La fiction de l’adolescence comme quête du moi et critique du fascisme : Les Indifférents d’Alberto Moravia
Résumés
En 1929 paraît le premier roman d’Alberto Moravia, Gli Indifferenti, alors que la dictature fasciste est à son apogée. Cette fiction, amorale à souhait, interroge effrontément les dérives d’une époque en crise imposant à tous un conformisme identitaire calqué sur l’image glorieuse du « Duce ». Michel et Carla, deux adolescents en quête d’une définition honnête d’eux-mêmes, incarnent ce questionnement par leurs hésitations et leur doute existentiel.
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La fiction de l’adolescence comme quête du moi et critique du fascisme : Les Indifférents d’Alberto Moravia
- 1 Alberto Moravia, Les Indifférents, date de publication originale 1929. Ici, Paul-Henry Michel (trad (...)
- 2 Cette comparaison est celle que fait Mario Soldati dans un article qu’il rédige à propos du film qu (...)
- 3 René de Cecccatty, Alberto Moravia, Paris, Flammarion, « Grandes Biographies », 2010, p. 87.
- 4 Cette critique est celle de Margherita Sarfatti, femme de lettre mondaine et maîtresse de Mussolini (...)
- 5 René de Ceccatty résume avec cette formule l’appréciation générale qui se dégage des critiques paru (...)
- 6 Moravia fait notamment référence à la revue littéraire La Ronda, marquée par un formalisme réaction (...)
- 7 Idem.
- 8 Matteotti était un député socialiste, il dressa en 1924 à la chambre des députés un réquisitoire co (...)
- 9 Ce discours, au cours duquel Mussolini prononce la phrase désormais célèbre (« Si le fascisme a été (...)
- 10 Également appelées Lois de défense de l’Etat, elles achèvent de supprimer toute trace de liberté en (...)
- 11 Nous utilisons volontairement ce terme en référence à un autre roman de Moravia, La Désobéissance/L (...)
- 12 L’empreinte de la religion est d’autant plus sensible en 1929 que sont signés les Accords du Latran (...)
1« Carla entra1 ». La phrase est excessivement courte et d’une mordante efficacité, c’est la première phrase des Indifférents ; premiers mots qui sont aussi les premiers pas de Moravia en littérature2, il a à peine dix-sept ans en 1929 et nombreux sont ceux qui remarquent l’autorité avec laquelle s’ouvre le premier roman d’un si jeune écrivain. Le succès est retentissant. La rumeur est d’ailleurs telle autour des Indifférents que cet adolescent italien qui s’essaie à l’écriture se retrouve hissé aux côtés des « Joyce, Gorki, Tchékov, Dostoievski, Benjamin Constant3 ». En des temps de censure féroce alors que le fascisme est à son apogée dans l’Italie des années 30, on ne peut que s’étonner de ce panthéon dans lequel la critique place Moravia et de ce qu’un livre fasse autant de bruit. D’où vient que la rumeur est si forte et que les intellectuels s’agitent ainsi autour de ce roman ? La « déconcertante immoralité4 » et le « moralisme amoral5 » du roman marquent tout particulièrement les esprits et secouent avec violence les bonnes consciences habituées à une littérature que Moravia lui-même qualifie de « castrée6 » sous le fascisme, une littérature dont les ambitions « collaient parfaitement à celles, névrotico-répressives, du régime7 ». Aux antipodes du fantasme d’ordre excessif dans lequel se complaît la dictature mussolinienne et qu’elle assoit solidement, coup sur coup, par l’assassinat de Matteotti en 19248, le discours prononcé le 3 janvier 19259 et les « lois fascsitissimes » votées en 192610, Moravia choisit la désobéissance11. Les Indifférents donne à voir un univers chaotique, régi par le paraître et le mensonge, soumis à l’anarchie des pulsions, qu’elles soient sexuelles ou meurtrières. La complète déchéance de la famille Ardengo qui se laisse aller aux pires vices salit allègrement la belle image de la famille italienne chrétienne véhiculée par la propagande du régime12 et tourne le dos à une époque rongée par l’obéissance aveugle et la violence du conformisme. Le parti pris d’un univers amoral dans les Indifférents entrave les ambitions politiques et culturelles policées de l’époque, les bousculent, et en s’inscrivant de manière scandaleuse dans un contexte uniformisé, le roman de Moravia invite à la réflexion.
- 13 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 275.
2Qui sont, en effet, ces « indifférents » et comment interrogent-ils leur époque ? Michel et Carla sont deux adolescents, frère et sœur appartenant à la famille Ardengo, accaparés par une quête d’eux-mêmes qui les mènera à se connaître et à se comprendre. Or s’il peut y avoir une forme d’évidence à dire de l’adolescence qu’elle est l’âge de la recherche de soi, pour Michel et Carla il n’en est rien. La foi en une identité authentiquement élaborée, la liberté de douter quant à la construction de leur moi sont autant de combats que mènent Michel et Carla pour ne pas céder à la tentation de se définir par le mensonge, indifféremment, comme tous les autres, et pour ne pas se laisser aller à la fausseté de leur milieu. Dans un univers peuplé d’identités fausses et creuses qui s’agitent comme autant de pantins, il s’agit pour les adolescents de lutter pour se construire malgré tout ou du moins en dépit de ce qui est à portée de main, facile, séduisant. Marie-Grâce et Léo – la mère et l’amant – acculent les adolescents, les poussent à calquer leur identité sur les leurs, à s’identifier à leurs valeurs scandaleuses, à se construire à leur image. Ne sont-ils pas en effet les modèles identitaires tout désignés ? La mère et le père de substitution ? Mais Michel et Carla opposent à ce conformisme jugé honteux, d’autant plus asphyxiant que l’intrigue se déroule à huis clos, une indifférence et un refus désarmants dont ils ne sont pas toujours maîtres. C’est tout l’enjeu de leur construction identitaire que d’assumer ce refus en tant que tel et en leur nom. Par la révolte de ces adolescents, Moravia ouvre un espace à la réflexion sur l’élaboration de soi en tant que sujet libre et agissant, qui est très précisément la réflexion dont son époque est privée. Comment ne pas voir en effet en Michel et Carla, en leur rejet d’une rigueur identitaire, le questionnement effronté lancé par la littérature aux années de fascisme ? Pour fictive qu’elle soit, la fable moravienne ne peut manquer d’évoquer cette autre fable, celle du « chef omnipotent et infaillible […] une sorte de demi-dieu transcendant auquel on ne peut qu’obéir aveuglément puisque le slogan répété sur tous les murs italiens affirme : Mussolini ha sempre ragione, "Mussolini a toujours raison13" ». En ces années, Mussolini est le « Duce », le père spirituel de tous les Italiens, repère absolu de la construction des jeunes générations soumises à un puissant matraquage idéologique. La crise identitaire, adolescente, que traversent Michel et Carla se veut le reflet dans le champ de la fiction d’une autre crise, celle-là bien réelle : celle de l’Italie pendant les années glorieuses du fascisme, années qui voient tous les repères – politiques, démocratiques, moraux, éducatifs et tant d’autres – aspirés par un seul homme, une époque écrasée par l’hypertrophie du moi mussolinien, enfin des temps qui mettent en péril toutes les valeurs sur lesquelles s’élabore traditionnellement la construction de soi. Le dispositif fictionnel permet à Moravia un détour par l’histoire de deux adolescents sceptiques pour questionner indirectement, en littérature, les faits d’une époque devenue « fabrique d’individus » obéissants et stéréotypés.
