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γκράτεια : politique, morale, subjectivation (IVe siècle av. J.-C.)

Paul Cournarie
p. 147-167

Résumés

Constamment prescrite aux princes, la maîtrise de soi et la tempérance (enkratéia ou sôphrosynè) n’ont jamais été pratiquées. On veut revenir sur quelques penseurs du IVe siècle av. J.-C. qui ont valorisé ces vertus pour en interroger le fonctionnement. Platon mêle les deux thèmes afin de bannir le spectre de la tyrannie avec sa volonté sans mélange au profit d’une coopération des différentes parties de l’âme. Xénophon et surtout Isocrate soutiennent que ces qualités permettent de distinguer le chef et de l’offrir à l’amour de tous.

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Texte intégral

γκράτεια : politique, morale, subjectivation (IVe siècle av. J.-C.)

  • 1 Archiloque fr. 35. Sauf mention, toutes les traductions sont issues de la CUF.

« Règne sur elle, exerce la tyrannie, et tu deviendras, s’il se peut, un objet d’envie pour le genre humain »1

  • 2 M. Foucault, Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Gallimard, Paris, 1984, p. 113 ; voir a (...)
  • 3 Voir M. Foucault, Histoire de la sexualité II. L'usage des plaisirs, Gallimard, Paris, 1984, p. 237(...)

1A-t-on jamais vu une attitude si obstinément refusée qui fût si constamment prescrite ? Car les choses sont entendues, pour gouverner les autres, il faut d’abord se gouverner soi-même. Les changements de régimes ne bouleversent rien en ce domaine et, de la cité à l’Empire, en passant par les monarchies hellénistiques, un même mode d’assujettissement constitue les vivants. Parce que la vie des Anciens procédait de choix politico-esthétiques, leurs activités se sont définies de l’extérieur. Il fallait établir de soi à soi un rapport de transparence complète, à la fois de connaissance et de maîtrise, par un certain nombre de techniques, qui n’était pas simplement un préalable au gouvernement des autres, mais aussi la modalité principale de son exercice2. Non seulement les catégories d’analyses, entre vie publique et privée, étaient les mêmes, mais en plus il y avait un lien génétique entre ce que l’on était à l’ombre de l’oikos et la politique qu’on menait face aux citoyens. Sans doute faut-il faire une concession à la modification des conditions politiques, qui a entraîné une désocialisation de la sexualité. Celle-ci ne pouvait plus être conçue dans les termes de la cité, rejouant dans son acte même, la distinction dominant-dominés par isomorphisme3. Mais pour les gouvernants, du fonctionnaire au souverain, rien ne semble avoir changé.

  • 4 C. K. Tsagalis, Inscribing Sorrow: fourth-century Attic funerary Epigrams, W. de Gruyter, Berlin et (...)
  • 5 N’étant pas spécialiste, je me permets de demeurer prudent sur ce point. Peut-être faut-il remarque (...)
  • 6 C. Picard, « L'édit bilingue gréco-araméen du roi Asoka, trouvé près de Kandahar (Mus. Kaboul) (...)
  • 7 Traduction de l’araméen par J. Bloch, Les inscriptions d'Asóka, Les Belles Lettres, Paris, 1950, p. (...)

2Pourtant les citoyens ne se sont pas dits sophrônes avant le Ve siècle av. J.-C., et ce n’est qu’au IVe siècle qu’on rencontre la vertu le plus souvent, dans les épigrammes funéraires et les inscriptions relatives aux éphèbes, où son sens varie4. Quant aux souverains, avant l’Empire, aucun d’eux ne reprend cette qualité dans sa langue officielle5 à part un dynaste indien, avec « toute sa naïveté un peu vaniteuse d’Oriental », comme on a pu le dire6, du moins avec une propension au bavardage, à la répétition, à l’explicitation de lieux communs ; propension au reste qu’il avoue lui-même : « car vaste est mon Empire et j’ai fait graver beaucoup, et je ferai toujours graver beaucoup. Il y a là beaucoup de redites à cause du charme de certains sujets, et pour que l’on s’y conforme »7.

  • 8 Je ne donne que les principales éditions. La traduction est de D. Schlumberger. Les abréviations co (...)

Stèle rupestre bilingue (grec et araméen) trouvée en 1958, sur un bloc de roche au pied du mont Kaitul à 2 km de Kandahar.
Datation : 259/8 av. J.-C.
Éditions8 : L. Robert, CRAI, 1958 p. 189-191, description et traduction ; G. Pugliese Carratelli et G. Levi della Vida, Un Editto bilingue greco-aramaico di Asoka (= Serie Orientale Roma XXI), 1958 avec photographie et traduction ; D. Schlumberger, L. Robert, A. Dupont-Sommer, E. Benveniste, JA 246, 1958, p. 1-48 avec photographie, estampage, traduction et commentaire ; F. Altheim et R. Stiehl, Acta Antiqua, 7, 1959 p. 107-126 ; C. Gallavotti, RCCM I, 1959 p. 113-112, résumé dans E&W, 10, 1959, p. 185-191 (J. et L. Robert, BE, 1960 n° 423 ; J. Pouilloux, Choix n° 53 ; SEG XX 326 ; IGSK 65, n° 290, avec photographie de l’estampage, traduction et bibliographie).
Texte : Δκα τν πληρη[θντ]ων βασιλες | Πιοδσσης εσβειαν̣ δε̣ιξεν τος ν|θρποις, κα π τοτου εσεβεστρους | τος νθρπους ποησεν κα πντα | [5] εθηνε κατ πσαν γν· κα πχεται̣ | β̣ασιλες τν μψχων κα ο λοιπο δ | νθρωποι, κα σοι θηρευτ̣α λιες | βασιλως ππαυνται θηρεοντες, κα | ε τινες κρατες ππαυνται τς κρα| [10] σας κατ δναμιν, κα νκοοι πατρ | κα μητρ κα τν πρεσβυτρων παρ | τ πρτερον, κα το λοιπο λϊον | κα μεινον κατ πντα, τατα | ποιοντες, διξουσιν. [suivent 8 lignes de texte araméen]
Apparat critique : l. 1. πληρωντ]ων ou πληρη[θντ]ων Pugliese Carratelli ; πληρουν]ων ou πληρη [μν]ων Gallavotti ; πληρηθ[ν]των Altheim et Stiehl ; πληρη[θντ]ων Robert, adopté par tous les autres éditeurs. l. 11 — κα τν πρεσβυτρων. παρ τ πρτερον κα το λοιπο κτλ. interpolé par Gallavotti.
Traduction : « Dix ans étant révolus, le roi Piodassès a montré aux hommes la piété. Et depuis lors, il a rendu les hommes plus pieux, et tout prospère sur la terre. Et le roi s’abstient de la chair des êtres vivants, et les autres hommes et tous les chasseurs et pêcheurs du roi ont cessé de chasser. Et ceux qui n’étaient pas maîtres d’eux-mêmes ont cessé, dans la mesure de leurs forces, de ne pas se maîtriser. Et ils sont devenus obéissants à père et mère et aux gens âgés, à l’inverse de ce qui était le cas précédemment. Et désormais, en agissant ainsi, ils vivront de façon meilleure et plus profitable en tout ».

  • 9 L. Robert, « De Delphes à l'Oxus, inscriptions grecques nouvelles de la Bactriane », Comptes rendu (...)
  • 10 P. Yailenko Valeri, « Les maximes delphiques d'Aï Khanoum et la formation de la doctrine du Dhamma (...)
  • 11 D. Schlumberger, et al., « Une bilingue gréco-araméenne d'Asoka », Journal asiatique, 246, 1958, p. (...)
  • 12 Robert op. cit. supra, p. 12.
  • 13 La version grecque ne reprend que les 12 premières lignes, cf. IGSK 65 n° 292
  • 14 La traduction est de J. Bloch, Les inscriptions d'Asóka, Les Belles Lettres, Paris, 1950, p. 121-12 (...)
  • 15 D. Schlumberger, « Une nouvelle inscription grecque d'Açoka », Comptes rendus des séances de l'Aca (...)
  • 16 L. Robert, « Une nouvelle inscription grecque d'Açoka », Comptes rendus des séances de l'Académie (...)
  • 17 Voir notamment Jamblique, Vie de Pythagore, 16, 68 ; 17, 72 notamment ainsi que 31, 188 ; 31, 195 ; (...)
  • 18 Musonius Rufus, Diatribes VIII, p. 109 (Ramelli éd.) : τίς μέντοι ἐπιστήμη πρὸς σωφροσύνην ἄγει πλὴ (...)

3Associée classiquement à la nourriture, on ne sait pourtant si la mention de l’enkrateia provient du bouddhisme, dont Asoka est un récent fidèle, ou de l’importation de maximes delphiques9. De fait, on retrouve dans cette inscription la double dimension d’un gouvernement, appliqué à soi et aux autres, et une conception pédagogique de l’autorité où le chef transmet sa vertu à son peuple. Mais cette inscription ne saurait être comparée aux autres témoignages concernant l’hellénisation de ces franges orientales de l’ancien empire d’Alexandre. Ailleurs en effet, on observe comme un réflexe identitaire de la part de soldats-colons Macédoniens, qui rappellent ainsi leur origine10. Mais lorsqu’Asoka emploie ce langage moral, c’est pour coder une autre sagesse à l’intention des Grecs. La stèle n’emploie pas l’Iranien, langue locale, mais l’Araméen, langue administrative de l’ancienne monarchie perse, et le Grec. On en a déduit que la région autour de Kandahar constituait une frontière entre l’empire Mauryas et le royaume Séleucide11. Adressé aux populations installées dans les marges, cet édit était aisément lisible par leurs couches hellénisées, grâce à son écriture claire, son texte bien disposé (coupe syllabique en fin de ligne) et son contenu, dont la « langue [est] portée par un milieu, par la colonie grecque et par les indigènes qui ont subi son influence »12. Asoka emprunte aux Grecs les canons delphiques pour assurer le succès de son effort prosélyte. Dans les édits III et V, en araméen, on le voit en train d’essayer d’établir le bouddhisme dans les confins de son royaume. L’édit XIII, qui relate sa soudaine conversion après avoir tué 100 000 personnes et déporté 150 000 de plus, mentionne l’envoi d’ambassadeurs aux différents rois hellénistiques : Antiochos II, Ptolémée III, Magas de Cyrène, Antigone Gonatas13. Chez lui d’ailleurs, l’enkrateia semble avoir revêtu un sens différent de la maîtrise de soi dans les plaisirs physiques. Dans l’édit XII, bilingue lui aussi, Asoka honore toutes les religions mais valorise celles qui permettent « le progrès dans l’essentiel »14, dont la racine est « la piété et la maîtrise de soi dans tous les genres de vie. Et, est particulièrement maître de lui, celui qui est maître de sa langue »15. « L’γκράτεια et l’γκράτεια γλώσσης […], voilà bien un terme technique, et qui fournit le titre d’un traité de Xénocrate » commentait L. Robert16. À tout prendre, on le relierait plutôt au pythagorisme, dont le fondateur jugeait non seulement qu’il fallait maîtriser sa langue, mais qu’il s’agissait de la plus difficile des maîtrises17. Et, si l’on en croit un Stoïcien d’époque impériale, les souverains aussi doivent être tempérants, « or quelle science, à part la philosophie, mène à la tempérance […] ? Elle apprend en effet à être au dessus du plaisir, elle apprend à être au dessus de la passion d’acquérir, elle apprend à aimer la frugalité et à fuir la dépense luxueuse, elle accoutume à avoir de la dignité et à maîtriser sa langue »18. Un tel roi ajoute-t-il, serait divin et digne de respect (θεοπρεπής καὶ ιδος ξιος). Asoka s’apparente à ce type de souverains, fantasmé par les philosophes, par le domaine d’application de la maîtrise et la hiérarchie entre les différentes formes d’enkratéia. Il est le seul.

