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Écologie et Humanités

Géopoétique et écologie dans l’œuvre poétique de Kenneth White

Frédéric Poupon
p. 51-64

Résumés

Les poèmes de Kenneth White montrent la majesté du monde physique. Lieux de l’écrit, ils écrivent des lieux et accueillent la présence des choses et des êtres muets. Pour donner voix au dehors, le poète s’efface et révèle que le monde est aussi ordre et beauté. Lire le poème comme un lieu de rencontre entre un sujet et la matière rend attentif au texte lui-même et rappelle que sans le soutien des formes d’art l’éthique environnementale risque de rester lettre morte

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Le premier numéro des Cahiers de Géopoétique paraît en 1990. « La géopolitique telle qu’elle est co (...)
  • 2 Kenneth White, La Figure du dehors, Paris, Grasset, 1982, p. 234 : « Mais assez parlé pour cette fo (...)
  • 3 Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, Paris, Livre de Poche, 1993, p. 7.

1On associe parfois le terme de « géopoétique » à celui de « géopolitique », croyant déceler dans le second le modèle dont le premier serait le décalque. Kenneth White, fondateur de l’Institut international de Géopoétique en 1989, s’en défend1. Cependant, « géopoétique » poursuit et complète une riche série de mots à préfixe grec dans laquelle on peut prélever « géologie », « géographie » ou « cosmographie » pour éclairer la notion de « géopoétique ». Si l’on compare « géopoétique » à « géographie », la substitution de « graphein » (écrire) par « poiein » (faire, créer) sous sa forme adjectivale appelle deux remarques liées à la définition du mot poétique2 : la « géopoétique » est création, elle est relative à la poésie ; la « géopoétique » est un art si l’on considère que l’adjectif « poétique » sous-entend le terme « tekhnê », employé dès la première ligne de la Poétique par Aristote. Le radical « poétique » offre à « géopoétique » une ouverture et une latitude que « géopoésie » ne permettrait pas puisque ce terme assujettirait la notion à un genre, alors que Kenneth White multiplie formes et pratiques d’écriture. En outre, par son caractère adjectival, « poétique » ouvre une série de substantifs sous-entendus (vie, voyage, peinture géopoétiques, etc.) sans exclure celui d’« art géopoétique », au sens restreint de traité de poésie, exposé ou recueil de règles d’écriture et de composition. Et c’est à partir de quelques poèmes de Kenneth White que nous nous proposons d’étudier les relations entre géopoétique et écologie en prêtant particulièrement attention à la poétique de White définie comme « un ensemble de procédés et de techniques qui entrent en jeu dans la fabrication d’un poème3 ».

  • 4 Kenneth White, Panorama géopoétique, op. cit., p. 24. « Disons d’abord, rapidement, que l’écologie, (...)
  • 5 Kenneth White, La Figure du dehors, op. cit., p. 85. « Avant de parler de géopoétique, je parlais d (...)
  • 6 Michel Collot, Pour une géographie littéraire, Paris, Corti, 2014, p. 105-106.

2La relation entre géopoétique et écologie, dont White reconnaît explicitement l’importance4, se noue autour du mot grec « cosmos ». Les néologismes formés par le poète écossais avant celui de « géopoétique », tels « cosmopoétique » et « biocosmographie5 » montrent l’attention qu’il porte à ce terme. Entre la vie du sujet (« bio ») et l’écrit (« graphie ») s’infiltre, se glisse, comme un coin, le « cosmos » ; mot grec dont l’équivalent latin est « mundus », le monde. Michel Deguy dans Figurations peut revendiquer avec White l’invention du terme « géopoétique », comme le rappelle Michel Collot dans Pour une géographie littéraire6 :

  • 7 Michel Deguy, « Antiphonaire », in Figurations, Paris, Gallimard, 1969, p. 99.

J’ai cru qu’on pouvait entendre géo-logie sur le modèle d’astrologie ; qu’une sorte de ”géo-poétique”, connaissance des vallées de la terre allaient être possibles, comme des figurants de ce qui est à penser, et que la métaphore ou transport de l’être en figures à la pensée était le nom de l’espace « poétique » en sa disposition prête à tout… Mais comment sur ce sol saturé d’occident écrire le poème d’une longue marche7 ?

  • 8 Kenneth White, Le Plateau de l’Albatros, introduction à la géopoétique, Paris, Grasset, 1994.
  • 9 Ibid., p. 25.
  • 10 Ibid., p. 200.
  • 11 Ezra Pound, Canto CXVI.

3Cependant, Michel Deguy ajoute un tiret dont l’absence chez White renforce la relation entre préfixe et radical, arrimant l’un à l’autre. Chez ce dernier, le terme de géopoétique a donné lieu à une œuvre-clef : Le Plateau de l’Albatros, introduction à la géopoétique8. L’auteur franco-écossais y déclare qu’« un monde est ce qui émerge du rapport entre l’esprit et la terre », et que le travail géopoétique consiste à « explorer les chemins de ce rapport sensible et intelligent à la terre, amenant à la longue, peut-être, une culture au sens fort du mot9 ». White reconnaît que Thoreau est essentiel, car il « ouvr[e] le champ d’une poétique postmoderne, c’est-à-dire ni du moi, ni du mot, mais du monde10 ». Le texte géopoétique réverbère l’hétérogénéité du monde et prolonge une lignée littéraire américaine initiée par la prose de Thoreau. Le poète Ezra Pound en fixe la formule à la fin des Cantos quand il invite à « faire monde », « to make Cosmos11 ».