Une histoire de famille : le détour par la fiction
- 14 Pour plus de détails sur l’historique de la publication du roman et les conséquences sur la vie de (...)
3C’est uniquement parce qu’il bénéficie de son statut de romancier débutant que Moravia ne voit pas son roman censuré en 1929. La rumeur grandissante de l’engouement des milieux intellectuels ne tarde pas à entraîner une interdiction des réimpressions ; l’auteur devient persona non grata14. Malgré cette répression in extremis, Les Indifférents troublent la surface lisse de la littérature d’alors. Moravia le remarquera lui-même des années plus tard, en 1988, avec l’éclat et l’audace qui le caractérisent toujours :
- 15 Moravia se confie à l’écrivain Ferdinando Camon dans Nord-Est, n° 4, Garzanti, avril 1988 (« Contre (...)
Les Indifférents furent accueillis par un succès énorme, et prirent à contrepied le fascisme même qui jusqu’alors ne s’était jamais occupé de livres, parce que les livres ne se vendaient pas en Italie. […] Il y avait des années et des années que ne se vérifiait pas un succès comme le mien15.
- 16 René de Ceccatty, ibid., p. 94.
Il poursuit de plus belle « déplorant le formalisme réactionnaire dominant de la littérature de ces années-là, autour de la revue La Ronda16. » Un formalisme, dit-il :
- 17 Entretien avec Ferdinando Camon, ibid., p. 21.
[…] qui s’était coupé les couilles et qui avait préparé le fascisme. Quand le fascisme advint, la littérature italienne était déjà alignée sur des positions si conservatrices ou si désespérées qu’il n’y avait plus rien ni à supprimer ni à contrôler. […] C’étaient des années de rhétorique et d’attente. Les Indifférents, en un certain sens, furent la sonnette d’alarme : mon roman fit comprendre que l’attente allait finir et que la littérature pouvait poser des problèmes17.
- 18 Les frères Carlo et Nello Rosselli, des activistes, journalistes et théoriciens d’un socialisme lib (...)
- 19 René de Ceccatty, op. cit., p. 124.
- 20 Ibid., p. 124.
- 21 Pour voir l’analyse complète de Guido Bonsaver, Censorship and Literature in Facist Italy, Universi (...)
- 22 Ibid., p. 124-125.
4Le roman de Moravia, ici assimilé à une « sonnette d’alarme » et investi de la capacité à « poser des problèmes », permet de penser la littérature comme outil de l’étonnement et lieu de la révolte dans une époque troublée. La force de cette prise de position moravienne permet assez de comprendre pourquoi Les Indifférents fut rapidement pressenti par le régime comme une menace. Et pourtant, en dépit de ce que l’aplomb de cette déclaration pourrait laisser penser, ce n’est pas par une critique frontale que Les Indifférents prennent à contrepied le fascisme, mais par le détour qu’autorise la fiction. On ne trouve aucune allusion directe au contexte politique de l’époque dans le roman, le fascisme y est pour ainsi dire invisible. Bien que Moravia ait eu dès son plus jeune âge et pendant la majeure partie de sa vie des liens d’amitié et de famille avec des figures symboliques de l’antifascisme18, René de Ceccatty note très justement que « l’antifascisme de Moravia est une étiquette qui lui a été collée à cause du contenu jugé “morbide et amoral” de son roman19 », pointant ainsi du doigt que les prises de position de l’auteur se font exclusivement de manière détournée, dans et par la fiction, plutôt que de manière frontale en tant « qu’agitateur20 ». On peut aller plus loin encore dans cette distinction en convoquant la critique que le « Duce » en personne aurait donnée des Indifférents, ainsi que le commentaire qu’en fait Guido Bonsaver dans un ouvrage récent21 : Mussolini aurait défini le roman de Moravia comme « obscènement bourgeois et antibourgeois en même temps », ce qui, selon Guido Bonsaver qui le cite, lui aurait « puissamment révélé l’existence d’un monde d’antifascisme passif »22.
5Les personnages « obscènement bourgeois » qui portent l’intrigue des Indifférents ne sont pas les vecteurs d’une révolte explicitement politique. À peine trouve-t-on trace chez Marie-Grâce d’un jugement méprisant au sujet du peuple. Mais les remarques auxquelles elle s’adonne ont moins pour but de manifester une quelconque opinion politique que d’ironiser sur ses désirs bourgeois de supériorité matérielle comme ici son désir d’automobile, symbole de puissance, et qui fait qu’elle rêvasse avec nostalgie en regardant passer ceux qui en possèdent :
- 23 Les Indifférents, op. cit., p. 235.
Alors, sans le vouloir, elle soupirait ; jamais il ne lui serait donné de traverser ainsi une foule misérable dans une imposante et puissante machine ; ses années s’étaient évanouies, sa jeunesse avait disparu, avec l’automobile de ses rêves23.
- 24 Gli Indifferenti, op. cit., p. 179.
Allora, senza volerlo, la madre sospirava : ella non avrebbe potuto mai passare tra la folla malvestita in un’imponente e poderosa macchina, i suoi anni erano svaniti, la sua giovinezza si era dileguata nella lucida automobile dei suoi sogni24.
- 25 Ibid., p. 69. « vedere la ridicolaggine confondersi a tal punto con la sincerità, la falsità con la (...)
6Or c’est bien par de semblables morceaux « antibourgeois » qui dressent un portrait accablant de cette classe politique que Moravia esquisse à plus grande échelle un autre portrait ; celui d’une époque à la dérive, dans laquelle se joue un renversement des valeurs, toutes mêlées les unes aux autres et vidées de leur sens. Si le Duce dans les années 30 fait invraisemblablement rimer démocratie et dictature, liberté et oppression, il n’y a qu’à regarder de plus près l’imbroglio scandaleusement obscène qui lie les personnages entre eux dans Les Indifférents pour constater un semblable renversement carnavalesque. La mère veuve, Marie-Grâce, qui a pris un amant, Léo, jalouse sa soi-disant meilleure amie, Lisa, elle l’accuse d’entretenir secrètement des relations avec Léo, dont elle a aussi été la maîtresse il y a longtemps. Lisa se préoccupe en réalité de séduire Michel, le fils de Marie-Grâce, tandis que Carla devient la proie de Léo. Sans aucun scrupule vis-à-vis de son ancienne maîtresse, Léo convoite la fille autant d’ailleurs que la villa de la famille qu’il compte acquérir. Mêlées inextricablement les unes aux autres et comme uniformisées dans le mensonge, des valeurs contraires riment aussi dans Les Indifférents. Ainsi Michel, dans les bras de Lisa qui fait des mimiques, n’en revient pas de « voir à ce point confondus l’émotion et le ridicule, la comédie et la vérité25 ». Pour Léo, l’amour et le sexe sont parfaitement synonymes.
- 26 Difficile à traduire littéralement, cette expression renvoie à la double décennie du fascisme, asso (...)
7Le doigt qui accuse le « ventennio nero26 » n’est donc pas ouvertement pointé vers Mussolini et son régime dictatorial, mais vers les dérives qu’entraînent, à l’échelle d’une famille bourgeoise, cette double décennie de trouble et de crise que sont les années fascistes. Paradoxalement peut-être, c’est dans la fiction que se dit une vérité. Mais s’il constate froidement les dégâts, Moravia donne aussi à voir une lutte, celle des deux personnages adolescents. La fiction devient alors non seulement le vecteur d’un « antifascisme passif », mais aussi le lieu privilégié d’une quête d’authenticité, active celle-là.