  • 19 Je reprends l’expression de M. Foucault, Subjectivité et vérité. Cours au Collège de France, 1980-1 (...)

4Outre ce cas curieux en effet, aucun roi ne s’est dit sôphron ou enkratès. Quand les panégyriques vantent souvent leurs vertus, on pourrait trouver presque autant de cas où les souverains ne tiennent pas compte de ces préceptes. Ils apparaissent en dessous d’eux-mêmes, esclaves de leurs désirs, en princes-passion19 dont l’être n’est réglé par aucune fidélité, fût-ce à eux-mêmes. Quelle fonction revêt cette intempérance du pouvoir, bannie au moment où se cristallisent les modalités antiques de la subjectivation ? Quelle politique suppose la tempérance des gouvernants ? Il vaut peut-être la peine de revenir au moment précis où l’on a conçu l’âme en termes politiques, soit donc en Grèce, à l’époque classique.

Psychè et politique : Platon

  • 20 Socrate dans Stobée II, 8, 29 et IV, 7, 26 [= SSR I C 186 et 291].

Le plus grand pouvoir est le pouvoir royal, mais le meilleur est celui que l’on exerce sur soi (μεγίστην μὲν ἀρχὴν εἶναι τὴν βασιλείαν, ἀρίστην δὲ τὸ ἑαυτοῦ ἄρχειν) » ; « le meilleur roi est celui qui est en mesure de commander à ses propres passions (ἀμείνονα βασιλέα εἶναι τὸν ἑαυτοῦ δυνάμενον ἄρχειν τῶν παθῶν)20.

  • 21 Gorgias, Eloge d’Hélène 8 décrit le discours (λόγος) comme un δυνάστης μέγας ; Théognis 630-631 (...)

5Tout est là. La même histoire se répète depuis que Socrate a rapatrié le concept politique de domination (archè) dans l’éthique et défini la relation d’assujettissement comme une royauté. Cependant, sa sentence laissait deux interprétations possibles, entre l’éthique et la politique. Si le vocabulaire même pointe de la psychè vers la politeia, le passage de l’un à l’autre demeure obscur et Socrate semble même les avoir opposés, sous les espèces de la quantité et de la qualité (megisten/aristen). Le lien entre éthique et politique est tout à la fois énoncé comme fait et refusé comme processus, dans la lignée de ce qu’on peut lire ailleurs21. Aussi le gouvernement de soi et des autres se trouve-t-il chez les Grecs, non comme un donné, mais comme le produit d’un travail sur la sentence socratique, dont le point décisif réside dans le passage d’une dimension à l’autre.

  • 22 Chez les Tragiques cf. Eschyle, Suppliantes 1013 et Euménides 44 et surtout Euripide avec les comme (...)
  • 23 Au sens de maîtrise extérieure cf. Hérodote VIII 49, IX, 106 ; Thucydide I, 76, 1 ; I, 118, 2 ; Pla (...)

6Une telle confusion a été rendue possible par un chiasme entre deux notions, la maîtrise (enkratéia) et la tempérance (sôphrosynè). Celle-ci, qui désignait une vertu intellectuelle (modestie, santé d’esprit) est appliquée à la maîtrise des autres par les Tragiques, tandis que les Sophistes puis les orateurs travaillent à la politiser, pour la refuser ou la revendiquer22 : afin d’être favorablement reçu par un auditoire, il est de bon ton de se dire sage et mesuré (sôphron kai metrion). Quant à la maîtrise (enkratéia), initialement réservée au domaine de la politique, elle se trouve ramenée au même moment, notamment par les Socratiques, à la surveillance exercée sur soi, notamment par rapport aux plaisirs sexuels23. La réflexion de Platon illustre ce mouvement, où l’éthique est peu à peu infléchie en un sens politique, à mesure que la tempérance (sôphrosynè) est comprise à partir du schème de la maîtrise, ce qui lui permet de retrouver le précepte socratique de la domination de soi (archè heautou).

  • 24 [Platon], Définitions, 415d9
  • 25 Ailleurs, il se borne à un usage classique de la notion. Ainsi cf. Platon, Banquet, 188a7 ; Ménexèn (...)

7Dans le recueil apocryphe des Définitions, on lit une claire définition de la continence : « Continent : celui qui a la maîtrise des parties de l’âme en lutte contre la droite raison (Ἐγκρατὴς ὁ κρατῶν ἀντιτεινόντων τῶν τῆς ψυχῆς μορίων τῷ ὀρθῷ λογισμῷ) »24. Le philosophe n’a pourtant employé le terme qu’avec parcimonie, et tardivement, comme on l’a remarqué depuis longtemps. Aussi en fait-il un usage original. Le Charmide, tout entier consacré à la définition de la tempérance (sôphrosynè) ne souffle pas un mot de l’enkrateia et il faut attendre le Gorgias et la République pour voir Platon travailler les deux notions de manière conjointe25. Peut-être y a-t-il deux obstacles empêchant l’Athénien de se référer à la sôphrosynè conçue comme enkratéia.

  • 26 Le Stoïcisme rencontre le même problème cf. B. Inwood, Ethics and human action in early stoicism, C (...)
  • 27 Platon, Protagoras 357c traduction modifiée, Socrate reprend ce qui lui a été accordé par ses inter (...)

8La version scientifique de l’intellectualisme que donne le philosophe, c’est-à-dire l’assimilation de la vertu au savoir doublée du refus de séparer la décision pratique et l’action, rend impossible toute forme d’incontinence (akrasia), et par conséquent la réflexion sur son opposé (enkrateia) est vaine26. Parce que la science « toujours commande (εὶ κρατεν), là où elle se rencontre sur le plaisir et tout le reste »27, il n’y a pas de place pour une détermination différente et encore moins opposée de l’action humaine.

  • 28 Platon, République, IV, 430e4-5, traduction CUF modifiée.
  • 29 République 430e-431a je traduis : Οὐκοῦν τὸ μὲν κρείττω αὑτοῦ γελοῖον ; ὁ γὰρ ἑαυτοῦ κρείττων καὶ ἥ (...)

9Plus grave, la définition classique de la tempérance est minée par une faiblesse interne selon Platon, puisqu’elle suppose un absurde dédoublement hiérarchique du soi. Le problème n’est formulé qu’a posteriori, dans la République : « La tempérance [dit Socrate] est une sorte de maîtrise des plaisirs et des désirs (ἡ σωφροσύνη ἐστὶν καὶ ἡδονῶν τινων καὶ ἐπιθυμιῶν ἐγκράτεια), s’il faut en croire l’expression populaire assez étrange, ma foi : “être maître de soi” »28. Mais « n’est-ce pas risible de “se dominer soi-même” ? Celui qui se domine sera sans doute inférieur à lui-même, et l’inférieur, le supérieur : la même personne est désignée par tous ces termes »29.

  • 30 Platon, Gorgias, 491e ; cf. l’analyse de L.-A. Dorion, « Plato and ἐγκράτεια », dans Akrasia in Gre (...)
  • 31 Voir dernièrement A. A. Long, Greek Models of Mind and Self, Harvard University Press, Cambridge et (...)
  • 32 Platon Gorgias, 493a3-4, je traduis.

10Aussi est-ce dans le Gorgias que Platon tente de relancer la réflexion, quoique de manière très euphémisée. La tempérance (sôphrosynè) y est définie comme la « maîtrise de soi sur soi, la domination des plaisirs et des désirs qui sont en soi (γκρατ ατὸν αυτο, τν δονν καὶ πιθυμιν ρχοντα τν ν αυτͅ) »30. La précision finale, en heautô, dote l’âme d’une nouvelle profondeur, permettant de ne pas tomber dans le travers d’une âme double et une à la fois, dénoncé plus haut. Mais si l’expression, passablement embarrassée, pointe vers la sortie d’un monisme psychologique jusque là dominant par différenciation31, cette voie n’est pas encore clairement choisie, comme en témoigne l’absence d’une division réelle de l’âme. Plus loin, Platon parle de « cela, de l’âme, dans quoi les désirs sont (τς δὲ ψυχς τοτο ν ͅ πιθυμίαι εσι) »32 : il y a bien quelque chose (touto) dont le statut n’est pas déterminé (meros, « partie », n’apparaît pas) et qui trouvera son lieu dans la République.

  • 33 Platon, République IV, 431a : « Quand la partie qui est naturellement la meilleure maintient la moi (...)
  • 34 Plutarque, De la vertu morale, Moralia 446f-447a [= SVF III, n° 459 p. 111] : « On trouve cependant (...)
  • 35 N. Blößner, Dialogform und Argument Studien zu Platons “Politeia”, Franz Steiner, Mainz et Stuttgar (...)
  • 36 Platon, République, IV, 435a.

11Là en effet, Platon divise radicalement l’âme et distribue la tempérance entre plusieurs instances, politiquement accordées33. Cette partition n’était en rien nécessaire pour résoudre la contradiction de la sôphrosynè/enkratéia et on pouvait la répartir selon la durée, comme le feront les Stoïciens plus tard34. Un tel geste permet cependant de retrouver la conception politisée du soi, vers laquelle pointent les maximes de Socrate, et qui a été posée dès le début du dialogue. Le reste de la République n’est pas différent, appliquant asymétriquement les notions politiques à la psychè35, car il s’agit d’observer les vertus dans un plus grand cadre, et pour ainsi dire plus lisible. Pour le dire avec Socrate : « ce que nous y avons découvert [scil. dans la cité bien organisée], transportons-le à l’individu »36.

  • 37 Platon, République, IV, 430d : « Il nous reste encore repris-je deux choses à découvrir dans la cit (...)
  • 38 Platon, République, IV, 442c-d : « Et n’est-il pas tempérant par l’amitié et l’harmonie (τῇ φιλία(...)

12Il y a pourtant deux exceptions à cette règle, toutes à propos de la tempérance et du tyran. Prétendant analyser la tempérance dans la cité, Socrate la cherche en réalité d’abord dans l’individu37. Définie comme maîtrise de soi, elle devient un mode spécifique d’association lorsqu’on l’applique à la communauté (de l’âme ou de la cité)38. À cette étrange définition de la tempérance, tantôt maîtrise, tantôt harmonie, répond ensuite l’analyse de la tyrannie au livre IX, où alternent les analyses de l’individu (571a-575c), de la cité (575c-577a), puis de l’individu encore. Le tyran représente donc le seul cas où le thème psycho-politique prend toute sa mesure, c’est-à-dire où il y a entre l’un et l’autre un lien généalogique et de causalité :

  • 39 Platon, République, IX, 575c, traduction modifiée.

Quand il y a dans un État beaucoup de gens de cet acabit (= d’hommes tyranniques) et que, suivis de nombreux partisans, ils se rendent compte de leur nombre, alors ce sont eux qui aidés par la stupidité du peuple, engendrent le tyran (ο τὸν τύραννον γεννντες), lequel est, parmi eux, celui qui possède en son âme le tyran plus grand et complet (ὃς ἂν αὐτῶν μάλιστα αὐτὸς ἐν αὑτῷ μέγιστον καὶ πλεῖστον ἐν τῇ ψυχῇ τύραννον ἔχῃ)39.

  • 40 Platon, République, IX, 575e : « ces gens-là, repris-je, ne se montrent-ils pas dans la vie privée (...)
  • 41 Platon, République, IX, 578c.
  • 42 Platon, République, IX, 579c, traduction légèrement modifiée.

