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Fictions de l’identité

Peut-on encore feindre de croire à une fiction ?

Du « pacte fictionnel » et des raisons de le transgresser
Alessandro Leiduan
p. 87-98

Résumés

Les romans d’Umberto Eco sont caractérisés par la rupture du « pacte fictionnel », c’est-à-dire par la transgression des conventions qui devraient régler l’attitude mentale (la « feintise ludique partagée ») de la société à l’égard de l’univers imaginaire d’un récit fictionnel. Ce faisant, Eco a vraisemblablement voulu empêcher ses romans de fonctionner comme un mécanisme de dissimulation de croyances illicites. Dans un contexte où les croyances officielles sont mises à mal du fait que la société est éduquée à n’avoir que des croyances instables, les récits fictionnels pourraient dévoyer leurs lecteurs en instillant, dans l’imaginaire collectif, des doses massives de mensonges. L’article étudie les stratégies narratives par lesquelles Eco essaie de « court-circuiter » ce type de réception aberrante.

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Texte intégral

1Y a-t-il une quelconque propriété sémantique, syntaxique, textuelle qui distingue un énoncé vrai d’un énoncé erroné, fictionnel ou mensonger ?

Il n’est pas malaisé de deviner la réponse que donnerait à cette question un narratologue d’obédience pragmatique : non, il n’y a aucune propriété de ce type permettant de distinguer les énoncés vrais, erronés, mensongers et fictionnels.

2Un énoncé n’est en lui-même ni mensonger, ni erroné, ni fictionnel, ni vrai, il le devient suivant le degré de crédibilité que l’énonciateur et l’énonciataire lui attribuent. Le mensonge, l’erreur, la fiction et la vérité ne sont donc pas des objets, mais des attitudes vis-à-vis d’un objet exprimant le degré d’adhésion épistémique de l’énonciateur et de l’énonciataire à l’égard de ce que l’objet en question signifie.

Un même énoncé peut ainsi être vrai, faux, mensonger ou fictionnel suivant l’attitude que le locuteur et la communauté à laquelle il appartient adoptent vis-à-vis de son contenu.

« Longtemps je me suis couché de bonne heure » sera :

(i) un énoncé vrai, si je crois à ce que je dis,

(ii) un énoncé erroné, si j’y crois, mais que personne d’autre à part moi, n’est prêt à faire la même chose (la non-adéquation d’une croyance avec les croyances partagées par l’ensemble de la société fait de la croyance en question une erreur)

(iii) un énoncé mensonger, si je n’y crois pas, mais que je veux faire adopter à mon interlocuteur cette fausse croyance

(iv) et enfin, un énoncé fictionnel, si je fais semblant d’y croire (comme le fait Proust au début de la Recherche).

3Il convient donc de distinguer le sens d’un énoncé des règles pragmatiques qui définissent l’attitude que la société doit entretenir avec le sens de l’énoncé en question. L’existence de ces règles nous empêche, en principe, de dire que mensonge, vérité, erreur et fiction pourraient avoir les mêmes effets sur la société, leur réception étant gouvernée par des règles pragmatiques différentes, instituant des rapports différents avec ce que ces énoncés signifient : un rapport de croyance absolue (vérité), de croyance nulle (erreur), de croyance simulée (feintise fictionnelle) et de croyance asymétrique et discordante (l’auteur d’un mensonge ne croit pas à ce qu’il dit, mais il espère que sa victime le fasse).

4Croire, ne pas croire, feindre de croire, espérer que les autres croient à ce que nous ne croyons pas, ce sont-là quatre attitudes antinomiques qui rendent a priori impossible de rapprocher les effets sociaux des vérités, des erreurs, des mensonges et des fictions.

Et cependant, que se passe-t-il, lorsque l’attitude d’un sujet à l’égard d’un énoncé supposé être un mensonge ou une erreur ou une vérité ou une fiction n’est pas ajustée à celle qui devrait caractériser la production et la réception de ces types d’énoncés ?

  • 1 Voir, à ce sujet : Roger Pouivet, Qu’est-ce que croire ?, Paris, Vrin, 2006.

5Ce serait une erreur de tenir pour négligeables ces cas de figures, qui ne sont pas si rares qu’on pourrait le croire1. La phénoménologie des attitudes humaines à l’égard du sens mobilisé par le langage est beaucoup plus complexe que ne le laissent entendre certaines taxinomies. Si l’on tient compte, non seulement de la rationalité, mais aussi de l’irrationalité qui caractérise l’agir humain, alors il n’y a rien qui puisse être considéré comme incompatible avec la recherche.

6C’est de situations de ce type que je voudrais m’occuper ici. Je prendrai notamment en considération les cas où le rapport entre les lecteurs d’un récit imaginaire ne se laisse pas ramener à la phénoménologie de la feintise ludique qui devrait caractériser la réception canonique d’une fiction.

