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Rencontre

Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes

Magali Fourgnaud
p. 125-144

Notes de l’auteur

Le texte qui suit est la transcription d’un entretien réalisé par des doctorants de l’université de Bordeaux Montaigne (Marion Bourbon, Magali Fourgnaud, Hugo Remark, Mélanie Sadler, Margaux Valensi), le 21 mars 2013, avec la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, autour de son ouvrage, La Crise sans fin, essai sur l’expérience moderne du temps (Seuil, 2012). Professeur de Philosophie politique à l’École Pratique des Hautes Études, elle a également publié, Ce que l’homme fait à l’homme (Seuil, 1995), Le Pouvoir des commencements : essai sur l’autorité, (Seuil, 2006), L’Homme compassionnel (Seuil, 2008) et Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie ? (Seuil, 2010). Nous tenons ici à la remercier très chaleureusement, ainsi que tous les participants à cette table ronde.

Texte intégral

Marion Bourbon : Dans votre dernier livre, vous partez d’une enquête lexicale, et d’un constat relatif à l’usage du terme de « crise » : là où l’on parlait au pluriel des crises singulières (« crise de la culture », « crise des valeurs », « crise économique », « crise sociale », « crise de la filiation », « crise du couple »), on parle désormais, de « la crise », au singulier, sorte de signifiant flottant que vous passez au tamis de la critique – c’est un des autres sens originaires du terme. Vous montrez que ce passage du pluriel au singulier collectif s’est accompagné d’une inversion de sens. Paradoxalement, alors même que la crise désigne originairement le moment du dénouement, ce moment critique dont il y a sortie, la crise est devenue ce phénomène où il n’y a pas d’issue, dans lequel on reste englué. La crise n’est plus un moment mais un état de crise permanente dont on ne sort pas. Elle n’est plus la décision mais relève désormais de l’indécision, voire de l’indécidable. Cette inversion de sens, ce changement de paradigme traduit dès lors selon vous une mutation du type de temporalité dans lequel s’inscrit la crise, car le mot « crise » renvoie à des expériences subjectives et non pas seulement à une réalité objective.

Vous vous livrez alors à une enquête généalogique sur les usages de la notion de crise et des types de pensée de la temporalité dans laquelle elle s’inscrit. Vous montrez comment la notion de « crise » est consubstantielle à la modernité (marquée par le « polythéisme des valeurs », selon l’expression de M. Weber) et à la dissolution des repères traditionnels de la certitude qui la caractérise. La modernité est structurellement « crise », mais vous montrez que la crise n’en demeure pas moins encore inexorablement liée, jusqu’à l’époque contemporaine, et tant que la croyance au progrès n’est pas ébranlée, à un « horizon de sens ». Elle est ce moment conflictuel nécessaire par lequel il faut passer pour avancer, progresser dans la vision orientée du progrès des philosophies dialectiques de l’histoire. Mais pour comprendre ce changement de régime de crise, si j’ose dire, par lequel la crise en vient à désigner cet état permanent d’indécision alors même qu’elle désignait originellement le moment de la décision, il faut faire intervenir l’entrée en « crise », au sein même de la modernité, d’un autre singulier collectif, celui de l’Histoire, lié à l’effondrement des philosophies de l’Histoire – effondrement de l’idée selon laquelle l’histoire est orientée vers le mieux et qu’elle a un sens – au lendemain des expériences totalitaires. À ce niveau, c’est du sujet qu’il est question. Quel type de subjectivation penser par rapport à une histoire qui aurait fait l’économie de son présupposé comme Histoire, c’est-à-dire comme devenir subjectif de l’humanité ?, une histoire dans laquelle le rapport entre « champ d’expérience » et « horizon d’attente » (catégories reprises à Koselleck) se serait délié, une histoire dans laquelle le présent est paralysé faute d’un horizon d’attente de sorte qu’il n’y a plus rien à décider ? Un tel affranchissement est-il même possible ? La question devient celle-ci, et je vous cite, p. 114 : « Le Tout de l’Histoire étant aujourd’hui disloqué, de quoi héritons-nous à notre tour ? ».

Vous interrogez ainsi la position subjective des sujets d’aujourd’hui et des régimes d’existence dans lesquels ils s’inscrivent – et c’est là, me semble-t-il, ce qui lie La crise sans fin à vos précédents ouvrages sur la condition quasi anthropologique de l’homme, pour interroger le rapport problématique que l’individu entretient au collectif et à sa propre existence dans cette nouvelle temporalité, qui se caractérise par une cassure dans le rapport que nous entretenons avec le futur du fait de l’éclatement des valeurs, de la perte des idéaux et qui est par là même marquée par un rapport à l’incertitude. Car la crise est d’abord caractérisée par la précarité par rapport au sens et aux catégories que nous utilisons.

Vous proposez de faire de ce rapport à l’incertitude, de cette reconnaissance assumée d’un futur incertain (ce qui noue une politique démocratique à la contingence et à l’incertitude) l’occasion pour retrouver une inventivité : « Une époque – a fortiori la nôtre – hérite de problèmes qu’il lui appartient d’inventer. »Vous avez à ce propos recours à la métaphore de la brèche, que vous reprenez à H. Arendt, pour montrer que fragilité et incertitude constituent une capacité, une capacité de commencement. La crise selon elle, c’est ce moment où « l’homme est mis en demeure de commencer quelque chose de nouveau ». Ce qui revient peut-être en un sens à se souvenir que l’histoire s’entend à la fois comme réalité et comme imaginaire phantasmatique : l’histoire on l’imagine, on la fait, on la vit, on se la raconte, on l’écrit. Vous liez ainsi la crise à un type d’expérience subjective, à des situations existentielles auxquelles seule la métaphore peut nous faire accéder, lorsque le concept échoue à y parvenir. De telle sorte qu’au terme de ce parcours, la crise n’est plus prise comme un concept mais comme une métaphore, la métaphore de nos vies, de notre rapport à l’existence.

Mélanie Sadler : C’est sur ce lien entre métaphore et concept que nous aimerions tout d’abord revenir en interrogeant notamment votre emploi de la figure de Don Quichotte. Au cours de nos échanges, nous nous sommes notamment demandés pourquoi vous utilisez la figure de Don Quichotte telle que l’évoque Kundera comme point de départ de votre réflexion sur le rapport entre crise et modernité. Autrement dit, pourquoi utilisez-vous une figure littéraire du XVIe siècle pour penser une notion philosophique dont on pourrait situer la naissance au XVIIIe siècle ?