  • 12 « À propos de ce Chaos initial, il faut d’abord éviter un malentendu : la tentation existe de l’ide (...)
  • 13 Nous reprenons la distinction de Neil Evernden (The Social Creation of Nature, Baltimore/London, Jo (...)
  • 14 C’est ce qu’affirme Michel Collot à propos de l’œuvre de Michel Deguy, se référant à Figurations (p (...)
  • 15 Hölderlin, « En souvenir de », in Journal de Bordeaux (1er janvier -14 juin 1804), trad. Jean-Pierr (...)
  • 16 Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables [1949], trad. Anna Gibson, Paris, Flammarion, 2000. Ce (...)
  • 17 « Lapidae crescunt, vegetabile crescunt et vivunt, animali crescunt, vivunt et sentiunt », Linné ci (...)
  • 18 Aristote, Physique, II, 1, trad. Henri Carteron, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 58-59 : « Parm (...)
  • 19 Gérard Genette, Figures I, Paris, Seuil, 1966, p. 106-107.
  • 20 Calque du « green script » de Lawrence Buell cité par Denis Chartier, Nathalie Blanc et Thomas Pugh (...)

4Remarquons avec Cornelius Castoriadis que le mot cosmos forme couple avec celui de chaos. Si cosmos s’oppose à chaos, ce n’est pas comme l’ordre au désordre, mais comme le plein au vide, à la béance, sens étymologique du mot « chaos12 ». Dès lors, le poème fait monde en comblant un vide dans nos représentations du réel. La poésie de White s’attache alors à l’écologie par deux nœuds forts : l’admiration pour la nature13, et l’écriture de cette émotion. Le terme de géopoétique présente ce double mouvement d’une expérience de la Terre (le poétique) et d’une conversion de cette expérience en art (la poétique)14. Deux écrivains distants d’un siècle ont formulé cette ambition esthétique par la même métaphore agricole : le poète romantique Hölderlin dans le poème Andenken veut faire « comme les peintres une moisson/Des beautés de la terre15 » ; le forestier Aldo Leopold dans sa préface à l’Almanach d’un comté des sables souhaite « engranger la moisson esthétique qu[e la terre] est capable d’offrir à la culture16 ». Ainsi non seulement la géopoétique rappelle l’écologie (en tant que « discours sur la terre ») à ce souci de beauté, mais elle l’excède doublement si l’on s’en rapporte à l’étymologie. Par le radical « poétique » (« faculté de produire »), elle prolonge et dépasse la parole rationnelle (« logos ») ; par son préfixe, elle désigne le monde des minéraux, des végétaux et des animaux17 qui débordent l’espace domestique, précisément parce qu’ils « existe[nt] par nature18 ». Car le préfixe « éco- », tiré de oikos, renvoie au monde domestiqué : « écocritique », « écologie », « écopoétique » ou « économie » tendent à réduire la Terre à l’espace que l’homme a assujetti à sa rationalité. La géopoétique élargit l’horizon pour donner à voir ce « dehors » auquel la conscience du poète se lie. Le poème s’efforce de créer un équivalent esthétique à cette « figure du dehors », et parce que « le langage est tissé d’espace19 », le poème tisse un espace et configure la page comme un lieu. Mais quelle relation établit-il avec ce qui l’excède ? Quel rapport entre le lieu du poème et le lieu géographique et terrestre dont il est pourtant coupé ? Quelle couture pour réparer la coupure entre le livre et le monde physique ? Si la poésie formule le désir que le mot rejoigne la chose, il y a dans la géopoétique le désir d’une rencontre entre le poème et le monde. Nous voudrions montrer combien l’horizon que constitue la nature informe l’écriture de White et dessine un white script20 dont nous dégageons trois aspects : accueillir la « musique du monde » et nommer les lieux de la Terre ; configurer l’effacement du « je » et de l’homme ; construire le poème comme un objet iconique qui réfléchit le monde et le désigne en s’autonomisant.

Voix et noms de la Terre : l’écologie comme parole du monde

5Kenneth White relate dans Le Plateau de l’Albatros le contenu d’une lettre du musicien italien Ferruccio Busoni (1866-1924) datée du 22 mars 1910 :

  • 21 Le Plateau de l’Albatros, op. cit., cf. chap. « La musique du monde », p. 95.

J’ai parlé l’autre jour à une Amérindienne (dont le frère avait été violoniste à New York). Elle m’a dit qu’à sa tribu il faudrait un instrument qui ressemblerait à ceci : on creuserait d’abord un trou dans la terre et à travers ce trou on tendrait des cordes. J’ai répondu, dans l’esprit des Peaux-Rouges : il faudrait appeler un instrument comme celui-là “la voix de la terre“21.

  • 22 Ibid., p. 65.
  • 23 Henry D. Thoreau, Walden, Civil Disobedience and Other Writings [1854], New York/London, W. W. Nort (...)
  • 24 Le Plateau de l’Albatros, op. cit., p. 200. Il est à noter que la prose de Thoreau est très volonti (...)
  • 25 Jean-Christophe Bailly, Le Parti pris des animaux, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2013, p. 104- (...)
  • 26 James Joyce, Ulysses, Penguin Books, rééd. 1992, p. 62. « Attention : un discours en quatre mots du (...)