  • 2 Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs. Paris, Grasset, 1996.

7Mon intérêt pour les fictions qui déclinent leurs effets sociaux dans des formes non-canoniques est lié à la lecture de certains essais théoriques qu’U. Eco a consacré à ce problème2. Mais c’est dans son œuvre narrative que je voudrais chercher un reflet de ce problème, car c’est justement dans les romans qu’il a écrits, que sa réflexion parvient à nous donner la mesure de la complexité des enjeux liés au destin social de ces œuvres imaginaires qui, tout en ayant été conçues et mises en circulation comme des fictions, finissent par fonctionner comme des genres narratifs d’une tout autre nature.

Les romans d’U. Eco et la rupture du « pacte fictionnel »

  • 3 Les romans en question sont : Le Nom de la rose (1982), Le Pendule de Foucault (1990), L’Île du jou (...)

8On dit que les écrivains se répètent, qu’ils ne savent raconter qu’une seule et même histoire (même s’ils s’aventurent à en écrire beaucoup), qu’ils ne font qu’essayer de réécrire leurs livres précédents sous couvert d’en écrire de nouveaux. C’est sans doute le cas d’U. Eco, auteur de six romans, tous, certes, fort différents, mais avec un nombre non négligeable de points en commun qui nous autorisent à porter sur eux un regard d’ensemble3.

  • 4 Les témoignages sont : les fichiers d’ordinateur que Causabon déchiffre pour reconstruire l’histoir (...)

9Le récit est confié à deux narrateurs différents : l’un reçoit (à l’écrit ou à l’oral) le témoignage de l’autre et, après l’avoir émondé de certaines parties, en entreprend le récit dans la version que découvre le lecteur du roman. Une même histoire est donc prise en charge par deux voix différentes : celle d’un narrateur témoin qui raconte à la première personne une aventure qu’il a directement vécue, et celle d’un narrateur éditeur qui reformule avec ses propres mots l’aventure qui lui a été racontée4.

Quelle est l’attitude des deux narrateurs vis-à-vis de l’histoire qu’ils racontent ? Et dans quelle mesure cette attitude est conforme à l’attitude qu’un narrateur devrait adopter pour transformer l’histoire qu’il raconte en fiction ?

  • 5 John Searle, « Le statut logique du discours de la fiction », in Sens et expression, Paris, Édition (...)

10Rappelons que la fiction n’est pas un objet, mais une attitude à l’égard d’un objet. « Il n’y a pas de propriété textuelle, syntaxique ou sémantique, disait John Searle, qui permette d’identifier un texte comme œuvre de fiction5 ». Ce qui transforme un texte dans une fiction, c’est la décision de celui qui l’écrit ou qui le lit de faire semblant de croire que tout ce que ce texte raconte est vrai (bien que tous les deux, l’auteur et le lecteur je veux dire, soient parfaitement conscients que rien n’est vrai et que tout a été inventé).

11Or, les deux narrateurs auxquels Eco confie le récit de ses romans adoptent vis-à-vis de l’histoire racontée deux attitudes opposées :

le narrateur témoin se montre crédule et ajoute foi à l’intégralité de l’histoire racontée, bien qu’il soit conscient d’en avoir lui-même inventée une partie considérable. Cette histoire comporte toujours, en effet, des faits inventés de toutes pièces par le narrateur lui-même, mais auxquels ce même narrateur finit par ajouter foi comme s’il s’agissait de faits réels. Relèvent de cette catégorie les exploits fabuleux qui étoffent le récit mensonger de Baudolino, les intrigues tissées par Simonini (Le Cimetière de Prague), le roman inventé par Roberto de la Grive pendant les longues années de captivité passées à bord d’un navire (L’île du jour d’avant), les « pages de feuilleton » écrites par Belbo et ses amis pour reconstruire le plan des Templiers (Le Pendule de Foucault). Naïfs au point même de ne pas être en mesure de distinguer ce qui est réel et ce qui est imaginaire, tous ces narrateurs tombent dans le piège de leurs propres mensonges.

  • 6 « Je suis plein de doutes », écrit, par exemple, le narrateur du Nom de la rose, dans la préface du (...)

le narrateur éditeur fait preuve de scepticisme, d’incrédulité, de méfiance absolue, non seulement parce qu’il doute de la vérité de ce que le narrateur-témoin lui raconte, mais parce que ses doutes vont au-delà de la limite qu’aucun narrateur ne devrait oser dépasser pour ne pas compromettre la « recevabilité fictionnelle » de l’histoire racontée6.

