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Comptes rendus

Jean-Michel De Waele et Frédéric Louault, Soutenir l’équipe nationale de football. Enjeux politiques et identitaires

Gaël Rannou
p. 171-175
Référence(s) :

Jean-Michel De Waele et Frédéric Louault (eds), Soutenir l’équipe nationale de football. Enjeux politiques et identitaires, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2016

Texte intégral

1Cet ouvrage académique est le fruit d’un travail collectif avec la présence de quinze chercheurs issus de différentes disciplines scientifiques. Ils rassemblent ici leur recherche autour des enjeux politiques et identitaires qui sont en lien avec les équipes nationales de football. Ces enjeux mettent en exergue les relations qui peuvent se nouer entre la sphère politico-médiatique, l’équipe en question, et les supporters eux-mêmes, afin de construire ensemble un socle commun, appelé identité. La problématique de cet ouvrage est de mettre en évidence les mécanismes de co-construction de celle-ci. En effet, elle se construit par le biais de jeux de symboles et de leur manipulation par les différents acteurs que nous présenterons ensuite, d’où sa labilité (l’identité est, ici, vue comme une construction qui peut évoluer et non comme quelque chose de fixe). L’originalité de ce travail est liée à sa complexité, à savoir la prise en compte d’exemples venus du monde entier qui montrent finalement que les « bricolages » politiques et identitaires sont universels. C’est à ce jour, la seule recherche académique de fond qui traite des équipes nationales de football avec finesse malgré une entrée par le concept d’identité, difficile à cerner mais tout aussi manipulable par les chercheurs dans un contexte social et scientifique faisant émerger des problématiques identitaires. En effet, l’identité est un concept qui a été très utilisé dans les travaux en sciences sociales ces dernières années. Il est donc imprégné de diverses approches théoriques qui complexifient parfois sa compréhension.

2Trois parties se déclinent dans cette recherche. Elles comprennent chacune quatre chapitres, soit douze articles nous faisant voyager à travers le monde, parfois obscur, des équipes nationales de football car celles-ci sont étroitement liées à des contextes politiques nationaux, voire géopolitiques dans certains cas.

3En effet, la première partie a pour but de montrer les constructions historiques du supportérisme national à partir de quatre exemples : l’Amérique latine (Guillaume Fleury, Lucas Gomez et Frédéric Louault), le parcours d’un supporter symbole de la sélection brésilienne (par Buarque Bernardo De Hollanda), le projet « ultras Italia » (Sébastien Louis), et l’équipe de Roumanie lors de la coupe du monde 1994 (Pompiliu-Nicolae Constantin). La seconde partie, quant à elle s’intéresse au rapport entre le supportérisme des équipes nationales et l’érosion des identités nationales. Respectivement le cas de l’Iran (Christian Bromberger), de l’Égypte (Suzan Gibril), de la Russie (Ekaterina Gloriozova) et de l’ex-Yougoslavie (Loic Trégourès) sont à l’étude. Enfin, la troisième partie traite des usages politiques et médiatiques des performances ou contre-performances des équipes nationales. L’équipe de Yougoslavie lors du mondial italien de 1990 (Zec Dejan), l’équipe nationale du Cameroun (Japhet Anafak), l’équipe belge plus récemment (Jean-Michel De Waele, Gregory Sterck) et enfin la représentation des supporters de l’équipe de France à travers les médias (Pierre Mignot) sont les quatre exemples illustrant cette dernière partie.

4Chaque article nous présente divers acteurs : hommes ou femmes politiques, médias, intellectuels, équipes nationales, et enfin, les supporters de celles-ci. Tous, à leur manière, jouent de symboles avec un renvoi d’images constant pouvant créer ou solidifier un imaginaire collectif national. Certains usent de la littérature (chapitre 1), instituent un supporter en égérie nationale (chapitre 2), convoquent la mémoire (chapitre 4), invoquent la religion (chapitres 4 et 6), jouent sur la sémantique (chapitres 1 et 8). La conjoncture économique et politique d’un État (chapitres 5, 9 et 11) a également un rôle dans cette co-construction permanente. L’histoire (chapitres 3, 4, 5, 6) et la géopolitique (chapitres 1, 5, 8, 10) sont à relier au concept d’événement (une coupe du monde, ou bien une tragédie survenue en marge d’un match). Les chapitres 1, 6, 8 et 10 montrent l’importance de celui-ci. Enfin, les jeux d’assignation et de désignation qui s’opèrent entre les supporters entraînent des violences symboliques voire physiques parfois (chapitres 3, 5, 6, 7, 9, 10, 11). Les médias, quant à eux, renvoient des images qui peuvent influencer les imaginaires collectifs comme cela est montré dans la plupart des chapitres de l’ouvrage (chapitres 1, 2, 4, 8, 9, 10, 11, 12). Ils sont des acteurs, le plus souvent, institutionnels qui s’appuient sur un pouvoir en place d’où la prégnance du facteur structurel pour expliquer la construction identitaire ici. En effet, les chapitres 1, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, et 11 relatent le rôle des structures politiques, économiques et sociales des pays respectifs dans le processus de construction identitaire.