6Cette ambition rejoint l’effort esthétique de White, qui souhaite « une poésie brève, concise, pleine de sensations directes22 ». Reprenant l’avertissement de Thoreau au chapitre « Sounds » de Walden (“But while we are confined to books, though the most select and classic, and read only particular written languages, which are themselves but dialects and provincial, we are in danger of forgetting the language which all things and events speak without metaphor, which alone is copious and standard23.”), White revendique un « langage que parlent les choses, sans métaphore24 ». Mais comment entendre et faire entendre ce langage des choses ? Dans un texte intitulé « Les animaux conjuguent les verbes en silence », Jean-Christophe Bailly glose Novalis et affirme que « pour pouvoir devenir parole, il a fallu que le langage soit d’abord une écoute, il a fallu que les hommes, patiemment, écoutent, c’est-à-dire, cherchent à entendre ces langues infinies qui les entourent et qu’ils ne comprennent pas25 ». Donner voix au monde apparemment muet de la nature, avoir la patience nécessaire pour en jouir est une activité poétique, et James Joyce est un des premiers à consigner le parler de la mer, des flots et des rouleaux. Au chapitre 3 d’Ulysse, lorsque Stephen Dedalus se promène sur la grève, le flux de conscience est l’occasion d’une parole inhumaine initiée par un « listen » à l’envoûtante beauté : « Listen: a fourworded wavespeech: seesoo, hrss, rsseeiss, ooos. Vehement breath of waters amid seasnakes, rearing horses, rocks. In cups of rocks it slops: flop, slop, slap: bounded in barrels. And, spent, its speech ceases. It flows purling, widely flowing, floating foampool flower unfurling26. » De même, dans The Music of the Landscape, White montre cet effort d’écoute qui motive le poème.

  • 27 Atlantica, trad. Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1986, p. 202 : » J’écoute, j’accueille/(un mat (...)

Listening in
(late August morning)
to the music of the landscape:
sea-wind
blowing veil after veil of grey
up the valley of Goaslagorn
flights of wailing birds…
27

  • 28 On songe à L’Éloge des oiseaux du poète italien Leopardi, pour lequel l’oiseau incarne la joie.

7White s’inscrit alors dans une veine littéraire sensible à ce qui est hors-langue, mais encore langage. Le son des flots comme le chant des oiseaux participent d’une symphonie naturelle. Or White cède souvent la parole aux oiseaux28, en particulier au corbeau. Dans « In Praise of Crow » (« Éloge du corbeau »), ce dernier est le pendant sauvage d’un rossignol aujourd’hui saturé de références et de connotations.

  • 29 « In praise of crow », Atlantica, op. cit., p. 19.

Everybody knows
the sad sweet tale
of the nightingale
but when crow starts croaking
hard and hoarse
that’s something else

Depuis le temps qu’on en cause
tout le monde la connaît
la chanson du rossignol
mais le corbeau, ah
quand il croasse
c’est une tout autre chose29

  • 30 Ibid., p. 24.
  • 31 Ibid., p. 205.

8Le corbeau a un autre chant (« ka, kaya-gaya, ka / krr, krarak, krarak / krie, krie, krie30 ») dont les gutturales font sonner la rudesse du monde. White aime ce contact avec une altérité sauvage. Il décrit par exemple les oiseaux migrateurs à la manière d’un ouvrage ornithologique dans une section du poème Late August on the coast (« Fin Août sur la côte ») intitulée « A Short Introduction to White Poetics » (« Petite introduction à la poétique blanche »)31 :

Consider first the Canada Goose
brown body, whitish breast
black head, long black neck
with a white patch from throat to cheek
bill and legs black
flies in regular chevron or line formation
flight note: aa-honk
(that’s the one old Whitman heard on Long Island)

Prenez d’abord la bernache du Canada
corps brun, poitrine blanche
tête et long cou noirs
avec une tâche blanche de la gorge à la joue
bec et pattes noirs
vole en formation régulière, V ou file
cri en vol : aa-honk
(c’est elle que le vieux Whitman entendait à Long Island)

  • 32 Cité dans Le Plateau de l’Albatros, op. cit., p. 82 : « la poésie est à la fois l’art du vers et l’ (...)
  • 33 Atlantica, op. cit., p. 22 : « J’ai pensé autrefois à fonder / une Académie des goélands / […] dans (...)

9La description de l’animal, dont la présence illumine le poème, est régie par une opposition chromatique du noir et du blanc. Au sombre (« black head, long black neck… bill and legs black ») répond le lumineux (« whitish breast… with a white patch », « old Whitman »). La bernache du Canada, caractérisée phonétiquement par les allitérations éclatantes en « a » - voyelle d’arrière ouverte du triangle vocalique -, est emblématique du « monde blanc » dont Kenneth White revendique l’exploration. La jubilation de l’altérité animale s’entend par ailleurs dans l’émergence du nom du poète, qui par la répétition du mot « white » se glisse sur le corps de la bernache. L’évocation de Walt Whitman - on entend ici « white man » - souligne cette présence discrète, estompée. Car cette blancheur est aussi éclairage : en laissant résonner le chant des oiseaux Kenneth White les donne à voir. L’art poétique de White joint la parole au regard et retrouve deux caractéristiques de la poésie soulignées par Caillois : le vers et l’image32. Dans le même mouvement, notre poète français de langue anglaise écrit dans « In Praise of Crow33 »:

I once thought of founding
an Academy of Gulls […]
with one aim in view:
say the world anew
dawn-talk
grammar of rain, tree, stone
blood and bone.

10À l’initiale du vers 4, le verbe « say » succède au mot « view » qui clôt le vers 3, ce dernier rimant avec « anew », soulignant combien une vue renouvelée du monde est portée par une « grammaire de pluie, d’arbre, de pierre ». Les poèmes de Kenneth White construisent un réseau de paronomases (say/see, white/write, world/word) qui attache la parole et la vue.