12Divergentes sur le fond, ces deux attitudes se rejoignent sur un point : elles sont déviantes par rapport à l’attitude qu’il est nécessaire d’adopter vis-à-vis d’un récit pour que celui-ci devienne une « fiction ». La fiction n’existe que si l’on feint de croire à l’histoire qu’elle raconte. Or, ici, les deux narrateurs sont incapables de « feindre de croire » : l’un parce qu’il est trop incrédule, l’autre parce qu’il est trop crédule. Tout roman repose sur un équilibre fragile entre crédulité et incrédulité, confiance et méfiance, naïveté et scepticisme. Dans les romans d’U. Eco, cet équilibre est précaire et, systématiquement, au cours du récit, il vole en éclats. Le non-respect du pacte qui devrait présider à la réception d’une œuvre romanesque est donc un effet de lecture volontairement provoqué par U. Eco qui livre à ses lecteurs une œuvre programmée pour court-circuiter l’usage social auquel, en tant que fiction, elle semble être destinée.

13Pourquoi les deux instances qui assurent la narration ne se plient-elles pas aux conventions culturelles qui permettent à une fiction d’être reçue en tant que telle ?

Essayons de le découvrir en nous intéressant aux faits racontés dans ces romans, car c’est par rapport à ces faits que les narrateurs adoptent des postures en décalage avec le protocole à respecter en matière de réception d’une œuvre fictionnelle.

Le complot comme racine de l’agir humain

  • 7 Tout roman n’est intelligible que si les faits qu’il raconte entretiennent une certaine corresponda (...)

14La caractéristique commune à l’ensemble des romans d’U. Eco est de se déployer dans un monde possible qui coïncide en partie avec le monde que nous avons été éduqués à considérer comme « réel ». Tous ses romans sont en effet assignables au genre du roman historique7. Mais, contrairement à d’autres romans historiques, leur ancrage dans l’Histoire n’est pas dû à la conformité entre la manière d’agir des personnages fictifs et la manière dont on peut s’imaginer que les personnes réelles se comportaient à l’époque où se déroule l’action romanesque. Le point d’intersection entre imaginaire et réel dans les romans d’U. Eco est plutôt à chercher du côté de la matière narrative, l’Histoire étant ici, non pas le simple décor de l’action, mais l’ingrédient principal de l’intrigue. Les aventures des personnages fictifs principaux de tous ses romans sont indissociables de celles des personnages historiques principaux : Baudolino est le fils adoptif de l’empereur Frédéric Barberousse, Roberto de la Grive a, dans L’Ile du jour d’avant, un long entretien avec Mazarin, Simone Simonini rencontre les partisans de Garibaldi, se retrouve à Paris durant la Commune, côtoie les grands noms de l’Histoire de son temps (Le Cimetière de Prague).

15On a donc affaire à des romans qui s’articulent autour d’une conception bien particulière de l’Histoire, une conception qui n’est plus hégémonique aujourd’hui, mais qui a longtemps façonné la doxa historiographique, au point d’incarner, dans l’imaginaire social, le paradigme même de la connaissance historique : l’histoire événementielle.

  • 8 Pour cette distinction, cf. Umberto Eco, Trattato di semiotica generale, Milano, Bompiani, 1975, p. (...)

16Malgré ce que pourrait laisser entendre son nom, cette conception de l’Histoire ne considère pas que toutes les occurrences événementielles de la réalité relèvent de l’Histoire. Un fait est historique si, et seulement si, nous pouvons reconnaître dans le fait en question la cause proche ou éloignée d’un changement radical de l’ordre existant. Le fait, par exemple, que Mussolini, le 28 octobre 1922 ait pu boire un café, n’est pas un fait historique (puisqu’il aurait pu boire une orangeade, sans que, dans les deux cas, le destin politique de l’Italie en fût affecté). Mais le fait que, ce même jour, un cortège de chemises noires aient pu défiler dans les rues de Rome pour réclamer le pouvoir, est bel et bien un fait historique : la « marche sur Rome » marque le début de la dictature fasciste en Italie8.

17En tant qu’expression de l’ensemble des institutions qui maintiennent la société dans un ordre déterminé, la dimension politique est l’horizon indépassable de l’histoire événementielle. Dans le cadre de cet horizon, seuls les faits qui renversent l’ordre établi sont significatifs : guerres, révolutions, meurtres, émeutes, attentats… Envisagée d’un point de vue « événementiel », l’Histoire ressemble alors à un théâtre des horreurs dans lequel les hommes semblent condamnés à s’affronter inlassablement dans des combats sanglants et irrationnels.

18En est-il ainsi dans les romans d’U. Eco ?