13Le tyran est l’homme tyrannique passant de la vie privée au pouvoir, comme Platon le répète à plusieurs endroits40. Il y a continuité entre l’idiotès et le tyrannos, puisqu’il est « celui qui, étant tyrannique (τυραννικὸς ν), ne passe pas sa vie dans sa vie une condition privée (διώτην βίον), mais qui est assez malchanceux pour qu’un hasard funeste lui ait donné les moyens de devenir tyran (τυράννῳ γενέσθαι) »41, « le plus malheureux des hommes, l’homme tyrannique (τὸν τυραννικόν), lorsque, au lieu de passer sa vie dans une condition privée, il est contraint par un coup du sort à devenir tyran (τυραννεσαι) et que, impuissant à se dominer lui-même, il entreprend de dominer les autres (ἑαυτοῦ ὢν ἀκράτωρ ἄλλων ἐπιχειρήσῃ ἄρχειν,) »42. Pour expliquer cette curieuse anomalie, on pourrait invoquer, par commodité, la nature même du régime. La monarchie n’est-elle pas un système où tout dépend d’un seul ? Le roi, symétrique du tyran, ne bénéficie pourtant pas du même traitement :

  • 43 Platon, République, IX, 580 b-c.

Et maintenant, repris-je, louerons-nous un héraut ou dois-je proclamer moi-même que le fils d’Ariston a jugé que le meilleur et le plus juste est le plus heureux, et que cet homme est celui qui a l’âme la plus royale et qui règne sur lui-même (τοῦτον δ' εἶναι τὸν βασιλικώτατον καὶ βασιλεύοντα αὑτοῦ), que d’autre part le plus mauvais et le plus injuste est le plus malheureux, et que cet homme est celui qui, étant du caractère le plus tyrannique, exerce sur lui-même et sur la cité la tyrannie la plus absolue (ὃς ἂν τυραννικώτατος ὢν ἑαυτοῦ τε ὅτι μάλιστα τυραννῇ καὶ τῆς πόλεως)43.

  • 44 Platon, République, IX, 592b, cf. aussi Politique 259b, comparer avec Euthydème, 291b sq.

14Le roi, chez Platon, n’est pas nécessairement celui qui gouverne et la République représente d’abord un « modèle dans le ciel pour qui veut le contempler et régler sur lui son gouvernement particulier (αυτὸν κατοικίζειν) »44, sans qu’on aie besoin de la fonder réellement. Il y a là comme une polémique contre l’idée, répandue alors, selon laquelle le gouvernement des autres, ou la politique, est la tâche la plus élevée à laquelle les hommes se consacrent.

  • 45 Sur ce point voir G. R. F. Ferrari, City and soul in Plato's “Republic”, Academia Verlag, Sankt Aug (...)

15Platon, comme Isocrate ou Xénophon, retourne le schéma habituel, insistant sur l’implication logique de la maîtrise de soi dans la domination des autres : non seulement la tyrannie est vaine, mais en plus elle est malheureuse pour celui qui l’exerce. Pour dominer efficacement, il faut d’abord se dominer. Il en refuse pourtant la consécution inverse : de la domination de soi ne suit pas la domination des autres. Sans doute est-il nécessaire que celui qui gouverne, se gouverne, mais celui qui se gouverne n’a pas besoin de gouverner les autres. S’il domine par hasard, il ne cherchera pas à transmettre la même vertu à ses sujets. Bien plutôt, le sage, comme la raison, gouverne en attribuant à chaque partie les tâches qui lui sont propres, c’est-à-dire en différenciant l’exercice de la vertu (dikaiosynè) alors que la concorde règne (sôphrosynè). Un tel modèle, comme le révèle le sort particulier qui lui est fait, semble destiné à bannir le spectre de la tyrannie, où la totalité de la cité ressemble à l’expression mélangée de la volonté du chef45 alors que le conflit règne, dans l’âme du tyran comme dans la cité.

Les charmes de la chasteté : Xénophon

  • 46 Pour les références cf. L.-A. Dorion, « “Akrasia” et “enkrateia” dans les “Mémorables” de Xénophon  (...)
  • 47 Xénophon, Mémorables II, 1, 17 ; le lien avec le bonheur et le commandement se retrouve deux fois e (...)

16Xénophon n’a pas buté sur le même problème que Platon et on le voit, dans tous ses écrits, confondre la tempérance (sôphrosynè) et la continence (enkratéia). Ces deux qualités permettent chez lui de fonder toutes les autres vertus : condition de la liberté, de la justice, de l’amitié, de la richesse, de la pensée. La maîtrise de soi se trouve au fondement de l’utilité de toute chose46. Aussi n’est-on pas surpris de voir tous les chefs selon Xénophon exceller dans l’un ou l’autre de ces domaines. L’art du commandement est d’abord un art de la privation, portant la satisfaction à un niveau différent. Aristippe dit à Socrate : « Mais au fait, Socrate, ceux qui sont formés à l’art royal (ες τὴν βασιλικὴν τέχνην), que tu me parais assimiler au bonheur, en quoi se distinguent-ils de ceux qui souffrent par nécessité, puisqu’ils auront faim, soif et froid, qu’ils seront privés de sommeil et qu’ils endureront volontairement toutes sortes d’autres épreuves »47. Différant leurs satisfactions, ceux qui sont formés à l’art royal peuvent alors remplir d’autres tâches, notamment politiques :

  • 48 Xénophon, Mémorables II, 1, 19.

Pour ceux qui consentent des efforts pour se faire des amis vertueux, ou pour soumettre leurs ennemis, ou encore, une fois qu’ils en ont donné les moyens à leur corps et à leur âme, pour bien administrer leur propre maison, faire du bien à leurs amis et êtres les bienfaiteurs de leur patrie, comment ne pas croire que c’est avec plaisir qu’ils consentent à des efforts pour atteindre de pareils objectifs, et qu’ils vivent dans la joie, étant pour eux-mêmes un objet d’admiration, et pour les autres un objet de louange et un modèle à imiter ?48

  • 49 Le Hiéron explore la première possibilité ; la Cyropédie la seconde, cf. I, 6, 25 ; sur l’importanc (...)
  • 50 Sur la tempérance et l’exercice cf. Xénophon, Cyropédie, I, 2, 8-9 ; VII, 5, 75-76, VIII, 1, 36, VI (...)
  • 51 Ainsi cf. Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 30-32 et 36 ; Agésilas, V, 4 et X, 2.
  • 52 Xénophon, Cyropédie, III, 1, 20 ; VIII, 1, 37 ; VIII, 6, 10 et 16 ; Hiéron, X, 3 ; Agésilas, VII, 3 (...)

17Toute l’œuvre de Xénophon ne fait qu’illustrer ces diverses dimensions de la tempérance. La maîtrise de soi rend d’abord la condition de chef supportable pour soi, enviable pour les autres49. Produite par un exercice permanent, elle vient se couler dans les rapports mêmes d’autorité, dont elle dessine les modalités50. Le chef, qui ne cesse de se montrer tempérant, doit-être imité par ses sujets à tous les niveaux du royaume51. De ce point de vue, Xénophon retrouve la dimension hiérarchique de la modération (sôphrosynè) : est sage celui qui reste à sa place ou qui est assagi par le pouvoir52. Les trois dimensions, personnelle, mimétique et hiérarchique, sont parfois liées, comme à propos de Cyrus :

  • 53 Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 33.

Il croyait encore qu’il verrait la tempérance cultivée surtout s’il affichait une conduite que les jouissances du moment ne détournaient jamais de la vertu, mais qui consentait des efforts préalables ouvrant la voie aux plaisirs dans l’honneur. Aussi un tel comportement créait-il, à la cour, chez les inférieurs, un exact sentiment de leur rang, qui les faisait céder à leurs supérieurs, et, entre eux, un exact sentiment de respect et de courtoisie53.

  • 54 Xénophon, Mémorables II, 6, 22.
  • 55 Sur la tempérance des leaders militaires cf. C. Hindley, « Eros and military command in Xenophon », (...)
  • 56 Respectivement Xénophon, Anabase, V, 8, 4 cf. V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la (...)

18Mais Xénophon ouvre aussi un nouveau champ en liant érotisme et politique d’une manière originale. Les hommes continents peuvent « résister, même s’ils en ressentent le charme, aux plaisirs que procure l’amour des jeunes gens (τοῖς τῶν ὡραίων ἀφροδισίοις ἡδόμενοι καρτερεῖν), de sorte qu’ils ne causent pas de chagrin à ceux qu’il ne convient pas d’affliger »54. Aussi voit-on ailleurs Xénophon lui-même ou celui qui figure une sorte d’idéal politique, Agésilas, refreiner leurs désirs des beaux garçons, non tant par refus de l’homosexualité que par intérêt politique55. L’un rappelle sa tempérance alors qu’il est accusé d’outrage, l’autre met en scène sa continence face à un jeune perse, pour ne pas sembler pactiser avec l’ennemi56. C’est aussi que les positions de pouvoir minent les rapports humains. Philotès isotès dit un proverbe et, chez Xénophon, les puissants ne peuvent entretenir de sentiments sans que se profile à l’horizon le spectre de l’hybris tyrannique :

  • 57 Xénophon, Hiéron, I, 34-36.

c’est de garçons consentants que les faveurs sont, à mon avis, les plus agréables […] mais jouir de garçons malgré eux me paraît, ajouta Hiéron, ressembler plus à un pillage qu’à des plaisirs amoureux57.

  • 58 Xénophon, Hiéron, I, 33.
  • 59 Sur tout cela cf. V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Publicat (...)

19Selon le Sicilien, les particuliers peuvent obtenir les uns, mais les tyrans sont condamnés à n’obtenir que les autres, ou du moins à n’être jamais assurés qu’on leur accorde des faveurs « avec amitié et de plein gré (μετὰ φιλίας καὶ παρὰ βουλομένου) »58. Simonide, son conseiller, déplace le problème à la fin du dialogue, en montrant que les dirigeants doivent dépasser la condition des particuliers, et rechercher l’amour, non d’individus déterminés, mais de la cité dans son ensemble. L’évergétisme constitue alors le moyen privilégié par lequel le tyran peut séduire sa cité, qui le lui rend bien en l’aimant59 :

  • 60 Xénophon, Hiéron XI, 8 et 11, traduction Casevitz modifiée.

tu aurais réussi aussitôt à être aimé de tes sujets (φιλεσθαι πὸ τν ρχομένων), ce que tu te trouves désirer précisément […] tu ne serais pas seulement apprécié, mais désiré par les hommes (ο μόνον φιλοο ν, λλὰ καὶ ρͅο π᾿ἀνθρώπων), et il te faudrait non pas tenter de séduire les beaux garçons mais supporter d’être l’objet de leurs tentatives de séduction60.

  • 61 Xénophon, Agésilas I, 19, je traduis : διὰ μὲν δὴ ταῦτα εὐθὺς πολλοὺς ἐραστὰς τῆς αὑτοῦ φιλίας ἐποι (...)

20Il ne s’agit donc pas d’une vague amitié (philia) mais d’un désir véritable (erôs) que le tyran peut susciter, s’il s’y prend comme il faut – « grâce à ce geste [scil. le partage d’un butin], il produisit immédiatement beaucoup de soupirants (erastes) pour sa propre amitié » écrit ailleurs Xénophon61. Mais c’est aussi le fait même de la chasteté qui suscite le désir des soupirants. À Critobule, qui veut gagner ceux qui ont de belles âmes et de beaux corps (τοὺς καλοὺς τὰ σώματα), Socrate répond :

  • 62 Xénophon, Mémorables, II, 6, 31.