Myriam Revault d’Allonnes : Tout d’abord, la naissance de la modernité, ce n’est pas un moment strictement assigné au XVIIIe siècle. On ne comprend pas la modernité si on ne remonte pas notamment à la révolution galiléo-copernicienne qui marque une première dissolution des repères de la certitude, le passage du Monde clos à l’univers infini, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Koyré. C’est au XVIIIe siècle que la notion de crise émerge, mais son élaboration a pu se faire sur deux ou trois siècles. À cet égard, la figure de Don Quichotte est emblématique car on peut considérer ce roman comme fondateur de la modernité. Ce qui m’a paru très intéressant, c’est la façon dont Kundera, dans L’Art du roman, met en perspective le héros de roman qu’est Don Quichotte et le héros philosophique qu’est Descartes (c’est Hegel qui notamment évoque l’héroïsme de Descartes). Kundera reprend des analyses déjà présentes par exemple chez Lukács dans sa théorie du roman et on trouve aussi des indications sur la figure de Don Quichotte dans Les Mots et les Choses de Foucault, chez Marx également. Le héros de Cervantès arrive dans un monde dont Dieu commence à se retirer. Il me paraissait important de ne pas me limiter à la figure héroïque du philosophe, de Descartes, mais de la mettre en perspective avec un héros de roman jeté dans un monde en proie à l’incertitude, privé de repères. Il y aurait tout un travail à faire pour montrer qu’un certain nombre de grands romans emblématisent cette situation, cette crise consubstantielle à la modernité parce qu’effectivement ils posent la question des modes de subjectivation d’une identité incertaine. J’avais écrit un peu sur les Liaisons dangereuses, travail que j’ai l’intention de reprendre, car là aussi, il s’agit d’un roman tout à fait emblématique d’une société en train de s’effondrer, à l’orée d’un nouveau monde pas tout à fait advenu. Les Liaisons dangereuses sont le roman de la déliaison, de la déliaison sociale. Le type d’approche auquel je me livre m’amène forcément à ne pas me limiter aux textes philosophiques, surtout quand il est question des modes de subjectivation, des troubles de l’identité.

Magali Fourgnaud : Si l’on approfondit ce rapport entre littérature et philosophie, en quoi le roman vous apparaît-il comme une métaphorisation de la modernité ?

M. R. A. : La modernité s’inaugure comme une rupture fondamentale au niveau des fondements, au niveau des normes, au niveau de la question de l’identité. Si la réflexion philosophique aborde cette question de la rupture avec des outils d’analyse conceptuels, le roman renvoie à une réalité qui n’est jamais, en tant que telle, définitivement assurée, qui reste toujours en voie de réalisation et dépend en permanence d’une validation, comme si cette réalité était constamment mise à l’épreuve, dans une remise en question inachevable : et c’est la raison pour laquelle dans le roman moderne, la crise ne trouve pas de dénouement métaphysique. Don Quichotte, contrairement au sujet cartésien, ne découvre aucun nouveau fondement de vérité : la quête du héros de roman ne rencontre jamais de certitude soustraite au doute.

M. F. : Le roman de Cervantès propose un point de vue parodique, autoréflexif. Dans ce cas, la modernité ne serait-elle pas moins une rupture qu’une réécriture, une tentative de réappropriation sur un autre mode ?

M. R. A. : Est-ce que les deux interprétations sont contradictoires ? Est-ce que d’une certaine façon, la revendication de rupture, l’auto-proclamation de la modernité par elle-même n’amène pas une réécriture, une réappropriation ? C’est une question très intéressante que l’on peut élaborer théoriquement de manière un peu différente. C’est ce que Blumenberg fait dans la Légitimité des temps modernes, en montrant que ce qui est important, c’est le projet moderne en tant que tel, plus que la réalisation effective de cette volonté de rupture. On pourrait dire à cet égard que la modernité est un performatif : et c’est de ce point de vue que Blumenberg distingue ce qu’il appelle le projet de rupture et son auto-habilitation, autrement dit sa réalisation effective. Car on peut évidemment contester que ce projet ait été effectivement réalisé. Il y a un écart entre les deux, entre le projet et sa réalisation. Si vous considérez que le préfixe auto- (autoconstitution de la modernité, auto-fondation) est absolument fondamental, on peut envisager qu’il y ait eu, à partir de ce performatif, des modes d’appropriation qui ne se soient pas opérés sur le mode de la table rase. Je pense qu’il n’y a pas de contradiction. C’est toute une conception de l’histoire qui est ici en jeu et en œuvre. On invente quelque chose qui était « déjà là ». Vous avez cité cette phrase de mon livre : « Nous héritons de problèmes qu’il nous appartient d’inventer ». Ceci dit, tous les romans modernes ne vont évidemment pas se déployer sur le mode parodique. Il y a chez Don Quichotte un mélange de parodique et de sublime qui marque quelque chose de l’ordre de la nostalgie d’un monde perdu. Ensuite, vont lui succéder d’autres modalités dans l’écriture romanesque. Dans les Liaisons dangereuses, il n’y a rien de parodique, chez Stendhal non plus, dans les grands romans du XIXe siècle, s’il y a du parodique, il n’est pas du même ordre.

M. B. : Pour rebondir sur cette question du rapport à la rupture, il y a quelque chose qui m’a frappée, et j’aimerais avoir votre avis. Je trouve qu’il y a une analogie qui pourrait être faite entre la notion de crise telle que vous la définissez et ce qui amène un patient en analyse, dans la théorie psychanalytique : précisément, cet état dont on ne sort plus, dans lequel on reste englué, que vous associez à cet état contemporain de crise, cet état de paralysie qui amène à réinventer, à partir de questions dont on hérite, de nouvelles modalités de questionnement et de création, n’est-ce pas finalement le modèle même d’une cure analytique ? Que pensez-vous de cette analogie ?

M. R. A. : Je n’y avais pas pensé. Oui, effectivement, si on prend la formule de Freud, qui dit en substance qu’il faut élaborer ce qui était déjà là, on peut effectivement l’envisager de cette manière. On remarquera par ailleurs que Freud est très profondément un penseur de la modernité. Ses textes sur le collectif et tous les textes de la seconde topique sont contemporains de la fin de la Seconde Guerre mondiale et on sait très bien le retentissement que ce conflit a eu pour Freud. J’avais plutôt réfléchi de ce côté-là à la mise en récit dans la question de la cure. Mais précisément, il faudrait faire un travail sur le rapport entre la crise et la cure, crise et clinique, quelque chose de cet ordre.

Valery Laurand : C’est une question à plusieurs entrées que je voudrais poser. En fait, c’est cette notion de modernité qui me pose question. Car il se trouve que, même s’il n’y a pas le concept, la réalité de crise a eu lieu dans le monde antique, deux fois : la crise de la cité, la crise de la démocratie athénienne et ensuite à Rome, la fin de la République, deux moments qui ont été terribles, et qui ont donné lieu cependant à des écrits historiques, à des réflexions et puis, du point de vue de la subjectivation, qui ont donné lieu à l’émergence d’une topique d’un sujet : à l’élargissement de la cité répond l’aménagement d’un espace intérieur, etc. Je me demandais donc ce qui fondait finalement la définition de la modernité par la crise alors même que l’on pouvait très bien situer les philosophies hellénistiques et romaines comme des philosophies de crise et des philosophies thérapeutiques, des thérapies où il est question de cure, de soin par rapport à ces crises. Crisis n’est pas thématisé comme tel, mais ce sont tout de même des moments de rupture terrible. Ou alors quelle est la différence finalement dans cette crise pour la modernité ?

Sandro Landi : C’est une question d’outil conceptuel. Les acteurs de cette crise-là, tout en connaissant le mot crimeo, n’utilisaient pas le mot crisis pour définir cette rupture. C’est une question d’outil intellectuel, de langage. À partir de quand finalement un changement historique se définit en tant que crise et utilise cet outil conceptuel-là ?