Oui, sauf qu’ici les guerres, les meurtres, les attentats et tous les autres ingrédients typiques d’un roman historique résultent d’un type d’action un peu spécial, qui se déroule dans les coulisses du grand théâtre de l’Histoire : le complot. Relue à la lumière des romans d’Eco, l’Histoire apparaît en effet comme un tissu d’innombrables complots. Dans le Cimetière de Prague, Eco raconte l’histoire d’un faussaire invétéré qui, hanté par l’idée d’un complot juif pour anéantir la chrétienté, use de toute son ingéniosité pour jeter le discrédit sur les Juifs et parvient enfin à ses fins en rédigeant l’évangile de l’antisémitisme moderne, Les protocoles des Sages de Sion, qui servira ensuite de pièce maîtresse aux persécutions contre les Juifs, décidées par Hitler. Dans le roman Baudolino, Eco nous raconte l’histoire d’un fils de paysans, qui prétend être le fils adoptif de l’empereur Frédéric Barberousse ainsi que l’inspirateur de tous les principaux événements de l’Histoire de son temps. Dans Le Pendule de Foucault, trois amis prétendent connaître les détails d’un Plan ourdis par les Templiers pour conquérir le monde. Tous les événements historiques racontés dans les romans d’Eco se présentent donc aux lecteurs sous la forme d’un complot.

19Que penser de ces réécritures conspirationnistes de l’Histoire ? Admettre l’existence d’un complot à l’arrière-plan de tous les événements historiques, ne revient-il pas à insinuer que le récit de l’historiographie officielle n’est pas fiable et que les choses qu’il nous cache sont plus nombreuses que celles qu’il nous dévoile ?

  • 9 Tout récit historiographique ne prend sens que par rapport à une philosophie de l’histoire, c’est-à (...)
  • 10 Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

20Le propre de toute théorie conspirationniste est de nous faire croire que nous sommes empêtrés dans le mensonge et qu’il va falloir se débarrasser de tout ce qu’on croit savoir pour être dignes de recevoir la révélation de la vérité secrète qu’on nous a toujours cachée (le complot). En l’occurrence, ce qu’on croit savoir correspond à tout ce que la vulgate historiographique officielle nous a appris sur la façon dont évoluent les sociétés humaines : les conflits, les guerres, les révolutions et les autres épisodes violents qui caractérisent l’histoire des sociétés humaines seraient l’expression, impétueuse et véhémente, du désir de l’humanité de vivre dans un monde plus juste et plus libre9. Selon ce schéma d’explication, les systèmes politiques qui s’effondrent sont remplacés par des systèmes plus respectueux des besoins les plus profonds et les plus fondamentaux de tout être humain. De système en système, la société s’organise autour d’un modèle politique de plus en plus en accord avec ses propres aspirations politiques. L’avènement d’un État constitutionnel de type démocratique, plaçant sous l’égide de ses lois les libertés individuelles, représente une étape cruciale (voire même l’aboutissement)10 du développement historique des sociétés humaines. Il n’a donc été possible de donner un sens au devenir historique qu’en postulant, au fondement de celui-ci, l’idée de progrès.

21Or, l’idée du complot contredit manifestement ce schéma d’explication. On ne peut croire au complot comme moteur de l’Histoire que si l’on ne voit dans les événements qui ont préparé l’avènement des démocraties modernes qu’une sorte de mascarade visant à rendre plus invisibles encore qu’elles ne l’étaient déjà auparavant les formes conspirationnistes à travers lesquelles se manifeste l’essence sempiternelle et immuable du pouvoir. Le terminus ad quem de l’évolution historique n’est pas l’instauration de la démocratie, mais le rétablissement d’un ordre inaltérable qui se reproduit sans cesse à l’identique depuis des temps immémoriaux, tout en entretenant la société dans l’illusion de vivre dans un monde en mutation perpétuelle et, surtout, en constante amélioration.

  • 11 Ce n’est pas par hasard si la première théorie du complot a vu le jour au lendemain de la Révolutio (...)

22Réécrire l’histoire en termes de complot signifie donc renier implicitement toute idée de changement, de progrès, voire même de démocratie11.

C’est par rapport à une conception événementielle de l’Histoire qui reconnaît dans le complot la racine de l’agir humain qu’il faut interpréter la décision d’Eco de court-circuiter les effets de la fiction.

Y a-t-il une légitimation à l’existence sociale de la fiction qui ne soit pas d’ordre esthétique ?

23Éduqués à envisager l’impact social de la fiction en termes esthétiques, l’idée que les fictions pourraient servir à autre chose qu’à nous procurer du plaisir ne nous effleure même pas. S’il nous semble opportun de nous poser cette question, c’est que les enjeux de la démarche d’Eco dépassent la sphère esthétique. N’y a-t-il donc vraiment aucune autre justification à l’existence sociale de la fiction que celle que l’esthétisme ambiant lui attribue ?

  • 12 Aristote présente l’homme comme un être essentiellement incomplet. Les autres animaux n’ont pas bes (...)
  • 13 Léo Strauss, Pensées sur Machiavel, Paris, Payot, 1982.