Il n’est pas au pouvoir de ma science de faire en sorte que les beaux garçons supportent que l’on porte la main sur eux. Comme les sirènes, au contraire, ne portaient la main sur personne (ὅτι τὰς χεῖρας οὐδενὶ προσέφερον) et qu’elles chantaient de loin pour tous les hommes, on dit que tous les supportaient et qu’ils étaient charmés de les entendre (πάντας φασὶν ὑπομένειν καὶ ἀκούοντας αὐτῶν κηλεῖσθαι) »62.

  • 63 Xénophon, Mémorables, I, 2, 30 ; comparer avec IV, 2 ; sur l’image cf. Platon, Gorgias, 494e, J. J. (...)
  • 64 Xénophon, Banquet, I, 8-10.

21Comme dans le Hiéron, le lien amoureux doit-être désingularisé pour fonctionner pleinement. Parce qu’il ne vise personne en particulier, le chant des sirènes touche tous les hommes, sans les agresser. Cette opposition, entre le déterminé et l’universel, est ici redoublée par un jeu sur les valeurs respectives des gestes et de la parole. Celle-ci permet de séduire sans oppresser, comme le montrent les résultats opposés des démarches de Socrate et de Critias auprès du bel Euthydème. Le premier séduit en effet l’enfant par l’elenchos, lorsque le second se comporte – dixit le philosophe – « comme un porc, puisqu’il désirait se frotter (πιθυμν προσκήσασθαι) contre Euthydème comme les porcs contre les pierres »63. Cette boucle s’ancre dans la chasteté des sirènes. Elles plaisent à tous parce qu’elles ne sont l’exclusive de personne et sont innocentes parce que leur séduction n’est suivie d’aucune action. Paradoxalement, le renoncement à la chair intensifie la beauté de ses adeptes. Peut-être est-ce ce qui se produit lorsqu’Autolycos rentre en scène dans le Banquet : « On aurait pu immédiatement se rendre compte que la beauté est de sa nature chose royale (φύσει βασιλικόν τι τὸ κάλλος), surtout quand elle est jointe chez son possesseur […] à la modestie et à la réserve (μετ᾿αδος καὶ σωφροσύνης). […] Certains devenaient silencieux, d’autres essayaient de se donner une contenance […]. Ceux qui sont possédés par le chaste Amour (σώφρονος ρωτος) attendrissent leurs regards, adoucissent leur voix et accroissent la noblesse de leurs attitudes »64.

  • 65 V. Azoulay, « The medo-persian Ceremonial: Xenophon, Cyrus and the King's Body », dans Xenophon and (...)
  • 66 Xénophon, Cyropédie I, 4, 28.
  • 67 Xénophon, Cyropédie, V, 1, 24.

22L’oxymore, sôphron Erôs, peut s’appliquer au comportement de ces chefs qui, comme Cyrus, sont toujours beaux, toujours très chastes, voire frigides (psychroi). Mais le fait même qu’ils ne se donnent à personne leur permet de conserver le zèle de tous leurs sujets. Artabaze représente ainsi le paradigme du sujet amoureux65. Alléguant sa parenté avec le souverain, il n’obtient pas moins de trois baisers d’un Cyrus adolescent66. Celui-ci ne tarde pas à utiliser l’amour d’Artabaze à son profit lors de sa campagne en Assyrie, sans pourtant jamais céder à ses avances. Il est, comme le révèle le Perse, « né pour être roi tout autant que le chef des abeilles (τῶν μελιττῶν ἡγεμών) qui, dans la ruche, est fait pour régner, car les autres lui obéissent toujours de bon gré en quelque endroit qu’il demeure […] et, s’il s’en va ailleurs, aucune ne reste en arrière tant est puissant en elles le désir »67.

  • 68 Xénophon, Economique, VII, 32 ; contra Helléniques, III, 2, 28 et Platon, République, VII, 520b ; S (...)
  • 69 Ainsi par exemple Xénophon, Mémorables, II, 6, 26 ; Banquet VIII, 16 et 19 ; Platon, Phèdre, 255d-2 (...)
  • 70 Sur les limites de la séduction politique cf. V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la (...)
  • 71 Thucydide, II, 43, traduction D. Roussel cf. A. Scholtz, « Concordia discors »: eros and dialogue i (...)

23Le discours, se glissant dans les schémas amoureux pour en tirer la structure d’une autorité fondée sur les sentiments, attribue à Cyrus la place de l’objet. La métaphore ne féminise-t-elle pas le souverain, puisque Xénophon parle ailleurs de « reine » des abeilles plutôt que de « chef »68 ? Du moins, par son âge et sa fonction dans la relation, Cyrus est dans la position de l’éromène, récipiendaire passif de l’amour d’hommes plus âgés. Or, femme ou aimé, l’attitude attendue est la même : on doit plaire sans trop en faire, se laisser désirer en vain sans brutalement éconduire les prétendants, répondre au désir (éros) par l’amitié (antiphilein)69, bref, faire preuve de cette vertu prudentielle en matière de sexualité qu’alors on appelle, pour les femmes, « modération (sôphrosynè) »70. Curieuse théorie de l’autorité dira-t-on, qui inverse les rôles et du dominant fait un dominé, mais qui tire sa force du développement d’une conception érotique du politique, où celui-ci doit être l’objet des soupirs citoyens : « contemplez journellement la réalité qui vous entoure, c’est-à-dire cette cité dans toute sa puissance ; enflammez-vous d’amour pour elle » disait Périclès dans son Oraison funèbre71.

L’antipédagogie des tyrans : Isocrate

  • 72 J’exclus le rôle de la sôphrosynè dans la rhétorique, où la vertu fonctionne essentiellement comme (...)

24Isocrate est animé d’un intérêt semblable à Platon ou Xénophon, croisant la psychologie et la politique au cœur d’un projet pédagogique où la tempérance (sôphrosynè) joue un rôle crucial. Celle-ci est parfois indifféremment remplacée par la continence (enkratéia), qui concerne les mêmes domaines, à savoir, la morale ou la politique72.

  • 73 Pour les valeurs standards chez les orateurs cf. J. Roisman, The Rhetoric of Manhood. Masculinity i (...)
  • 74 Sur l’analogie entre cité et âme, cf. par exemple Isocrate, Aréopagitique, 14 ; Panathénaïque 138.

25L’orateur, cependant, semble faire un usage original de la tempérance, qui exprime le point de passage entre ces deux dimensions, à l’exclusion de l’enkratéia73. Alors que celle-ci est cantonnée à un domaine, particulier ou général, le couple sôphrosynè/akolastia permet l’expression du transfert de qualités entre individu et cité, psychologie et politique74 :

  • 75 Isocrate, Sur la Paix, 119.

vous trouverez que le désordre et les excès (τὴν κολασίαν καὶ τὴν βριν) produisent le mal, tandis que la tempérance (σωφροσύνην) fait naître le bien. Or si vous louez cette qualité chez les particuliers, si vous pensez que ceux qui l’appliquent ont la vie la plus tranquille et sont les meilleurs citoyens, vous ne croyez pas que ce soit votre devoir de la donner à notre république75.

26Au cœur de cet échange se trouve la pédagogie, soumise à une dialectique contradictoire expliquant le succès par la morale, et l’immoralité par le succès. La tempérance est au cœur de la réflexion géopolitique d’Isocrate, tantôt comme explicans tantôt comme explicandum.

  • 76 Isocrate, Aréopagitique, 7 ; comparer avec Sur la Paix, 104. Voir aussi Aréopagitique 13, 20 ou enc (...)

Les Lacédémoniens, autrefois, partant de cités faibles et humbles, par suite de leurs habitudes vertueuses et guerrières (διὰ τὸ σωφρόνως ζν καὶ στρατιοτικς), ont conquis le Péloponnèse ; puis, quand ils eurent pris plus d’orgueil qu’il ne fallait et qu’ils se furent emparés de l’empire de la terre et de la mer, ils tombèrent dans les mêmes périls que nous »76.

  • 77 Isocrate, Aréopagitique, 4, traduction CUF modifiée.

La cause en est que nul bien et nul mal ne vient spontanément aux hommes, mais à la richesse et la puissance suivent et se joignent l’irréflexion et avec elle l’indiscipline, tandis qu’à la pauvreté et à l’humilité, c’est la sagesse et une grande modération modération (ἀλλὰ συντέτακται καὶ συνακολουθεῖ τοῖς μὲν πλούτοις καὶ ταῖς δυναστείαις ἄνοια καὶ μετὰ ταύτης ἀκολασία, ταῖς δ'ἐνδείαις καὶ ταῖς ταπεινότησι σωφροσύνη καὶ πολλὴ μετριότης)77.

  • 78 Comparer avec M. Foucault, Histoire de la sexualité II. L'usage des plaisirs, Gallimard, Paris, 198 (...)

27C’est pourtant dans les discours autour de la figure du prince idéal que tous ces éléments sont le plus fermement liés. Rien d’étonnant à cela, puisque le souverain représente l’union la plus serrée entre la morale et la politique, pouvant aussi bien éduquer les autres qu’être éduqué lui-même. Au cœur du Nicoclès se trouve de ce point de vue un passage surprenant78.

  • 79 Isocrate, Nicoclès, 36-39 je traduis : Καὶ μὲν δὴ καὶ περὶ σωφροσύνης ἔτι μείζω τούτων ἔχω διελθεῖν (...)

Quant à ma tempérance, je puis en donner des exemples plus frappants encore. Sachant en effet que tous les hommes font le plus grand cas de leurs enfants et de leurs femmes, qu’ils sont irrités de préférence par ceux qui leur causent du tort, que la violence dont ceux-ci sont l’objet est la cause des plus grands maux, qu’à cause de cela, un grand nombre de particuliers ou de souverains dans le passé ont été ruinés. À cause de tout cela, j’ai fui ces accusations de sorte que, depuis que j’ai pris le pouvoir, on peut voir que je n’ai eu de relation sexuelle avec personne, sauf ma femme, n’ignorant pas que tous ceux qui, se comportant de façon juste dans les affaires publiques, ont cherché leurs plaisirs de divers côtés, sont jugés favorablement par les masses, mais je voulais, d’une part me tenir le plus loin possible de tels soupçons, d’autre part ériger mes manières propres en exemple pour les autres citoyens, sachant que la masse aime conduire sa vie dans ces mœurs dans lesquels ils voient leurs magistrats passer leur vie. Ceci dit, j’ai aussi pensé qu’il fallait que les rois soient meilleurs que les particuliers, dans la mesure où ils possèdent des honneurs plus grands, et qu’il est terrible de contraindre les autres à adopter une vie ordonnée quand soi-même on ne se montre pas plus tempéré que ceux qui sont commandés. En outre, voyant que, tandis qu’un grand nombre de gens sont continents dans leurs autres actions, les meilleurs ont le dessous face à leurs désirs envers les enfants et les femmes, j’ai voulu en effet me montrer capable de fermeté en ces domaines dans lesquels j’étais destiné à être supérieur, non seulement aux autres mais à ceux qui tirent orgueil de leur vertu79.

  • 80 G. J. de Vries, « Σωφροσύνη en grec classique », Mnemosyne, 11, 1943, p. 81-101, p. 94.

28« Dans Isocrate, on ne saurait se soustraire à l’impression qu’on a affaire à des mots employés avec prédilection dont la signification n’est plus vivement sentie » notait G. de Vries80. Et il est vrai que sôphron est employé au sens de tempérance sexuelle, assimilé à l’enkratéia, avant d’en être distingué. Cette imprécision a pourtant une fonction, et permet de faire passer le souverain pour un citoyen comme les autres au moment même où il énonce sa distinction. Chez Isocrate, le roi imite le peuple qui imite le roi. La confusion est le vecteur d’une profonde subversion, permettant d’acclimater la figure du souverain.