M. R. A. : C’est une question absolument fondamentale. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé dans tout le début de mon livre sur l’utilisation du terme de crisis par Thucydide, pour qui la guerre du Péloponnèse est la plus grande crise qui ait jamais ébranlé la Grèce et une grande partie du monde barbare. C’est très intéressant de voir que le terme est utilisé aussi bien dans le monde médical que dans la tragédie, et surtout dans le domaine historique et politique. Ce qui marque un rapport fondamental à la temporalité. C’est très clair chez Thucydide : la crise est fondamentalement liée chez lui à une temporalité politique, qui n’est pas corrélée à l’idée d’un devenir historique. Je me suis beaucoup référée aux très belles analyses de Christian Meier sur la question du temps politique. Cette temporalité ordonnée à l’action politique permet de montrer que la crise est, chez Thucydide notamment, à l’intersection entre l’inventivité et le conservatisme : si on considère l’opposition entre les Spartiates – plus attachés aux traditions et au conservatisme – et les Athéniens – fous de nouveauté, constamment qualifiés d’extrêmement inventifs – on aurait là, apparemment, tous les signes qui permettraient de dire que les Athéniens seraient du côté du progrès. En réalité, il n’en est rien. Il s’agit plutôt d’une tentative pour agir plus efficacement sur le monde extérieur, pour développer des capacités d’invention : innovations politiques, techniques. La crise est à l’intersection entre l’exaltation du pouvoir-faire des hommes et leur hybris, leur démesure. C’est le mot d’Alcibiade : nous n’avons pas le pouvoir de résister à l’hybris de nos passions, nous ne sommes pas libres de modérer à notre gré notre volonté de commander. Ce mode de temporalité – lié à l’action et non au devenir historique – permet de faire de la crise un révélateur. C’est vrai que l’on peut qualifier par exemple la naissance de la démocratie grecque de crise, bien sûr, car on voit comment la tragédie a un rôle cathartique, comment elle opère institutionnellement dans cette confrontation entre l’ancien et le nouveau. On peut dire aussi qu’à la fin de la République romaine, advient une crise d’une gravité extrême et qu’il en va de même au moment du stoïcisme impérial. Foucault allait dans ce sens quand il écrivait que, si l’on admet que la modernité est une attitude plus qu’une période, il y a aussi des attitudes de modernité dans l’Antiquité. Pour lui, la modernité se caractérise par l’émergence d’une position réflexive que l’on rencontre déjà dans l’Antiquité chez certaines figures et à certains moments. C’est vrai. Mais il faut quand même dire que la modernité s’est appuyée spécifiquement sur une conception du devenir historique qui n’est pas celle des Anciens. On le repère dans l’utilisation même du terme. C’est au XVIIIe siècle que Rousseau écrit : « Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions ». C’est le marquis d’Argenson, ministre de Louis XV, qui pour la première fois parle de « crise économique ». C’est à ce moment-là que la crise devient prégnante dans la réalité historique et politique. Ce n’est pas du tout incompatible avec le fait que l’on assiste également à l’émergence d’une subjectivité extrêmement sensible au désordre, au trouble. On le voit aussi bien dans les textes de Diderot que dans les textes de Rousseau. Mais c’est indissociable d’une conception du devenir historique normé par le progrès, même si cette idée est, comme le dira Kant, une idée « consolante ». Je serais assez d’accord au fond pour dire que la modernité n’est pas une période mais une « époque » et qu’elle est surtout la première à se définir comme telle. Effectivement, on peut rencontrer dans l’Antiquité des attitudes de modernité. Je me souviens du grand texte de Hegel – La Phénoménologie de l’esprit – et de l’idée que le libre arbitre émerge au moment où la liberté politique disparaît. On peut effectivement qualifier ce moment de crise. Mais la modernité, dans sa volonté de rupture radicale avec ce qui précède, est liée au retrait de la transcendance et ce type de problème ne se pose pas de la même façon dans l’Antiquité. Mais ceci dit, ce qui est fondamental, aussi bien chez les Grecs que chez les Romains, c’est que la notion de crise n’est pas dissociable de la notion de temps.

M. B. : Finalement, ne peut-on pas élargir vos hypothèses à toute époque ?

M. R. A. : Pas tout à fait. Si on considère la modernité comme un éthos, on rencontre des attitudes de modernité dans toutes les époques. Mais elle est aussi autre chose qu’un éthos. Elle est liée à une rupture absolument fondamentale dans l’ordre du monde. La première rupture essentielle est la révolution galiléo-copernicienne. J’ai tenté d’analyser les métaphorisations de la révolution copernicienne qui n’ont rien à voir avec la révolution scientifique en tant que telle et qui peuvent fournir des interprétations très différentes voire contradictoires car elles ont toutes trait à la place de l’homme dans le monde et donc à son auto-interprétation soit dans le sens de l’exaltation soit dans le sens de la déchéance, de l’humiliation, etc. Je suis d’accord que cela pose un problème d’ordre épistémologique. Sans doute Foucault a-t-il tendance à tirer la modernité uniquement du côté de l’éthos en minorant quelque peu ce qui est de l’ordre de certaines transformations fondamentales et d’une nouvelle représentation du devenir historique. On le voit bien d’ailleurs quand il analyse le texte de Kant sur Qu’est-ce que les Lumières ?. Il y a des choses auxquelles il ne prête absolument pas attention, par exemple l’ambivalence de Kant par rapport à la révolution ou un certain nombre de données historiques et politiques. Il met l’accent sur l’attitude critique au détriment des conditions historiques et politiques de la critique.

V. L. : Mais quelle est la prégnance d’un fait historique et politique ? Est-ce que cette révolution copernicienne est réellement intégrée subjectivement ? Au fond, j’ai l’impression que le soleil tourne toujours autour de la terre et que cela ne m’empêche pas de dormir.

M. R. A. : Il est intéressant de voir la façon dont la révolution copernicienne a été invoquée dans toute l’histoire de la pensée. La révolution copernicienne engage une réinterprétation de la place de l’homme dans le monde : la question du décentrement ou de la décentration de la position de l’homme a quand même beaucoup occupé tous les penseurs jusqu’à Freud y compris. Prenez Descartes et Pascal : ils ont des interprétations totalement inverses de la révolution copernicienne, l’une allant dans le sens de la maîtrise et de l’exaltation de la position de l’homme, l’autre dans le sens de l’inquiétude et de l’angoisse. Cela se poursuit au XVIIIe siècle avec la question de la pluralité des mondes. Au fond, ces interprétations sont des métaphorisations qui engagent des positions subjectives : elles débordent l’élaboration purement scientifique de la révolution copernicienne. Je pense que cela change quand même quelque chose : cela incline à une position réflexive dont on voit qu’elle n’est absolument pas arrêtée. Nietzsche, par exemple, fait de la révolution copernicienne le facteur d’un abaissement, d’une dégradation, d’une humiliation. C’est un symptôme extrêmement intéressant de l’inquiétude qui s’empare de l’homme moderne et de son auto-appréciation. C’est le signe d’une métaphorisation qui va bien au-delà de la portée du concept scientifique stricto sensu.

