sur les conséquences sociales des TIC. Sophia Kaitatzi-Whitlock observe trois produits de l’ » économie de l’information » fondée sur l’utilisation des TIC : les déchets électroniques constitués par les matériels en fin de vie ; l’inflation informationnelle (infoflation) entraînée par la multiplication des contenus sur le web ; enfin les « déchets-humains » résultant de l’automatisation et de la robotisation des activités dans un monde du travail où l’humain est remplacé par la machine. Selon elle, les nouveaux médias contribuent à classer les individus au sein de la société en donnant du pouvoir à ceux qui possèdent le plus de « capital numérique » et sont capables d’en tirer profit, tandis qu’aux autres ils n’offrent que consommation compulsive, chômage ou travail non qualifié. Trois autres contributions poursuivent ce travail dans les domaines de la production culturelle (Paul Micklethwaite), de l’art (Synnove Marie Vik) et de la documentation (Soenke Zehle).

Écocentrisme : étudier les médias au sein de la biosphère

10Au-delà de ces constats, l’ouvrage cherche à imaginer une écologie critique des médias qui prendrait part aux débats publics sur les TIC et la crise écologique. Selon Maxwell et Miller, l’écologie des médias doit « influencer les réglementations », « contribuer aux débats », et « réécrire l’histoire des médias pour montrer, contrecarrer, la fétichisation des nouveaux et mettre en avant l’impact environnemental des anciens ».

  • 10 Si elle était étudiée, la situation française apparaîtrait certainement comme un cas d’école, où de (...)

11Une première voie consiste à analyser les discours tenus dans les médias au sujet des nouvelles techniques électroniques et/ou du changement climatique. Ibrahim Saleh, qui a étudié le traitement d’un sommet international sur le changement climatique par des médias égyptiens et sud-africains, explique comment le sujet y est relégué dans la hiérarchie de l’information, alors qu’il revêt pourtant une importance toute particulière sur ce continent. Jon Raundalen s’intéresse pour sa part au traitement des nouvelles TIC par la presse spécialisée et généraliste : leur couverture est marquée d’utopie technique, incite à la consommation, et reste la plupart du temps aveugle aux problématiques environnementales. Pour l’expliquer, Raundalen convoque une analyse socio-économique mettant en évidence le déséquilibre de moyens entre les grands groupes de l’industrie des TIC (fabricants, concepteurs, propriétaires des réseaux de communication) épaulés par des services communication, et les rédactions économiquement fragiles10.

  • 11 En agriculture, la permaculture regroupe des méthodes fondées sur une approche holiste et relationn (...)

12Dans la dernière contribution, Antonio Lopez propose une approche écocentrée des écosystèmes médiatiques. Si l’humain veut être un membre responsable de son environnement, il lui faut développer une « citoyenneté culturelle écologiste » (green cultural citizenship), c’est-à-dire promouvoir des pratiques culturelles durables. Lopez réclame la mise au point d’un lexique écologiste sur les médias et suggère, à partir du double sens du mot « culture », de parler de « permaculture » ou de « permaculture médiatique11 ». Il assimile les écosystèmes médiatiques à des communs, où s’affrontent aujourd’hui logique d’enclosure (emprise du marché, fermeture du web et des plates-formes de communication propriétaires) et logique démocratique, de partage et de coopération.

  • 12 Voir notamment Impacts écologiques des technologies de l’information et de la communication, GDS Éc (...)

13L’ouvrage constitue une tentative remarquable et réussie d’analyse des contributions structurelles des médias à la crise écologique. Dans ce but, l’écologie, cette fois-ci en tant que méthode scientifique, apparaît comme la voie incontournable. De plus, la transdisciplinarité qu’elle implique convient bien aux Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), habituées à mêler les approches. Si des recherches sur les impacts environnementaux des TIC existent déjà en France12, la façon dont cet ouvrage problématise la relation entre les médias et la crise écologique ainsi que les différentes contributions apportées ouvrent des perspectives passionnantes pour la recherche critique en SIC.

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Notes

1 Ecology, Environment, Culture Network – EECN ; groupe de chercheurs, praticiens et activistes, dont l’acte fondateur a été la tenue d’une journée d’études en 2012 en Norvège, d’où est issu cet ouvrage.

2 Avertissement, p. ix

3 Intro, p. xii. Ici comme dans le reste du texte, la traduction est assurée par nos soins.

4 Comme l’ont montré Richard Maxwell et Toby Miller (Greening the Media, Oxford, Oxford University Press, 2012) ainsi que Jennifer Gabrys (Digital rubbish : A natural History of Electronics, University of Michigan Press, 2011), tous trois contributeurs du présent ouvrage.

5 Maxwell et Miller, op. cit., p. 87.

6 Voilà une question déterminante, à laquelle nous n’avons pas songé lors de notre propre réflexion (Médias écologistes : quelle forme médiatique pour l’écologie ?, Mémoire de M2 en SIC, UBM, 2015), cherchant directement à mettre à jour un lien entre les contenus écologistes et les contenants qui les portent.

7 Maxwell et Miller, op. cit., p. 90.

8 Introduction, p. xi.

9 Énergie et matériaux nécessaires à leur fabrication, gestion des déchets électroniques.

10 Si elle était étudiée, la situation française apparaîtrait certainement comme un cas d’école, où des entrepreneurs faisant fortune dans les TIC (Xavier Niel avec Free, Patrick Drahi avec Numéricable) rachètent de grands médias (respectivement Le Monde, en association avec Pierre Bergé et Mathieu Pigasse, et Libération).

11 En agriculture, la permaculture regroupe des méthodes fondées sur une approche holiste et relationnelle des systèmes vivants.

12 Voir notamment Impacts écologiques des technologies de l’information et de la communication, GDS ÉcoInfo, Éditions EDP Sciences, 2012.

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Pour citer cet article

Référence papier

Baptiste Giraud, « Richard Maxwell, Jon Raundalen et Nina Lager Vestberg (dir.), Media and the Ecological Crisis, New York, Routledge, 2015 »Essais, 13 | 2018, 159-163.

Référence électronique

Baptiste Giraud, « Richard Maxwell, Jon Raundalen et Nina Lager Vestberg (dir.), Media and the Ecological Crisis, New York, Routledge, 2015 »Essais [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/495 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.495

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Auteur

Baptiste Giraud

Journaliste indépendant
bgiraud[at]riseup.net

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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