  • 34 Terre de diamant, trad. Philippe Jaworski, Marie-Claude White et l’auteur, Paris, Grasset, 1983.

11De cette esthétique de l’observation émergent les noms de lieux, qui participent d’un effort de cartographie capable de modifier notre perception de l’espace terrestre. La plupart des poèmes nomment des lieux, et les textes en prose, parce qu’ils sont souvent des récits de voyage (waybook), poursuivent cet effort de cartographie du réel. La lecture de « Achawakamik », tiré du recueil Handbook for the Diamond Country34, confirme cette configuration du poème comme rencontre d’un dire et d’un voir par la toponymie.

  • 35 Ibid., p. 172 : « ACHAWAKAMIK. Là-haut sur le bord de la baie d’Hudson/entre la rivière Severn et l (...)

ACHAWAKAMIK

Up on the edge of Hudson’s Bay
between the river Severn and the river Winisk
there is a place called Achawakamik
in the Cree language, that means
« a place to watch from »

they say, on the point of dying, an old man
planted his wigwam there
so that in his dying he might see
the forests and the waters
and the breath of the great spirit

if you go up there one day
try and see with his eyes
35

12Par un effet de mise en abyme, la traduction du toponyme tiré d’un mot indien, placée au centre du texte, définit le poème lui-même comme point de vue. Le titre indien souligne l’esthétique du regard décentré de White, esthétique sauvage que redouble l’homophonie de « Cree » et « cri » en français, où s’observe le bilinguisme poétique de notre auteur.

  • 36 C’est ce que suggère Michel Collot qui postule que l’horizon visé informe le poème. Il définit alor (...)
  • 37 Cf., La Figure du dehors, op. cit., p. 22.

13Toponymie et topographie nourrissent chez Kenneth White une « topoétique » qui branche l’esthétique à l’espace. La géopoétique est aussi la création d’une forme à partir d’un lieu géographique36. Par conséquent, le toponyme revêt une utilité critique, dans le poème ou récit en prose, et en stimule le commentaire. À l’échelle de l’œuvre de White, le « monde blanc » est un espace marginal, celui des espaces enneigés des cartes, et des espaces vides, espaces écartés où se vit « une expérience de la réalité incandescente37 ». Il désigne aussi et surtout un espace mental, comme l’indique le nom du poète lui-même.

  • 38 « […] dans leur dispositifs littéraux, leurs reliefs ou pentes d’écriture, les pages peuvent se con (...)
  • 39 La Figure du dehors, op. cit., p 22.

14Nommer les lieux et donner la parole à ce qui est muet sans être silencieux sont deux stratégies d’écriture qui participent à la construction de l’espace du poème comme lieu, à la configuration de la page comme paysage38. Pour ce faire, il convient cependant que le locuteur s’efface, que le poète disparaisse car « le poète est ‘la transparence du lieu dans lequel il vit’39 ».

Effacement et disparition : l’écologie comme décentrement

  • 40 Orange Export LTD., Paris, Flammarion, 1986.
  • 41 Ibid., p. 230.
  • 42 Terre de diamant, op. cit., p. 72.

15Parce qu’il définit la géopoétique comme une poétique « ni du moi ni du mot, mais du monde », White configure l’effacement du locuteur pour saisir un moment épiphanique où la beauté de la nature se révèle dans sa splendeur. « Early Morning Light on Loch Sunart » paraît dans Orange Export LTD.40, une anthologie des poèmes des années 1969 à 1986 publiés par Emmanuel Hocquard. Elle regroupe des poètes comme Jean Tortel, Bernard Noël, Michel Deguy, Edmond Jabès, Philippe Lacoue-Labarthe ou Dominique Fourcade. Le texte de Kenneth White y est publié en 197941 et se compose de cinq sections. L’auteur ne conserve que la première, « Morning Light », dans Terre de diamant (Handbook for the Diamond Country)42 :

While I write this
a grey heron
is standing motionless
in the early morning light
of Loch Sunart.

Alors que j’écris ceci
Un héron gris
Se tient immobile
Dans la première lueur du matin
A Loch Sunart.

  • 43 Ralph Waldo Emerson, The Poet, New York/London, Norton & Company, 2001, p. 189-190.
  • 44 Kenneth White, Le lieu et la parole. Entretiens 1987-1997, Cléguer, Éditions du Scorff, 1997, p. 64

16Le premier vers joue encore sur la proximité phonétique de « while » et « write » qui encadrent et « coincent » le pronom personnel de première personne « I ». Le nom du poète se lit en joignant la première syllabe de « while » et la finale de « write ». S’il se dissimule dans son texte, le « I » s’efface cependant au profit du démonstratif « this », et s’incline devant le héron qui impose sa verticalité immobile. Le texte adopte vers après vers le rythme de déplacement de l’échassier, comme par crainte de le chasser. S’effaçant dans l’écho des mots, le poète associe le lecteur à un mouvement de retrait discret, « à pas de loup ». Saisissant un moment précieux, le poème rejoue l’expérience du naturaliste ou du marcheur qui aperçoit une bête qui fuit. Composant avec art une image où le héron apparaît dans sa majesté, White suit les préceptes d’Emerson : « As the eyes of Lyncaeus were said to see through the earth, so the poet turns the world to glass, and shows us all things in their right series and procession […] he stands one step nearer to things […] and following with his eyes the life, uses the forms which express that life, and so his speech flows with the flowing of nature43 ». L’apparition s’inscrit dans un lieu qui favorise cette rencontre sans contact. Le Loch Sunart porte en lui l’esthétique whitienne qui illumine le réel en se décomposant en « Sun » et « art ». C’est pourquoi White nomme un tel poème « psychocosmogramme », « un lieu écrit à l’intérieur duquel la psyché humaine va essayer de rentrer en contact avec le cosmos44 ». Or ce contact s’opère par le biais d’une image. Comme une « nature morte », que les Italiens appellent plus justement « cose naturali » et les Anglais « still-life », le poème offre l’illusion de la réalité et ravive par là notre regard sur les choses.