Jean Mondot : Pour revenir sur l’outil conceptuel « crise », pour vous la crise est un moment de transformation aussi, de devenir ? Est-ce qu’on ne pourrait pas utiliser plutôt le terme de mutation ? Crise, c’est un élément de dramatisation du récit qui emprunte aussi à la langue du théâtre. Il y a crise et il y a conscience de crise aussi. On a étudié ça il y a quelques années par rapport à l’histoire franco-allemande et on avait appelé ça « crise et conscience de crise ». Il y a des périodes où tout va bien économiquement. La décadence de 1900 par exemple, la Vienne décadente, or jamais les économies viennoise et austro-hongroise n’ont jamais aussi bien marché. Et pourtant, il y a une espèce d’inquiétude, d’incertitude et donc on est assez facilement amené à parler de « crise ». Mais on dramatise quelque chose qui est dans les consciences et qui n’est absolument pas dans les réalités sociales et économiques.

M. R. A. : Le terme même de « crise » est lié à cette dramatisation, ce qui prouve bien qu’il s’agit de quelque chose qui a trait à la subjectivité. La crise a comme caractéristique de ne pas seulement rendre compte d’une réalité objective mais aussi de renvoyer au rapport avec les consciences, avec une conscience collective, de renvoyer à la relation entre ces subjectivités et la réalité objective. Toute la question est de savoir si aujourd’hui quand nous parlons de La Crise, nous ne sommes pas en proie à une mutation fondamentale, si nous ne sommes pas à un « seuil d’époque » (Blumenberg), que nous qualifions de crise, et que nous vivons comme telle, de façon extrêmement dramatique, et à juste titre. Nous sommes peut-être à un seuil d’époque comparable à celui de Don Quichotte.

J. M. : Si on prend les années Trente, on prend par exemple le catalogue de la librairie Gallimard, si on regarde les titres, il n’est question que de crise : 1930, c’est la crise du monde, c’est la crise de l’esprit.

M. R. A. : Le problème aujourd’hui, c’est que nous parlons de crise à cause aussi de la prégnance de la crise économique.

J. M. : 1930, c’est aussi la suite de 1928. Si tout est crise, est-ce que le terme de crise est encore opératoire et pertinent ?

M. R. A. : Il est certainement pertinent au niveau du vécu. Ce sur quoi on peut s’interroger, c’est sur l’utilisation de la crise comme singulier collectif. Même en 1930, le terme n’était pas passé sur ce mode dans le vocabulaire. Je pense au texte de Husserl, La Crise de l’humanité européenne et la philosophie. Jamais Husserl ne parle de la crise comme un singulier collectif. Il la spécifie d’une certaine façon comme une incapacité de la science à répondre à un certain nombre de problèmes relatifs à la question du sens. Maintenant, on peut s’interroger sur le fait que ce qui a émergé comme un singulier collectif, c’est La Crise. Il faut analyser les raisons pour lesquelles c’est par le prisme de la crise économique que l’on est arrivé à parler de la crise comme d’un singulier collectif. Ceci me paraît tout à fait corroborer les hypothèses de Polanyi, dans La Grande Transformation, sur le « désencastrement » de l’économie dans les sociétés contemporaines et sur le fait que c’est par le prisme de l’économie que l’on arrive à parler de la crise, alors qu’il était aussi tout à fait pertinent de parler, comme le faisait Hannah Arendt, de la crise de la culture, de la crise de l’autorité, de la crise du jugement, après la Seconde Guerre mondiale et à l’épreuve des phénomènes totalitaires. C’est une donnée sur laquelle il vaut la peine de s’interroger et qui excède à mon avis la comparaison de la crise d’aujourd’hui et par exemple de la crise de 1929.

J. M. : Vous n’auriez pas l’impression que c’est une crise mondiale, c’est la crise de l’esprit ? Le grand livre d’histoire des idées de Paul Hasard, La Crise de la conscience européenne, sort en 1934. La crise de la conscience européenne, elle remonte en fait à la crise des années 30.

M. R. A. : Mais Hasard lui aussi développe la thèse selon laquelle la modernité est une rupture absolument fondamentale par rapport à tout ce qui précède et qu’elle s’est vécue comme telle.

J. M. : En même temps, je me demande si ce n’est pas un livre consolateur, parce qu’il publie ça en décembre 1934 en disant « la crise », alors que dans les années 1680-1715, on en est sorti de la crise. Donc il y a eu une modernité du XVIIIe siècle qui est advenu après 1715 qui est consolante par rapport à l’incertitude dans laquelle on se situe.

M. R. A. : Kant dit avec beaucoup de pertinence que le progrès est une idée consolante. Je trouve cette formule d’une très grande acuité : se console-t-on vraiment de ce qui a été perdu (ou vécu comme tel) ?

M. F. : Justement, sur la question du progrès, suite à l’échec des philosophies de l’histoire, on se trouve confronté à une impasse, avec d’un côté la remise en question de la notion de progrès et de l’autre les discours catastrophistes. Vous nous invitez à trouver une troisième voix. Je me demande si on ne pourrait pas repenser la notion de perfectibilité, non pas comme projection sur un avenir incertain, mais plutôt comme un travail à faire sur nous-mêmes et sur notre manière de voir le monde.

M. R. A. : Est-ce que le mot de perfectibilité convient ? Si vous dites « perfectibilité », on pense immédiatement à Rousseau, et il vrai que j’ai accordé une place particulière à Rousseau, précisément parce qu’il est en décalage par rapport aux grandes philosophies du progrès et qu’il insiste beaucoup sur le fait que la perfectibilité peut aussi donner lieu à la plus grande perversion : son ambiguïté, la profonde ambivalence de sa pensée de progrès et de l’histoire le rendent extrêmement actuel et fécond. J’ai repris très en détail tous les textes, non seulement dans l’Emile (« Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions »), mais également dans le Second Discours, où Rousseau ne cesse de montrer que le devenir historique de l’humanité est marqué par une ambivalence permanente (« ce sont le fer et le blé qui ont civilisé l’homme et perdu le genre humain »). Mais surtout, tout au long du Second Discours, il met en évidence que le devenir historique est marqué par d’incessantes rencontres avec la contingence : les choses auraient toujours pu être autres qu’elles ne le sont et ce sont les « accidents » de l’histoire qui les ont inclinées de telle ou telle manière. Rousseau a une conscience extrêmement aiguë, inquiète, de l’incertitude du devenir historique. Son discours sur les révolutions, sur la réalisation des tâches politiques de l’homme, est toujours marqué par l’inquiétude. Il serait intéressant de reprendre cette perspective. Car ce que nous pouvons (ou devons) nous réapproprier, c’est l’incertitude. Je pense que cette réappropriation de l’incertitude nous éviterait, après l’effondrement des grandes philosophies du progrès, la tentation du catastrophisme ou du déclinisme, qui ne sont jamais que des retournements inversés des grandes philosophies de l’histoire, leur symétrique inversé. Cette réappropriation de l’incertitude est aussi une manière de reprendre à nouveaux frais la façon dont Kant considérait la tâche historique de l’homme : comme une tâche asymptotique, inachevable, une tâche et non pas une œuvre. Qui dit tâche, dit tâche sans fin. Il y a ici quelque chose à jouer sur l’expression « sans fin ». Et cette réappropriation de l’incertitude passe aussi par une réélaboration de ce que doit être une politique démocratique : une politique démocratique est toujours affrontée à la contingence et à l’incertitude. Elle ne peut pas se donner les garanties que prétendaient se donner par exemple les régimes totalitaires, dans un certain mode de transparence à soi et à la communauté, avec tous les concepts de la fabrique de l’homme nouveau, de la régénération, etc. Tout ceci, considéré positivement, à condition d’agir comme il convient, devrait faire en sorte que nous puissions ne pas voir l’avenir de manière angoissée. Le problème, c’est que cet avenir incertain, nous ne le voyons qu’avec un regard habité par l’angoisse, par la peur et par l’insécurité. Il faudrait faire tout un travail sur le sens des concepts et sur les dispositions subjectives qui nous permettraient d’envisager cette incertitude de l’avenir non pas comme ce qui entrave l’action (d’ailleurs, c’est une absurdité, il y a une contradiction entre action et certitude), mais comme un élément qui au contraire permet de projeter une action. L’action n’est jamais une action garantie, politiquement parlant, jamais.