  • 1 Debarbieux Bernard, 1995, « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique », L'Espace géogr (...)

5Si le couple politique/médias fonctionne dans les chapitres cités, il ne faut pas oublier le rôle de l’équipe nationale, donc du facteur sportif dans la construction de l’identité. Par leurs performances, ces équipes jouent un rôle dans la stabilisation de l’identité nationale (et donc de sa fragilité dans le cas de crises). Même si le penchant structurel (les identités peuvent être vues comme déterminées par des structures sociales, économiques et culturelles) peut paraître un peu trop extrême dans l’ouvrage en corrélant les régimes politiques aux succès ou défaites de l’équipe nationale dans les grands événements, ce travail nous montre parfaitement que le sport est, en général, un outil efficace dans la construction d’identités (nationales ou locales) ce qui n’est pas une nouveauté en soit. Cependant il dévoile l’ensemble des manipulations symboliques exercées par les différents acteurs et ce, de manière universelle, pour construire une identité individuelle ou collective. C’est donc en cela que cet ouvrage peut nous éclairer sur des problématiques contemporaines en sciences humaines et sociales (la question de l’identité) mais aussi nous montrer par quel angle le chercheur peut exercer sa réflexion pour répondre à ces questionnements (l’enjeu méthodologique). À ce titre, le chapitre 7 montre, par exemple, que l’équipe nationale de Russie est une métonymie de la société russe dans son ensemble1. L’auteure de l’article prend en compte l’équipe de football mais également les trajectoires individuelles de supporters russes. Ainsi, à partir d’un objet précis (l’équipe nationale) et par une approche micro-sociologique (la réflexion qu’exercent les supporters sur leurs propres pratiques en situation par le discours), elle montre en quoi ce petit échantillon de supporters de la Russie permet d’appréhender les problématiques sociales de ce pays dans son ensemble.

6Même si cet ouvrage orienté vers les sciences politiques s’attarde en particulier sur les structures (économiques, sociales et politiques) et la conjoncture (rapport à l’histoire) des pays présents dans chaque article, certains auteurs font également une entrée par les supporters eux-mêmes afin de voir comment ils « bricolent » à leur manière l’identité (au sens où les acteurs fabriquent eux-mêmes leurs propres représentations). L’approche institutionnelle n’est donc pas l’unique voie pour rendre compte de la complexité sociale d’une société. Bien qu’utile, elle doit être complétée par des méthodes redonnant la parole à des acteurs peu entendus. Ce travail, par sa pluridisciplinarité, permet alors de nous présenter différents types d’approches et de voir qu’elles peuvent être compatibles. L’histoire, l’anthropologie, l’ethnographie, la sociologie, les sciences politiques et les sciences de l’information et de la communication sont présentes dans l’ouvrage et chacune de ces disciplines apporte des réponses à la problématique traitée selon ses propres méthodes.

  • 2 Hoyaux André-Frédéric, Pour une posture constitutiviste en géographie. Volume1. Position et projet (...)
  • 3 Quéré Louis, 2006, « Entre fait et sens, la dualité de l'événement », Réseaux, n° 139, p. 183-218.
  • 4 Laeticia Biascarrat et Clément Dussarps (eds), « Normes communiquée, normes communicantes. Logiques (...)
  • 5 Voir les travaux de Denis Retaillé : « Au terrain, un apprentissage », L’Information géographique, (...)