  • 45 Terre de diamant, op.cit., p. 166.

17Un texte singulier ajoute à l’effacement du poète sa propre disparition. « A Snowy Morning in Montreal45 » a la ténuité du filet maigre de la typographie : il sépare et noue en même temps le poème au moment et au lieu qui l’ont suscité.

A SNOWY MORNING IN MONTREAL

Some poems have no title
this title has no poem
it‘s all out there


MATIN DE NEIGE A MONTRÉAL

Certains poèmes n’ont pas de titre
Ce titre n’a pas de poème

Tout est là dehors

  • 46 La poésie de White semble illustrer cette thèse de Paul Ricœur (La Métaphore vive, Paris, Seuil, 19 (...)

18Déjouant l’attente du lecteur, le poème fond comme flocon sur la main. La mise en espace du texte rend visible l’amenuisement des trois vers, chacun plus court que le précédent. Le dernier se détache et réfléchit le titre auquel le « there » final renvoie. Le titre « Snowy Morning in Montreal » supporte la charge poétique sous laquelle le corps du poème paraît s’affaisser : « this title has no poem ». Indiquant un moment de la journée, une information météorologique et un lieu géographique, prétendant à la pure dénotation poétique46, le titre compose le cœur dense du poème. L’encre sur la page échappe à la blancheur qui la menace. Dans son refus apparent de produire une image que le titre promet, le poème cède sous le poids du dehors. Refus apparent puisque la blancheur de la page réverbère la blancheur de la neige, et l’emporte sur le texte qui s’efface. En effet, le poème tire son efficacité de son échec à reproduire la forme rigoureuse d’un syllogisme. La logique paradoxale est plus poétique que rationnelle. Un chiasme arrime les deux premiers vers entre eux (à poems/title répond title/poem) en s’appuyant sur le polyptote have/has. Glissant du général au particulier (« some », « this ») par substitution du singulier au pluriel, le poème s’annule dans le dernier vers en un « all » qui dirige la leçon. Construites aussi sur un axe vertical, les séries « some », « this », « it » et « title », « poem », « there » délimitent le poème et l’encadrent, frontières poreuses de mots adossés au vide de la page, à la ville blanche de neige désignée par le titre. Absent au monde le temps de la lecture, le lecteur est singulièrement renvoyé par l’absence de texte à une expérience climatique qui suggère la vanité du geste créateur face à la majesté du réel, et abrège l’acte de lecture.

Iconicité du poème

  • 47 Michel Collot, Pour une géographie littéraire, op. cit., p. 116-117.
  • 48 Paul Ricœur, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 283.

19Le poème whitien, même s’il prétend se défaire de lui-même, s’élabore grâce aux ressources de la poétique. Michel Collot relève une contradiction de la géopoétique lorsqu’il écrit qu’« en réaction sans doute à une poétique inféodée à la linguistique, White accorde peu d’importance au langage », et il poursuit : « Dans la conception whitienne de la géopoétique, l’accent porte sur le préfixe et la poiesis est envisagée plutôt comme une expérience que comme un art du langage47 ». Les exemples pris ici montrent pourtant que Kenneth White développe un art (géo-)poétique. Et ce que Schlegel dit du fragment qui « pareil à une petite œuvre d’art, […] doit être détaché du monde et clos sur lui-même comme un hérisson », nous pouvons le dire à bon droit du poème. Lieu de mots (words), le poème fait monde (world). Si l’épiphanie chtonienne qu’offrent les poèmes de White au lecteur passe par l’orchestration de la disparition du poète, et à la limite le désir de disparition du texte, elle impose au poème de se montrer pour montrer le monde. Comme le rappelle Paul Ricœur, il est une chose dure, « une icône et non un signe. Le poème est. Il a une ‘solidité iconique’. Le langage y prend l’épaisseur d’une matière48 ».

  • 49 Terre de diamant, op. cit., p. 234.

20Qu’il compose une image ou s’y refuse, le poème se nourrit de ce qu’il vise. Pour s’arrimer au réel, le texte whitien devient lui-même un objet du monde, un éclat du cosmos qu’il réverbère pour susciter l’émotion. Cependant la poésie est un discours médié, indirect et second. Construisant une structure interne et organique, il crée une forme : la beauté des poèmes de White réside dans cette formation d’un « dedans » du poème en vue de désigner « un dehors ». Un exemple de cette iconicité du texte s’observe dans la mise en espace de The Winter-Spring Phase49 :

Eight days ago
up at the Col de Marie-Blanque
it was a frozen world
with snow drifting
over artic conifers

this morning
from this quiet room
I look at the mountain
in the warm white misty light
of Early Spring

Il y a huit jours
au col de Marie-Blanque
c’était un monde gelé
avec la neige qui tombait
sur des conifères arctiques

ce matin de cette chambre tranquille
je regarde la montagne au loin
dans la lumière chaude et brumeuse
du printemps qui vient