M. B. : Mais du coup, pour rebondir sur cette question de la réappropriation de l’incertitude et de la contingence, qui sont le propre de notre condition existentielle, est-ce qu’on n’a pas besoin aussi d’une certaine assise pour avoir cette liberté d’innover, au niveau individuel, dans le domaine de la vie affective ou dans le domaine économique ? Est-ce que finalement dans un contexte où les emplois sont précarisés, où la flexibilité est la norme, est – ce qu’on a les conditions pour exercer ces innovations ?

M. R. A. : Il y a deux problèmes : le problème individuel et le problème politique, collectif. La politique démocratique ne résout pas les problèmes personnels. La politique doit donner aux individus les conditions au sein desquels ils pourront se réaliser. C’est une illusion ruineuse et une difficulté considérable qui consiste à attendre de la politique ce qu’elle ne peut pas donner, à savoir le bonheur et les satisfactions privées. On peut demander à la politique démocratique d’ouvrir des perspectives, de garantir aux individus un certain nombre de conditions minimales de sécurité sociale, de sécurité politique, qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec la pulsion sécuritaire telle qu’elle a été mise en avant ces dernières années, parce qu’il y a eu une confusion massive entre sûreté et sécurité. Ce que la politique donne, c’est la sûreté. Mais je me demande, là encore, si appeler tout cela « la crise » n’occulte pas un certain nombre de problèmes : des questions sociales et économiques qu’il faudrait prendre à bras le corps au lieu de dire « c’est la faute à la crise ». Politiquement, c’est extrêmement important. Là-dessus se greffe le constat d’une espèce d’impuissance de la politique. Ce qu’on constate, c’est que la politique est devenue réactive (c’est un des éléments de la « détemporalisation », par opposition à ce que Koselleck nommait « temporalisation ») et qu’elle a perdu sa capacité d’initiative. Se réapproprier l’incertitude, cela ne veut pas dire accepter la précarité, ce n’est pas ça du tout. Car la précarité (ou sa traduction « soft », la flexibilité) n’est pas présentée comme une incertitude mais comme une fatalité. Ce n’est pas du tout la même chose. La question que je pose, c’est celle de l’horizon de sens qui est celui de notre monde contemporain et de notre société contemporaine, horizon de sens à partir duquel on pourrait réélaborer des choses, y compris une politique concrète. La politique démocratique est fondamentalement liée à l’incertitude. Et elle est démocratique parce qu’elle est liée à l’incertitude, sinon, on s’engage dans une autre perspective.

M. B. : Dans le contexte de la globalisation, est-ce que le champ d’action de la politique n’est pas justement problématique ?

M. R. A. : Il y a un certain nombre d’économistes qui contestent l’idée que la politique n’a aucune prise sur l’économie. Là aussi, il y a certainement des possibilités politiques d’intervention. Les économistes eux-mêmes ne sont pas d’accord entre eux.

V. L. : Je voudrais revenir sur l’idée que La Crise devient l’agent de tous les maux et devient un acteur politique, et un acteur impersonnel : « c’est la crise ». Du coup, dans un processus de subjectivisation, il y a quelque chose d’intéressant : c’est la crise, donc ce n’est pas moi, c’est le destin. Peut-être qu’une partie de la politique peut réagir. Comment réagir ? Se réapproprier la crise ? Or la crise, c’est un moment de rupture, mais aussi un moment de jugement. Il y a donc plusieurs options. Est-ce qu’il n’y aurait pas aussi d’une manière très large, une sorte de crise des idéaux ? Sortir de la crise devient un idéal, mais on ne sait pas comment élaborer cet idéal. Car la crise, c’est le destin, donc il n’y a pas de sortie. Au fond, est-ce que cela n’est pas aussi un moment important dans lequel on a besoin d’idéaux mais qu’il est urgent de les casser ? Il faudrait au fond renverser ce que disait Jaurès, « aller à l’idéal en passant par le réel » ; et le renverser : aller au réel en passant par l’idéal.

M. R. A. : De même qu’on est coincé entre une philosophie de l’histoire et le déclinisme, on est coincé entre des accommodations à la « Realpolitik » et des idéaux qui sont des incantations (« il faut faire ça, il faut faire ci »).

V. L. : Au point que des phrases de bon sens, comme « il faut faire avec », deviennent un idéal incantatoire.

M. R. A. : « Il faut faire avec » ou bien « il faut faire ailleurs », avec un ailleurs déréalisé. En politique, on peut choisir aussi le réformisme et transformer à partir de ce qui est. Le problème, c’est que maintenant on n’arrive plus à faire du réformisme, au sens fort du terme. Le réformisme, ce n’est pas « faire avec », s’accommoder ou se résigner, c’est transformer la réalité à partir de ce qu’elle est, en tenant compte de ses conditions. Je suis tout à fait d’accord : quand on dit « c’est la faute à la crise », il s’agit d’un alibi, d’une déresponsabilisation. La crise comme singulier collectif est devenue une sorte d’incantation. Quand Koselleck montrait que l’Histoire ou la Révolution étaient devenus des singuliers collectifs, il mettait aussi en évidence ce qu’il appelait un phénomène de « temporalisation de l’expérience historique » : le temps lui-même était devenu un acteur de l’histoire, ce n’était pas seulement dans le temps que se faisait l’histoire, mais par le temps. Or aujourd’hui, un certain type d’incantation est lié à un processus de détemporalisation. Le temps n’est plus l’acteur de l’histoire. On n’est plus dans le même contexte. Je pense que tout cela est lié à un horizon de sens où on est incapable de concevoir un avenir dont on sait qu’il est incertain. La question du vécu de l’incertitude par rapport au futur est une question absolument fondamentale. C’est en ce sens qu’une politique démocratique doit travailler avec l’incertitude. Ce qui ne l’empêche pas de travailler. Le mot crisis veut dire à la fois crise et jugement. Or l’usage actuel de la crise a fait disparaître la composante du jugement, la composante critique. Au XVIIIe siècle, les deux acceptions se sont combinées : c’est à la fois le siècle de la crise et celui de la critique.