  • 81 Cf. notamment Isocrate, A Demonicos, 21. Voir aussi Panathénaïque, 87 ; Nicoclès, 19 et 36 ; Panégy (...)
  • 82 Isocrate A Timothée 3 traduction CUF modifiée ; voir aussi Éloge d’Hélène 31 à propos de la sôphros (...)

29Tout au long du passage, Isocrate construit en effet la tempérance comme principe de continuité entre le roi et le peuple. Celle-ci doit être recherchée pour elle-même, mais aussi en vertu de ses effets politiques81. S’il est du devoir des chefs d’améliorer leurs sujets, le progrès dans la morale n’est pas séparé de l’amélioration des conditions : il faut « diriger les citoyens vers le travail et la sagesse (ἐπί τε τὰς ἐργασίας καὶ τὴν σωφροσύνην) et les faire vivre avec plus d’agrément et de sécurité (ἥδιον ζῆν καὶ θαρραλεώτερον) que par le passé ; ce sont en effet les travaux sages et appropriés à ceux qui sont tyrans (ταῦτα γάρ ἐστιν ἔργα τῶν ὀρθῶς καὶ φρονίμως τυραννευόντων) »82.

  • 83 Pour la comparaison avec Xénophon cf. H. Wilms, Techne und Paideia bei Xenophon und Isokrates, Teub (...)
  • 84 Isocrate, Contre les Sophistes, 17 ; selon C. Eucken, Isokrates: seine Positionen in der Auseinande (...)
  • 85 Isocrate, A Nicoclès, 31, je traduis : Μὴ τοὺς μὲν ἄλλους ἀξίου κοσμίως ζῆν, τοὺς δὲ βασιλέας ἀτάκτ (...)
  • 86 Isocrate, Nicoclès, 29, traduction CUF légèrement modifiée.
  • 87 Isocrate, Nicoclès, 45 ; sur le travestissement du roi en citoyen cf. T. Poulakos, Speaking for the (...)
  • 88 Sur la quasi équivalence entre sôphrosynè et dikaiosynè chez Isocrate, voir Sur l’Echange, 111, Aré (...)
  • 89 Voir notamment Isocrate, Sur l’échange, 285 et les commentaires de W. W. Batstone, « Commentary on (...)

30Ce progrès moral est obtenu par imitation. Le roi doit offrir sa conduite en exemple au peuple et, de ce point de vue, Isocrate partage avec Xénophon une conception mimétique de la pédagogie83. Le maître, qu’Isocrate appelle philosophos, doit « se donner lui-même en exemple (πασχεῖν αὑτὸν παράδειγμα) »84 et il en va donc de même du roi, lorsqu’il veut prodiguer ses maximes au peuple. Le passage fait écho, au mot près, à un conseil du rhéteur à Nicoclès : « Ne juge pas bien que tous les autres vivent de manière ordonnée, et les rois, sans ordre, mais érige ta propre tempérance en exemple pour les autres, sachant que la morale de la cité entière se conforme à celle des magistrats »85. Toutefois, en se montrant tempérant, le souverain prétend incarner une vertu qu’il trouve déjà chez le peuple. « Moi je pense en effet que tout le monde est d’accord pour reconnaître que les vertus qui ont le plus le plus de valeur sont la tempérance et la justice (Οἶμαι γὰρ ἐγὼ πάντας ἂν ὁμολογῆσαι πλείστου τῶν ἀρετῶν ἀξίας εἶναι τήν τε σωφροσύνην καὶ τὴν δικαιοσύνην) »86. La différence du roi avec ses sujets n’est que de degrés, et Nicoclès n’excelle que dans une morale commune. Prince particulier, Nicoclès se comporte en particulier et il se flatte de rivaliser, non avec ses égaux, mais avec ses sujets : « lorsque j’ai acquis le pouvoir de faire tout ce qui me plaisait, je suis devenu plus sage qu’un particulier (σωφρονέστερος τν διωτν γενόμνην) »87. Le roi, premier des citoyens, est placé sur le même plan que ceux qu’il domine, permettant une identification de l’un avec les autres. Parce qu’il est le paradigme même d’une vertu commune, Nicoclès peut prétendre être obéi et imité, tandis que son autorité s’appuie sur l’évidence obscure de quelques vertus cardinales qui, comme des lois non écrites, transcendent les temps et les régimes politiques88. Par les ressources de l’art oratoire, Isocrate tisse ce consensus qui, chez-lui, demeure le but le plus haut, de la pratique comme de la philosophie89. Ce portrait du roi en citoyen est pourtant fêlé en deux endroits.

  • 90 Isocrate, Contre les Sophistes, 21 ; Sur l’Echange 274.
  • 91 Comparer ainsi surtout avec Isocrate, Evagoras, 80-81. Sur la nécessité de dépasser ses prédécesseu (...)
  • 92 Isocrate, Nicoclès, 51.

31Ἔμελλον διοίσειν, « j’étais appelé à dominer » mes mœurs et par mes mœurs. Cette curieuse formule signale d’abord un problème dans l’acquisition de la tempérance qui dépend avant tout chez Isocrate d’une nature appropriée. L’exercice et l’étude n’apportent qu’un encouragement et une facilité dans l’usage de la vertu90 de sorte que le gradient mesurable entre Nicoclès et ses sujets s’avère en réalité être une différence de nature. Si le souverain prétend que la morale s’impose à lui en particulier en vertu de sa charge (timè), son discours suppose a contrario sa différence essentielle avec le commun. Le peuple ne saurait jamais rattraper celui qui est destiné à devenir ce qu’il est, ce souverain qui aurait pour seul tort de n’être pas digne de lui-même ou de sa race91. Soyez plus sages (σωφρονέστερον)92 leur conseille-t-il ailleurs, et tel est l’autre sens de la tempérance : faire que chacun reste à sa place.

  • 93 Isocrate, Sur l’Echange, 217 et A Demonicos, 21.
  • 94 Cf. par exemple Isocrate Sur la Paix, 109 ; A Nicoclès 45 ; Sur l’Echange, 221.
  • 95 Voir notamment Isocrate, Aréopagitique, 20 : « Ceux qui autrefois administraient la cité (τὴν πόλ (...)

32La masse ensuite, en tant que principe moral, est à la fois le modèle et le point d’application du pouvoir de Nicoclès, tantôt l’informant, tantôt étant informé par lui. Mais ce peuple se révèle double, car s’il aime imiter docilement les premiers de la cité, il apprécie (eudokimein) chez eux les écarts de conduite. Au fond, le dèmos est mu par les mêmes passions et désirs que ses dirigeants déréglés, comme le murmure une anthropologie réaliste curieusement logée au cœur même de ce discours enchantant les gouvernements princiers. Lorsqu’il s’adresse à la démocratie athénienne, Isocrate revendique personnellement cela même qu’il conseille aux tyrans de réprimer. À l’une : « pour ma part, j’affirme que c’est le plaisir, le gain ou l’honneur (δονς κέρδους τιμς) qui sont les mobiles de toutes les actions des hommes » ; à l’autre : « entraîne-toi à la fatigue par des exercices dont tu restes juge, afin d’être capable aussi les épreuves qui te seront imposées. Exerce-toi à la maîtrise de toutes les forces auxquelles il est indécent de voir l’âme s’asservir : l’amour du gain, la colère, le plaisir, la douleur (φ᾿ὧν κρατεσθαι τὴν ψυχὴν ασχρὸν, τούτων γκράτειαν σκει πάντων κέδρους, ργς, δονς, λύπς) »93. Par sa tempérance, Nicoclès s’apparente plutôt aux hommes d’un régime passé – l’Athènes des origines – et aux premiers des citoyens plutôt qu’à la masse. Contrairement aux monarques, le peuple suit ses propres désirs, au risque de se léser lui-même94 et, à lire l’orateur, il semble que ces mœurs soient finalement liées au régime politique lui-même. La morale du moins, subit une torsion dans son langage même lors des changements de constitution. Chez Isocrate comme chez les oligarques, l’homme du désir surgit de la démocratie95. Nul doute alors que pour plaire au dèmos, il faille, selon lui, faire de la dépravation de ses mœurs une politique.

  • 96 Anaximène de Lampsaque dans Athénée XII, 531d-e (= FGrHist 72 F18).
  • 97 Aristoxène dans Athénée XII, 545b-c [= Wehrli fr. 50] : Ἡ γὰρ φύσις ὅταν φθέγγηται τὴν ἑαυτῆς φωνήν (...)

33Le consensus prôné par Nicoclès est l’envers de ces affinités, qui apparentent dirigeants et peuples par une même bassesse de mœurs et où les uns ne séduisent les autres que parce qu’ils mettent en scène l’excessive satiété de leurs désirs. Nicoclès en était évidemment, qui toute sa vie « s’exerça au luxe et à la licence (σπουδακότι περὶ τρυφὴν καὶ ἀσέλγειαν) »96, comme souvent les tyrans, et l’on ne comprend en creux la fonction de la tryphè dans l’acceptation de leur autorité qu’en lisant le Nicoclès à rebrousse-poil, car ailleurs, il ne reste que des traces de ce discours valorisant le luxe et la luxure. En voici une pour finir, qui provient d’un philosophe aulique, péripatéticien disciple d’Archytas à la cour de Denys le Jeune, Polyarchos. Sa philosophie ? « Quand la nature en effet parle de sa propre voix, elle enjoint de suivre les plaisirs, et dit qu’[agir ainsi] c’est être sensé »97. Il est raisonnable d’abolir la raison lorsque le plaisir se présente et Aristoxène, après l’avoir écouté, relate la vie du roi perse avec une exceptionnelle acribie :

  • 98 Aristoxène dans Athénée XII, 545f [= Wehrli fr. 50] : Εἰπὼν δὲ τούτοις ἑξῆς τὰ περὶ τῆς θεραπείας τ (...)

Immédiatement après cela, il décrit ce qui est voué au soin du roi perse, la fonction et le nombre des serviteurs qu’il a, et les usages de sa sexualité, et l’odeur de sa peau, et l’élégance de sa mise, et sa compagnie, et ce qu’il voit et ce qu’il entend ; il dit qu’à son avis, en ce moment, le roi Perse est le plus heureux des hommes98.

Conclusion

34On regarde, on commente, on fantasme les déboires des tyrans. On envie leur hypersexualité. L’intempérance au pouvoir avait cette double fonction d’établir la distinction sur fond d’une communauté essentielle. Le souverain était un homme comme les autres, soumis aux mêmes désirs que le commun des mortels. Faible comme eux, il avait plus qu’eux les moyens d’assouvir ses désirs. Tout cela est bouleversé au IVe siècle av. J.-C., où le problème s’inverse. L’intempérance, qui unissait gouvernant et gouvernés dans une communautés de désirs, est abandonnée au profit d’un idéal héroïque de maîtrise de soi. La liberté du tyran dans tous les domaines, preuve de sa félicité, devient le signe inverse de sa profonde aliénation. Aussi voit-on nos auteurs reconstituer du côté de la maîtrise, le lien entre gouvernant et gouvernés qu’ils avaient perdu du côté des epithumia. Ils procèdent sans doute de diverses manières : par la reconnaissance mutuelle de l’hétérogénéité des fonctions chez Platon, par l’imitation et l’amour du dirigeant vertueux chez Xénophon, par un système d’échange obscur entre individu et société assuré par la rhétorique chez Isocrate. Tous visent cependant le point d’articulation entre le tyran et la cité et, depuis lors, il n’a plus été possible de penser le gouvernement que comme dérivation de la maîtrise de soi. Les déboires du pouvoir apparaissent, non seulement condamnables, mais impensables : attribuant la tyrannie à la perversion des tyrans, on s’empêche d’en comprendre le fonctionnement alors que leurs continuels dérèglements sont la preuve la plus évidente de l’inadéquation entre philosophie et politique, et comme la réfutation de cette morale.