21Le poème évoque un passage entre les vallées d’Aspe et d’Ossau. Le col de Marie-Blanque tire son nom du béarnais Maria Blanca, qui désigne en outre le vautour percnoptère. Mot composé et double, le nom lie le lieu à une espèce animale sauvage. En outre, la référence chromatique au blanc s’entend encore dans le signifiant. Convoqué pour présenter un changement de saison en deux strophes dont la première est antérieure de huit jours, la disposition du texte dessine ce qu’il dit et décrit. Si nous basculons la page dans ce que la langue des éditeurs nomme format à l’italienne (ou « paysage »), le col de Marie-Blanque apparaît : les vers sont des arbres, les deux strophes dessinent les montagnes, l’espace vide, en blanc sur la page, est le col, lieu du passage et moment transitoire d’un changement de saison. Il est remarquable que la forme du texte, qui rappelle l’influence de l’estampe japonaise sur White, est plus visible dans le texte anglais, la traduction perdant une partie de la dimension picturale du poème.

  • 50 Michel Collot, La poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, PUF, 1989, p. 174.
  • 51 Id.
  • 52 Id.

22Ce dernier exemple prolonge notre lecture des précédents poèmes et la confirme. Les poèmes de White retrouvent la caractérisation du langage poétique par Michel Collot dans La poésie moderne et la structure d’horizon, dont « le propre […] est que sa réflexivité, loin de l’enfermer en lui-même, l’ouvre à un dehors. Sa visée autoréférentielle n’exclut pas son pouvoir de référence50 ». Collot de rappeler l’affirmation de Ricœur dans La Métaphore vive : « la poésie redécrit le monde51 ». Selon lui, non seulement la poésie moderne n’est pas nécessairement autotélique dans son autoréférentialité, mais encore son « propre » est de « dire le monde de manière nouvelle ». Or les poèmes de Kenneth White que nous avons cités invitent à ébaucher une « poétique de la géopoétique », à l’intersection des champs d’investigation de l’écologie et de la poésie. Car, « changer les mots, c’est changer les choses […] inventer c’est ‘à la fois découvrir et créer’ : non pas selon l’arbitraire d’une fantaisie coupée de tout rapport au réel, mais en étant fidèle au mouvement par lequel le monde à tout instant peut se révéler autre à nos yeux étonnés52 ». Le poème géopoétique paraît alors un exercice spirituel où le « je » s’efface pour mieux entendre, voir, dire et montrer le monde physique, le dehors, l’otherness.

Conclusion

  • 53 Niel Evernden, The Social Creation of Nature, Baltimore/Londres, Johns Hopkins Univ. Press, 1992, p (...)
  • 54 « Aveugle à ce qu’a de spécifique l’instant d’existence, la pensée conceptuelle ne peut en effet sa (...)
  • 55 A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1985, p (...)

23L’apport de la géopoétique à l’écologie semble se situer dans un angle mort de la géopoétique elle-même, car quoique White prétende parler « le langage que parlent les choses sans métaphore », il crée une esthétique apte à montrer et dire le monde d’une manière neuve. Céder la présence, s’effacer pour montrer, construire l’iconicité du poème sont les caractéristiques des poèmes étudiés ici. La leçon que nous proposons de tirer de ces lectures au croisement de l’écologie et de la poésie est que l’éthique environnementale (la parole rationnelle) ne peut se dispenser d’une esthétique (la parole poétique). Neil Evernden le suggère aussi: « the so-called environmental crisis demands not the inventing of solutions, but the re-creation of the things themselves53 ». Or l’autoréférentialité du poème whitien n’est pas autotélique ; loin de voiler le réel, le poème découvre, dévoile et recrée « les choses elles-mêmes ». C’est en ce sens qu’Yves Bonnefoy rappelle qu’une des fonctions de la poésie consiste à redonner, temporairement, le bonheur ontologique perdu54. Le poème qui offre une rencontre, même sans contact, avec la nature a une vertu jubilatoire, réjouissante. Se tournant vers lui-même, il ne se détourne pas du monde. L’ammonite est ici un emblème : centrée sur elle-même, elle se pousse vers ce qui lui est extérieur, ramasse ses forces en elle et se projette. Fossilisée, apparemment sans vie, nature morte, sa forme durcie conserve l’énergie de la vie. Comme le texte sur la page blanche, elle est parfois prise dans une gangue d’argile que l’on conserve par crainte de l’abîmer. Cette argile rappelle la prise de l’ammonite qui, avant d’être posée sur la table d’un naturaliste, gisait sur un sol qui l’englobait. La marge du poème, qui est une coupure, est aussi couture avec ce qui déborde le livre. Le dictionnaire étymologique de la langue latine d’Ernout et Meillet55 offre d’ailleurs une acception intéressante du mot mundus. Commentant des vers marginaux de Virgile dont il dénonce l’authenticité, le scholiaste de la fin du IVe siècle Servius Honoratus emploie l’expression « extra paginam in mundo » pour indiquer qu’ils sont écrits en dehors de la page, dans la marge (« in mundo ») ; comme pour fixer le tremblement de la paronomase world/word et signifier la séparation flottante entre le livre, les mots et le monde.

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Notes

1 Le premier numéro des Cahiers de Géopoétique paraît en 1990. « La géopolitique telle qu’elle est conçue aujourd’hui, étudie la relation entre les États sur l’échiquier du monde en termes de ressources, de marchés et de sécurité. La géopoétique par contre se concentre sur la relation entre l’Homme (mais quel Homme ?) et la Terre », Kenneth White, Panorama géopoétique, Entretiens avec Régis Poulet, Lapoutroie, Éditions de la Revue des Ressources, 2014, p. 23.