La déconstruction du « sujet – automate »
- 27 Les Indifférents, op. cit., p. 295-296.
L’œil fixe, il regardait sa propre image reflétée dans la glace d’une vitrine ; […] un mannequin articulé attirait l’attention des passants ; taillé dans du carton, peint en couleurs vives, plus humain que fantastique, il avait un visage immobile, stupide et hilare avec de grands yeux marron, pleins d’une foi candide et inébranlable ; […] sans jamais se lasser, sans jamais cesser de sourire, il passait et repassait, d’un geste démonstratif, une lame de rasoir sur une bande de cuir. […] Cette félicité disproportionnée ne devait nullement démontrer la niaiserie du personnage, mais l’excellence du rasoir […]. Mais, sur Michel, l’effet fut différent. […] Il lui sembla que le souriant automate donnait réponse à sa question. « Á quoi servirait-il d’avoir la foi ? » Cela servirait à avoir une bonne lame, une félicité comme la mienne, comme celle de tous les autres […]. Réponse décourageante. Celle même que lui avait faite un jour un de ces hommes comme il faut, qui sont légion : « Fais comme moi… et tu deviendras moi ». […] Pétrifié, Michel contemplait l’automate qui, sans repos […] affilait sa lame, et il aurait voulu le frapper en pleine figure pour briser ce sourire imperturbable27.
- 28 Gli Indifferenti, op. cit., p. 226-227.
Guardava davanti a sé, con occhi imbambolati, ingannato dal proprio riflesso; […] nel mezzo della vetrina, […] un fantoccio reclame attirava l’attenzione dei passanti; dipinto a vivi colori, tagliato nel cartone, raffigurato secondo un modello più umano che fantastico, aveva un volto immobile, stupido et ilare e dei grandi occhi castani pieni di fede candida e incrollabile; […] e senza mai stancarsi, senza mai lasciare quel suo sorriso, con un gesto dimostrativo passava e ripassava une lama da rasoio sopra una striscia di pelle; affilava. […] Quella sporporzionata felicità non voleva additare la imbecillità dell’uomo, sibbene la bontà del rasoio; […] però a Michele immerso nei suoi pensieri fece tutt’altro effetto. […] Gli parve di ricevere da quel fantoccio sorridente la risposta alla sua domanda: “A che cosa servirebbe aver fede?” Era una risposta scoraggiante: “Servirebbe” significava il fantoccio “ad avere una lama”, une felicità come la mia, comme quella di tutti gli altri […] Era la stessa risposta che gli avrebbe dato una di quelle tante personne dabbene: “Fai come me… e diventerai come me”, […] Imbambolato egli guardava il pupazzo che, […] affilava la sua lama, e avrebbe voluto colpirlo in faccia e spezzare quel sorriso radioso28.
- 29 On peut d’ailleurs noter que, dans la citation, la mécanisation ne caractérise pas exclusivement l’ (...)
8Dans ce passage capital des Indifférents sont mis face à face un automate à l’ostentatoire félicité et Michel, jeune héros du roman, justement dépourvu de tout trait de caractère ostentatoire : aucun charisme, une personnalité fragile qu’il ne parvient pas à asseoir, une attitude timorée. Le glissement, qui opérerait une superposition entre l’image de Michel se reflétant dans la vitrine et l’automate qui se trouve à l’intérieur, paraît simple et ne demande qu’à advenir. Pourtant, l’amalgame est tenu en échec par l’attitude de Michel qui se montre dubitatif à l’égard du sourire et du geste du mannequin, tous deux hypnotiques du fait de leur mécanisation, et censés opérer sur le passant une séduction immédiate. Par le biais de procédés divers dans tout le roman comme ici l’emprunt aux logiques publicitaires, Moravia s’interroge sur les identités factices et prêtes à l’emploi telles que la « félicité disproportionnée ». La mécanisation de l’attitude – lever le bras, sourire – peu surprenante ici puisqu’il s’agit d’un « mannequin articulé », menace de séduire l’adolescent et de l’entraîner à se définir lui aussi comme automate29. La portée de la scène s’avère ainsi métaphorique du risque de déshumanisation qui plane sur les personnages des Indifférents et que la poétique moravienne s’attache à rendre perceptible, notamment à travers l’écriture des personnages adultes.
- 30 Pierre Zima a bien montré dans son ouvrage L’Indifférence romanesque : Sartre, Moravia, Camus, [Mon (...)
9Les trois adultes du roman, Marie-Grâce, Léo et Lisa, largement atteints déjà par la corruption à laquelle résiste ici Michel, sont en tous points comparables à des automates agissant comme « tous les autres » sans réfléchir, pour se conformer aux nécessités de leur environnement. Quand ils n’expriment pas l’artifice de leur personnalité par des mondanités conversationnelles ridicules30, l’écriture lisse et froide et le ton accablant qu’emploie Moravia suffisent à faire voir leur absence totale de profondeur psychique. Ils sont de pures surfaces, des pantins. En témoignent le dédain et la distance qui président à la présentation de Marie-Grâce :
- 31 Les Indifférents, op. cit., p. 12.
La mère s’avança. Elle n’avait pas changé de costume, mais elle s’était peignée, peinte et abondamment poudrée. Elle allait vers eux, […] et, dans l’ombre, sa face immobile aux traits indécis et aux couleurs vives semblait un masque stupide et pathétique31.
- 32 Gli Indifferenti, op. cit., p. 10.
La madre si avvicinò; non aveva cambiato il vestito ma si era pettinata e abbondantemente incipriata e dipinta ; si avanzò, là, dalla porta […]; e nell’ombra la faccia immobile dai tratti indecisi e dai colori vivaci pareva una maschera stupida e patetica32.
- 33 La phrase qui permet d’introduire Marie-Grâce, par sa brièveté et sa construction, offre une ressem (...)
- 34 Les Indifférents, op. cit., p. 7, nous soulignons.
- 35 Gli Indifferenti, op. cit., p. 3, nous soulignons.
- 36 La réification s’avère un procédé doublement pertinent pour lire cette scène. D’une part, c’est à u (...)
- 37 Les Indifférents, op. cit., p. 17.
- 38 Gli Indifferenti, op. cit., p. 11.
10D’abord dépourvue d’humanité parce qu’elle est ici dépourvue de prénom et réduite à sa fonction dans l’intrigue « la mère33 », Marie-Grâce est ensuite placée du côté des pantins par la comparaison de son visage avec un « masque ». Les références au théâtre, à la comédie et plus généralement à la mascarade sont des traits saillants de l’écriture de ce personnage. Les adultes exercent sur Carla et Michel une pression constante pour les pousser à adhérer aux mêmes identités factices que les leurs. De manière révélatrice, la scène entre Michel et l’automate arrive juste avant celle dans laquelle Michel, en visite chez Lisa, lui avoue qu’il est incapable de jouer le rôle qu’elle attend de lui – celui de l’amoureux éperdu. La première scène – lutte de Michel contre l’automate séducteur – est une annonce métaphorique de la seconde – lutte de Michel contre une Lisa enjôleuse et fausse. Cependant, si l’identification de Michel à l’automate au rasoir est repoussée, c’est parce qu’il s’agit d’un être de « carton ». Bien qu’il exerce sur Michel une fascination forte du fait de ses mouvements hypnotiques, il demeure somme toute inoffensif. Dès qu’ils se trouvent au contact des adultes, les adolescents sont fort tentés de se laisser aller aux mêmes mécanismes qu’eux et, là aussi par métaphore, deviennent les pantins articulés auxquels ils refusaient de s’identifier. Ainsi en est-il de Carla qui, harcelée par Léo dès les premiers mots du roman, s’absorbe dans une activité qui consiste à « agiter du bout du doigt la tête mobile d’une porcelaine chinoise34 » / « Ella provava col dito la testa mobile di una porcellana cinese35. », contraignant celle-ci à un hochement mécanique, mimant ainsi sa propre obéissance aux avances de Léo, et donnant à voir très concrètement le risque de réification36 qui la guette. Michel a davantage de difficultés à résister aux flatteries de Léo qui le complimente sur son veston qu’au sourire tentateur de l’automate et lorsque, fier, il se regarde dans le miroir, il se voit semblable à ces « mannequins exposés dans les vitrines, le prix épinglé sur l’estomac37 » / « quelle dei fantocci ben vestiti esposti col cartello del prezzo sul petto, nelle vetrine dei negozi38 ».