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Notes

1 Archiloque fr. 35. Sauf mention, toutes les traductions sont issues de la CUF.

2 M. Foucault, Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Gallimard, Paris, 1984, p. 113 ; voir aussi M. Foucault, Dits et écrits, 1954-1988 II 1976-1988, Gallimard, Paris, 2001, n° 326.

3 Voir M. Foucault, Histoire de la sexualité II. L'usage des plaisirs, Gallimard, Paris, 1984, p. 237 et M. Foucault, Subjectivité et vérité. Cours au Collège de France, 1980-1981, EHESS, Gallimard et Seuil, Paris, 2014, p. 259-261. Cf. déjà K. J. Dover, Homosexualité grecque, La pensée sauvage, Genoble, 1982, p. 177.

4 C. K. Tsagalis, Inscribing Sorrow: fourth-century Attic funerary Epigrams, W. de Gruyter, Berlin et New York, 2008, p. 135-137 et les pages suivantes pour les épigrammes funéraires. Pour le reste, la vertu concerne les domaines militaires et religieux. Les éphèbes font l’objet d’une attention particulière, notamment depuis que Lycurgue a institué des sôphronistai pour s’occuper d’eux. Voir notamment SEG XXI 513 et H. North, Sophrosyne: self-knowledge and self-restraint in Greek literature, Cornell University Press, New-York, 1966, p. 255 sur ce phénomène en outre, cf. C. Veligianni, Wertbegriffe in den attischen Ehrendekreten der klassischen Zeit, Franz Steiner, Stuttgart, 1997, p. 295 sur la construction de la liste des vertus (on ne se dit jamais seulement tempérant). Une inscription rappelle les honneurs accordés à un Thébain « en raison de sa sagesse et de sa piété envers les dieux (σωφροσύνης ἕνεκα καὶ εὐσε|βείας τῆς πρὸς τὼ θεὼ) » (IG II2 1186). A ma connaissance, aucune inscription grecque, avant l’époque chrétienne, ne traite de la maîtrise de soi (enkrateia) au sens où le font les philosophes. Le terme est toujours utilisé par rapport à un extérieur, au sens de possession (ainsi R. Meiggs and D. Lewis, A Selection of Greek historical inscriptions to the end of the fifth century B.C, Clarendon press, Oxford, 1988 n° 43 : capture de tyrans en fuite) ou au sens de retenue (ainsi IG XII 6, 1, 11 : décret honorifique pour un phrourarque royal qui a « tenu » ses troupes).

5 N’étant pas spécialiste, je me permets de demeurer prudent sur ce point. Peut-être faut-il remarquer que les vertus dont Auguste se glorifie dans les Res gestae (34, 2) ne reprennent pas la tempérance : ἀρετὴν καὶ ἐπείκειαν καὶ [δ]ικαιοσύνην καὶ εὐσεβειαν = uirtutis clementiaeque iustitiae et pietatis. Sans doute n’y a-t-il pas eu de « canon » et le contenu des vertus impériales a pu varier, intégrant à l’occasion la sôphrosynè dans certains textes (cf. A. Wallace-Hadrill, « The Emperor and his virtues », Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte, 30, 3, 1981, p. 298-323, p. 303). Encore faut-il remarquer que ce sont là des discours adressés au prince les siens propres. Hadrien semble être une exception, qui a curieusement revendiqué la chasteté (pudicitia) sur ses monnaies (cf. C. F. Norena, « Hadrian's chastity », Phoenix, 61, 3, 2007, p. 296-317). De fait, il se situe dans la droite ligne des réflexions moralisantes des philosophes du Ier et surtout IIe siècle ap. J.-C. : Sénèque évidemment, mais surtout Musonius Rufus et Plutarque.

6 C. Picard, « L'édit bilingue gréco-araméen du roi Asoka, trouvé près de Kandahar (Mus. Kaboul) », Revue Archéologique, 1, 1959, p. 102-106, p. 104.

7 Traduction de l’araméen par J. Bloch, Les inscriptions d'Asóka, Les Belles Lettres, Paris, 1950, p. 133-134.

8 Je ne donne que les principales éditions. La traduction est de D. Schlumberger. Les abréviations correspondent à celles de l’Année philologique.

9 L. Robert, « De Delphes à l'Oxus, inscriptions grecques nouvelles de la Bactriane », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 112, 3, 1968, p. 416-457 [= L. Robert, Opera minora selecta V, A. M. Hakkert, Amsterdam, 1989, p. 510-551].

10 P. Yailenko Valeri, « Les maximes delphiques d'Aï Khanoum et la formation de la doctrine du Dhamma d'Asoka », Dialogues d’histoire ancienne, 16, 1, 1990, p. 239-256 pense que c’est l’importation des maximes delphiques qui, par syncrétisme, a sous-tendu l’érection de la doctrine morale (dhamma) d’Asoka ; contra P. Bernard, « Langue et épigraphie grecques dans l'Asie centrale à l'époque hellénistique », dans Greek Archaeology without Frontiers, Todd (éd.), The National Hellenic Research Foundation, Athènes, 2002, 75-108. Sur les inscriptions delphiques d’Ai Khanoum, désormais cf. R. Mairs, « The Founder's Shrine and the Foundation of Ai Khanoum », dans The Founder's Shrine and the Foundation of Ai Khanoum, Mac Sweeney (éd.), University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 2014, 103–128.

11 D. Schlumberger, et al., « Une bilingue gréco-araméenne d'Asoka », Journal asiatique, 246, 1958, p. 1-48, p. 4-5.

12 Robert op. cit. supra, p. 12.

13 La version grecque ne reprend que les 12 premières lignes, cf. IGSK 65 n° 292

14 La traduction est de J. Bloch, Les inscriptions d'Asóka, Les Belles Lettres, Paris, 1950, p. 121-122.

15 D. Schlumberger, « Une nouvelle inscription grecque d'Açoka », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 108, 1, 1964, 126-140 [= IGSK 65 n° 291] l. 1-2 : [. εὐ]σέβεια καὶ ἐγκράτεια κατὰ πάσας τὰς διατριβὰς·ςἐγκρατὴς δὲ μάλιστα ἐστιν | ὅς ἂν γλώσσης ἐγκρατὴς ἦι.

16 L. Robert, « Une nouvelle inscription grecque d'Açoka », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 108, 1, 1964, p. 134-140, p. 136-137 [= L. Robert, Opera minora selecta III, Hakkert, Amsterdam, 1969 p. 1565-1566].

17 Voir notamment Jamblique, Vie de Pythagore, 16, 68 ; 17, 72 notamment ainsi que 31, 188 ; 31, 195 ; 32, 225.

18 Musonius Rufus, Diatribes VIII, p. 109 (Ramelli éd.) : τίς μέντοι ἐπιστήμη πρὸς σωφροσύνην ἄγει πλὴν φιλοσοφίας, οὐκ ἔστιν εἰπεῖν· αὕτη γὰρ διδάσκει μὲν ἐπάνω ἡδονῆς εἶναι, διδάσκει δ' ἐπάνω πλεονεξίας, διδάσκει δὲ ἀγαπᾶν εὐτέλειαν, διδάσκει δὲ φεύγειν πολυτέλειαν, ἐθίζει δ' αἰδῶ ἔχειν, ἐθίζει δὲ γλώττης κρατεῖν.

19 Je reprends l’expression de M. Foucault, Subjectivité et vérité. Cours au Collège de France, 1980-1981, EHESS, Gallimard et Seuil, Paris, 2014, p. 286.

20 Socrate dans Stobée II, 8, 29 et IV, 7, 26 [= SSR I C 186 et 291].

21 Gorgias, Eloge d’Hélène 8 décrit le discours (λόγος) comme un δυνάστης μέγας ; Théognis 630-631 dit que l’esprit doit être supérieur (κρέσσων) au θυμός (cf. aussi Euripide, Médée, 1021-80 ; Aristophane Acharniens, 480-4 et Euripide fr. 718.1 Nauck) ; Eschyle, Perses, 767 dit que Médos est parvenu à dominer en raison de la supériorité de son intelligence ; Héraclite fr. B 85 et Démocrite fr. B 236 DK parlent d’une lutte (machè) contre le thumos et d’une conquête (kratein) du désir, même si Démocrite fr. B 290 parle d’une âme « ingouvernable » (ἀδέσποτον). De la même manière, il y a une longue tradition donnant à la cité les caractéristiques de l’individu ou du corps. Les deux lignes de raisonnement, pourtant, ne se sont jamais rejointes avant Platon, du moins à ma connaissance, à propos de la psychè.

22 Chez les Tragiques cf. Eschyle, Suppliantes 1013 et Euménides 44 et surtout Euripide avec les commentaires de G. J. de Vries, « Σωφροσύνη en grec classique », Mnemosyne, 11, 1943, p. 81-101, p. 87-88 ; pour la politisation de la sôphrosynè cf. notamment H. North, « A period of opposition to sôphrosynè in Greek thought », Transactions of the American Philological Association, 78, 1947, p. 1-17 et H. North, Sophrosyne: self-knowledge and self-restraint in Greek literature, Cornell University Press, New-York, 1966, p. 85-120.

23 Au sens de maîtrise extérieure cf. Hérodote VIII 49, IX, 106 ; Thucydide I, 76, 1 ; I, 118, 2 ; Platon, Menexène, 238d ; la chose était vue par W. Jaeger, Paideia. The Ideals of Greek Culture. Volume II: In Search of the Divine Centre, Oxford University Press, New York, 1943, p. 54.

24 [Platon], Définitions, 415d9

25 Ailleurs, il se borne à un usage classique de la notion. Ainsi cf. Platon, Banquet, 188a7 ; Ménexène, 238d3 ; Cratyle, 391c2 ; [Platon], Théagès, 130e8.

26 Le Stoïcisme rencontre le même problème cf. B. Inwood, Ethics and human action in early stoicism, Clarendon Press, Oxford, 1985, p. 136-139 et lui aussi définit la sôphrosynè comme science (cf. SVF I, 374 l. 36 sq. et III, 262 l. 26 ou III, 266, l. 23) d’où la faible part de l’enkrateia/akrasia et de ses dérivés. Et, contrairement à Platon ou Aristote, ceux-ci ont refusé la division de l’âme au profit d’une alternance des impulsions, cf. infra.

27 Platon, Protagoras 357c traduction modifiée, Socrate reprend ce qui lui a été accordé par ses interlocuteurs. Voir L.-A. Dorion, « ‟Akrasia” et ‟enkrateia” dans les “Mémorables” de Xénophon », Dialogue: Canadian philosophical review, 42, 4, 2003, p. 645-672 (repris dans L.-A. Dorion, L'autre Socrate : études sur les écrits socratiques de Xénophon, Belles lettres, Paris, 2013, ici p. 95).

28 Platon, République, IV, 430e4-5, traduction CUF modifiée.

29 République 430e-431a je traduis : Οὐκοῦν τὸ μὲν <κρείττω αὑτοῦ> γελοῖον ; ὁ γὰρ ἑαυτοῦ κρείττων καὶ ἥττων δήπου ἂν αὑτοῦ εἴη καὶ ὁ ἥττων κρείττων· ὁ αὐτὸς γὰρ ἐν ἅπασιν τούτοις προσαγορεύεται.