2 Kenneth White, La Figure du dehors, Paris, Grasset, 1982, p. 234 : « Mais assez parlé pour cette fois. Il s’agit à la fin de tout réduire au niveau ‘du thé et du riz’, c’est-à-dire de l’essentiel. Ce qui signifie, au bout du discours, poésie, celle à laquelle nous avons essayé de parvenir. »

3 Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, Paris, Livre de Poche, 1993, p. 7.

4 Kenneth White, Panorama géopoétique, op. cit., p. 24. « Disons d’abord, rapidement, que l’écologie, bien comprise, est incluse dans la géopoétique. C’est, en termes géologiques, une des couches de la géopoétique. »

5 Kenneth White, La Figure du dehors, op. cit., p. 85. « Avant de parler de géopoétique, je parlais de biocosmographie », ibid., p. 30. Nous trouvons aussi à propos de Thoreau le mot « biocosmopoétique ».

6 Michel Collot, Pour une géographie littéraire, Paris, Corti, 2014, p. 105-106.

7 Michel Deguy, « Antiphonaire », in Figurations, Paris, Gallimard, 1969, p. 99.

8 Kenneth White, Le Plateau de l’Albatros, introduction à la géopoétique, Paris, Grasset, 1994.

9 Ibid., p. 25.

10 Ibid., p. 200.

11 Ezra Pound, Canto CXVI.

12 « À propos de ce Chaos initial, il faut d’abord éviter un malentendu : la tentation existe de l’identifier immédiatement avec ce que nous désignons par ce terme, à savoir un mélange informe. Or il est bien établi que le nom khaos est apparenté au verbe khainô, qui signifie « béer » (d’où « béance »). Il s’agit donc d’un creux, d’un vide », in Cornelius Castoriadis, Ce qui fait la Grèce 1. D’Homère à Héraclite, Séminaires 1982-1983 (La Création Humaine II), Paris, Seuil, 2004, p. 172.

13 Nous reprenons la distinction de Neil Evernden (The Social Creation of Nature, Baltimore/London, Johns Hopkins University Press, 1992, « Preface and Acknowledgments », xi): « I have adopted the convention of speaking of “nature“ when referring to the great amorphous mass of otherness that encloaks the planet, and to speak of “Nature“ when referring specifically to the system or model of nature which arose in the West serveral centuries ago. »

14 C’est ce qu’affirme Michel Collot à propos de l’œuvre de Michel Deguy, se référant à Figurations (p. 145) : » Il n’est donc pas possible de dissocier ‘ce dont le poème est l’expérience (le poétique)’ et ‘le langage de cette expérience (la poétique)’« .

15 Hölderlin, « En souvenir de », in Journal de Bordeaux (1er janvier -14 juin 1804), trad. Jean-Pierre Lefebvre, Bibliothèque Virgin, coll. « Transferts », Art and Arts, 1990, p. 216. « Sie, /Wie Maler, bringen zusammen / Das Schöne der Erd », Friedrich Hölderlin, Gedichte, Reclam, 2003, p. 104.

16 Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables [1949], trad. Anna Gibson, Paris, Flammarion, 2000. Ce souhait succède à un premier, « que la terre survive à l’impact de l’homme mécanisé », l’écologie telle qu’il la définit associe éthique et esthétique. « There is no other way for land to survive the impact of mechanized man, nor for us to reap it from the esthetic harvest it is capable, under science, of contributing to culture », A Sand County Almanach and Other Writings on Ecology and Conservation, New York, Literary Classic of the United States, 2013, p. 4.

17 « Lapidae crescunt, vegetabile crescunt et vivunt, animali crescunt, vivunt et sentiunt », Linné cité par Robert Richardson, Henry David Thoreau biographie intérieure, Marseille, Wildproject, 2015, p. 297.

18 Aristote, Physique, II, 1, trad. Henri Carteron, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 58-59 : « Parmi les êtres, en effet, les uns sont par nature, les autres par d’autres causes ; par nature, les animaux et leurs parties, les plantes et les corps simples, comme terre, feu, eau, air ; de ces choses, en effet, et des autres de même sorte, on dit qu’elles sont par nature ».

19 Gérard Genette, Figures I, Paris, Seuil, 1966, p. 106-107.

20 Calque du « green script » de Lawrence Buell cité par Denis Chartier, Nathalie Blanc et Thomas Pughe dans « Littérature Écologie : vers une écopoétique », Écologie et Politique, n° 36, 2008, p. 17-28 : » Recréer la nature, cela consiste à la représenter par le récit et le mythe, à rédiger un ‘script vert’ (green script), qui ne serait pas fondé sur le désir d’exploiter les ressources de l’environnement biophysique. » Cf. L Buell, Writing for an Endangered World. Literature, Culture, and Environment in the U.S. and Beyond, Cambridge, Harvard Univ. Press, 2001, p. 35.

21 Le Plateau de l’Albatros, op. cit., cf. chap. « La musique du monde », p. 95.

22 Ibid., p. 65.

23 Henry D. Thoreau, Walden, Civil Disobedience and Other Writings [1854], New York/London, W. W. Norton & Company, 2008, p. 78. « Mais tandis que nous nous limitons aux livres, même s’il s’agit des classiques les mieux choisis, et que nous lisons seulement des langues écrites spécifiques, qui ne sont elles-mêmes que des dialectes et des patois, nous risquons d’oublier le langage parlé sans métaphore par toutes choses et tous événements, lequel seul est prolixe et universel. » Walden, trad. Brice Matthieussent, Marseille, Le Mot et le Reste, 2013, p. 119.