- 39 Les Indifférents, op. cit., p. 7.
- 40 Gli Indifferenti, op. cit., p. 3.
11Le danger de la « mécanisation de soi » et de l’aliénation aux autres et à leurs désirs guettent donc les adolescents. Mais l’identification aux adultes n’opère pas entièrement. Michel recule de dégoût en surprenant son reflet et il est dit de Carla qu’elle s’avance d’une démarche « précautionneuse, incertaine et molle39 » / « si avanzò con precauzione guardando misteriosamente davanti a sé, dinoccolata e malsicura40 », vers Léo. Dans ces deux attitudes se joue la mise en échec du processus identitaire mécanisé et facile (« Fais comme moi… et tu deviendras moi. »). Michel et Carla sont adolescents, on l’a dit, et c’est précisément par une poétique de l’adolescence pensée comme état transitoire et non abouti de la construction de soi – indifférence identitaire – que se trouve invalidée la figure de l’automate. Âge par excellence où s’élabore la construction du sujet et où, entre fluctuations et vacillements, on tente de se dire comme soi, c’est-à-dire d’affirmer une personnalité stable, l’adolescence est représentée dans le roman comme le degré zéro de la construction identitaire, un espace fragile et friable qui l’oppose directement aux identités toutes faites. L’incertitude identitaire de l’adolescence peut-être parfaitement imagée dans le roman par la description de la chambre de Carla qui est à la fois celle d’une petite fille et d’une femme :
- 41 Les Indifférents, op. cit., p. 52, nous soulignons.
[…] tantôt celle d’une femme (à ne voir, par exemple, que la coiffeuse chargée de parfums, de poudres, de pommades, de fards, ou ces deux larges jarretières roses suspendues près de la glace), tantôt celle d’une petite fille. Un mol désordre, tout féminin, fait de vêtements jetés sur les chaises, de flacons ouverts et de souliers épars, compliquait l’équivoque41.
- 42 Gli Indifferenti, op. cit., p. 36.
a volte donesca (per esempio la teletta dai nastri sciupati, coi profumi, le ciprie, le pomate, i belletti, et qualle due larghe giarrettiere rosee appese presso lo specchio ovale) a volte puerile; e un molle disordine, tutto femminile, fatto di pani abbandonati sulle sedie, di flaconi aperti, di scarpette rovesciate, complicava l’equivoco42.
- 43 L’usage de l’aposiopèse et de la forme interrogative sont deux traits stylistiques récurrents de l’ (...)
12La dialectique identitaire visible ici dans la description, à laquelle fait écho d’ailleurs la structure binaire de la phrase (« tantôt… tantôt »), rend sensible la poétique moravienne de l’adolescence. La mollesse et « l’équivoque », termes emblématiques de cette poétique, disent assez l’incertitude de Carla quant à la définition d’elle-même et s’opposent directement à la « foi candide et inébranlable » de l’automate en sa « félicité » ; cette esthétique préserve Michel et Carla d’une construction « mécanisante » d’eux-mêmes. Face aux moments où les adolescents basculent du côté des pantins, moments où l’écriture se durcit et mime nettement l’automatisme des actes – le rythme est sec, saccadé, découpe les gestes, fait ressortir la froideur et le rigorisme de l’exécution, à l’image de la toute première phrase du roman « Carla entra. » – face aussi à la placidité des phrases réservées aux adultes, la prose moravienne se fait, la plupart du temps, « molle » et « équivoque » quand elle cherche à donner une voix aux adolescents. Il est rare en effet que les adolescents prennent part aux dialogues entre adultes, ce langage-là était nettement chargé de soupçons et identifié à une imposture. L’écriture déploie en revanche pour leur donner la « parole », de longs monologues intérieurs troués de doute, suspendus par l’hésitation qui, bien plus que les dialogues, constituent l’essentiel de la présence adolescente silencieuse et hésitante dans l’œuvre43. L’incertitude de la prose rend sensible la pénombre identitaire dans laquelle se trouvent Michel et Carla – comme pour mieux évoquer l’entre-deux, Moravia projette constamment sur le texte un éclairage équivoque entre l’ombre dans laquelle sont pris les adolescents et la lumière crue, qui dévoile les masques des personnages adultes – et permet de tenir à distance les identités figées des pantins.
- 44 On pourrait le traduire par : « Le livre et le fusil font un fasciste parfait ».
- 45 Sur cette question des illustrations de l’époque et de l’encadrement des jeunes générations, voir M (...)
- 46 Pour le détail de ces étapes, voir Mariella Colin, ibid., p. 10.
- 47 Sur la question de la traduction et de la réception des ouvrages freudiens en Europe, on peut consu (...)
13Dans ce rejet de la figure de l’automate affleure une fois de plus le pouvoir subversif de la fiction moravienne et sa capacité à interroger son époque. L’équivoque qui caractérise les adolescents dans Les Indifférents s’oppose directement à l’esthétique fascisante de la jeunesse, rigoriste à l’extrême. Le lapidaire slogan qui a été attribué aux enfants et aux adolescents par le régime, « Libro e moschetto, fascista perfetto44 », ainsi que les nombreuses illustrations de l’époque les montrant, fusil en main, le regard tourné vers leur père spirituel45, ne peuvent manquer d’évoquer la figure de l’automate obéissant. L’Italie fasciste de ces années porte une attention démesurée aux jeunes générations, vecteurs privilégiés de la propagande du régime, et met un point d’honneur à les encadrer, de leur plus jeune âge jusqu’à leur adolescence, selon des étapes très précises46. Ayant tous le même père spirituel, ils sont les bimbi et les ragazzi di Mussolini, et leur mère est l’Italie glorieuse : aucune équivoque quant à la définition d’eux-mêmes n’est tolérée, leur assimilation à des sujets-automates est complète. Il y a dans cette conception une ignorance de la fragilité présidant à la construction de soi pendant l’adolescence, ignorance d’autant plus grande que ce processus – l’adolescence – est décrit comme inassignable à tout contrôle par le discours freudien justement diffusé en Europe à cette époque, mais tenu à distance par la dictature47. Moravia accueille pleinement l’incertitude pour façonner sa propre poétique de l’adolescence. Cependant, si cette incertitude protège Michel et Carla d’une forme de déshumanisation, elle ne suffit pas à ce qu’ils se définissent pleinement comme sujets. Agissant comme garde-fou contre une construction identitaire mécanique, la poétique de l’incertitude doit être replacée au sein d’une conception de la construction de soi beaucoup plus large dans Les Indifférents. Carla et Michel aspirent à une identité authentique, autrement dit ils sont en quête d’une définition d’eux-mêmes qui satisfasse leur rejet du mensonge et leur attachement à une justesse de l’être : justesse des sentiments, justesse des paroles, justesse des attitudes… Au flou identitaire s’ajoute, dans le roman, une quête active de soi, une poursuite de l’être, une progression vers l’être.