24Les anciens Grecs en étaient persuadés. Aristote, par exemple, ne savait concevoir la légitimité de la fiction qu’en termes d’utilité sociale. Le critère auquel était subordonnée, selon lui, la recevabilité sociale d’une œuvre fictionnelle n’était pas l’intensité du plaisir qu’elle était à même de nous procurer, mais les bienfaits que la société pouvait escompter d’elle. Comme tous les Grecs, Aristote était obsédé par l’idée de la décomposition sociale : l’écroulement d’une société lui semblait un fait dramatique, non seulement du point de vue de l’entité collective que cette société incarnait, mais du point de vue de chaque individu isolé, dès lors qu’il ne pouvait y avoir, selon lui, d’individu heureux que dans le cadre d’une communauté12. Dans la Politique, il s’est ainsi intéressé aux causes des révolutions et aux raisons qui font qu’un certain type de régime se transforme en un autre. Aristote croyait qu’aucun régime politique ne pouvait satisfaire vraiment l’homme et que cette insatisfaction permanente poussait les hommes à changer perpétuellement de régime, dans un cycle sans fin13. La fiction participe, à ses yeux, des moyens qui peuvent contribuer à ralentir la dégénérescence inévitable d’un régime politique. C’est à la lumière de ses préoccupations politiques qu’il convient de lire les passages, très connus, de la Poétique, où il est question des effets de la fiction sur la société : la purgation des passions que la tragédie réaliserait est fonctionnelle à la préservation de l’unité sociale (les passions qu’elle « purge » sont justement celles qui risquent de porter préjudice à la vie de la société et de précipiter sa décomposition). Le dramaturge met en scène des actes contraires à la loi de la Cité (inceste, matricide, parricide, etc.) dans le but d’empêcher à tout membre de la Cité de devenir un émule d’Œdipe, d’Oreste, de Phèdre, c’est-à-dire une menace potentielle pour ses semblables. Ce faisant, le dramaturge contribue à préserver la cohésion sociale.

  • 14 Pour cette notion, voir : Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, 1999.
  • 15 C’est le principe de l’« inexemplarité » de la littérature défendu par V. Jouve dans article consac (...)
  • 16 La comparaison de la littérature à un « narcotique » se retrouve déjà chez le philosophe italien An (...)
  • 17 On pourrait interpréter dans ce sens l’effet de suspension du rapport entre le langage et la réalit (...)

25Ce qui permet à la fiction de fonctionner comme un dispositif de sauvegarde de l’unité sociale, c’est qu’elle ne peut s’instituer, en tant que pratique culturelle, que si la société adopte, vis-à-vis d’elle, une attitude mentale très spéciale, à mi-chemin entre le fait de croire fermement à quelque chose et le fait de ne pas y croire (tout aussi fermement) : la feintise14 (présupposé de tous les comportements ludiques, non sérieux, de l’existence). C’est en encourageant les destinataires d’une fiction à ne pas adhérer totalement aux signifiés mobilisés par une œuvre imaginaire (mais sans les pousser à ne pas y adhérer du tout), que les genres fictionnels arrivent à exercer une action régulatrice sur les comportements sociaux. Le fait d’adhérer ou de ne pas adhérer à une croyance a, en effet, d’importantes répercussions sur le plan des comportements socialement observables, dans la mesure où il est impossible d’agir (librement et sans contrainte) en fonction de ce à quoi l’on ne croit pas. Les paramètres de tout type d’action libre étant réglés sur ce à quoi l’on croit (et non pas sur ce à quoi l’on fait seulement semblant de croire), le fait d’inciter la société à feindre de croire à ce qu’on lui signifie par le biais d’un roman ou d’une autre œuvre fictionnelle (et non pas à y croire vraiment) a pour effet d’inhiber le penchant humain pour l’action. Le propre de la fiction est, en effet, de concourir indirectement à décrédibiliser les comportements sociaux auxquels ses contenus font référence. Si les formes à travers lesquelles se déploient les comportements observables dans la vie sociale ne ressemblent pas à celles qui sont représentées dans un roman15, ce n’est pas nécessairement parce que les comportements romanesques ne pourraient pas être réinstanciés dans la vie réelle, mais parce que la fiction a la propriété d’agir sur la société comme un puissant narcotique16, grippant le mécanisme qui relie, comme un effet à sa cause, certains comportements à certaines représentations mentales auxquelles on croit fermement17. La vie sociale s’est donc déployée à travers des formes qui sont antithétiques à celles qui ont été représentées dans les romans, les films, les pièces de théâtre, la fiction ayant contribué à dissoudre toutes les croyances et à conjurer tous les comportements qui ne sont pas compatibles avec la préservation de l’ordre social existant.