V. L. : Oui, mais c’est de nouveau « faire avec l’incertitude ».

M. R. A. : Encore une fois, « faire avec » est une expression ambiguë : soit on la comprend du côté de la résignation, soit on « fait avec » ce qui existe pour le transformer. On peut lui donner une acception positive.

M. F. : Dans cette acception de l’incertitude, la littérature ne joue-t-elle pas un rôle fondamental dans l’acception de multiples interprétations, sur l’interrogation de nos propres subjectivités ?

M. R. A. : J’ai beaucoup travaillé Ricœur, Temps et Récit. C’est dans cette perspective que je pense qu’on peut s’emparer des textes littéraires, non pas pour les soumettre à une analyse philosophique mais pour penser. À partir du moment où je défends ces positions sur la métaphore, sur la métaphorisation, à savoir qu’elle n’est pas un stade provisoire, embryonnaire, inachevé d’une élaboration conceptuelle, je peux être amenée effectivement à m’interroger sur tel ou tel texte littéraire comme emblématisation ou comme métaphorisation d’une situation existentielle. Ce qui ne me fait pas faire de la critique littéraire : ce n’est pas mon domaine. J’ai plutôt posé dans ce livre des préalables méthodologiques, une grille d’analyse qui permettrait d’aborder ces textes sous un certain angle. C’est pour cette raison que la comparaison entre le héros cartésien et Don Quichotte me paraissait intéressante à mettre en perspective mais pas pour faire du texte littéraire une application d’une position philosophique. Mais entrer par le texte littéraire, par le biais du récit, dans une certaine approche de la réalité.

Margaux Valensi : Par exemple, cela me fait penser à la place de la poésie notamment en situation de crise politique, c’est souvent une forme que l’on investit davantage que le roman, grâce à la dimension pratique de la poésie pour dénoncer une situation d’oppression par exemple.

M. R. A. : J’ai plus d’affinité avec le roman qu’avec la poésie. Je suis une grande lectrice de romans et moins de poésie. C’est vrai, je suis tout à fait d’accord, dans certaines situations, dans lesquelles il y a des impasses politiques, la littérature en général (pas seulement la poésie) est un vecteur essentiel. Par exemple, la littérature israélienne aujourd’hui est une très grande littérature où s’exprime, plutôt que de la « protestation » au sens classique du terme, un vécu d’une extrême complication et d’une extrême ambivalence. C’est un très bel exemple d’impasse politique (dont on espère qu’elle trouvera une issue) dans laquelle la créativité du roman est de créativité politique.

Public : Quand vous insistez sur la créativité de la littérature israélienne, on dirait que vous dites presque l’inverse de ce que dit Hannah Arendt, dans La Crise de la culture, sur la nécessité d’une certaine permanence pour débuter quelque chose de nouveau, cette inventivité de cette situation de crise, il me semble que c’est contradictoire.

M. R. A. : Pourquoi est-ce contradictoire ? Je ne comprends pas.

Public : Il me semble qu’elle insiste sur l’idée de permanence.

M. R. A. : La permanence chez Arendt, ce n’est pas du tout l’idée d’une permanence dans le contenu. Il s’agit de pérennité et surtout de durabilité, ce n’est pas une permanence substantielle. Quand elle parle de la durabilité du monde commun, de ce qui relie les hommes entre eux et de ce qui les sépare, il s’agit beaucoup plus de transmission, ou comme le disait Husserl, de générativité. On ne se réfère pas à une identité de contenu. Et donc il n’y a aucune contradiction, dans la mesure où la thématique de la créativité ou de l’inventivité chez Arendt est fondée sur une ontologie de la natalité, de la naissance : pas de la naissance biologique, mais de la natalité, au sens du commencement de la capacité à commencer. C’est précisément cette ontologie de la natalité et la capacité humaine d’interrompre le cours inéluctable des choses (lequel conduirait à la destruction et à la mort), c’est précisément cette ontologie de la natalité qui est la condition de la durabilité du monde commun. Il ne peut y avoir contradiction que si vous entendez par pérennité ou durabilité une permanence de contenu, une permanence substantielle. Je vous rappelle la phrase de La Crise de la culture : « pour chaque génération qui arrive, le monde est toujours déjà hors de ses gonds ». C’est une très belle phrase qui au fond signifie aussi : « nous héritons de problèmes qu’il nous appartient d’inventer ».

M. B. : Justement, la question de la transmission en temps de crise est un problème contemporain et une question politique majeure. Comment peut-on penser à nouveaux frais la question de la transmission, sachant qu’il y a bien une mutation, qu’il y a bien des problèmes qui nous apparaissent qui n’apparaissaient pas aux générations précédentes ? Comment peut-on innover avec ça ?

M. R. A. : Là aussi, il s’agit d’une certaine façon de transmettre, si je puis dire, sans garantie. J’ai abordé ces questions dans mon livre sur l’autorité, Le Pouvoir des commencements. C’est un peu le même type de démarche. J’ai montré qu’au fond la question de la transmission avait plus à voir avec ce que j’appellerais un geste qu’avec une transmission de contenus. Il y a deux écueils à éviter : l’écueil de la table rase et celui de la transmission de contenus inamovibles. Là encore, nous avons une formule très éclairante de Hannah Arendt : « les nouveaux venus dans le monde sont aussi des tard venus ». La question est moins d’assurer une transmission (je ne sais pas finalement si j’aime tellement ce terme de « transmission », je ne l’utilise pas beaucoup) que de trouver les conditions qui permettront aux générations futures d’innover à leur tour. Étant donné tout ce qu’on a dit de la temporalisation, c’est devenu une question extrêmement cruciale et très difficile.

M. B. : Il y a la question de l’éducation derrière.

M. R. A. : Bien sûr, c’est très difficile mais ce n’est pas non plus absolument irréalisable. Il y a bien des voies dans lesquelles on peut se mouvoir. On ne peut ni dire « tout est foutu », ni dire « tout va très bien ».

M. B. : C’est une génération pour laquelle de nouvelles modalités, pas de transmission mais d’enseignement, sont à penser, par une génération qui n’est pas la même.

M. R. A. : Oui, bien sûr, elle n’est pas la même, mais il y a un certain nombre de valeurs fondamentales dont on peut penser qu’elles sont la condition d’un monde commun. Il faut essayer de les faire passer par d’autres voies, par d’autres modalités. Mais on sait aussi, par de nombreux témoignages, que même dans des conditions extrêmement difficiles, il est possible de faire passer des choses par des modes de culture classique, même dans les banlieues défavorisées. J’ai eu moi-même une expérience de cet ordre. J’ai dirigé une collection de philosophie pour les enfants et les ados, aux éditions Gallimard, et quand nous avons mis en place la collection, nous sommes allés l’expérimenter dans des classes de banlieues défavorisées, dans la banlieue nord de Paris, dans un endroit assez difficile. Dans une classe de 5e, nous avons commencé à discuter avec les élèves, à parler de ce que c’est que la philosophie, à leur demander ce qui les intéresserait plus particulièrement. Ils ont répondu textuellement : « si vous faites des livres comme ça, on voudrait des textes de vrais philosophes ». Ils avaient douze ou treize ans, vous imaginez, les trois quarts de ces enfants étaient des enfants d’immigrés. J’étais un peu interloquée. J’ai demandé : « C’est quoi de vrais philosophes ? » Ils m’ont dit : « Aristote, Kant, Platon, Descartes… »