Les Indifférents, recherche ou « fléchissement du sujet48 » ?
- 48 J’emprunte cette expression à Pierre Zima qui lit le roman de Moravia comme une quête impossible du (...)
- 49 Sur cette question de la révolution romanesque des années 20 aux années 30, nous renvoyons à l’ouvr (...)
- 50 Gilbert Bosetti, Le Mythe de l’enfance dans le roman italien contemporain, Grenoble, Ellug, 1987, p (...)
- 51 Les Indifférents, op. cit., p. 262.
- 52 Gli Indifferenti, op. cit., p. 200.
14Sans avoir lu Freud au moment où il rédige Les Indifférents, Moravia semble avoir eu l’intuition prémonitoire que le XXe siècle serait celui de la recherche d’un langage propre à exprimer la psychologie de l’être humain, donnant à voir une plongée dans l’intériorité d’un moi dont on commence à mesurer l’énigme. Que ce soit en psychanalyse ou en littérature – comme le montre la révolution romanesque commencée dans les années 20 et encore largement d’actualité en 1929 quand paraît le roman de Moravia49 – une langue nouvelle s’élabore qui cherche à rendre visible les mécanismes imperceptibles présidant à la construction identitaire. Dans cette langue, le moi s’étoffe et laisse apparaître sa profondeur. S’il est coupé de la révolution romanesque qui se joue sur la scène internationale par le repli sur soi de son pays et privé de l’ouverture à la psychanalyse dont la dictature « n’a pas favorisé la diffusion50 », Moravia joint néanmoins sa voix à ces deux événements en donnant à voir dans Les Indifférents la quête identitaire de Carla et Michel. Structuré par des problématiques qui résonnent à l’avance avec les grandes théories freudiennes sur la construction identitaire – pour Carla, prendre la place de la mère ; pour Michel tuer le père en planifiant l’assassinat de Léo – le roman fait état de longues introspections, là encore très freudiennes, au cours desquelles les adolescents, guidés par un besoin de vérité, plongent en eux-mêmes pour tenter de savoir qui ils sont et de percer le mystère de leurs agissements. Pour cela, il leur faut lutter contre l’indifférence qui les constitue – ils sont Les Indifférents – et les empêche de s’assumer pleinement. Le titre, en effet, est aussi l’indication d’un état identitaire néantisé, inexistant. Il confond les adolescents dans l’anonymat d’un pluriel, anonymat dont il s’agit de sortir en s’assumant comme soi : Michel et Carla. Le roman montre l’oscillation des adolescents entre deux écueils contraires. D’une part l’indifférence, la tentation de se laisser aller à l’apathie du moi, à un progressif effacement de soi jusqu’à devenir « un blanc fantôme51 » / « quel bianco fantasma52 » comme les autres, et d’autre part un désir fort de trouver des manières authentiques de se définir et d’exister. Le texte de Moravia s’élabore en ménageant des espaces nécessaires à cette dernière lutte, il dote ses personnages d’une épaisseur psychologique, d’une capacité à se questionner sur eux-mêmes qui les éloigne des monolithes n’existant que par la parole que sont les adultes.
15Le monologue intérieur est le premier de ces espaces textuels. On trouve dans le roman de nombreux passages dans lesquels Carla et Michel s’abiment dans une réflexion sur eux-mêmes et sur le sens de leur existence. Dans ces espaces, le langage qui convient à la réflexion sur soi est celui qui exprime le doute.
- 53 Les Indifférents, op.cit., p. 148, nous soulignons.
Cette rue pluvieuse, il la parcourait, comme sa vie entière, sans foi, sans enthousiasme, les yeux éblouis par l’éclat fallacieux des affiches lumineuses. […] Il leva les yeux vers ses girandoles idiotes : l’une recommandait une pâte dentifrice, l’autre un vernis pour les chaussures… De nouveau, il baissa la tête : la fange ne cessait pas de gicler sous les talons des passants, la foule marchait. « Et moi où vais-je ? » se demanda-t-il. Il glissa un doigt dans l’ouverture de son col. « Qui suis-je ? Pourquoi ne pas courir, ne pas me hâter comme les autres ? Pourquoi ne pas être un homme instinctif, sincère ? Pourquoi manquer de foi ?53 »
- 54 Gli Indifferenti, op. cit., p. 109.
Questa strada piovosa era la sua vita stessa, percorsa senza fede e senza entusiasmo, con gli occhi affascinati degli splendori fallaci dellà pubblicità luminose. […] Alzo gli occhi verso il cielo; le stupide girandole erano là, una raccomandava una pasta dentifricia, un’altra una vernice per le scarpe. Riabbassò la testa; i piedi non cessavano il loro movimento, il fango schizzava da sotto i tacchi, la folla caminva. “E io dove vado?” si domandò ancora ; si passò un dito nel colletto : “cosa sono? perché non essere un uomo istintivo, sincero? perché non aver fede54?”
- 55 Les Indifférents, op.cit., p. 54.
- 56 Gli Indifferenti, op. cit., p. 38. On remarque ici que le traducteur a pris le parti de supprimer l (...)
- 57 Pierre Zima a brillamment analysé comment la conversation mondaine ou causerie bourgeoise qui prési (...)
16Dans cette scène, la tentation du conformisme – représentée par la foule-troupeau qui marche sans réfléchir, abrutie d’affiches publicitaires – est déjouée par le flot de questions existentielles de Michel ; le jeune homme s’exclut de la masse qui piétine. Mimant la fluidité des éléments liquides – la pluie, la boue – la prose de Moravia se déploie pour donner à entendre l’intériorité adolescente, en de longues et tortueuses phrases, en de longs passages descriptifs troués de questions existentielles. Pris dans la tourmente des paroles fausses, ce sont les lieux où s’élaborent chez les personnages une âme et une conscience, lieux où Moravia bâtit l’épaisseur psychologique de ses adolescents, oasis de la pensée qui caractérisent exclusivement Michel et Carla. Cette dernière fait très exactement écho à son frère alors qu’elle songe à sa future visite chez Léo : « Où vais-je ? Où va ma vie ? 55»/« Dove va la mia vita? Dove va?56 » L’abandon au doute donne lieu à un langage hésitant, signe de la résistance des adolescents et témoin de leur recherche d’une identité propre, au double sens de personnelle et vierge de fausseté. Les espaces d’introspection comme ceux-ci dans lesquels foisonnent les pensées et les questionnements apparaissent, malgré leur nombre, comme suffoqués par les conversations qui constituent l’essentiel du tissu discursif57. Hors des lieux silencieux réservés à la recherche de soi, la quête identitaire des adolescents est asphyxiée au contact des adultes.
- 58 Les Indifférents, op. cit., p. 184, nous soulignons.
- 59 Gli Indifferenti., op. cit., p. 139, nous soulignons.
- 60 Annie Barraux, Coordonnées, Essais, I, Ed. Pérouse, Assise, 1974, p. 87. Voir le chapitre consacré (...)
- 61 Les Indifférents, op. cit., p. 70, nous soulignons.
- 62 Gli Indifferenti, op. cit., p. 49, nous soulignons.
- 63 Les Indifférents, op. cit., p. 73.
- 64 Gli Indifferenti, op. cit., p. 51.