26Pourquoi alors, si la fiction a le pouvoir de neutraliser les croyances qui pourraient polluer la vie sociale, Eco n’a-t-il pas voulu respecter les conventions qui auraient permis à ses romans de fonctionner comme des fictions ?

En inscrivant la théorie du complot dans la trame de tous ses romans, Eco avait la possibilité de dissoudre le pouvoir de séduction de cette théorie sur l’imaginaire de ses lecteurs : il n’avait, pour cela, qu’à respecter les conventions culturelles qui règlent la réception sociale d’une œuvre fictionnelle (le simple fait de demander à ses lecteurs de feindre de croire à ses reconstitutions conspirationnistes de l’histoire occidentale aurait suffi à les détourner de la tentation de s’abreuver à la source polluée du conspirationnisme pour étancher leur soif de vérité historique).

  • 18 N’oublions pas que la théorie du complot a pu servir de fondement à plusieurs types de conspiration (...)

27Ce faisant, il aurait ajusté les effets escomptables de la lecture de ses romans aux finalités « politiques » (et non pas uniquement esthétiques) qui président à l’existence sociale d’une fiction : sevrer l’imaginaire collectif de son addiction à toutes les croyances illicites qui circulent dans la société et conjurer les conduites sociales qui pourraient leur être associées (s’il est vrai que tout comportement prend appui sur des croyances fermes et que le fait d’infléchir une croyance dans un sens fictionnel a pour effet d’inhiber le passage à l’acte)18.

28Le problème est qu’U. Eco a choisi d’écrire des romans qui mettent systématiquement en échec le « pacte fictionnel », c’est-à-dire l’ensemble des conventions qui permettent à une œuvre imaginaire de fonctionner comme une fiction.

Le moment est venu d’essayer d’expliquer ce choix apparemment incompréhensible.

Du « pacte fictionnel » et des raisons de le transgresser

29Les possibilités d’existence d’une œuvre fictionnelle sont subordonnées à la capacité du public d’adopter vis-à-vis du sens qu’elle mobilise une attitude épistémique adéquate : la feintise ludique.

On sait pourtant que feindre de croire à une fiction n’est possible que s’il y a des choses plus crédibles que celles auxquelles on nous demande de croire. Lorsqu’on lit un roman, par exemple, il ne faut pas être tentés de considérer les choses auxquelles le narrateur nous demande de feindre de croire plus crédibles encore que celles auxquelles la société nous prescrit de croire. Pourrions-nous feindre de croire aux aventures d’un Rastignac, d’un Julien Sorel, d’un Raskolnikov, si nous doutions un seul instant de la nature imaginaire de ces personnages ? Le doute ne profite pas à la fiction qui ne peut surgir que si l’on a une perception claire de ce qui peut être cru et de ce qui ne peut pas l’être.

30Sommes-nous en train de dire que la société contemporaine a perdu la capacité de discerner le réel de l’irréel, le factuel du fictionnel ?

Une chose est certaine : la critique à laquelle la pensée moderne a soumis, depuis le XVIIIe siècle, toute forme de préjugé, d’opinion dogmatique, d’évidence illusoire, a favorisé la diffusion progressive d’un relativisme épistémologique qui a fini par obscurcir le sens des termes auxquels le lexique de notre langue attribue la fonction de signifier les choses auxquelles nous croyons : réalité, vérité, certitude, etc. Qu’y a-t-il, en effet, de plus flou et de plus controversé, pour nous, que le sens auquel renvoient les termes qu’on vient de citer ?

31Dans un contexte où nous n’arrivons plus à croire à grand-chose, il n’est donc pas impossible que ce à quoi nous devrions seulement faire semblant de croire nous paraisse plus crédible que ce à quoi nous devrions croire vraiment.

Comment alors, la fiction pourrait-elle concourir à sevrer la société des croyances inappropriées, si ce à quoi elle nous demande de feindre de croire est à peine moins crédible que ce à quoi la société est sommée de croire ?

32Si aucun sevrage de ce type n’est escomptable d’une fiction, si nous ne pouvons plus escompter d’elle, qu’elle nous rende moins vulnérables aux séductions de l’irréel (les croyances illicites) et plus dociles aux injonctions du réel (les croyances licites), il ne s’ensuit pas que ses effets sur la société ne soient pas interprétables d’un point de vue « politique ». Ce qui a l’air d’être un désaveu de la fonction politique de la fiction n’est, en fait, qu’une inversion de tendance : au lieu d’empêcher tout retour de flamme de la société pour des croyances déchues (par exemple, la théorie du complot), la fiction crée les conditions pour réinsérer clandestinement ces mêmes croyances dans le champ des choses susceptibles de façonner la manière de penser et d’agir de la société. La fiction fonctionne, en d’autres termes, comme un mécanisme de dissimulation de croyances illicites.