Bon, je me suis dit qu’on allait essayer. Pourquoi pas. Évidemment, ils étaient accompagnés par une excellente professeure de lettres, une jeune femme. J’ai fait plusieurs expériences de ce type-là. J’ai écrit un petit livre, qui s’appelle Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? Dans cette collection, on trouve des textes de philosophes, on ne met pas trois pages de Hegel mais un paragraphe. Par exemple, j’avais dans mon livre fait figurer la phrase de Rousseau : « Il n’y a pas de guerre d’homme à homme, il n’y a de guerre que d’État à État ». Cette phrase, elle est comprise immédiatement. Ils sont capables de vous dire que dans la cours de récréation, on ne fait pas la guerre mais qu’il s’agit d’un jeu ou d’une parodie, etc. Il existe des modalités possibles par lesquelles faire passer des choses dont on considère qu’elles sont fondamentales pour l’élaboration d’un monde commun. Il y a d’ailleurs, un certain nombre d’enseignants et de philosophes de l’Université de Bordeaux qui ont écrit dans cette collection : Guillaume Leblanc, Fabienne Brugère Céline Spector, Christophe Bouton… L’université de Bordeaux été très bien représentée. Ce n’est qu’un exemple, mais il me fait penser qu’il existe des possibilités. Au début, quand j’ai lancé la collection, je voyais des professeurs de lettres et des documentalistes qui essayaient de faire un certain type de travail. Quand j’entendais des élèves de 4ième qui me disaient « la philosophie c’est le plaisir de penser », je trouvais ça formidable, et il me semblait que tout n’était pas perdu du côté de ce que vous appelez « la transmission ».

V. L. : Dans ce que vous disiez tout à l’heure, j’étais un peu interloqué, car vous dites que la transmission n’est pas une affaire de contenus, là je vous suis absolument, et à la fois vous dites qu’on transmet des valeurs.

M. R. A. : Je veux dire qu’on n’est pas sûr que les contenus ne seront pas transformés à leur tour. Il faut prendre le risque d’un refus ou d’une réélaboration des contenus transmis.

V. L. : Je vais plus loin, est-ce que transmettre ce n’est aussi pas donner la capacité de transformer les contenus ? C’est-à-dire que les valeurs ont une faille ?

M. R. A. : Je suis tout à fait d’accord avec vous, c’est à la fois donner des contenus et la capacité de les transformer.

V. L. : C’est alors transmettre la crise, au bon sens du terme, transmettre le jugement et la rupture. Cette crise que l’on a transformée en destin, c’est peut-être à nous de l’intérioriser et de la transmettre.

M. R. A. : Il nous appartient très certainement de lui redonner son vrai sens, qui est celui de l’acceptation de la rupture, d’un certain affrontement à l’incertitude et de la capacité à développer la critique, c’est-à-dire au fond de réarticuler la réappropriation de la crise et la capacité de la critique.

V. L. : Est-ce qu’on peut encore parler de valeurs ?

M. R. A. : Je pense qu’il y a des valeurs et des repères. L’incertitude, ce n’est pas non plus le relativisme. Il y a tout de même des choix d’orientation, me semble-t-il. Ce n’est pas contradictoire. On se demande toujours à quelles conditions il peut y avoir un monde commun.

V. L. : Et si ces valeurs sont suffisamment fragiles pour pouvoir être transformées, car on peut transmettre les pires valeurs, sous des apparences très belles, et complètement neutraliser l’esprit critique.

M. R. A. : Il n’y a pas une « valeur » qui ne soit pas fondamentalement ambivalente, ambiguë. C’est le cas de la perfectibilité qui est à chaque instant la possibilité de la plus grande perversion, d’un retournement potentiel. Peut-être que plutôt de que de « valeurs », on pourrait parler de « conditions ».

V. L. : Ce que vous essayez de définir au fond, par une sorte de symptomatologie de la crise, par quoi se définirait-elle ? Quelle est l’originalité de ce moment ? Pourquoi y aurait-il plus de crise aujourd’hui qu’autrefois ? Quel est pour vous l’élément clé de ce diagnostic ?

M. R. A. : Je pense que le problème n’est pas la multiplication des crises partielles. Ce qui est significatif, c’est le renversement total de paradigme, c’est-à-dire le passage de la certitude à l’incertitude, du moment à l’état. Étymologiquement, dans son acception classique, la crise c’est un moment destiné à trouver une issue : or nous ne la percevons plus comme un moment mais comme un état. Nous sommes aux prises avec un véritable oxymore, qui est « la crise permanente ». C’est plutôt la question de ces nouveaux singuliers collectifs qui me paraît caractéristique, un singulier collectif qui finit par englober la spécificité des crises singulières et par recouvrir des difficultés qu’on ne devrait pas appeler des crises, parce qu’elles relèveraient par exemple de choix politiques.

J. M. : C’est un problème aussi lié à une accommodation difficile, une extension des temporalités, une accélération, une extension aussi spatiale, on n’accommode plus.

M. R. A. : Oui, bien sûr, mais la dynamique de l’accélération a commencé dès le début du XVIIIe siècle. Elle s’est transformée, elle a changé aussi de modalité. Je pense que la question de la désynchronisation et de la détemporalisation est une question fondamentale de ce point de vue-là : du point de vue de la symptomatologie, c’est un élément important.

J. M. : Pour revenir à la référence à Koselleck, cette permanence de la crise, quel type d’horizon d’attente engendre-t-elle ? En quoi cette nouvelle conception de la crise qui devient quelque chose d’extatique, et pas temporel, engendre un nouvel horizon d’attente ? Et en quoi ce nouvel horizon d’attente permet une nouvelle écriture de l’histoire ? Je me réfère à la réflexion notamment d’Hartog sur l’écriture de l’histoire qui est conditionnée par ce nouvel horizon d’attente.

M. R. A. : Je ne suis pas d’accord avec Hartog parce que je pense que la critique de Hartog – à la fois à l’égard Arendt et de Koselleck – n’est pas véritablement fondée. Hartog méconnaît selon moi que l’horizon d’attente et l’espace d’expérience sont des méta-catégories et non pas des catégories historiques. Le « présentisme » est une catégorie descriptive intéressante mais ce n’est pas une méta-catégorie ou une catégorie conceptuelle.

S. L. : En fait, ce n’est pas du présentisme justement, cette stabilisation qu’il y a du concept de crise ? Cette crise permanente, ce n’est pas justement du présentisme au sens propre du terme, non ?

M. R. A. : Ce n’est pas du présentisme. Je pense que ce qui est en train de se transformer, c’est le rapport entre l’espace d’expérience et l’horizon d’attente et non la disparition de ces catégories. Je suis d’accord avec Koselleck lorsqu’il affirme que l’histoire est en même temps un acte social. L’histoire, ce n’est pas seulement l’écriture ou l’étude de l’histoire, ce n’est pas seulement un mode de connaissance, c’est un véritable acte social. Car une société ne peut pas éviter de se projeter dans l’avenir et de se penser par rapport au passé. Et nous-mêmes, dans la crise au sein de laquelle nous nous situons, nous avons évidemment un rapport à notre passé et un rapport à notre avenir. Ce qui s’est profondément transformé, selon moi, c’est le rapport avec ces méta-catégories. C’est pourquoi la question de l’incertitude me paraît absolument essentielle.