7Ce travail confirme alors l’idée que l’interdisciplinarité est essentielle pour les sciences humaines et sociales. Il dévoile également un enjeu méthodologique majeur pour celles-ci par la diversité des exemples traités. C’est en convoquant la micro-histoire, la micro-sociologie et la micro-géographie2 (voir en quoi de petits espaces peuvent rendre compte de la complexité d’espaces plus importants), que le lecteur peut avoir une clé de compréhension du monde. En effet, chacun des chapitres traite de lieux, de sociétés et systèmes politiques différents mais arrive à nous donner un aperçu du monde, parfois opaque, des équipes nationales de football et des jeux d’identité qui gravitent autour de celles-ci (chaque acteur utilise des symboles pour se construire une identité individuelle ou collective qu’il veut ensuite assigner à d’autres acteurs). Ce sont ces exemples précis (et micros) qui montrent que les manipulations de symboles sont le fait de tous les types d’acteurs et cela, universellement. Par celles-ci, nous pouvons déceler une mise en tension, entre les acteurs eux-mêmes, qui se caractérise par le degré de domination que peut exercer un régime politique sur ces citoyens mais aussi par l’autonomie que ceux-ci peuvent s’accorder par des pratiques de résistance à l’oppression politique. Il convient donc de voir que l’identité (créée à partir d’imaginaires) interagit également avec la réalité en situation en donnant lieu à des événements que l’on peut inscrire dans le temps (l’histoire des équipes nationales) et dans l’espace3 (les pays et les sociétés présentés dans le livre). Cet ouvrage, en plus de nous montrer l’universalité des conflits et de leurs mécanismes, est au carrefour des questionnements déjà posés par la revue Essais4 auparavant. S’il met en exergue des enjeux pour les Humanités, il montre comment des outils institutionnels peuvent arriver, parfois, à déshumaniser un objet (le sport par l’oppression d’un régime politique) mais comment les acteurs du « bas » arrivent à se jouer de ces structures par leurs pratiques et des « bricolages » symboliques. Cette dernière assertion implique un enjeu éthique du chercheur en montrant que par une prise d’information par le bas5 il y a bel et bien de l’humain. Cette posture éthique s’engage à prendre en compte le point de vue d’acteurs peu entendus dans les travaux académiques et institutionnels alors qu’ils vivent au quotidien et in situ les terrains de recherches, bases de ces travaux.

8Cet ouvrage est donc novateur par l’originalité du sujet traité mais aussi par les enjeux scientifiques explicités plus haut. Il peut également être lu pour comprendre l’anatomie d’autres conflits dans le monde tant l’identité et les manipulations symboliques humaines qui essayent de l’arrimer semblent au carrefour de problèmes sociaux. Il fait émerger en cela de nouvelles perspectives méthodologiques et éthiques pour les sciences humaines et sociales.

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Notes

1 Debarbieux Bernard, 1995, « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique », L'Espace géographique, n° 2, Tome 24, p. 97-112.

2 Hoyaux André-Frédéric, Pour une posture constitutiviste en géographie. Volume1. Position et projet scientifique, Bordeaux, UFR sciences des territoires et Communication/ UMR 5185 ADESS, Dossier d'Habilitation à Diriger des Recherches, Retaillé D (dir.), 2015, 205 p.

3 Quéré Louis, 2006, « Entre fait et sens, la dualité de l'événement », Réseaux, n° 139, p. 183-218.

4 Laeticia Biascarrat et Clément Dussarps (eds), « Normes communiquée, normes communicantes. Logiques médiatiques et travail idéologique ». Essais. Revue interdisciplinaire d’Humanités, École Doctorale Montaigne-Humanités, n° 7, 2015, 161 p.

5 Voir les travaux de Denis Retaillé : « Au terrain, un apprentissage », L’Information géographique, vol. 74, 2010, p. 84 ; « Retour sur un parcours éthique », Revue essais, n° 6, 2014, p. 141-159.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gaël Rannou, « Jean-Michel De Waele et Frédéric Louault, Soutenir l’équipe nationale de football. Enjeux politiques et identitaires »Essais, 11 | 2017, 171-175.

Référence électronique

Gaël Rannou, « Jean-Michel De Waele et Frédéric Louault, Soutenir l’équipe nationale de football. Enjeux politiques et identitaires »Essais [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 14 octobre 2020, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/3587 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.3587

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Auteur

Gaël Rannou

Université Bordeaux Montaigne. UMR 5319 PASSAGES
gael.rannou@etu.u-bordeaux-montaigne.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

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