17Par analogie, et ce d’autant plus que l’intrigue se déroule à huis clos, les espaces restreints – salle à manger des Ardengo, boudoir de Lisa – évoquent l’étouffement, les adolescents y cherchent trace de la vérité comme un asphyxié une bouffée d’air : « Bravo ! s’écria Carla en battant des mains. Voilà la vérité… enfin on respire !58 » / « Ecco gridò improvvisamente Carla battendo le mani ; eccò la verità… alfine si respira…59 ». C’est dans ces espaces que les adolescents sont le plus menacés d’un effacement d’eux-mêmes, d’une dépossession de leur identité opérée de force par ceux qui les entourent. Il arrive alors que les monologues intérieurs des adolescents ne fassent plus état d’un doute – qui se voulait révolte, on l’a dit – mais d’un « fléchissement » de soi, d’un abandon à la fatalité et à l’indifférence : Carla cède à Léo, et Michel à Lisa. En pensées aussi, ils se résignent à sonner faux et la fluidité qui caractérisait la prose se rigidifie à nouveau, évoquant « l’automatisme saccadé de la marionnette60 » : « Feindre, songea-t-il en refermant avec précaution la porte. C’est juste, il faut feindre61 » / « Fingere, egli pensò richiudendo con precauzione la porta: è giusto fingere62 ». La vérité du moi ne fait plus l’objet d’aucune quête, semble-t-il. Michel se résout à la fausseté et se calque sur l’« indigne comédie63 » / « Indegna commedia64 », des attitudes. Ce motif théâtral, justement, qui affleure sans cesse dans Les Indifférents, on ne peut s’empêcher de voir son triomphe dans la fin du roman, alors que les personnages s’apprêtent pour un bal masqué. La victoire du masque symbolise l’échec d’une quête identitaire placée sous le signe de la vérité. C’est costumée en Pierrot, déguisant son identité nouvelle – elle va être la femme de Léo – que Carla prend le bras de sa mère pour se rendre au bal. Michel fait sur lui-même un amer constat dans lequel ne subsiste plus l’ombre d’un doute :
- 65 Les Indifférents, op .cit., p. 368.
La fausseté et l’abjection dont il avait l’âme pleine, il les voyait chez les autres, toujours, sans pouvoir un instant arracher de devant ses yeux ce voile impur qui s’interposait entre le monde et lui65.
- 66 Gli Indifferenti, op. cit., p. 284.
La falsità e l’abbiezone du cui aveva pieno l’animo egli le vedeva negli altri, sempre, impossibile strapparsi dagli occhi quello sguardo, scoraggiato, impuro che frapponeva tra lui e la vita66.
18On peut, pour terminer, évoquer le seul endroit entièrement « hermétique » du texte de Moravia dans lequel s’éprouve une vérité du moi que l’hypocrisie ne concurrence pas : il s’agit de la fantaisie, espace de l’intériorité et de l’intime, dans lequel la fiction de soi tient à distance le réel. À deux reprises le texte nous plonge dans les pensées ou les paroles rêveuses des adolescents qui, pris tour à tour dans une songerie, s’inventent un alter-ego idéal. Cet autre moi est pressenti comme un repère identitaire absolu, à l’aune duquel les adolescents se positionnent presque instinctivement et qui leur permet d’étrenner enfin une définition d’eux-mêmes en accord avec leurs aspirations les plus profondes. Ainsi Michel, au son du piano, fantasme-t-il une compagne idéale :
- 67 Les Indifférents, op. cit., p. 178.
Les premiers accords résonnèrent. Michel se préparait à écouter. Sa solitude, ses conversations avec Lisa avaient éveillé en lui un grand besoin de société et d’amour, un ardent espoir de rencontrer, parmi la foule des humains, une femme qu’il pourrait aimer sincèrement, sans résignation, sans ironie : « Une vraie femme, pensait-il, une femme pure, qui ne serait ni fausse, ni stupide, ni corrompue… la trouver… voilà qui remettrait tout en place. » Pour le moment, il ne savait pas même où la chercher, mais il s’en forgeait un fantôme, à la fois idéal et matériel, qui allait rejoindre les autres figures de ce monde instinctif et sincère où son imagination se complaisait et où il aurait voulu vivre67.
- 68 Gli Indifferenti, op. cit., p. 134.
I primi accordi risuonarono; Michele socchiuse gli occhi e si preparò ad ascoltare la melodia; la sua solitudine, le convesazioni con Lisa gli avevano messo un corpo un gran bisogno di compagnia e di amore, una speranza estrema du trovare tra tutta la gente del mondo una donna da poter amare sinceramente, senza ironie e senza rassegnazione : “Un donna vera” pensò; “una donna pura, né falsa, né stupida, né corrotta… trovarla… questo si che rimetterebbe a posto ogni cosa.” Per ora non la trovava, non sapeva neppure dove cercarla, ma ne aveva in mente l’immagine, tra l’ideale e materiale che si confondeva con le altre figure di quel fantastico mondo istinctivo e sincero dove egli avrebbe voluto vivere68.
Carla, elle, s’invente dans les bras de Léo un amant qui plaît à son âme :
- 69 Les Indifférents, op. cit., p. 207.
« Il m’aime beaucoup, et je l’aime beaucoup, continua-t-elle avec une douceur égale et facile dont elle s’enchantait et s’émerveillait elle-même ; […] il n’est pas comme toi… il est… avant tout il est bon… je veux dire qu’il sait me comprendre avant que j’aie parlé, que je puis lui confier tout ce que je pense, qu’il me parle comme personne […] et… et… » Sa voix trembla, ses yeux se remplirent de larmes ; elle était réellement convaincue de ce qu’elle disait ; il lui semblait le voir là, devant elle, en chair et en os, cet être créé par sa fantaisie69.
- 70 Gli Indifferenti, op. cit., p. 157.
“Egli mi ama molto ed io lo amo molto” continuò con una dolcezza piana e facile che l’incantava e la meravigliva […] “[…] egli non è come te… è… sopratutto buono, voglio dire che mi comprende anche prima che io abbia parlato, che a lui posso confidare tutto quello che penso, qualsiasi cosa, e lui mi discorre come nessuno […] e… e…”: la sua voce tremò, gli occhi le si empirono di lacrim ; in quel momento era convinta elle stessa di quel che diceva, quasi le pareva di vederla, là, davanti a lei, in carne e ossa, questa creatura della sua fantasia70.
19Ces deux rêveries sont saturées d’une vérité qui, bien que fantasque, correspond pour les deux adolescents à une justesse du moi et à une vivacité des émotions visibles nulle part ailleurs dans le roman. Mais ces espaces, s’ils ne sont pas investis par le mensonge, sont en revanche très vite rattrapés par la réalité : un éclat de voix de Marie-Grâce fait s’évanouir la femme idéale de Michel et Léo rappelle Carla à une étreinte avec lui. Ces identités fictionnelles que s’inventent les adolescents, dans lesquelles ils sont paradoxalement au plus proche d’eux-mêmes, restent lettre morte, et l’excipit du roman montre combien elles sont éloignées de ce que deviennent, in fine, Michel et Carla : l’amant de Lisa, et la future femme de Léo. Est-ce à dire que Moravia fait triompher la soumission et cautionne la victoire finale d’une définition de soi masquée ?
- 71 Les Indifférents, op. cit., p. 369.
- 72 Gli Indifferenti, op. cit., p. 285.
- 73 Les Indifférents, op. cit., p. 369.
- 74 Gli Indifferenti, op. cit., p. 285.
- 75 Les Indifférents, op. cit., p. 368.
- 76 Gli Indifferenti, op. cit., p. 284.