33Feindre de croire à quelque chose n’implique pas toujours qu’on croit à quelque chose d’autre. Paradoxalement, cela peut vouloir dire que ce à quoi on croit vraiment est exactement ce à quoi on fait semblant de croire. Je feins de croire à ce qu’on me raconte dans les romans, mais, en réalité, je me comporte ainsi uniquement parce qu’il ne m’est pas permis de faire autrement dans un contexte où certaines formes de croyances ne sont pas admises. Je feins donc (devant les autres) de croire à quelque chose auquel je crois vraiment, en attendant qu’il soit possible d’y croire sans avoir recours à aucun subterfuge. La fiction offre ainsi la possibilité à tous ceux qui succombent aux croyances qu’elle mobilise de dissimuler leurs croyances sous les faux semblants d’une incrédulité de façade compatible avec l’attitude à respecter en la matière. La fiction fonctionne ainsi comme un alibi pour ceux qui partagent des croyances illicites. Son existence sociale n’est pas fonctionnelle à la défense des croyances existantes, mais à la préservation, sous forme de secret, des croyances qui n’ont plus droit à exister.

34C’est la prise de conscience de cet infléchissement réactionnaire de l’impact des fictions sur la société qui a probablement amené U. Eco à transgresser, dans chacun de ses romans, les règles du « pacte fictionnel » et à privilégier un type d’écriture qui semble programmé pour court-circuiter le nouvel usage social auquel l’écriture romanesque doit désormais se conformer.

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Bibliographie

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Searle, J., « Le statut logique du discours de la fiction », in Sens et expression, Paris, Éditions de Minuit, 1982.

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Notes

1 Voir, à ce sujet : Roger Pouivet, Qu’est-ce que croire ?, Paris, Vrin, 2006.

2 Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs. Paris, Grasset, 1996.

3 Les romans en question sont : Le Nom de la rose (1982), Le Pendule de Foucault (1990), L’Île du jour d’avant (1996), Baudolino (2002), La Mystérieuse Flamme de la reine Loana (2005), Le Cimetière de Prague (2010), tous publiés, en France, chez l’éditeur Grasset.

4 Les témoignages sont : les fichiers d’ordinateur que Causabon déchiffre pour reconstruire l’histoire de Belbo dans Le Pendule de Foucault, le manuscrit de Roberto de la Grive dans L’Île du jour d’avant, le récit autobiographique de Baudolino dans le roman homonyme, le journal de Simone Simonini dans Le Cimetière de Prague, la chronique d’Adso da Melk dans Le Nom de la rose.

5 John Searle, « Le statut logique du discours de la fiction », in Sens et expression, Paris, Éditions de Minuit, 1992, p. 109.

6 « Je suis plein de doutes », écrit, par exemple, le narrateur du Nom de la rose, dans la préface du roman. « Je ne sais vraiment pas pourquoi je me suis décidé à prendre mon courage à deux mains pour présenter comme s’il était authentique le manuscrit d’Adso de Melk » (Le Nom de la rose, p. 15). Quant au narrateur du Pendule de Foucault, il laisse ainsi entendre à ses lecteurs que tout ce qu’ils ont lu pourrait avoir été écrit dans le seul but de se moquer d’eux : « Il est impossible, diraient-ils, que ce type n’ait fait que nous raconter qu’il se jouait de nous. » (Le Pendule de Foucault, p. 647-648). Celui de Baudolino revendique le statut de « menteur » : « Ne te crois pas l’unique auteur d’histoire en ce monde. Tôt ou tard, quelqu’un, plus menteur que Baudolino, la racontera. » (Baudolino, p. 665). Celui de l’Île du jour d’avant reconnaît avoir fait semblant de raconter la vérité : aveu incompatible avec les règles du jeu fictionnel : « où, certes, on fait semblant de raconter des choses vraies, mais on ne doit pas dire sérieusement qu’on fait semblant. » (L’île du jour d’avant, p. 205).

7 Tout roman n’est intelligible que si les faits qu’il raconte entretiennent une certaine correspondance avec les faits qui arrivent, sont arrivés ou pourraient arriver dans le monde « réel ». Cette correspondance est, dans la plupart des cas, de type « analogique » : le roman met en scène des faits qui ne sont jamais arrivés, parfois même des faits qui ne pourraient jamais arriver, mais le sens des faits en question demeure intelligible aux lecteurs grâce à une analogie formelle entre ce qu’on raconte et la perception sociale de la réalité. Qu’est-ce qui caractérise le roman historique par rapport aux autres romans ? C’est que, dans ce type de roman, il n’y a pas un rapport d’hétérogénéité absolue, mais d’homogénéité partielle entre le monde imaginaire et le monde réel : parmi les faits mentionnés, il y en a certains qui sont arrivés réellement. Entre réel et imaginaire, il n’y a donc pas hétérogénéité absolue, mais homogénéité partielle.