30 Platon, Gorgias, 491e ; cf. l’analyse de L.-A. Dorion, « Plato and ἐγκράτεια », dans Akrasia in Greek philosophy: from Socrates to Plotinus, Bobonich and Destrée (éd.), Brill, Leyde, 2007, p. 119-138, p. 123 sq. qui rappelle que l’expression, auparavant, renvoyait à l’activité des pédagogues ; je reprends son analyse sur le Gorgias.

31 Voir dernièrement A. A. Long, Greek Models of Mind and Self, Harvard University Press, Cambridge et Londres, 2015, p. 15-50 à propos d’Homère essentiellement.

32 Platon Gorgias, 493a3-4, je traduis.

33 Platon, République IV, 431a : « Quand la partie qui est naturellement la meilleure maintient la moins bonne sous son empire (ἐγκρατὲς), on le marque par l’expression “être maître de soi (τὸ κρείττω αὑτοῦ)” ».

34 Plutarque, De la vertu morale, Moralia 446f-447a [= SVF III, n° 459 p. 111] : « On trouve cependant des philosophes pour affirmer que la passion n’est pas essentiellement différente de la raison et que ce n’est pas une différence et une discorde (διαφορὰν καὶ στάσιν) entre deux éléments, mais seulement la conversion d’une raison unique vers deux objets, cela à notre insu, à cause de la soudaineté et rapidité du changement : nous ne voyons pas que c’est par la même partie de l’âme que nous désirons et que nous regrettons, etc. ». Pour l’intégration de ces remarques dans la psychologie stoïcienne cf. C. Gill, The structured Self in Hellenistic and Roman Thought, Oxford University Press, Oxford, New York et Auckland, 2006, p. 202 sq.

35 N. Blößner, Dialogform und Argument Studien zu Platons “Politeia”, Franz Steiner, Mainz et Stuttgart, 1997, p. 174-178. Sur le thème psychopolitique voir essentiellement B. Williams, « The analogy of city and soul in Plato's « Republic » », dans Exegesis and argument: studies in Greek philosophy presented to Gregory Vlastos, Lee, Mourelatos and Rorty (éd.), Van Gorcum, Assen, 1973, p. 196-224 (dérivation des qualités de l’Etat à partir de l’individu), J. Lear, « Inside and outside the “Republic” », dans Essays on Plato's psychology, Wagner (éd.), Lexington Books, Lanham, 2001, p. 169-201 (expression des vertus individuelles dans l’Etat ou au contraire incorporation des vertus collectives dans les individus) et la vue originale de G. R. F. Ferrari, City and soul in Plato's “Republic, Academia Verlag, Sankt Augustin, 2003 et la réponse aux objections dans G. R. F. Ferrari, « Williams and the city-soul analogy: (Plato, Republic 435e and 544d) », Ancient philosophy, 29, 2, 2009, p. 407-413 (rapport d’homologie entre Etat et individu).

36 Platon, République, IV, 435a.

37 Platon, République, IV, 430d : « Il nous reste encore repris-je deux choses à découvrir dans la cité (ἐν τῇ πόλει), la tempérance, et celle qui est l’objet de toute cette enquête, la justice », 431a : « il me semble que le sens de cette expression (scil. κρείττω αὑτου) est qu’il y a dans l’âme même de l’homme (ἐν αὐτῷ τῷ ἀνθρώπῳ περὶ τὴν ψυχὴν) deux parties » et 431b : « Maintenant, continuai-je, tourne les yeux vers notre nouvel Etat (Ἀπόβλεπε τοίνυν, ἦν δ' ἐγώ, πρὸς τὴν νέαν ἡμῖν πόλιν) ».

38 Platon, République, IV, 442c-d : « Et n’est-il pas tempérant par l’amitié et l’harmonie (τῇ φιλίᾳ καὶ ξυμφωνίᾳ) de ces mêmes parties, quand celle qui commande et celles qui obéissent sont d’accord pour reconnaître que c’est à la raison de commander, et qu’elles ne lui disputent point l’autorité ? ».

39 Platon, République, IX, 575c, traduction modifiée.

40 Platon, République, IX, 575e : « ces gens-là, repris-je, ne se montrent-ils pas dans la vie privée et avant d’arriver au pouvoir tels que je vais les décrire »

41 Platon, République, IX, 578c.

42 Platon, République, IX, 579c, traduction légèrement modifiée.

43 Platon, République, IX, 580 b-c.

44 Platon, République, IX, 592b, cf. aussi Politique 259b, comparer avec Euthydème, 291b sq.

45 Sur ce point voir G. R. F. Ferrari, City and soul in Plato's “Republic”, Academia Verlag, Sankt Augustin, 2003, p. 95-96 avec références.

46 Pour les références cf. L.-A. Dorion, « “Akrasia” et “enkrateia” dans les “Mémorables” de Xénophon », Dialogue: Canadian philosophical review, 42, 4, 2003, p. 645-672 ; voir aussi L.-A. Dorion, L'autre Socrate : études sur les écrits socratiques de Xénophon, Belles lettres, Paris, 2013, p. XIX-XXIV.

47 Xénophon, Mémorables II, 1, 17 ; le lien avec le bonheur et le commandement se retrouve deux fois en IV, 5, 12.

48 Xénophon, Mémorables II, 1, 19.

49 Le Hiéron explore la première possibilité ; la Cyropédie la seconde, cf. I, 6, 25 ; sur l’importance de la gloire, cf. Mémorables I, 2, 61 ; II, 1, 31 ; II, 1, 33 ; III, 5, 7 ; Hiéron I, 14, VII, 1-4 ; VII, 9 ; Agésilas, IX, 7 ; X, 3 ; XI, 9 ; XI, 14.

50 Sur la tempérance et l’exercice cf. Xénophon, Cyropédie, I, 2, 8-9 ; VII, 5, 75-76, VIII, 1, 36, VIII, 8, 15 ; Hiéron IX, 8.

51 Ainsi cf. Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 30-32 et 36 ; Agésilas, V, 4 et X, 2.

52 Xénophon, Cyropédie, III, 1, 20 ; VIII, 1, 37 ; VIII, 6, 10 et 16 ; Hiéron, X, 3 ; Agésilas, VII, 3 et 6.

53 Xénophon, Cyropédie, VIII, 1, 33.

54 Xénophon, Mémorables II, 6, 22.

55 Sur la tempérance des leaders militaires cf. C. Hindley, « Eros and military command in Xenophon », Classical Quarterly, 44, 1994, p. 347-366 et d’une manière générale sur Xénophon, C. Hindley, « Xenophon on male love », Classical Quarterly, 49, 1, 1999, p. 74-99.

56 Respectivement Xénophon, Anabase, V, 8, 4 cf. V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Publications de la Sorbonne, Paris, 2004, p. 395 et Agésilas V, 4-5 cf. C. Hindley, « “Sophron eros”: Xenophon's ethical erotics », dans Xenophon and his world: papers from a conference held in Liverpool in July 1999, (éd.), Franz Steiner, Stuttgart, 2004, p. 125-146, p. 126.

57 Xénophon, Hiéron, I, 34-36.

58 Xénophon, Hiéron, I, 33.

59 Sur tout cela cf. V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Publications de la Sorbonne, Paris, 2004, p. 397-398.

60 Xénophon, Hiéron XI, 8 et 11, traduction Casevitz modifiée.

61 Xénophon, Agésilas I, 19, je traduis : διὰ μὲν δὴ ταῦτα εὐθὺς πολλοὺς ἐραστὰς τῆς αὑτοῦ φιλίας ἐποιήσατο.

62 Xénophon, Mémorables, II, 6, 31.

63 Xénophon, Mémorables, I, 2, 30 ; comparer avec IV, 2 ; sur l’image cf. Platon, Gorgias, 494e, J. J. Winkler, The Constraints of Desire. The Anthropology of Sex and Gender in ancient Greece, Routledge, New York London, 1990, p. 53.

64 Xénophon, Banquet, I, 8-10.

65 V. Azoulay, « The medo-persian Ceremonial: Xenophon, Cyrus and the King's Body », dans Xenophon and his World. Papers from a Conference held in Liverpool in July 1999, Tuplin (éd.), Franz Steiner, Stuttgart, 2004, p. 147-173, p. 410-413 à propos de la Cyropédie. Je le suis ici.

66 Xénophon, Cyropédie I, 4, 28.

67 Xénophon, Cyropédie, V, 1, 24.

68 Xénophon, Economique, VII, 32 ; contra Helléniques, III, 2, 28 et Platon, République, VII, 520b ; Sarah B. Pomeroy, « The Persian king and the queen bee », American Journal of Ancient History, 9, 1984, p. 98-108.

69 Ainsi par exemple Xénophon, Mémorables, II, 6, 26 ; Banquet VIII, 16 et 19 ; Platon, Phèdre, 255d-256a ; Banquet, 217a-218c.

70 Sur les limites de la séduction politique cf. V. Azoulay, Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Publications de la Sorbonne, Paris, 2004, p. 413 sq.

71 Thucydide, II, 43, traduction D. Roussel cf. A. Scholtz, « Concordia discors »: eros and dialogue in classical Athenian literature, Harvard University Press, Cambridge, 2007, p. 21-42.

72 J’exclus le rôle de la sôphrosynè dans la rhétorique, où la vertu fonctionne essentiellement comme une interpellation aux juges, cf. par exemple Isocrate, Contre Lokhitès, 22 ; Sur l’échange, 23 et 304. Education avec enkratéia/akrasia cf. Isocrate, A Demonicos, 21 ; Sur l’Echange, 188 ; Philippe, 222. Education avec sôphrosynè/akolasia cf. Isocrate, Sur la Paix, 119 ; Contre les Sophistes, 20-21 ; Sur l’Echange, 84, 111, 190, 229, 242, 274, 290 ; Panathénaïque, 218. Morale avec enkratéia/akrasia cf. Isocrate, A Antipatros 4. Morale avec sôphrosynè/akolasia cf. Isocrate Sur l’attelage, 28 ; A Demonicos, 46, 15 ; Eloge d’Hélène, 38 ; Evagoras, 22. Politique avec enkratéia/akrasia, (essentiellement comme possession d’un territoire) cf. Isocrate, Philippe 21, 90, 100 ; Sur l’échange 221 A Archidamos, 13. Politique avec sôphrosynè/akolasia, Isocrate, Contre Callimachos, 56 ; Panégyrique, 81 ; Plataïque, 22 ; Sur la Paix, 58, 77, 102, 119 ; Aréopagitique, 4, 20, 53 ; Philippe, 7 ; Panathénaïque, 14, 111, 115, 165 ; Eloge d’Hélène, 31 ; Archidamos, 59. De manière très minoritaire, Isocrate conserve à la sôphrosynè son sens religieux initial (cf. Busiris, 21 et 40).

73 Pour les valeurs standards chez les orateurs cf. J. Roisman, The Rhetoric of Manhood. Masculinity in the Attic Orators, University of California Press, Berkeley, 2005, p. 176-185.

74 Sur l’analogie entre cité et âme, cf. par exemple Isocrate, Aréopagitique, 14 ; Panathénaïque 138.

75 Isocrate, Sur la Paix, 119.

76 Isocrate, Aréopagitique, 7 ; comparer avec Sur la Paix, 104. Voir aussi Aréopagitique 13, 20 ou encore 37-38, 48, 138, 151 sur le rôle tout à la fois pédagogique et politique des institutions ou des hommes dans les succès d’Athènes. De même, Panathénaïque, 151 et 197. Sur Sparte voir aussi Archidamos 59 ; comparer avec Aréopagitique 53.