- 77 À ce titre, on peut noter que dans son interview avec Vania Luksic, Moravia compare Michel à deux a (...)
20Si Carla s’abandonne à la fatalité de son sort « dans un éclat de rire71 » / « Uno scoppio di risa72 », alors qu’elle se déguise en Pierrot, frappée d’une révélation subite, laconique, « Tout est si simple73 » / « Tutto è cosi semplice74 », on se doute qu’il y a dans ce happy-end une ironie. Loin de souscrire à la joie factice de Carla, Moravia met en avant la persistance de l’illusion en clôturant son roman sur une vision pathétique de Marie-Grâce – elle se promet une excellente soirée avec son amant – et marque ainsi sa désapprobation à l’égard d’une fin mensongère. Michel, qui ne connaît pas la même allégresse que sa sœur, semble se faire l’écho du scepticisme de Moravia. Bien qu’il embrasse son destin et se résolve à une identité qui lui fait horreur – devenir l’amant de Lisa – il persiste à se poser des questions. Contrairement à sa sœur soudainement frappée d’une évidence, Michel est encore rongé par le doute et intérieurement il interroge Lisa : « Comment vis-tu ? Avec sincérité ? Ou sinon comment réussis-tu à vivre ?75 » / « Come vivi? […] sinceramente? con fede? dimmi come riesci a vivere76 ». Ce doute existentiel persistant chez Michel fait de lui le personnage qui incarne au plus près les ambitions moraviennes à l’œuvre dans Les Indifférents77, c’est-à-dire la volonté d’ouvrir dans la fiction un espace à la réflexion sur le processus de construction identitaire. Le choix de l’adolescence et d’une poétique de l’incertitude comme porteurs de la réflexion font de cet espace fictionnel un territoire mouvant dans lequel se cherchent des réponses, sans que cette démarche soit nécessairement couronnée de succès. En cela, Moravia fait montre d’une modernité dont la postérité a injustement peu mesuré l’ampleur si on la compare à celle des Joyce, Woolf et Faulkner, mais qui gagne à être reconnue.
Notes
1 Alberto Moravia, Les Indifférents, date de publication originale 1929. Ici, Paul-Henry Michel (trad.), Paris, Flammarion, 1991, p. 7. Et pour la version originale : « Entrò Carla », in Alberto Moravia, Gli Indifferenti, Milano, éd. Bompiani, 2002, p. 3.
2 Cette comparaison est celle que fait Mario Soldati dans un article qu’il rédige à propos du film que Citto Maselli tira des Indifférents : « Carla entra. Par ces mots magiques qui sont les premiers des Indifférents, c’était non seulement Carla, mais Moravia qui entrait dans l’histoire d’une littérature et d’une culture », Article paru le 1er novembre 1964 dans L’Espresso et repris dans le volume de Mario Soldati, Da Spettatore. Un regista al cinema, Mondadori 1973, p. 170.
3 René de Cecccatty, Alberto Moravia, Paris, Flammarion, « Grandes Biographies », 2010, p. 87.
4 Cette critique est celle de Margherita Sarfatti, femme de lettre mondaine et maîtresse de Mussolini. Elle figure dans l’appendice de la réédition des Indifférents, Simone Casini et Laura Desideri (éd.), Bompiani, 2007, qui regroupe les trente critiques parues en 1929 dans les journaux et revues de tous bords.
5 René de Ceccatty résume avec cette formule l’appréciation générale qui se dégage des critiques parues en 1929, op. cit., p. 87.
6 Moravia fait notamment référence à la revue littéraire La Ronda, marquée par un formalisme réactionnaire très fort. Il s’exprime sur cette revue dans laquelle il voit « un embaumement d’une certaine tradition littéraire » comme préparation au fascisme dans le journal Il Mondo du 11 février 1972. La traduction de cet article est de René de Ceccatty, ibid., p. 94.
7 Idem.
8 Matteotti était un député socialiste, il dressa en 1924 à la chambre des députés un réquisitoire contre le régime fasciste, l’accusant de violer la loi électorale et de supprimer la liberté d’expression. Il est retrouvé assassiné un mois plus tard. Pour plus de détails sur cette question, nous renvoyons à l’ouvrage collectif de Serge Berstein et Pierre Milza, L’Italie contemporaine, du Risorgimento à la chute du fascisme, Paris, Armand Colin, 1995, p. 265.
9 Ce discours, au cours duquel Mussolini prononce la phrase désormais célèbre (« Si le fascisme a été une association de malfaiteurs, je suis le chef de cette association ! ») marque le début d’une répression ouvertement assumée. Voir l’ouvrage collectif de Serge Berstein et Pierre Milza, ibid., p. 267-268.
10 Également appelées Lois de défense de l’Etat, elles achèvent de supprimer toute trace de liberté en Italie, tous les domaines (presse, syndicats, opposants, associations…) sont paralysés par la surveillance fasciste. Voir Serge Berstein et Pierre Milza, ibid., p. 270-271.
11 Nous utilisons volontairement ce terme en référence à un autre roman de Moravia, La Désobéissance/La Disubbidienza, paru en 1948.
12 L’empreinte de la religion est d’autant plus sensible en 1929 que sont signés les Accords du Latran, qui marquent un rapprochement entre le Saint-Siège et l’Etat.
13 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 275.
14 Pour plus de détails sur l’historique de la publication du roman et les conséquences sur la vie de Moravia, on renvoie aux ouvrages biographiques de références en plus de celui de René de Ceccatty, et notamment : Alain Elkann, Vita di Moravia, Bompiani, 1990, rééd 2000 Christian Bourgois, 1991, rééd. Flammarion, 2007. Ainsi que Enzo Siciliano, Alberto Moravia, Vita, Parole, idee di un romanziere, Bompiani, 1982.
15 Moravia se confie à l’écrivain Ferdinando Camon dans Nord-Est, n° 4, Garzanti, avril 1988 (« Contreforts de Mycènes »), Moravia, « Io e il mio tempo, conversaziono critiche con Ferdinando Camon », p. 21. La traduction est celle de René de Ceccatty, op. cit., p. 94.
16 René de Ceccatty, ibid., p. 94.
17 Entretien avec Ferdinando Camon, ibid., p. 21.
18 Les frères Carlo et Nello Rosselli, des activistes, journalistes et théoriciens d’un socialisme libéral qui furent assassinés par des cagoulards en 1937, probablement sur ordre de Mussolini, étaient les cousins de Moravia. Par ailleurs, Pier Paolo Pasolini, autre grand romancier et cinéaste italien, figure de proue dans la lutte contre le fascisme et lui aussi assassiné en 1975, était l’un des amis les plus proches de Moravia.
19 René de Ceccatty, op. cit., p. 124.
20 Ibid., p. 124.
21 Pour voir l’analyse complète de Guido Bonsaver, Censorship and Literature in Facist Italy, University of Toronto Press, 2007.
22 Ibid., p. 124-125.
23 Les Indifférents, op. cit., p. 235.
24 Gli Indifferenti, op. cit., p. 179.
25 Ibid., p. 69. « vedere la ridicolaggine confondersi a tal punto con la sincerità, la falsità con la verità », Gli Indifferenti, op. cit., p. 49.
26 Difficile à traduire littéralement, cette expression renvoie à la double décennie du fascisme, associée à la couleur noire.