8 Pour cette distinction, cf. Umberto Eco, Trattato di semiotica generale, Milano, Bompiani, 1975, p. 212.

9 Tout récit historiographique ne prend sens que par rapport à une philosophie de l’histoire, c’est-à-dire par rapport à un schéma d’explication sensé du développement général des sociétés humaines. Ce schéma présuppose que la succession continuelle de guerres et de cruautés caractérisant l’agir humain à travers les siècles obéirait à une logique rationnelle dont le but final serait d’instaurer la liberté sur terre. C’est à l’intérieur de cet horizon de sens, théorisé par la philosophie idéaliste allemande, en particulier par Kant et Hegel, que l’historiographie moderne a décliné son discours.

10 Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

11 Ce n’est pas par hasard si la première théorie du complot a vu le jour au lendemain de la Révolution française, le fait historique qui a inauguré l’ère démocratique de l’histoire occidentale. Il s’agit des Mémoires pour servir à l’histoire du Jacobinisme, écrites en 1798 par l’abbé Augustin Barruel : la Révolution française y est décrite comme le résultat d’un complot organisé par la franc-maçonnerie française et les Illuminés de Bavière.

12 Aristote présente l’homme comme un être essentiellement incomplet. Les autres animaux n’ont pas besoin de s’associer pour subvenir à leurs besoins et peuvent donc vivre « hors cité », mais ce n’est pas le cas de l’homme. L’homme est donc le plus politique des animaux. « C’est pourquoi il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire ». Aristote, Les Politiques, I, 2, 125 3a 9-1253a12, Paris, Flammarion, 1990, p. 90-92.

13 Léo Strauss, Pensées sur Machiavel, Paris, Payot, 1982.

14 Pour cette notion, voir : Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, 1999.

15 C’est le principe de l’« inexemplarité » de la littérature défendu par V. Jouve dans article consacré au questionnement de la vocation « exemplaire » que l’on prête souvent à la littérature. Cf. Vincent Jouve, « Quelle exemplarité pour la fiction ? » in Emmanuel Bouju, Alexandre Gefen, Guiomar Hautcoeur et Marielle Macé (éd.) Littérature et exemplarité, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 239-247.

16 La comparaison de la littérature à un « narcotique » se retrouve déjà chez le philosophe italien Antonio Gramsci, dans une page célèbre de ses Cahiers de prison. Cf. Antonio Gramsci, Letteratura e vita nazionale, Roma, Editori riuniti, 1971, p. 141.

17 On pourrait interpréter dans ce sens l’effet de suspension du rapport entre le langage et la réalité que Searle considère constitutif de l’essence de la fiction : « Si nous nous représentons les conventions qui portent sur la signification des éléments linguistiques comme des conventions établies verticalement reliant les phrases à la réalité, il est alors préférable de se représenter les conventions tacites du discours de la fiction comme des conventions établies latéralement ou horizontalement, transposant pour ainsi dire le discours hors du monde de la réalité » (c’est moi qui souligne). Cf. John Searle, Les Actes de langage, Paris, Hermann, 1972, p. 123. Voir aussi, cet autre passage, tiré d’un autre ouvrage : « [Il existe] des règles qui mettent en corrélation des mots (ou des phrases) avec le monde. Concevons-les comme des règles verticales qui établissent des connexions entre le langage et la réalité. Or, ce qui rend possible la fiction, dans l’hypothèse que je suggère, est un ensemble de conventions extralinguistiques, non sémantiques, qui rompent la connexion entre les mots et le monde telle qu’elle est établie par les règles évoquées plus haut. Concevons donc les conventions du discours de fiction comme un ensemble de conventions horizontales qui rompent les connexions établies par les règles verticales. Elles suspendent les réquisits normaux établis par ces règles. […] Les illocutions feintes qui constituent une œuvre de fiction sont rendues possibles par l’existence d’un ensemble de conventions qui suspendent l’opération normale des règles reliant les actes illocutoires et le monde. », John Searle, Sens et expression, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 110.

18 N’oublions pas que la théorie du complot a pu servir de fondement à plusieurs types de conspiration : contre les Juifs, les lépreux, les francs-maçons, etc.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alessandro Leiduan, « Peut-on encore feindre de croire à une fiction ? »Essais, 11 | 2017, 87-98.

Référence électronique

Alessandro Leiduan, « Peut-on encore feindre de croire à une fiction ? »Essais [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 14 octobre 2020, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/3447 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.3447

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Auteur

Alessandro Leiduan

Université de Toulon. Babel, 2649. ERIS (Equipe de Recherche Interdisciplinaire en Sémiotique)
alessandro.leiduan@univ-tln.fr

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