77 Isocrate, Aréopagitique, 4, traduction CUF modifiée.

78 Comparer avec M. Foucault, Histoire de la sexualité II. L'usage des plaisirs, Gallimard, Paris, 1984, p. 189-193 et M. Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres. II, Le courage de la vérité, Gallimard-Seuil, Paris, 2009, p. 59-60.

79 Isocrate, Nicoclès, 36-39 je traduis : Καὶ μὲν δὴ καὶ περὶ σωφροσύνης ἔτι μείζω τούτων ἔχω διελθεῖν. Εἰδὼς γὰρ ἅπαντας ἀνθρώπους περὶ πλείστου ποιουμένους τοὺς παῖδας τοὺς αὑτῶν καὶ τὰς γυναῖκας, καὶ μάλιστ' ὀργιζομένους τοῖς εἰς ταῦτ' ἐξαμαρτάνουσιν, καὶ τὴν ὕβριν τὴν περὶ ταῦτα μεγίστων κακῶν αἰτίαν γιγνομένην, καὶ πολλοὺς ἤδη καὶ τῶν ἰδιωτῶν καὶ τῶν δυναστευσάντων διὰ ταύτην ἀπολομένους, οὕτως ἔφυγον τὰς αἰτίας ταύτας ὥστ' ἐξ οὗ τὴν βασιλείαν ἔλαβον, οὐδενὶ φανήσομαι σώματι πεπλησιακὼς πλὴν τῆς ἐμαυτοῦ γυναικὸς, οὐκ ἀγνοῶν ὅτι κἀκεῖνοι παρὰ τοῖς πολλοῖς εὐδοκιμοῦσιν, ὅσοι περὶ μὲν τὰ τῶν πολιτῶν δίκαιοι τυγχάνουσιν ὄντες, ἄλλοθεν δέ ποθεν αὑτοῖς ἐπορίσαντο τὰς ἡδονὰς, ἀλλὰ βουλόμενος ἅμα μὲν ἐμαυτὸν ὡς πορρωτάτω ποιῆσαι τῶν τοιούτων ὑποψιῶν, ἅμα δὲ παράδειγμα καταστῆσαι τὸν τρόπον τὸν ἐμαυτοῦ τοῖς ἄλλοις πολίταις, γιγνώσκων ὅτι φιλεῖ τὸ πλῆθος ἐν τούτοις τοῖς ἐπιτηδεύμασιν τὸν βίον διάγειν ἐν οἷς ἂν τοὺς ἄρχοντας τοὺς αὑτῶν ὁρῶσιν διατρίβοντας. Ἔπειτα καὶ προσήκειν ἡγησάμην τοσούτῳ τοὺς βασιλέας βελτίους εἶναι τῶν ἰδιωτῶν, ὅσῳ περ καὶ τὰς τιμὰς μείζους αὐτῶν ἔχουσιν, καὶ δεινὰ ποιεῖν ὅσοι τοὺς μὲν ἄλλους κοσμίως ζῆν ἀναγκάζουσιν, αὐτοὶ δ' αὑτοὺς μὴ σωφρονεστέρους τῶν ἀρχομένων παρέχουσιν. Πρὸς δὲ τούτοις τῶν μὲν ἄλλων πράξεων ἑώρων ἐγκρατεῖς τοὺς πολλοὺς γιγνομένους, τῶν δ' ἐπιθυμιῶν τῶν περὶ τοὺς παῖδας καὶ τὰς γυναῖκας καὶ τοὺς βελτίστους ἡττωμένους· ἐβουλήθην οὖν ἐν τούτοις ἐμαυτὸν ἐπιδεῖξαι καρτερεῖν δυνάμενον, ἐν οἷς ἔμελλον οὐ μόνον τῶν ἄλλων διοίσειν, ἀλλὰ καὶ τῶν ἐπ' ἀρετῇ μέγα φρονούντων.

80 G. J. de Vries, « Σωφροσύνη en grec classique », Mnemosyne, 11, 1943, p. 81-101, p. 94.

81 Cf. notamment Isocrate, A Demonicos, 21. Voir aussi Panathénaïque, 87 ; Nicoclès, 19 et 36 ; Panégyrique, 76 ; Eloge d’Hélène, 21 sur l’importance de l’apprentissage de la vertu dans l’éducation. Sur son intérêt politique, outre les passages cités plus haut, cf. Nicoclès 29-30. Du point de vue moral, il y a chez le rhéteur un eudémonisme de la tempérance (selon l’expression de H. North, Sophrosyne: self-knowledge and self-restraint in Greek literature, Cornell University Press, New-York, 1966, p. 118 reprise par E. V. Alexíou, Ruhm und Ehre Studien zu Begriffen, Werten und Motivierungen bei Isokrates, C. Winter, Heidelberg, 1995, n. 83 p. 107, avec références).

82 Isocrate A Timothée 3 traduction CUF modifiée ; voir aussi Éloge d’Hélène 31 à propos de la sôphrosynè de Thésée ou encore Sur la Paix, 91 ou Panathénaïque 138. Pour un relevé des occurrences positives du mot tyrannos cf. V. Parker, « Τύραννος: the semantics of a political concept from Archilochus to Aristotle », Hermes, 126, 2, 1998, p. 145-172, p. 165-166 et pour la comparaison, avec Platon notamment, mais aussi avec la Tragédie cf. C. Eucken, Isokrates: seine Positionen in der Auseinandersetzung mit den zeitgenössischen Philosophen, de Gruyter, Berlin et New York, 1983, p. 221 sq.

83 Pour la comparaison avec Xénophon cf. H. Wilms, Techne und Paideia bei Xenophon und Isokrates, Teubner, Stuttgart et Leipzig, 1995, p. 225 ; sur le roi comme enkratès/sôphron, cf. Isocrate, A Demonicos, 21 ; A Nicoclès, 29 ; Evagoras, 45.

84 Isocrate, Contre les Sophistes, 17 ; selon C. Eucken, Isokrates: seine Positionen in der Auseinandersetzung mit den zeitgenössischen Philosophen, de Gruyter, Berlin et New York, 1983, p. 235 sq. cette conception incarnée du savoir s’opposerait à Platon.

85 Isocrate, A Nicoclès, 31, je traduis : Μὴ τοὺς μὲν ἄλλους ἀξίου κοσμίως ζῆν, τοὺς δὲ βασιλέας ἀτάκτως, ἀλλὰ τὴν σαυτοῦ σωφροσύνην παράδειγμα τοῖς ἄλλοις καθίστη, γιγνώσκων ὅτι τὸ τῆς πόλεως ὅλης ἦθος ὁμοιοῦται τοῖς ἄρχουσιν.

86 Isocrate, Nicoclès, 29, traduction CUF légèrement modifiée.

87 Isocrate, Nicoclès, 45 ; sur le travestissement du roi en citoyen cf. T. Poulakos, Speaking for the polis Isocrates' rhetorical Education, University of South Carolina Press, Columbia, 1997, p. 27-34.

88 Sur la quasi équivalence entre sôphrosynè et dikaiosynè chez Isocrate, voir Sur l’Echange, 111, Aréopagitique, 53, Sur l’Attelage, 29.

89 Voir notamment Isocrate, Sur l’échange, 285 et les commentaires de W. W. Batstone, « Commentary on Cooper. Oratory, philosophy, and the common world », dans Proceedings of the Boston area colloquium in ancient philosophy I, (éd.), University Press of America, Lanham, 1986, p. 97-113, p. 102-103.

90 Isocrate, Contre les Sophistes, 21 ; Sur l’Echange 274.

91 Comparer ainsi surtout avec Isocrate, Evagoras, 80-81. Sur la nécessité de dépasser ses prédécesseur et de ne laisser aucune vertu pour ainsi dire inculte cf. Philippe, 79, 115, 127 ; Nicoclès 42 ; Eloge d’Helène, 16 et 23 ; Panathénaïque, 206 ; Busiris, 10 et 35 ; Sur l’Echange, 308 ; Sur l’Attelage, 25, 31 et 33 ; A Démonicos, 12.

92 Isocrate, Nicoclès, 51.

93 Isocrate, Sur l’Echange, 217 et A Demonicos, 21.

94 Cf. par exemple Isocrate Sur la Paix, 109 ; A Nicoclès 45 ; Sur l’Echange, 221.

95 Voir notamment Isocrate, Aréopagitique, 20 : « Ceux qui autrefois administraient la cité (τὴν πόλιν διοικοῦντες), établirent non pas une constitution à laquelle on donnait le nom le plus large et le plus doux, mais qui ne le justifiait pas par ses actes aux yeux de ceux qui avaient affaire à elle, qui donnait aux citoyens une telle éducation (ἐπαίδευε τοὺς πολίτας) qu’ils voyaient de l’esprit démocratique dans l’indiscipline (τὴν ἀκολασίαν δημοκρατίαν), dans le mépris de la loi, de la liberté (τὴν παρανομίαν ἐλευθερίαν), dans la licence des paroles, de l’égalité (τὴν παρρησίαν ἰσονομίαν), dans le droit d’agir ainsi, le bonheur, mais une constitution qui, en détestant et en châtiant les gens de cette espèce, rendait meilleurs et plus sages tous les citoyens ». Cf. aussi Panathénaïque, 131, 138 et 151. On devrait aussi mettre en valeur le rôle que joue l’impérialisme marin dans cette transformation. Cf. Panathénaïque, 115-116 et comparer avec Platon, Lois, IV, 704a sq. (cf. P. Roth, Der Panathenaikos des Isokrates: Übersetzung und Kommentar, Saur, Munich et Leipzig, 2003, p. 151-152) ou [Xénophon], Constitution des Athéniens, I, 2, et 12 ; Aristote, Politique, II, 12, 1274a12-14.

96 Anaximène de Lampsaque dans Athénée XII, 531d-e (= FGrHist 72 F18).

97 Aristoxène dans Athénée XII, 545b-c [= Wehrli fr. 50] : Ἡ γὰρ φύσις ὅταν φθέγγηται τὴν ἑαυτῆς φωνήν, ἀκολουθεῖν κελεύει ταῖς ἡδοναῖς καὶ τοῦτό φησιν εἶναι νοῦν ἔχοντος. Le texte est extrait de la Vie d’Archytas, lui même philosophe-roi, cf. Jamblique, Vie de Pythagore, 197 [= Wehrli fr. 30].

98 Aristoxène dans Athénée XII, 545f [= Wehrli fr. 50] : Εἰπὼν δὲ τούτοις ἑξῆς τὰ περὶ τῆς θεραπείας τῆς τοῦ Περσῶν βασιλέως, οἵους καὶ ὅσους ἔχει θεραπευτῆρας, καὶ περὶ τῆς τῶν ἀφροδισίων αὐτοῦ χρήσεως καὶ τῆς περὶ τὸν χρῶτα αὐτοῦ ὀδμῆς καὶ τῆς εὐμορφίας καὶ τῆς ὁμιλίας καὶ περὶ τῶν θεωρημάτων καὶ τῶν ἀκροαμάτων, εὐδαιμονέστατον ἕφη κρῖναι τῶν νῦν τὸν τῶν Περσῶν βασιλέα.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Cournarie, « γκράτεια : politique, morale, subjectivation (IVe siècle av. J.-C.) »Essais, 11 | 2017, 147-167.

Référence électronique

Paul Cournarie, « γκράτεια : politique, morale, subjectivation (IVe siècle av. J.-C.) »Essais [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 14 octobre 2020, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/3522 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.3522

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Auteur

Paul Cournarie

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