27 Les Indifférents, op. cit., p. 295-296.
28 Gli Indifferenti, op. cit., p. 226-227.
29 On peut d’ailleurs noter que, dans la citation, la mécanisation ne caractérise pas exclusivement l’automate mais qu’elle s’étend également aux hommes puisque Michel met en relation directe le mannequin et « un de ces hommes comme il faut » qu’il a croisé un jour. Le processus de déshumanisation s’observe aussi bien dans la parole quasiment robotique attribuée à l’homme (« Fais comme moi… et tu deviendras moi ») que dans la tentation d’exister par une assimilation à la masse. En effet, l’homme évoqué ici est confondu dans une multitude, que la narration souligne une première fois « une félicité comme la mienne, comme celle de tous les autres », puis une deuxième fois « ces hommes comme il faut, qui sont légion ». Nous soulignons.
30 Pierre Zima a bien montré dans son ouvrage L’Indifférence romanesque : Sartre, Moravia, Camus, [Montpellier, Presses de l’Imprimerie de Recherche, 1988], combien la platitude et le caractère artificiel de la conversation bourgeoise dont usent les adultes dans Les Indifférents reflètent une vacuité ontologique.
31 Les Indifférents, op. cit., p. 12.
32 Gli Indifferenti, op. cit., p. 10.
33 La phrase qui permet d’introduire Marie-Grâce, par sa brièveté et sa construction, offre une ressemblance frappante avec la phrase qui ouvre le roman et introduit Carla : « Carla entra » // « La mère s’avança ». Du fait de ce parallélisme, on note d’autant mieux le refus de Moravia de présenter le personnage par son prénom et ainsi de lui conférer une forme d’humanité, par opposition à sa fille.
34 Les Indifférents, op. cit., p. 7, nous soulignons.
35 Gli Indifferenti, op. cit., p. 3, nous soulignons.
36 La réification s’avère un procédé doublement pertinent pour lire cette scène. D’une part, c’est à un objet – la porcelaine chinoise articulée – que Carla tend à s’identifier, risquant ainsi de devenir semblable à un pantin. D’autre part, c’est l’objet sexuel de Léo qu’elle est aussi en train de devenir dans cette scène où il la regarde et la touche de manière éhontée. C’est en devenant chose sexuelle – il y a, là aussi, réification – qu’elle perd en partie son humanité.
37 Les Indifférents, op. cit., p. 17.
38 Gli Indifferenti, op. cit., p. 11.
39 Les Indifférents, op. cit., p. 7.
40 Gli Indifferenti, op. cit., p. 3.
41 Les Indifférents, op. cit., p. 52, nous soulignons.
42 Gli Indifferenti, op. cit., p. 36.
43 L’usage de l’aposiopèse et de la forme interrogative sont deux traits stylistiques récurrents de l’écriture des monologues intérieurs.
44 On pourrait le traduire par : « Le livre et le fusil font un fasciste parfait ».
45 Sur cette question des illustrations de l’époque et de l’encadrement des jeunes générations, voir Mariella Colin, Les Enfants de Mussolini » : littérature, livres, lectures d’enfance et de jeunesse sous le fascisme, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2010.
46 Pour le détail de ces étapes, voir Mariella Colin, ibid., p. 10.
47 Sur la question de la traduction et de la réception des ouvrages freudiens en Europe, on peut consulter l’ouvrage de Marthe Robert, La Révolution psychanalytique, la vie et l’œuvre de Sigmung Freud, Paris, Payot et Rivages, 2002.
48 J’emprunte cette expression à Pierre Zima qui lit le roman de Moravia comme une quête impossible du sujet. Pierre Zima, L’Indifférence romanesque : Sartre, Moravia, Camus, op. cit, p. 113.
49 Sur cette question de la révolution romanesque des années 20 aux années 30, nous renvoyons à l’ouvrage de Michel Zéraffa, La révolution romanesque, Saint-Amant, Editions Klincksieck, 1969.
50 Gilbert Bosetti, Le Mythe de l’enfance dans le roman italien contemporain, Grenoble, Ellug, 1987, p. 31. Sur la question du lien entre littérature et psychanalyse, plus spécifiquement autour de la question de la sexualité, on peut également se référer au chapitre 3, dans lequel Bosetti note que Moravia paraît être « le romancier italien qui a le mieux tiré profit de l’apport de la psychanalyse pour aborder avec lucidité cette épineuse question de la sexualité enfantine », p. 64.
51 Les Indifférents, op. cit., p. 262.
52 Gli Indifferenti, op. cit., p. 200.
53 Les Indifférents, op.cit., p. 148, nous soulignons.
54 Gli Indifferenti, op. cit., p. 109.
55 Les Indifférents, op.cit., p. 54.
56 Gli Indifferenti, op. cit., p. 38. On remarque ici que le traducteur a pris le parti de supprimer la redondance du texte italien « Où va ma vie ? » « Où va t-elle ? » en la remplaçant par une autre question « Où vais-je ? », renforçant ainsi le doute existentiel.
57 Pierre Zima a brillamment analysé comment la conversation mondaine ou causerie bourgeoise qui préside aux échanges entre les personnages dans Les Indifférents est « le sociolecte de l’ambivalence carnavalesque, de la facticité et du non-sens : de l’in-différence sémantique », autrement dit un langage dans lequel des valeurs contraires sont mêlées (affectives, sociales, culturelles) et qui ne peut offrir à Carla et Michel des moyens de se dire comme soi avec sincérité. Pierre Zima, op. cit., p. 125.
58 Les Indifférents, op. cit., p. 184, nous soulignons.
59 Gli Indifferenti., op. cit., p. 139, nous soulignons.
60 Annie Barraux, Coordonnées, Essais, I, Ed. Pérouse, Assise, 1974, p. 87. Voir le chapitre consacré aux Indifférents, et notamment la troisième partie « Climatologie » qui évoque métaphoriquement la transformation progressive des adolescents, de l’être vers l’objet, comme une « glaciation », une paralysie progressive qui les rapproche des marionnettes.
61 Les Indifférents, op. cit., p. 70, nous soulignons.
62 Gli Indifferenti, op. cit., p. 49, nous soulignons.
63 Les Indifférents, op. cit., p. 73.
64 Gli Indifferenti, op. cit., p. 51.
65 Les Indifférents, op .cit., p. 368.
66 Gli Indifferenti, op. cit., p. 284.
67 Les Indifférents, op. cit., p. 178.
68 Gli Indifferenti, op. cit., p. 134.
69 Les Indifférents, op. cit., p. 207.
70 Gli Indifferenti, op. cit., p. 157.
71 Les Indifférents, op. cit., p. 369.
72 Gli Indifferenti, op. cit., p. 285.
73 Les Indifférents, op. cit., p. 369.
74 Gli Indifferenti, op. cit., p. 285.
75 Les Indifférents, op. cit., p. 368.
76 Gli Indifferenti, op. cit., p. 284.
77 À ce titre, on peut noter que dans son interview avec Vania Luksic, Moravia compare Michel à deux autres représentants fictionnels de l’existentialisme : Roquentin et Meursault, héros de La Nausée et de L’étranger et note que son roman est le premier roman existentialiste publié en Europe, avant celui de Sartre (1938) et celui de Camus (1942). Moravia, Le Roi est nu. Conversations en français avec Vania Luksic, Paris, Stock, 1979, p. 46.
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Référence papier
Blandine Puel, « La fiction de l’adolescence comme quête du moi et critique du fascisme : Les Indifférents d’Alberto Moravia », Essais, 11 | 2017, 69-85.
Référence électronique
Blandine Puel, « La fiction de l’adolescence comme quête du moi et critique du fascisme : Les Indifférents d’Alberto Moravia », Essais [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 14 octobre 2020, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/essais/3406 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/essais.3406
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