24 Le Plateau de l’Albatros, op. cit., p. 200. Il est à noter que la prose de Thoreau est très volontiers métaphorique.

25 Jean-Christophe Bailly, Le Parti pris des animaux, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2013, p. 104-105.

26 James Joyce, Ulysses, Penguin Books, rééd. 1992, p. 62. « Attention : un discours en quatre mots du flot : sîîsou, hrss, rsseiss, ouass. Souffle véhément des eaux parmi des serpents de mer, des chevaux cabrés, des rocs. Dans des tasses de rochers le flot flaque : flic, flac, floc : bruit de barils ? Et, répandu, son discours tarit. Il flue en murmures, largement il flue, flottantes flaques d’écume, fleurs qui se déploient », in James Joyce, Œuvres, vol. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 56.

27 Atlantica, trad. Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1986, p. 202 : » J’écoute, j’accueille/(un matin, fin août)/la musique du paysage :/vent du large/qui voile le vallon de Goaslagorn/de brusques rafales de bruine/vols d’oiseaux vagissants/au-dessus des champs… ».

28 On songe à L’Éloge des oiseaux du poète italien Leopardi, pour lequel l’oiseau incarne la joie.

29 « In praise of crow », Atlantica, op. cit., p. 19.

30 Ibid., p. 24.

31 Ibid., p. 205.

32 Cité dans Le Plateau de l’Albatros, op. cit., p. 82 : « la poésie est à la fois l’art du vers et l’art de l’image […]. Par le vers, elle tente d’être inaltérable, par l’image d’être inépuisable ».

33 Atlantica, op. cit., p. 22 : « J’ai pensé autrefois à fonder / une Académie des goélands / […] dans un seul but :/redire le monde/parole d’aurore/grammaire de pluie, d’arbre, de pierre ».

34 Terre de diamant, trad. Philippe Jaworski, Marie-Claude White et l’auteur, Paris, Grasset, 1983.

35 Ibid., p. 172 : « ACHAWAKAMIK. Là-haut sur le bord de la baie d’Hudson/entre la rivière Severn et la rivière Winisk/se trouve un lieu nommé Achawakamik/en langue Cree, cela veut dire/» un lieu pour regarder »/on raconte qu’un vieil home au bord de la mort/planta là son wigwam/afin que, mourant, il pût voir/les forêts et les eaux/et le souffle du grand esprit/si tu vas là-haut un jour/essaie de voir avec ses yeux. »

36 C’est ce que suggère Michel Collot qui postule que l’horizon visé informe le poème. Il définit alors la géopoétique « comme l’étude des rapports entre l’espace et les formes et genres littéraires », Pour une géographie littéraire, op. cit., p. 121.

37 Cf., La Figure du dehors, op. cit., p. 22.

38 « […] dans leur dispositifs littéraux, leurs reliefs ou pentes d’écriture, les pages peuvent se contempler comme des paysages ; et les paysages à leur tour, à travers leurs configurations sensorielles, leur logique, leur ordre secret, se comprendre, se lire comme autant de pages », in Jean-Pierre Richard, Pages-Paysages, Paris, Seuil, 1984, p. 7.

39 La Figure du dehors, op. cit., p 22.

40 Orange Export LTD., Paris, Flammarion, 1986.

41 Ibid., p. 230.

42 Terre de diamant, op. cit., p. 72.

43 Ralph Waldo Emerson, The Poet, New York/London, Norton & Company, 2001, p. 189-190.

44 Kenneth White, Le lieu et la parole. Entretiens 1987-1997, Cléguer, Éditions du Scorff, 1997, p. 64.

45 Terre de diamant, op.cit., p. 166.

46 La poésie de White semble illustrer cette thèse de Paul Ricœur (La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 278) : « À cette quête souvent impossible, toujours égarante, d’une intention cachée derrière l’œuvre, j’oppose une quête qui s’adresse au monde déployé devant l’œuvre », récusant l’idée que la littérature soit « cette sorte de discours qui n’a plus de dénotation, mais seulement des connotations ».

47 Michel Collot, Pour une géographie littéraire, op. cit., p. 116-117.

48 Paul Ricœur, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 283.

49 Terre de diamant, op. cit., p. 234.

50 Michel Collot, La poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, PUF, 1989, p. 174.

51 Id.

52 Id.

53 Niel Evernden, The Social Creation of Nature, Baltimore/Londres, Johns Hopkins Univ. Press, 1992, p. 123.

54 « Aveugle à ce qu’a de spécifique l’instant d’existence, la pensée conceptuelle ne peut en effet saisir en leur être ni les choses, ni l’être humain, ni ce qui les unit dans une présence au monde pacifiée », in Yves Bonnefoy, « Fonction de la poésie dans la société contemporaine », Francofonia n° 27, Firenze, Olschki Editore, 1994, p. 11.

55 A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1985, p. 420.

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Pour citer cet article

Référence papier

Frédéric Poupon, « Géopoétique et écologie dans l’œuvre poétique de Kenneth White »Essais, 13 | 2018, 51-64.

Référence électronique

Frédéric Poupon, « Géopoétique et écologie dans l’œuvre poétique de Kenneth White »Essais [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/471 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.471

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Auteur

Frédéric Poupon

TELEM
Université Bordeaux-Montaigne
pouponf[at]gmail.com

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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