S. L. : C’est très intéressant parce qu’il y a une semaine, lors d’un horizon de la recherche, un historien évoquait la fréquence de l’expression « crise de l’histoire », qui paraît à partir des années Trente, lors de la deuxième génération des Annales (Braudel). C’était un mot extrêmement fréquent et qui a pratiquement disparu actuellement du lexique historiographique. Que veut dire cette disparition ? La présence du mot « crise » était révélatrice d’un moment de grande fécondité de l’historiographie française.

M. R. A. : On parlait de crise singulière ?

S. L. : Oui, de « crise de l’histoire ». Cette formule revient souvent sous la plume de la deuxième génération des Annales. Actuellement, c’est devenu ringard, on ne parle plus finalement de crise de l’histoire. Mais que veut dire cette disparation de cette formule, « la crise de l’histoire » ? C’est une question ouverte, que l’on s’est posée au cours de ce séminaire. Et en quoi est-elle révélatrice d’autre chose ? Peut-être d’une absence d’innovation sur le plan historiographique. Je pense que le dernier qui a utilisé l’expression de « crise de l’histoire », de façon consciente, c’est Roger Chartier dans Au bord de la falaise, mais c’est presque un exercice narcissique. Il y a une sorte de complaisance. Je pense qu’il y a cet usage-là. Actuellement, c’est une expression qui a disparu du champ lexical historiographique. Pourquoi ? Je pense que ça a effectivement à voir avec l’horizon d’attente, avec les conditions de la possibilité de l’écriture historique actuelle.

M. R. A. : Et pourtant, il y a beaucoup d’écritures historiques.

S. L. : Oui, il y en a beaucoup mais qui ne sont pas forcément faites par des historiens professionnels. Il y a un énorme besoin d’histoire, mais ce besoin ne trouve pas forcément chez les professionnels une réponse. Ce sont souvent de faux historiens. Il y a un véritable besoin d’histoire, mais qui ne trouve pas dans la corporation des historiens une réponse adéquate.

M. R. A. : Pourtant, je travaille au CEVIPOF et à Science-Po, il y a des historiens. Beaucoup de jeunes historiens travaillent de manière très féconde. Je ne suis pas historienne, mais j’ai quand même l’impression qu’il y a des productions de spécialistes intéressantes. Il y a beaucoup de bons travaux d’histoire contemporaine.

S. L. : Oui, justement, beaucoup d’histoire contemporaine. Mais il y a un gros retrait du moderne. Tout ce qui est moderne porte une distance temporelle.

M. R. A. : Alors, le fait qu’il y ait vraiment beaucoup de travaux d’histoire contemporaine, n’est-ce pas le signe précisément de cette interrogation réflexive ?

S. L. : Je pense qu’on demande à l’historien ce qu’on demandait au médecin, c’est-à-dire une forme de thérapie, quelque chose qui passe pour un acte thérapeutique.

M. R. A. : On demande des consolations.

S. L. : Quand on remonte dans le temps, on s’adressait autrefois à l’astrologue... Mais on n’est plus dans le débat scientifique.

Alexandre Péraud : J’écoute votre débat un peu en huron parce que je suis littéraire et pas philosophe. En même temps, je me dis que ce que vous dites de la crise comme un état, et non plus comme moment, est-ce que cela ne revient pas régulièrement dans l’histoire ou en tout cas dans l’histoire de la modernité ? La période romantique se vit et s’énonce très clairement comme un état de crise permanent, avec cette idée qu’on est pris entre deux phases de néant et que le rapport de l’individu avec sa temporalité est typiquement le fait de cette première moitié du XIXe siècle : crise politique, crise économique, crise des disciplines aussi, crise de l’historiographie, etc… Est-ce que ce n’est pas quand même un moment nécessaire dans la pensée moderne et dans l’évolution moderne ? Je reconnais dans vos propos des choses qui ont été écrites par la génération romantique, et sur une durée qui va courir de 1825 à 1848, donc sur une durée longue, tout en vivant une époque qui, économiquement, est traversée de crises très profondes, très violentes, mais qui est globalement croissante. Donc avec un paradoxe là aussi, mais qui est vécu sur le mode de la crise et de la non-coïncidence à soi-même. Et ça, je pense que le rapport à la durée, de l’individu, les deux sont problématiques, mais le rapport à l’argent aussi, qui est sous-jacent, la découverte des virtualités de l’argent qui se fait dès cette époque-là et que nous revivons, participent à cette désynchronisation.

M. R. A. : Mais est-ce que le régime d’historicité était le même que celui que nous connaissons maintenant ? Je n’en suis pas sûre parce que c’est quand même à ce moment-là, au-delà même du courant romantique, que la notion de progrès s’est imposée. Il peut certes y avoir des éléments de complexité : chez les romantiques, on sait bien qu’il y a quelque chose de très nostalgique, par exemple l’exaltation du Moyen-Âge. En même temps, je pense que le régime d’historicité n’est pas le même que celui que nous connaissons maintenant. Vous parlez du courant romantique, mais au même moment, ou juste un peu avant, il faut voir la façon dont Hegel par exemple analyse la crise, c’est-à-dire, par rapport à une perspective qui est la réalisation de l’Esprit absolu, c’est-à-dire une grande philosophie de l’histoire habitée par le progrès. Donc ce retour sur soi se fait sur un régime d’existence historique qui n’est pas exactement le même que le nôtre.

A. P. : Oui, tout à fait, et il faut se méfier des comparaisons.

M. R. A. : Un peu plus tard Baudelaire développera sur la modernité des idées tout à fait différentes.

A. P. : Il faut savoir aussi ce qu’on met derrière le terme « romantique ». Hegel et Baudelaire sont dans le mouvement romantique.

M. R. A. : Oui, vous voyez qu’il n’y a pas d’univocité totale. Je me méfie beaucoup des comparaisons faciles. Je pense néanmoins que l’inflation de « La Crise » telle que nous la connaissons aujourd’hui, est quelque chose d’un peu inédit, qui répond à un changement de paradigme. La question, c’est de savoir si nous sommes dans l’accentuation paroxystique de quelque chose qui est déjà présent dans la modernité, ou bien si nous avons rompu avec ce régime d’historicité et d’existence. Est-ce qu’on est dans une exacerbation paroxystique de la modernité ou est-ce qu’on en est sorti ? Je pense que nous ne pouvons pas répondre à cette question. C’est la question du seuil d’époque à laquelle nous ne pouvons pas répondre car c’est notre présent.

A. P. : C’est pourquoi la comparaison historique est intéressante.

M. R. A. : Oui, mais la comparaison historique ne permet jamais de dire que les situations sont identiques. Elle permet surtout de nous garder de l’illusion d’une nouveauté radicale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Magali Fourgnaud, « Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes »Essais, 11 | 2017, 125-144.

Référence électronique

Magali Fourgnaud, « Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes »Essais [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 14 octobre 2020, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/3518 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.3518

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Auteur

Magali Fourgnaud

EA 4574 SPH. Université Bordeaux Montaigne
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